Quelle est la valeur ajoutée du pharmacien d’officine dans le dépistage du diabète de type 2? Description d’une expérience pilote marocaine

Saadia Skalli1,2,3, D.Pharm., M.Sc., Dina Oulkadi4,5, B.Pharm.

1Pharmacien clinicien, Pharmacie Kasbah, Tanger, Maroc;
2Consultant en Pharmacovigilance et en Pharmacie Clinique, Tanger, Maroc;
3Collaborateur au Centre National Antipoison et de Pharmacovigilance, Rabat, Maroc;
4Pharmacienne, Pharmacie Dina, Tanger, Maroc;
5Présidente du Syndicat des pharmaciens d’officine, Tanger, Maroc

Soumis le 28 janvier 2015; Accepté après révision le 28 février 2015

Le nombre de cas de diabète dans le monde ne cesse d’augmenter1. Cette augmentation s’explique notamment par un renforcement du dépistage dans tous les pays ainsi que par une amélioration de l’organisation des soins. La journée mondiale du diabète célébrée chaque année le 14 novembre met particulièrement en avant ces actions de dépistage menées par les différents professionnels de santé ou les associations de patients2. Les pharmaciens d’officine de Tanger, au Maroc, se sont associés à l’élan suscité par la journée mondiale du diabète en proposant un dépistage communautaire au sein de leurs officines. Nous rapportons les résultats d’une étude pilote menée en parallèle à cette campagne et qui avait pour objectif d’évaluer d’une part la fréquence des cas de diabète dépistés en officine et, d’autre part, la faisabilité sur le terrain de cette action de santé publique, en vue de l’étendre à l’échelle nationale.

Selon les recommandations du comité d’éthique de la faculté de Médecine et de Pharmacie de Rabat, le projet n’a pas été soumis au comité pour approbation, dans la mesure où il s’agit d’une étude à la fois observationnelle – l’échantillon provient d’un sous-groupe représentatif de la population habituellement dépistée pour le diabète – et non interventionnelle – les patients ont été suivis et pris en charge de manière habituelle. Sur le plan méthodologique, les pharmaciens d’officine de Tanger, au Maroc, ont mené les 14 et 15 novembre 2014 une campagne ciblée de sensibilisation et de dépistage du diabète de type 2 pour les patients à risque d’être diabétiques selon les critères de la Haute Autorité de Santé3. Cette initiative locale avait pour objectif de déceler des patients n’ayant pas reçu un diagnostic de diabète mais qui sont susceptibles d’être atteints de cette maladie, et de les sensibiliser aux complications potentielles associées à un dépistage tardif ou à un mauvais équilibre du diabète.

Un atelier de formation et d’information animé par un pharmacien clinicien et un médecin endocrinologue a précédé la campagne de sensibilisation, afin de standardiser la méthodologie et les pratiques de dépistage et d’uniformiser les informations que les pharmaciens d’officine transmettent aux patients. L’évènement a été également diffusé sur deux chaines radiophoniques nationales.

En pratique, un test de dépistage a été proposé aux patients susceptibles d’être diabétiques mais qui n’avaient pas reçu un tel diagnostic au moment du test. Le dépistage a commencé par le remplissage d’une fiche de recueil de données (âge, poids, antécédents familiaux et obstétricaux – antécédent d’enfant macrosome, défini par un poids de naissance supérieur à 4 kg ou au 90e percentile selon les courbes de référence, ou de diabète gestationnel – et activité physique). Un consentement éclairé du patient a été systématiquement demandé. Des données sociodémographiques et physiopathologiques ont été recueillies, et les taux de glycémie capillaire (à jeun ou après un repas) ainsi que la tension artérielle systolique ou diastolique ont été mesurés. La période de l’étude comprenait la journée du vendredi 14 novembre ainsi que la matinée du samedi 15 novembre, pendant les horaires d’ouverture des pharmacies d’officine.

Au total, 64 pharmacies ont participé à l’étude et ont réalisé 1 177 tests. Ces tests étaient répartis de la façon suivante: 650 glycémies ont été réalisées sur la journée du vendredi et 527 effectuées pendant la demi-journée du samedi. L’âge moyen de la population concernée par le dépistage était de 47 ± 16 ans et le ratio femmes/hommes était de 1,8. Chaque pharmacie avait effectué entre 1 et 86 tests de dépistage, le nombre moyen étant de 10,27 ± 1,84 tests par pharmacie (10,27 ± 10,24 tests réalisés le 14 novembre et 8,29 ± 7,74 tests réalisés le 15 novembre).

Au total, 182 tests (15,23 %) – dont 170 réalisés à jeun et 12 après un repas – ont détecté une anomalie glycémique de type hyperglycémie (définie par une glycémie > 2,0 g/l [11,11 mmol/l] quel que soit le moment de la journée, associée à des symptômes d’hyperglycémie). La plus forte glycémie dépistée était de 5,03 g/l (27,94 mmol/l). Les patients présentant des anomalies glycémiques prononcées de type hyperglycémie ou hypoglycémie ont été réorientés vers les médecins généralistes, les endocrinologues, les laboratoires de biologie médicale ou le service des urgences, selon l’urgence de la situation.

