Karolann Arvisais1,2,, Pharm.D., M.Sc., Audrey-Anne Longpré1,3, Pharm.D., M.Sc., Anne-Sophie Michaud1,4, Pharm.D., M.Sc.
1Candidate à la maîtrise en pharmacothérapie avancée au moment de la rédaction de cet article, Faculté de pharmacie, Université de Montréal, Montréal (Québec) Canada;
2Pharmacienne, Institut universitaire en santé mentale de Montréal, Montréal (Québec) Canada;
3Pharmacienne, Hôpital de Montréal pour Enfants, Montréal (Québec) Canada;
4Pharmacienne, Institut universitaire de gériatrie de Sherbrooke, Sherbrooke (Québec) Canada
Reçu le 10 octobre 2014; Accepté après révision par les pairs le 12 mars 2015
Résumé
Objectif : Se familiariser avec l’utilisation d’opioïdes topiques, reconnaître les situations pour lesquelles la morphine topique peut être utile et connaître les recommandations de base concernant la sécurité entourant l’utilisation d’un médicament par une voie novatrice.
Résumé du cas : Une dame de 90 ans, atteinte d’un cancer épidermoïde au visage en phase terminale, ne réussissait pas à obtenir un soulagement efficace de sa douleur avec des doses quotidiennes de morphine équivalentes à 30 mg par voie orale. L’application topique de 5 à 10 mg de morphine quatre fois par jour a permis de diminuer de près de 90 % les doses de morphine prises par voie systémique, tout en offrant un contrôle optimal de la douleur et une diminution des effets secondaires.
Discussion : La plaie de la patiente présentait toutes les caractéristiques d’une bonne réponse à la morphine topique, à savoir une plaie inflammatoire, apparue depuis quelques jours, dont l’épithélium était endommagé. Cependant, l’utilisation d’une voie novatrice d’administration peut entraîner un risque de confusion pour le personnel soignant et provoquer des erreurs. L’Institut pour la sécurité des médicaments aux patients du Canada a émis des recommandations sur le sujet.
Conclusion : Ce cas démontre bien le rôle que joue le pharmacien dans les soins de confort des patients en phase terminale. Les données de la documentation scientifique ne nous permettent pas de dire quel est le meilleur agent ou véhicule à utiliser. Cependant, notre expérience montre que la morphine topique est une option intéressante dans le contexte des soins pharmaceutiques personnalisés.
Mots clés : Douleur, gériatrie, morphine, topique
Abstract
Objective : To recognize situations in which topical morphine may be useful, and to understand the basic safety recommendations regarding the use of a medication via an innovative route.
Methodology : A 90-year-old woman with end-stage facial squamous cell carcinoma was unable to obtain effective relief with daily morphine doses equivalent to 30 mg by mouth. Topical application of 5 to 10 mg of morphine four times a day made it possible to reduce her systemic morphine doses by nearly 90% while providing optimal pain control and reducing the adverse effects.
Discussion : The patient’s wound, an inflammatory wound of a few days duration with a damaged epithelium, had all the necessary characteristics conducive to a good response to topical morphine. The use of an innovative route can, however, lead to confusion and result in errors. The Institute for Safe Medication Practices Canada has issued recommendations regarding this matter.
Conclusion : This case clearly shows the pharmacist’s role in comfort care in the terminally ill. From the data in the literature, the best medication or vehicle to deliver it is not known. However, experience shows that topical morphine can be a useful option in the context of personalized pharmaceutical care.
Keywords : Geriatrics, morphine, pain, topical
Près de 80 % des patients âgés de plus de 65 ans atteints d’un cancer à un stade avancé doivent cohabiter avec une douleur modérée causée par leur maladie et continuent d’en souffrir lorsque cette douleur n’est pas prise en charge de façon optimale1. Cependant, la prudence est de mise au commencement d’un traitement contre la douleur pour cette population, car les personnes âgées sont plus vulnérables que les adultes aux effets indésirables des médicaments. En effet, le vieillissement affecte fortement les paramètres pharmacocinétiques et pharmacodynamiques des médicaments2. Pour apaiser les douleurs associées aux cancers, les opiacés font partie des choix de première intention, qu’ils soient utilisés seuls ou en combinaison avec des co-analgésiques. L’administration de ces médicaments peut toutefois provoquer des effets secondaires, comme la constipation, les nausées, les vomissements, la sédation, la confusion, les chutes et la dépression respiratoire3. Les principes guidant la première administration d’un médicament en gériatrie doivent donc s’appliquer pour ces patients, mais il faut parfois également envisager d’autres options thérapeutiques lorsque les risques d’utiliser les opiacés en dépassent les bienfaits ou lorsque les effets secondaires deviennent inacceptables pour le patient2. L’expertise du pharmacien peut s’avérer des plus utiles lorsque les thérapies conventionnelles ne permettent plus d’atteindre nos objectifs. Quelques rapports de cas et des études pilotes à répartition aléatoire ont démontré un avantage à utiliser la morphine topique sur des plaies inflammatoires ou des ulcères lorsque les traitements de première intention ne représentent plus la meilleure option. Cette voie d’administration semble mieux soulager la douleur en exerçant un effet local, tout en diminuant l’exposition systémique aux opiacés4–6. Cet article détaille le mécanisme d’action des opiacés par voie topique et les indications d’utilisation, tout en décrivant le cas d’une patiente ayant reçu une administration topique de morphine.
