Lise Grenier1,, B.Pharm., D.P.H., M.Sc., Pierrette Carrier2, B.Pharm., D.P.H.
Reçu le 24 juin 2015; Accepté après révision le 23 août 2015
Résumé
Objectifs : Au cours de l’année passée, l’une des priorités des centres d’hébergement de soins de longue durée du Centre de santé et de services sociaux de la Vieille-Capitale a été de revoir l’utilisation de l’insuline, de la prescription à l’administration. Les buts étaient d’améliorer la sécurité des usagers insulino-dépendants et de réduire les pertes d’insuline, particulièrement celles liées aux bris de la chaîne de froid.
Description de la problématique : L’insuline est un agent anti-hyperglycémiant couramment prescrit. Selon l’Institut pour la sécurité des médicaments aux patients du Canada, l’insuline est à la tête des médicaments de niveau d’alerte élevé qui sont associés à des accidents liés à la médication. L’utilisation de l’insuline exige des précautions à toutes les étapes du circuit du médicament. Désireux de se conformer à des normes de qualité supérieure, le personnel infirmier et les pharmaciens ont collaboré à la mise en place de nouvelles pratiques fondées sur la recherche clinique et les avis d’experts. Les travaux ont porté sur la préparation, la manutention et l’administration des insulines.
Résolution de la problématique : La démarche entreprise a provoqué un grand dérangement. Pendant près de six mois, la formation, le projet-pilote, l’adaptation aux changements et la mise en oeuvre des nouvelles procédures ont été des occupations au coeur de la vie quotidienne tant du personnel infirmier que de celui du département de pharmacie.
Conclusion : Après plusieurs tentatives, les objectifs de qualité et de sécurité ont été atteints. En mettant le résident en centres d’hébergement de soins de longue durée au coeur de nos préoccupations, nous trouvons un levier extraordinaire pour la réussite d’un tel projet par la collaboration interprofessionnelle.
Mots clés : Centres d’hébergement de soins de longue durée, diabète, gestion des risques, insuline, personnes âgées, stylos d’insuline
Abstract
Objectives : In the past year, one of the priorities for the long-term care residential facilities of the Centre de santé et des services sociaux de la Vieille-Capitale was to review the use of insulin. The objectives were to increase the safety of insulin-dependent patients and to reduce insulin losses, notably those due to cold chain breaks.
Description of the problem : Insulin is commonly prescribed to decrease blood glucose. It is one of the high-alert drugs involved in medication accidents, according to a statement published by the Canadian Patient Safety Institute. The use of insulin requires precautions at every step of the medication circuit. Eager to comply with superior quality standards, nurses and pharmacists worked together to institute new practices based on clinical research and expert opinions. The work undertaken initially focused on insulin preparation, handling and administration.
Problem resolution : The approach used caused a great deal of inconvenience. For nearly six months, training, adapting to the changes and aligning the new procedures were central concerns of daily life, both for the nursing staff and the staff in the Pharmacy Department.
Conclusion : Several tries were necessary, but the quality and safety objectives are now well on track. When residents in long-term care residential facilities are at the core of our concerns, there is a great incentive to make such a project a success through interprofessional collaboration.
Key words : Diabetes, elderly, insulin pens, long-term care residential facilities, risk management
Selon l’Institut pour la sécurité des médicaments aux patients du Canada (ISMP Canada), l’insuline est à la tête des médicaments de niveau d’alerte élevé qui sont associés à des accidents liés à la médication1. Au Centre de santé et des services sociaux (CSSS) de la Vieille-Capitale, les résidents en hébergement sont au nombre de 1 250. Parmi eux, un peu plus d’une centaine reçoivent de l’insuline. Les résidents sont hébergés dans l’un des huit centres éloignés géographiquement de la pharmacie d’un à sept kilomètres. Ces centres comprennent quarante-sept unités de vie. Chaque unité possède un petit réfrigérateur domestique pour entreposer les médicaments à conserver au froid. Les insulines humaines NPH et Toronto sont des médicaments disponibles au commun livrés en boîtes de cinq cartouches sur l’ensemble des unités où il y a un résident insulino-dépendant. Chaque cartouche doit être insérée dans un porte-cartouche à l’intérieur d’un stylo réutilisable. Les insulines analogues aspart (NovoRapidMD) et détémir (LevemirMD) sont livrées au nom des résidents, mais toujours en boîtes de cinq cartouches.
