Allergie à la pénicilline et réactions croisées aux bêta-lactamines: un défi à relever

Jean-Nicolas Boursiquot1,2,, M.D., M.Sc., FRCPC

1Immunologue-Allergologue, Centre hospitalier universitaire de Québec – Centre hospitalier universitaire de Laval, Québec (Québec) Canada;
2Professeur de clinique, Faculté de médecine, Université de Laval, Québec (Québec) Canada

Reçu le 14 avril 2015; Accepté après révision le 20 avril 2015

Introduction

L’allergie à la pénicilline représente un problème auquel le professionnel de la santé est fréquemment confronté. Depuis la découverte de la molécule par Sir Alexander Fleming, prix Nobel de médecine de 1945, cet antibiotique et ses dérivés n’ont cessé d’être employés pour combattre un grand nombre de maladies infectieuses. Les médicaments dérivés de la pénicilline sont souvent prescrits en raison de leur redoutable efficacité, de leur coût relativement bas et de leur bonne tolérabilité1.

L’allergie à la pénicilline est une réaction d’hypersensibilité due à la présence d’anticorps de type IgE dirigés contre différents composants des métabolites du médicament. Les manifestations cliniques de cette allergie sont des signes cutanés (urticaire, oedème de Quincke), respiratoires (dyspnée, sibilances respiratoires, toux), digestifs (vomissements, diarrhée, douleur abdominale) ou cardiovasculaires (lipothymie, syncope) pouvant compromettre le pronostic vital du patient. Bien que rare (fréquence de 0,004 % à 0,015 %), l’anaphylaxie aux pénicillines existe. Il s’agit de la forme la plus grave d’allergie à la pénicilline et il est donc important de bien poser le diagnostic.

Les personnes qui se croient allergiques à la pénicilline décrivent bien souvent une vague histoire de réaction. Dans bien des cas, bien que les symptômes rapportés n’aident guère le clinicien à poser de façon sûre un diagnostic d’allergie à la pénicilline, un tel diagnostic est retenu sans argument solide. Il n’est donc pas étonnant de constater que seulement 10 % des personnes qui se disent allergiques à cette molécule le sont réellement3.

Une allergie à la pénicilline entraîne des conséquences importantes pour la santé et l’économie. L’utilisation d’antibiotiques à large spectre autres que les bétalactamines est associée à un risque accru de résistance bactérienne et peut ainsi empêcher une optimisation des soins médicaux au patient4. Du point de vue économique, l’emploi d’un antibiotique autre que la pénicilline ou ses dérivés entraînerait une augmentation estimée des coûts supérieure à 63 %5. D’autres études ont également démontré que le coût global des soins de santé est plus élevé pour les patients présentant une infection et décrits comme étant allergiques à la pénicilline6,7.

Un test cutané permet de prouver ou d’éliminer un diagnostic d’allergie à la pénicilline. Ce test cutané (test par piqûre [test prick] ou test intradermique) est sans danger et possède de surcroît une excellente valeur prédictive négative (environ 98 %)3. Une réintroduction orale du médicament, répartie en une ou deux doses, permet par la suite d’éliminer toute possibilité d’allergie.

Malheureusement, ce test n’est offert qu’en milieu spécialisé et doit être réalisé sous la supervision d’un médecin allergologue qui possède l’expertise pour valider l’interprétation du test et vérifier si un test de réintroduction orale est nécessaire. En attendant que le patient puisse consulter l’allergologue, le clinicien doit se tourner vers d’autres solutions. Souvent, il évitera les autres types de bêta-lactamines par crainte d’une réactivité croisée en présence de pénicilline. Cela est-il justifié?

Des études récentes ont mis en évidence un risque faible d’allergie croisée entre la pénicilline et la majorité des céphalosporines, des carbapénèmes et de l’aztréonam. Une méta-analyse menée par Pichichero et Casey montre qu’il existe une allergie croisée entre la pénicilline et les céphalosporines de première génération (fréquence estimée: 1 à 10 %). Les résultats de cette analyse montrent heureusement une réactivité croisée très faible en présence de céphalosporines de seconde génération et de troisième génération8. Les auteurs d’une autre étude publiée en 2006 rapportent que, dans une cohorte de 112 personnes reconnues allergiques à la pénicilline et soumises à un test cutané à l’imipénem-cilastatine, un seul patient (0,9 %) a obtenu un résultat positif à ce test9. L’administration de l’imipénem-cilastatine n’a entraîné aucune réaction indésirable chez les 111 autres patients. L’allergie croisée entre la pénicilline et l’aztréonam, quant à elle, n’a pas été démontrée10. Une réaction allergique peut provenir d’une sensibilisation aux chaînes latérales des céphalosporines mais ces chaînes ne sont cependant pas identiques d’une céphalosporine à une autre.