Il s’agit d’une dame de 90 ans souffrant d’un carcinome épidermoïde au visage. Elle est admise à l’unité de médecine hospitalière en raison d’une perte d’autonomie, d’une diminution de l’état général, d’une anxiété et d’une douleur mal soulagée. Les symptômes ont été associés à la progression de la maladie et son espérance de vie estimée est d’un à trois mois. Les soins offerts à la patiente sont donc orientés vers le confort. La patiente vivait à domicile avec ses deux filles avant son hospitalisation. Le tableau I fournit une description de la patiente ainsi que ses antécédents médicaux.
Tableau I Description de la patiente
Un carcinome épidermoïde de l’aile nasale droite a été diagnostiqué au cours de l’été précédent et traité par des interventions chirurgicales en combinaison avec la radiothérapie. La patiente a ensuite connu deux récidives quelques mois plus tard, ainsi que l’année suivante. Elle a été traitée par radiothérapie (50 Gy en 20 fractions) puisqu’elle n’était pas prête pour des soins de confort. Par la suite, la patiente a décidé d’arrêter la radiothérapie et a souhaité être transférée dans l’unité de soins palliatifs. Face à la progression de son cancer agressif, l’équipe médicale a décidé, en accord avec la patiente, d’arrêter le traitement des comorbidités.
Dans l’unité de soins palliatifs, les co-analgésiques sont prescrits tels qu’à domicile. Au jour 1, la patiente est souffrante en raison d’une douleur dans l’aile nasale droite qui irradie jusqu’à l’oeil droit. Elle est fatiguée et a peu d’appétit. L’équipe médicale remplace donc la morphine par voie orale par une dose régulière de 2,5 mg de morphine par voie sous-cutanée quatre fois par jour, avec des entre-doses de 2,5 mg de morphine par voie sous-cutanée toutes les deux heures au besoin. Au jour 2, la patiente avoue à l’infirmière qu’elle associe les « calmants », notamment la morphine, avec la mort. Elle demande donc moins d’entre-doses et essaie de tolérer le plus possible sa douleur. Elle a également peur de devenir confuse et de dormir toute la journée.
Au jour 3, la patiente signale des hallucinations visuelles non soutenues, sous forme de taches multicolores. Au jour 5, elle ne demande toujours pas d’entre-doses et la douleur est à son maximum le matin, lors du changement de pansement. À l’examen physique, la plaie est malodorante avec un exsudat important. La posologie régulière de morphine est donc augmentée à 2,5 mg par voie sous-cutanée toutes les quatre heures. À ce moment, les pharmaciens en soins palliatifs ont été demandés en consultation dans le dossier de la patiente. À leur visite, la patiente a les pupilles en myosis et se dit confuse. Sa fille, présente au chevet, dit que sa mère a de la difficulté à lui répondre et elle la trouve ralentie.