Pour toutes les insulines, le personnel infirmier doit inscrire la date de mise en place d’une cartouche, afin que la durée de conservation de l’insuline n’excède pas 28 jours à température ambiante. Cette obligation est souvent omise. Par ailleurs, les contraintes budgétaires récurrentes n’ont pas permis l’achat de réfrigérateurs munis d’alarmes, pouvant alerter le personnel en cas de variations inadéquates de la température. Les bris de la chaîne de froid deviennent monnaie courante et les pertes de médicaments engendrent des coûts qui représentent 10 à 12 % de la dépense annuelle en insuline. En dollars, les pertes d’insuline sont estimées entre 12 000 $ et 14 000 $ au CSSS de la Vieille-Capitale. Il est donc souhaitable de viser à maintenir une seule réserve d’insuline réfrigérée par centre d’hébergement.
Au début de l’année 2014, une occasion s’est présentée lorsqu’il est devenu possible d’acheter les quatre types d’insuline les plus souvent utilisés sous forme de stylos préremplis jetables. De nombreux aspects positifs ont donné du poids aux changements qui allaient s’opérer, notamment l’élimination de la double vérification indépendante requise pour chaque changement de cartouche d’insuline, l’élimination du code de couleur des stylos réutilisables, l’identification de chaque stylo jetable par la pharmacie, avec le nom et le numéro de chambre du résident et, finalement, l’apposition d’une étiquette vierge pour inscrire la date de péremption du stylo dès sa sortie du réfrigérateur.
En avril 2014, le département de pharmacie a convenu d’acheter deux insulines basales et deux insulines prandiales sous forme de stylos préremplis jetables. Dans le respect des contrats négociés, il s’agit des insulines humaines N (Humulin N KwikPenMD) et R (Humulin R KwikPenMD) et des insulines analogues lispro (Humalog KwikPenMD) et glargine (Lantus SolostarMD). Ces choix sont présentés au comité de pharmacologie qui en fait la recommandation au Conseil des médecins, dentistes et pharmaciens (CMDP).
Parallèlement à l’adoption des nouveaux stylos d’insuline, le CSSS a procédé à l’achat de nouvelles aiguilles de sécurité à double système d’autoverrouillage (BD Autoshield DuoMD), dont la longueur de 5 mm (au lieu de 8 mm) permet de réaliser une injection sous-cutanée (SC) sans avoir à effectuer un pli cutané. Ce remaniement de matériel offre l’occasion de former le personnel aux nouvelles présentations d’insulines et aux meilleures pratiques relatives aux techniques d’injection publiées par le Forum sur la technique d’injection (FIT Canada)2. Les experts en diabète des compagnies Lilly, Sanofi et BD Medical ont été invités à participer à la formation des futurs formateurs. Ensuite, une mobilisation de la direction des soins infirmiers, de la direction de l’hébergement et du département de pharmacie a permis de concevoir un calendrier de formation et d’organiser le changement.
Les insulines N, R et lispro substitueront respectivement, d’emblée, et dose pour dose, les insulines NPH, Toronto et aspart. La substitution de l’insuline détémir pour l’insuline glargine se fera dans un deuxième temps, car le changement demande une démarche individualisée. Enfin, la rédaction de procédures doit précéder la mise en oeuvre de chaque étape des changements. Le moment venu, une communication écrite détaillée (textes et images) est fournie à chaque unité de vie.