En tout, 295 patients (24,68 %) avaient une tension artérielle systolique ou diastolique indiquant une hypertension artérielle, selon la définition de la société européenne d’hypertension artérielle et de la société européenne de cardiologie4. La valeur moyenne de la tension artérielle systolique était de 129 ± 22 mmHg et celle de la tension artérielle diastolique était de 75 ± 40 mmHg. La tension artérielle maximale observée était de 230/100 mmHg (un patient). Pour certains de ces patients, le diagnostic d’hypertension artérielle était nouveau. Pour les autres, ce rappel de diagnostic reflétait soit un manque d’équilibre du traitement, soit une inobservance thérapeutique. Les patients ayant une hypertension artérielle soupçonnée ont été réorientés vers un médecin généraliste ou un cardiologue.

Globalement, cette étude transversale, la première du genre au Maroc, a mis en exergue un taux de dépistage du diabète par les pharmaciens d’officine similaire à celui rapporté en France par Halimi et coll. (19,8 %)5. D’autres études ont signalé un taux de détection d’une anomalie glycémique modérée ou compatible avec un diabète légèrement plus faible (11,2 % pour Böhme et coll. et 12,7 % pour Dhippayom et coll.)6,7. De telles actions de dépistage réalisées par les pharmaciens d’officine peuvent s’étendre à d’autres types de troubles médicaux. Une étude menée aux États-Unis montre une détection d’anomalies de la glycémie et de la tension artérielle chez respectivement 15 % et 68 % des patients, ainsi qu’un taux élevé de dyslipidémies (66 %), notamment de type HDL8. Ces résultats illustrent à quel point il est important que le pharmacien d’officine participe à divers aspects de la santé publique qui viennent compléter et renforcer les actions des autres professionnels de santé.

Les pharmaciens d’officine qui ont participé à l’étude ont néanmoins soulevé quelques limites à une telle campagne de dépistage, principalement d’ordre organisationnel, en raison de l’absence d’espaces d’échanges adaptés pour favoriser l’efficacité de leurs actions de prévention. Une enquête réalisée auprès de pharmaciens d’officine au Canada a fait ressortir d’autres limites à la réalisation d’actions de santé publique par les pharmaciens d’officine, comme le manque de temps, de coordination entre les professionnels de santé, de ressources humaines, de compensation financière ainsi que d’outils cliniques adaptés9.

En conclusion, cette action de dépistage a été grandement appréciée par les patients et leurs professionnels de santé (médecins et pharmaciens) et a permis de créer un élan d’enthousiasme au sein de la communauté pharmaceutique. Des actions de grande envergure, menées en collaboration par les différents syndicats de pharmaciens d’officine, sont nécessaires afin de faire rayonner le pharmacien clinicien d’officine sur le plan national et international.

Financement

Aucun financement en relation avec le présent article n’a été déclaré par les auteurs.

Conflits d’intérêts

Les auteurs ont complété et soumis le formulaire de l’ICMJE pour la divulgation de conflits d’intérêts potentiels. Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec le présent article.

Références

1. Diabetes fact sheet N° 312. [en ligne] http://www.who.int/diabetes/en/ (site visité le 19 février 2015).

2. International diabetes federation drives global action ahead of world diabetes day– November 14. [en ligne] http://www.idf.org/internationaldiabetes-federation-drives-global-action-aheadworld-diabetes-day-november-14 (site visité le 19 février 2015).

3. Haute Autorité de Santé. Prévention et dépistage du diabète de type 2 et des maladies liées au diabète Octobre 2014 [en ligne] http://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2015-02/7v_referentiel_2clics_diabete_060215.pdf (site visité le 19 février 2015).

4. 2013 ESH/ESC guidelines for the management of arterial hypertension: the Task Force for the Management of Arterial Hypertension of the European Society of Hypertension (ESH) and of the European Society of Cardiology (ESC). Eur Heart J 2013;34:2159–219.
cross-ref  pubmed  

5. Halimi S, Hourmant M, Pene-Marie M, Boizel R. Évaluation de la faisabilité d’un co-dépistage diabète et maladies rénales dans les pharmacies d’officine. Diabetes Metabolism 2011;37(suppl 1):A12.

6. Böhme P, Agrinier N, Badia M, Durand M, Scheen A, Guillaume M et coll. Campagnes de sensibilisation au dépistage du diabète de type 2 dans les pharmacies. Comparaison de deux approches: glycémie capillaire et grille Findrisc. Diabetes Metabolism 2012;38(suppl 2):A7.
cross-ref  

7. Dhippayom T, Fuangchan A, Tunpichart S, Chaiyakunapruk N. Opportunistic screening and health promotion for type 2 diabetes: an expanding public health role for the community pharmacist. J Public Health 2013;35:262–9.
cross-ref  

8. Snella K, Canales A, Irons B, Sleeper-Irons R, Villarreal M, Levi-Derrick V et coll. Pharmacy- and community-based screenings for diabetes and cardiovascular conditions in high-risk individuals. J Am Pharm Assoc 2006;46:370–7.
cross-ref  

9. Laliberté MC, Perreault S, Damestoy N, Lalonde L. Ideal and actual involvement of community pharmacists in health promotion and prevention: a cross-sectional study in Quebec, Canada. BMC Public Health 2012;12:192.
cross-ref  pubmed  pmc  



Pour toute correspondance: Saadia Skalli, Pharmacie Kasbah, 67, Rue Kasbah,90 000 Tanger, MAROC; Téléphone: 00212 604 13 33 69; Télécopieur: 00212 539 94 77 86; Courriel: saadiaskalli@hotmail.com

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PHARMACTUEL, Vol. 48, No. 2, 2015