Étant donné que les effets secondaires de la morphine deviennent importants pour la patiente et qu’elle refuse de prendre ses entre-doses, les pharmaciens décident de favoriser la voie topique pour améliorer le contrôle de l’analgésie et diminuer la toxicité de la médication. La prégabaline n’a pas été ajustée à la hausse, car la patiente était déjà confuse et somnolente. De plus, le changement pour un autre opiacé n’est pas envisagé puisque la patiente n’est déjà pas très encline à prendre cette classe de médicaments et que les conditions favorables à l’utilisation des opiacés par voie topique sont présentes. Avec une tige montée, il est possible de localiser exactement le site de la douleur de la patiente. Les infirmières assistées des pharmaciens effectuent un test d’irrigation directe de la zone douloureuse de la plaie située dans la cavité nasale de la patiente à l’aide de 10 mg/ml de morphine dans une seringue de 3 ml munie d’une aiguille de 25 G. Dans un tel cas, il est préférable d’utiliser une aiguille de petit diamètre afin d’éviter d’exercer une trop grande pression sur la plaie, ce qui pourrait causer une douleur aiguë. L’effet analgésique est obtenu en moins de cinq minutes. La patiente se voit donc prescrire de la morphine (10 mg/ml) en application topique, à raison d’une dose régulière de 0,5 à 1 ml (5 à 10 mg) quatre fois par jour et de deux entre-doses par jour au besoin, à appliquer directement sur le site douloureux. Elle reçoit également une prescription d’un onguent contenant 5 % de lidocaïne pour soulager la douleur localisée sur le bout du nez, là où la peau est intacte. Les doses de morphine par voie sous-cutanée sont diminuées de façon concomitante à l’ajout de la morphine en application topique. L’évolution journalière des doses de morphine est présentée dans le tableau II.
Tableau II Doses de morphine administrées et signes vitaux associés
Au jour 6, l’équipe médicale et la patiente remarquent une grande amélioration depuis l’ajout de la morphine topique. La douleur est mieux contrôlée et les effets secondaires s’atténuent alors que les doses de morphine par voie systémique diminuent. De son côté, la patiente est satisfaite et dit se sentir beaucoup mieux. L’équipe médicale note également une diminution de la somnolence et une amélioration de la fonction cognitive. Toutefois, les pupilles sont toujours en myosis. Au jour 7, la patiente a des hallucinations visuelles et tactiles : elle voit des étoiles sur le mur et sent une personne lui pincer les pieds. La douleur est à 8/10 le matin au changement de pansement et baisse à 0/10 pendant la journée. Les pharmaciens proposent d’ajouter 1,5 mg de morphine par voie sous-cutanée 30 à 45 minutes avant le changement de pansement, puis 1 mg de morphine par voie sous-cutanée au besoin si la patiente n’est pas somnolente et si la morphine topique ne suffit pas à soulager la douleur.
Au jour 10, la patiente n’est plus somnolente et n’a plus d’hallucinations. La douleur est bien maîtrisée avec une dose quotidienne de 1,5 mg de morphine par voie sous-cutanée au changement de pansement et l’application de morphine topique quatre fois par jour. Les entre-doses ne sont plus nécessaires. Au jour 14, après un changement de l’équipe de soins, la dose de morphine topique est administrée accidentellement par voie sous-cutanée. La patiente reçoit 10 mg de morphine par voie sous-cutanée. Cette erreur est sans conséquence immédiate pour la patiente. Le rythme respiratoire de la patiente se maintient à quatorze respirations par minute, elle reste éveillée et n’émet aucune plainte. Toutefois, la patiente est somnolente le jour suivant et la famille perd confiance envers l’équipe de soins et demande le transfert de la patiente dans une maison privée de soins palliatifs. La co-analgésie n’a pas été modifiée lors de l’hospitalisation de la patiente.
Les résultats précliniques d’une utilisation topique d’opioïdes ont entraîné la publication de plusieurs rapports anecdotiques ou en série et de quelques études systématiques, mais le sujet reste à explorer4–6. Généralement, les opioïdes topiques sont utilisés pour le soulagement des ulcères et des plaies de pression, ainsi qu’en cas de mucosites et de plaies inflammatoires7. Les données obtenues sur l’animal démontrent qu’en présence d’une plaie inflammatoire ou nécrosée, les récepteurs opioïdes mu, kappa et delta migrent à la périphérie des terminaisons nerveuses des fibres afférentes, ce qui provoque une augmentation du taux de ces récepteurs à l’endroit de la plaie. Cette accumulation des récepteurs opioïdes surviendrait quelques jours après l’apparition de la plaie8. De plus, l’atteinte de l’épithélium et le pH plus faible permettraient respectivement de faciliter l’accès aux récepteurs opioïdes et d’augmenter l’affinité des opioïdes à leurs récepteurs9. Ces propriétés représentent une voie intéressante pour le traitement de la douleur nociceptive. L’utilisation de morphine topique sous diverses formes pharmaceutiques permet de cibler ces récepteurs opioïdes situés en périphérie, d’inhiber la propagation du potentiel d’action, de diminuer la libération de neuropeptides pro-inflammatoires et d’obtenir un soulagement efficace de la douleur tout en diminuant les effets