Devant l’ampleur de la tâche, le CSSS a accepté le soutien à la formation offert par les experts en diabète de chacune des trois compagnies visées. Les formations se sont déroulées sous la supervision de la pharmacienne, adjointe-clinique. La formation, qui rassemble le personnel infirmier et les pharmaciens, en respectant les quarts de travail, et qui porte sur les nouveaux stylos préremplis jetables et la technique d’injection, a été répétée 25 fois au mois de mai 2014.
En juin 2014, la distribution des stylos libellés au nom de chaque résident insulino-dépendant a débuté pour trois insulines (N, R et lispro), un centre à la fois. Cette distribution individualisée s’est faite conjointement à la mise en place d’une seule réserve réfrigérée de stylos d’insuline au commun par résidence. Pour les cinq premières résidences, où 39 résidents sont insulino-dépendants, le service des stylos tient compte des besoins en insuline pour quatre semaines. La directive donnée aux unités est de conserver un seul stylo à la température de la pièce en inscrivant la date de péremption, 28 jours après la sortie du réfrigérateur, sur l’étiquette vierge apposée par la pharmacie. Les stylos supplémentaires en attente doivent être conservés au réfrigérateur. Au moment de disposer du dernier stylo libellé au nom d’un résident ou cinq jours avant la date de péremption, le personnel doit faire une requête de renouvellement de l’insuline auprès du département de pharmacie.
À peine deux semaines après le début des changements, un bris de la chaîne de froid (congélation) s’est produit dans un réfrigérateur, entraînant la perte d’une douzaine de stylos d’insuline. En ce début d’été et devant l’éventualité probante de nouveaux bris de la chaîne de froid, le département de pharmacie décide de servir une provision d’insuline au nom de chaque résident couvrant maintenant une période de 14 jours. Dans le but de faciliter la saisie des ordonnances, le département de pharmacie crée de nouvelles grilles de renouvellement pour chaque dose quotidienne d’insuline; p. ex. le résident reçoit entre 20 et 40 unités d’une insuline par jour, il a donc besoin de deux stylos d’insuline pour la période prévue. Il fallait aussi prévoir la conduite à tenir face à des modifications de doses pendant cette période.
Durant cette période de transition, les appels téléphoniques affluent au département de pharmacie. Les témoignages les plus fréquents se résument comme suit :
le nombre de stylos fourni ne couvre pas la période de 14 jours pour une bonne proportion des résidents, même sans modification des doses quotidiennes à administrer;
les réfrigérateurs sont instables, leur température dépasse régulièrement 8 °C;
la date de péremption du stylo n’est pas inscrite sur un grand nombre de stylos et l’intervenant qui prend le relais ne veut pas utiliser un stylo dont il ne connaît pas la date de péremption;
de temps en temps, des utilisateurs mentionnent qu’un stylo se bloque et le stylo est jeté (après une révision de la technique d’injection, cet événement ne s’est plus reproduit);
la gestion du renouvellement des réserves d’insulines (le commun) dans chaque résidence est déficiente, ce qui entraîne par exemple le déplacement du pharmacien de garde pour que ce dernier puisse fournir les stylos manquants.
Au département de pharmacie, le nombre important de glacières nécessaires au transport quotidien des stylos vers chaque unité exige une place et une manutention beaucoup plus importantes. Notamment, le département a besoin d’une quarantaine de glacières chaque jour ainsi que d’une provision suffisante de blocs réfrigérants au congélateur (un bloc par glacière). Il doit également assurer un suivi pour obtenir le retour des glacières régulièrement oubliées, ce qui demande des appels téléphoniques fréquents.
Le département de pharmacie doit trouver une façon de distribuer les insulines dans les casiers-patients, à température ambiante, et de prévoir également des renouvellements automatisés. Les objectifs poursuivis sont de contrer les manques d’insuline, les bris de la chaîne de froid et l’absence de date de péremption sur les stylos, et d’alléger le service de livraison de produits réfrigérés. Répétons-le, le but ultime est de fournir un service clé en main, sécuritaire et de qualité.