Le prescripteur doit donc bien connaître le risque de réactivité croisée entre les antibiotiques apparentés à la pénicilline. L’article de Mme Audrey Vachon, publié dans cette édition de Pharmactuel, est extrêmement intéressant puisqu’il définit les bêta-lactamines qui présentent une faible réactivité croisée en présence d’un autre antibiotique de cette même famille11. Cet article pourrait permettre au pharmacien et au médecin de cibler un antibiotique de la famille de la pénicilline qui n’entraîne pas a priori de risque de réaction croisée. Un risque allergique reste cependant possible lors de l’administration du médicament. Il est donc important de reconnaître les signes cliniques d’une réaction allergique et d’être prêt à traiter cette dernière.

Financement

Aucun financement en relation avec le présent article n’a été déclaré par l’auteur.

Conflits d’intérêts

L’auteur a rempli et soumis le formulaire de l’ICMJE pour la divulgation de conflits d’intérêts potentiels. L’auteur n’a déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec le présent article.

Références

1. Wright AJ. The penicillins. Mayo Clin Proc 1999;74:290–307.
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2. Idsoe O, Guthe T, Willcox RR, de Weck AL. [Nature and scope of adverse effects of penicillin with special reference to 151 deaths following anaphylactic shock]. Schweiz Med Wochenschr 1969;99:1252–7.

3. Solensky R. Hypersensitivity reactions to betalactam antibiotics. Clin Rev Allergy Immunol 2003;24:201–20.
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4. Lee CE, Zembower TR, Fotis MA, Postelnick MJ, Greenberger PA, Peterson LR et coll. The incidence of antimicrobial allergies in hospitalized patients: implications regarding prescribing patterns and emerging bacterial resistance. Arch Intern Med 2000;160:2819–22.
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5. Sade K, Holtzer I, Levo Y, Kivity S. The economic burden of antibiotic treatment of penicillinallergic patients in internal medicine wards of a general tertiary care hospital. Clin Exp Allergy 2003;33:501–6.
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6. Macy E. Elective penicillin skin testing and amoxicillin challenge: effect on outpatient antibiotic use, cost, and clinical outcomes. J Allergy Clin Immunol 1998;102:281–5.
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7. Harris AD, Sauberman L, Kabbash L, Greineder DK, Samore MH. Penicillin skin testing: a way to optimize antibiotic utilization. Am J Med 1999;107:166–8.
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8. Pichichero ME, Casey JR. Safe use of selected cephalosporins in penicillin-allergic patients: a meta-analysis. Otolaryngol Head Neck Surg 2007;136:340–7.
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9. Romano A, Viola M, Guéant-Rodriguez RM, Gaeta F, Pettinato R, Guéant JL. Imipenem in patients with immediate hypersensitivity to penicillins. N Engl J Med 2006;354:2835–7.
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10. Joint Task Force on Practice Parameters, American Academy of Allergy, Asthma and Immunology, American College of Allergy, Asthma and Immunology & Joint Council of Allergy, Asthma and Immunology. Drug allergy: an updated practice parameter. Ann Allergy Asthma Immunol 2010;105:259–73.
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11. Vachon A. Votre expérience avec un outil clinique pour mieux gérer les allergies croisées potentielles avec les bêta-lactamines. Pharmactuel 2015;48:97–102.



Pour toute correspondance: Jean-Nicolas Boursiquot, Centre Hospitalier de l’Université Laval, 2705, Boulevard Laurier, Québec (Québec) G1V 4G2, CANADA; Téléphone: 418 654-2240; Télécopieur: 418 654-2770; Courriel: jean-nicolas.boursiquot@fmed.ulaval.ca

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PHARMACTUEL, Vol. 48, No. 2, 2015