secondaires9,10. De plus, les récepteurs opioïdes situés en périphérie semblent démontrer une plus grande résistance au phénomène de tolérance en présence d’inflammation soutenue10. Les agents topiques ont l’avantage d’offrir une bonne concentration locale tout en diminuant l’absorption systémique. Par ailleurs, les opioïdes topiques semblent dans la majorité des cas inefficaces lorsqu’ils sont appliqués sur une peau intacte9,11. La biodisponibilité des agents topiques sur une plaie ouverte peut aller jusqu’à 20 % si la région à couvrir est grande (60 cm2, à titre indicatif)7,12,13. L’absorption est différente selon le site d’application, la surface couverte et le véhicule utilisé. L’épaisseur et le contenu en lipides du strateum corneum influent notamment de manière importante sur l’absorption du médicament par voie topique. Par exemple, les parties du corps où la peau est plus mince, comme le visage et les oreilles, permettent une plus grande absorption que celles où la peau est plus épaisse, comme la plante des pieds et les coudes. De plus, une grande surface d’application et la présence de nombreux sites d’application augmentent l’exposition au médicament et possiblement son absorption12. La prudence est de rigueur lorsque la surface corporelle à couvrir est importante, car le médicament peut être absorbé en quantité d’autant plus importante et entraîner ainsi les mêmes risques de toxicité que s’il était administré par voie systémique. De plus, l’équipe médicale devra réévaluer les doses d’opiacés par voie systémique dès le commencement du traitement à base d’opiacé topique afin d’éviter une accumulation du produit et la survenue d’effets indésirables. Un autre point important que le clinicien doit prendre en considération est l’effet potentiel de l’application des opioïdes topiques sur la cicatrisation de la plaie. Selon les auteurs, les opioïdes peuvent soit accélérer le processus dynamique de la cicatrisation en stimulant, entre autres, les kératinocytes et l’angiogenèse, soit nuire à ce processus. Certains auteurs rapportent même un risque d’infection opportuniste en raison de l’effet délétère des opioïdes sur le processus de cicatrisation14.
Bien que la documentation scientifique fasse état d’un usage de la morphine par voie topique, les données présentées concernent également d’autres opioïdes, comme l’oxycodone, la méthadone, la kétamine, la mépéridine et le lopéramide15. En fonction des besoins du patient, différents véhicules peuvent être utilisés lors de la conception d’un produit topique à base d’opioïde. À titre d’exemple, il existe des préparations utilisant une barrière cutanée à base d’hydrocolloïde (pâte StomadhesiveMD), de sulfadiazine d’argent (FlamazineMD), d’eau stérile, d’hydrogel (l’Intrasite gelMD), de crème hydratante (Glaxal BaseMD) ou de gel pleuronique (DiffusimaxMD). Ces préparations peuvent être utilisées en vaporisateur, en rince-bouche ou tout simplement en crème ou en gel topique. La sulfadiazine d’argent mélangée à de la morphine peut être utilisée sur des brûlures. L’eau stérile permet de faire des vaporisateurs de morphine utiles lors des changements de pansement. Il est conseillé de ne pas l’appliquer sur une plaie suintante ou sur un ulcère veineux. La préparation à base d’Intrasite gelMD peut être utilisée sur des plaies ou des ulcères et elle s’applique directement sur une muqueuse sans pansement, le gel favorisant la cicatrisation en milieu humide. La préparation avec la crème hydratante Glaxal BaseMD peut être utilisée pour des douleurs pelviennes (p. ex. douleurs rectales ou vulvodynie). Elle peut également s’appliquer sur une lésion suintante. Le gel pluronique (DiffusimaxMD) favorisera quant à lui une plus grande absorption du produit. On doit éviter de l’appliquer sur des endroits très humides, car il favorise la croissance bactérienne et fongique7. Selon les différents rapports de cas et les études pilotes, le temps de soulagement de la douleur, calculé comme la durée entre l’application du produit et le moment où le patient se sent confortable, peut varier entre 0 et 60 minutes après la première application et le soulagement peut persister entre 2 et 45 heures11.
Le cas que nous présentons ici comporte plusieurs éléments qui indiquent que la morphine topique aurait probablement un effet bénéfique. Premièrement, il s’agit d’une plaie inflammatoire avec une exposition de la muqueuse respiratoire, avec une douleur bien localisée. L’inflammation détruit la barrière du périnèvre et augmente le nombre de terminaisons nerveuses sur les nerfs sensitifs, ce qui contribue à améliorer l’efficacité de la morphine topique10. Deuxièmement, puisque la plaie date de plusieurs mois, il est plausible de penser, en se basant sur la documentation scientifique, que les récepteurs opioïdes mu, kappa et delta aient migré le long des axones vers le site de la plaie. Tous ces éléments justifient l’usage d’une pharmacothérapie ciblée. Dans le cas de notre patiente, l’application directe de morphine sur la région de la plaie a permis de réduire la consommation d’opioïdes par voie systémique et de réduire de manière importante les effets secondaires. La patiente a donc pu retrouver son état cognitif normal et passer des moments de qualité avec ses proches.