Après avoir passé plusieurs heures à réfléchir et avoir testé trois prototypes d’une grille de renouvellement automatisé des stylos qui tient compte de la dose quotidienne d’une insuline prescrite et qui assure un approvisionnement de trois jours supplémentaires comme filet de sécurité, le personnel de la pharmacie devait également se soucier de respecter la durée de stabilité de 28 jours de l’insuline non réfrigérée. Une gestion des renouvellements des stylos qui tient compte des changements de doses possibles entre deux services était un facteur essentiel au succès de cette initiative. Comme le dit si bien le proverbe, « la nécessité est la mère de l’invention ».
En plus d’utiliser la grille qui établit que pour X unités d’une insuline par jour il faut servir, par exemple, un stylo tous les 28 jours ou trois stylos tous les sept jours, les pharmaciens coordonnateurs du projet ont également créé un calculateur permettant de déterminer le moment auquel il faudra renouveler une insuline si un ajustement de la dose est prescrit entre deux services. Parallèlement, dans le dossier pharmacologique de chaque résident et pour chacune des insulines prescrites, les coordonnateurs ont dû manipuler les entrées informatiques à l’aide de GespharxMD, le progiciel de gestion de la pharmacie, afin de créer un nouveau produit nommé Insuline XYZ stylo jetable RENOUVELLEMENT en vue d’automatiser les renouvellements.
Le dossier pharmacologique des résidents contient désormais deux types d’enregistrement pour une même insuline: 1) ex. Insuline glargine (LantusMD), 22 unités SC au coucher et 2) Insuline glargine (LantusMD)-RENOUVELLEMENT : 1 stylo à renouveler tous les 10 jours. Cette procédure permet l’inscription sur la feuille d’administration des médicaments (FADM) de la date du prochain service de stylos, information fort rassurante pour le personnel soignant, la production d’un rapport quotidien à la pharmacie identifiant les renouvellements à préparer, une comptabilité précise pour l’inventaire continu. Une fois la programmation établie, un projet-pilote est mis en oeuvre dans une résidence hébergeant 22 résidents insulino-dépendants.
Afin de s’assurer d’avoir tenu compte de toutes les composantes du nouveau modèle de distribution des insulines, deux pharmaciennes sont désignées pour répondre à toutes les interrogations entourant les insulines. Trois semaines seulement après la mise en place du projet-pilote, les résultats sont concluants. La satisfaction du personnel infirmier est manifeste. Pourtant, malgré cet enthousiasme, il reste des problèmes à résoudre. Un peu plus en avant dans le projet, deux situations irritantes sont récurrentes. Il arrive encore qu’un résident manque d’insuline, malgré un calcul de trois jours supplémentaires d’approvisionnement. Le raisonnement initial était le suivant : puisque chaque stylo contient 300 unités d’insuline et qu’un résident nécessite 30 unités par jour, le stylo devrait donc théoriquement couvrir une période de 10 jours; le renouvellement automatisé se fera alors tous les 7 jours. À l’opposé, quelques résidents cumulent un ou deux stylos que le personnel devra détruire à la date de péremption inscrite sur le stylo avant même d’avoir entamé celui-ci. De plus, le calculateur proposé aux pharmaciens n’est pas présenté sous une forme très conviviale (figure 1). Pour toutes ces raisons, le département de pharmacie devait se remettre au travail afin de remédier à ces situations.
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Figure 1 Calculateur des dates de renouvellement des ordonnances « Insuline ---- RENOUVELLEMENT » au moment d’un ajustement des doses d’insuline |
Le premier constat du département était que les manques d’insuline s’observaient pour les résidents recevant plusieurs injections quotidiennes d’une même insuline, comme de l’insuline Lispro (HumalogMD) 6 unités SC avant chaque repas, avec une échelle proposant des bolus de correction. L’enseignement de la technique actualisée d’injection prodigué aux infirmières précise qu’il faut sélectionner quatre unités d’insuline pour amorcer une première fois le stylo, puis deux unités d’insuline pour « faire le vide d’air » avant chaque injection. Ainsi, dans l’exemple précédent, au moins six unités d’insuline supplémentaires sont nécessaires chaque jour, uniquement pour opérer le stylo selon les normes de qualité établies. Ceci explique un manque d’insuline probable dans de tels cas.
Les calculs doivent être repris en tenant compte de cette réalité. En même temps, cette façon de procéder est une révélation : une fraction non négligeable d’un précieux médicament est tout simplement jeté! Au CSSS de la Vieille-Capitale, huit cents stylos d’insuline seraient utilisés tous les ans uniquement pour préparer l’appareil à l’injection. Des tests effectués sur trois stylos et une validation auprès des compagnies pharmaceutiques ont indiqué que le surplus de remplissage des stylos est d’environ 15 à 18 unités d’insuline supplémentaires par stylo de 300 unités. Ce surplus est nettement insuffisant dans certaines situations, comme dans l’exemple précédent. Cette pratique exigeante, qui repose sur les normes de qualité établies, nous semble inacceptable.
À la suite de ces observations, le département de pharmacie a entrepris des échanges avec les responsables de ces normes. Lorsque les cartouches d’insuline sont utilisées avec les stylos réutilisables et des aiguilles de 8 mm, une seule unité d’insuline est recommandée pour effectuer la technique du vide d’air avant chaque injection. Pourquoi alors les nouvelles normes demandent-elles maintenant d’utiliser deux unités?
La technique FIT propose de pointer le stylo et l’aiguille vers le haut, de sélectionner deux unités d’insuline et de presser le bouton de dose. Répéter l’opération une deuxième fois si une goutte ne s’est pas formée au bout de l’aiguille. L’observation du personnel infirmier effectuant cette technique a révélé que l’insuline glissait parfois le long de l’aiguille sans être bien visualisée par le personnel, et que ce dernier devait assez régulièrement réaliser une deuxième prise. De plus, cette façon de procéder soulevait des inquiétudes parmi le personnel, parce qu’au moment de l’injection une « grosse goutte » d’insuline coulait sur la peau du résident au site d’injection.
Le personnel infirmier se demandait alors si le résident avait bien reçu toute sa dose d’insuline. La question était très pertinente. L’explication retenue est qu’un cumul d’insuline dans le petit réservoir à l’intérieur du dispositif entourant l’aiguille est lié à cette rétention. Le département de pharmacie a donc convenu, avec les autorités consultées, de modifier la technique du vide d’air en sélectionnant toujours deux unités d’insuline, mais en pointant le stylo et l’aiguille vers le bas, puis en appuyant lentement sur le bouton de dose jusqu’à ce qu’une goutte d’insuline s’écoule de l’aiguille. Sauf pour la première amorce, il est moins fréquent que deux unités d’insuline soient nécessaires pour faire le vide d’air avant une injection, parce que cette nouvelle façon de procéder améliore nettement la visualisation de la solution. Les pertes ont été tellement réduites qu’au lieu des trois jours de recouvrement supplémentaires prévus, un seul jour d’approvisionnement supplémentaire est désormais suffisant.
En ce qui concerne le calculateur, un ingénieur, conjoint d’une collègue pharmacienne, a programmé l’ensemble des opérations mathématiques dans un dossier ExcelMD, rendant ainsi le calcul beaucoup plus facile. Ce programme ExcelMD a été installé sur chaque poste de travail de la pharmacie.
Une fois de plus, la formation effectuée auprès du personnel du département de pharmacie et des unités a été primordiale pour uniformiser les nouvelles procédures. Les modifications apportées grâce au projet-pilote et la mise à jour des procédures d’administration des insulines ont permis un transfert des connaissances à l’ensemble des centres d’hébergement au sujet de la distribution et de l’administration des insulines. Le téléphone s’est éteint.