Les pharmaciens ont pris des précautions pour assurer l’usage sécuritaire du médicament. Entre autres, un schéma a été ajouté au dossier des soins infirmiers pour que la morphine topique soit toujours appliquée au bon endroit. Les deux infirmières de la patiente ont également été formées le jour de la prescription. Malgré les précautions mises en place, une erreur d’administration s’est produite à la quatorzième journée de traitement puisque la dose de 10 mg a été administrée par voie sous-cutanée.
Rétrospectivement, il est nécessaire d’analyser l’erreur d’administration pour éviter qu’elle ne se reproduise dans le futur. Cette erreur aurait indéniablement pu être évitée. Le fait que la préparation de morphine topique soit réalisée à l’unité dans une seringue à tuberculine munie d’une aiguille augmente le risque d’erreur. Depuis plusieurs années, l'Institut pour la sécurité des médicaments aux patients du Canada (ISMP Canada), un organisme national dont le mandat est de promouvoir l’usage sécuritaire des médicaments dans tous les secteurs de la santé, renforce l’importance d’utiliser des seringues orales plutôt que parentérales pour l’administration des médicaments par voie entérale16. Cette mesure vise à éviter que des médicaments destinés à être administrés par voie entérale ou topique le soient par voie parentérale. Bien que la plupart des professionnels de la santé se disent capables de faire la différence entre les différentes formes pharmaceutiques, leur expérience ne les met pas à l’abri d’une erreur. Selon ISMP Canada, il suffit d’un petit moment d’inattention pour qu’une infirmière expérimentée administre par réflexe un médicament par voie parentérale si celui-ci est servi dans une seringue parentérale, même si elle sait que le produit conditionné dans la seringue n’est pas destiné à cette voie d’administration. Dans notre cas et pour répondre aux besoins de notre patiente, nous ne pouvions pas changer le dispositif d’administration puisque nous avions besoin d’une grande précision pour atteindre le site douloureux dans la cavité nasale. Le vaporisateur ou la seringue orale n’étaient donc pas une option. Une solution pourrait être de demander au département de pharmacie de préparer les seringues et d’y accoler une étiquette bien voyante portant l’inscription « pour administration topique seulement ».
Ce cas démontre bien le rôle du pharmacien dans la prise en charge des soins de confort des patients en phase terminale. Chez cette patiente, l’utilisation de la morphine topique a permis de diminuer la dose journalière d’équivalent morphine par voie systémique de 30 à 3 mg, soit une diminution de 90 %, tout en assurant un contrôle adéquat de la douleur et en limitant les effets secondaires. Les données des études pilotes à répartition aléatoire et des rapports de cas publiées à ce jour ne permettent pas de statuer sur le choix optimal de l’agent, de la dose, de la fréquence d’administration et du véhicule à utiliser11. Toutefois, les données scientifiques et l’expérience clinique démontrent l’efficacité des opioïdes topiques. L’analgésie par voie topique représente donc une option intéressante dans l’arsenal thérapeutique de la douleur, puisqu’elle permet de limiter les effets indésirables des opioïdes en gériatrie. La vigilance reste de rigueur pour limiter les erreurs d’administration liées à cette technique et le pharmacien joue un rôle clé dans la prévention de telles erreurs. En soins palliatifs, la pharmacothérapie personnalisée est importante pour soulager la douleur, afin de permettre aux patients en fin de vie de réaliser leurs derniers souhaits.
Aucun financement en relation avec le présent article n’a été déclaré par les auteurs.
Tous les auteurs ont rempli et soumis le formulaire de l’ICMJE pour la divulgation de conflit d’intérêts potentiel. Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts actuel ou potentiel en relation avec le présent article.
Les auteurs remercient Serge Maltais, chargé de l’utilisation sécuritaire des médicaments et Robert Thiffault, pharmacien en soins palliatifs au CHUS. Cet article a été réalisé dans le cadre du cours Communication scientifique de la Faculté de pharmacie de l’Université de Montréal. Les auteurs en remercient les responsables et collaborateurs pour les commentaires reçus lors de la rédaction de cet article. Une autorisation écrite a été obtenue de ces personnes.
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PHARMACTUEL, Vol. 48, No. 3, 2015