Après avoir remplacé les insulines NPH, Toronto et aspart, le département de pharmacie peut maintenant entreprendre les changements concernant l’insuline basale analogue, à savoir la substitution de la détémir par la glargine. Étant donné que la durée d’action de la détémir est dépendante du nombre d’unités/kg/jour, le département a élaboré un guide pour appuyer les cliniciens. La documentation scientifique indique que le nombre d’unités d’insuline glargine à administrer aux patients pourrait être inférieur de 30 % à celui de l’insuline détémir3. Le mode de distribution de l’insuline glargine est en tout point identique aux trois autres insulines. Les changements d’insuline en stylos préremplis jetables se sont terminés en septembre 2014.
Tous ces changements ont permis de mettre en évidence d’autres préoccupations. Comme dans les études répertoriées4–8, le personnel clinique emploie fréquemment des échelles d’insuline, mais cette pratique est à réviser dans les centres d’hébergement de soins de longue durée (CHSLD). On observe trop souvent une insulinothérapie intensive, qui se traduit souvent par des injections d’insuline et des glycémies quatre fois par jour, sept jours par semaine, et par un taux d’hémoglobine glyquée (HbA1C) souvent inférieur à 7 %, voire même inférieur à 6,5 %.
Le personnel médical des CHSLD devrait envisager un taux cible d’HbA1C situé entre 7 et 8,5 % pour les résidents, compte tenu de leur espérance de vie inférieure à cinq ans et de leur fragilité9–16. La plus grande cohorte de résidents insulino-dépendants au CSSS de la Vieille-Capitale se retrouve parmi les résidents qui ont atteint ou dépassé 85 ans. Par conséquent, une formation académique et clinique pour l’utilisation optimale de l’insuline dans le traitement du diabète de type 2 chez la personne âgée en CHSLD doit être mise en place dès maintenant17,18.
Le 23 septembre 2014, le département de pharmacie a offert une telle formation aux pharmaciens, aux médecins et aux conseillères cliniciennes de notre établissement. Une revue d’utilisation des médicaments (RUM) portant sur les insulines, les échelles d’insuline, les taux cibles d’HbA1C et la fréquence des injections et des glycémies est proposée. La RUM a eu lieu en janvier 2015, le CMDP a adopté un protocole de suivi des glycémies en mars 2015 et, à l’automne 2015, un tableau proposant une fréquence des glycémies pour chacun des schémas thérapeutiques sera distribué aux intervenants.
Le projet a d’abord permis de consolider les liens entre le personnel infirmier et les pharmaciens. La résistance aux changements a été quasi-absente étant donné le désir commun d’améliorer les pratiques professionnelles à l’égard d’un médicament de niveau d’alerte élevé. De surcroît, dès la première année, un avantage secondaire s’est manifesté sous forme d’une économie de 25 000 $ sur la facture d’achat des insulines. En opposition à cet enthousiasme collectif, le projet a mis en lumière un besoin de formation sur l’approche thérapeutique du diabète de type 2 de la personne âgée, spécifiquement celle qui réside dans des CHSLD. Un tel programme de formation, destiné à l’ensemble des professionnels oeuvrant en CHSLD, est souhaité et nécessaire dans les mois à venir.
À ce jour, la formation technique est terminée, tant auprès du personnel infirmier que de celui de la pharmacie. Six mois après la réalisation du projet, il est possible d’affirmer que personne ne retournerait en arrière, d’autant plus que l’amélioration de la sécurité et de la qualité est au rendezvous. Tous les stylos d’insuline, à l’exception des stylos de réserve conservés dans un seul frigo par résidence, sont identifiés au nom des résidents et servis à température ambiante dans les casiers des résidents, avec une date de péremption collée au stylo. Les renouvellements sont automatisés. Les ordonnances d’échelles d’insuline sont plus rares et la révision des cibles glycémiques est en cours.
Aucun financement en relation avec le présent article n’a été déclaré par les auteurs.
Tous les auteurs ont rempli et soumis le formulaire de l’ICMJE pour la divulgation de conflits d’intérêts potentiels. Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec le présent article.
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