Isabelle Anguish1,2, Pharm.D., Jean-François Locca2, Pharm.D., Ph.D., Talia Malka2, Pharm.D., Olivier Bugnon1,2,3, Pharm.D., Ph.D.
Reçu le 6 juillet 2015; Accepté après révision par les pairs le 9 octobre 2015
Résumé
Objectif : Les établissements médico-sociaux sont des lieux associés à un haut risque d’erreurs dans le circuit du médicament. Dans ce contexte, l’étude vise à décrire l’état des lieux en 2012 des systèmes de gestion des risques des 42 établissements médico-sociaux (2 473 résidents) du canton de Fribourg (Suisse), estimer la fréquence des erreurs documentées et finalement proposer dès 2014 une approche méthodique favorisant la sécurité des résidents.
Méthodologie : Étude rétrospective dont les données ont été recueillies à partir des dossiers patients ou des registres des erreurs de l’établissement. Les erreurs ont été classifiées selon la taxonomie du National Coordinating Council for Medication Error Reporting and Prevention, puis analysées selon un processus d’amélioration continue (identification des risques, déclaration puis documentation des erreurs, analyse systémique).
Résultats : De tous les établissements médico-sociaux contactés, 91 % ont participé à l’état des lieux et 81 % ont pu documenter les erreurs. Sur les 39 établissements participants en 2012, 37 (95 %) mentionnaient un système de gestion des risques associés au circuit du médicament. Sur les 35 établissements ayant documenté les erreurs en 2013, 21 (60 %) (1 496 résidents) en ont documenté la fréquence : 30 % étaient avérées, 60 % n’avaient pas atteint le patient, 32 % n’avaient provoqué aucun dommage, 5 % ont conduit à une surveillance particulière et un cas a nécessité un allongement du séjour hospitalier et entraîné un préjudice pour le patient. Les erreurs surviennent le plus souvent à la délivrance (43 %) et à l’administration (43 %) des médicaments. Les problèmes de conditionnement ou de conception (62 %), ou ceux dus à un facteur humain (23 %) sont les plus fréquents.
Conclusion : Les conditions de base pour une gestion du risque médicamenteux sont présentes, mais l’amélioration doit porter sur une plus grande homogénéité et une meilleure normalisation des pratiques. Pour la première fois en Suisse, le pharmacien est appelé à coordonner la démarche interdisciplinaire sur ce thème dans les établissements médico-sociaux.
Mots clés : collaboration interprofessionnelle, erreur médicamenteuse, établissements médico-sociaux, évaluation des pratiques professionnelles, gériatrie, gestion des risques, iatrogénie médicamenteuse
Abstract
Objective: The risk of errors in the drug distribution system in nursing homes is high. The purpose of this study was to review the risk management systems of the 42 nursing homes (2,473 residents) in the township of Fribourg, Switzerland, in 2012, estimate the incidence of documented errors, and propose an approach to promote patient safety as of 2014.
Method: This was a retrospective study using data collected from patient charts and registers of nursing home errors. Errors were classified according to the taxonomy of the National Coordinating Council for Medication Error Reporting and Prevention and were then analyzed according to a continuous improvement process (risk identification, error reporting and subsequent documentation, and a system analysis).
Results: Ninety-one percent of the nursing homes participated in the review, of which 81% documented errors. Of the 39 participating establishments in 2012, 37 (95%) mentioned a drug distribution risk management system. Of the 35 facilities that documented errors in 2013, 21 (60%, 1,496 residents) documented their incidence as follows: 30% were substantiated, 60% had not reached the patient, 32% had not caused any harm, 5% had led to special monitoring, and one case required an extension of the hospital stay and caused the patient harm. Errors usually occur when medications are dispensed (43%) and administered (43%). Packaging and design problems (62%) and those associated with human error (23%) are the most common.
Conclusion: The basic conditions for medication risk management are in place, but improvements should target greater homogeneity and standardization of practice. For the first time in Switzerland, pharmacists are being called upon to coordinate an interdisciplinary approach to this matter in nursing homes.
Key words: Evaluation of professional practices, geriatrics, iatrogenesis, interprofessional collaboration, medication error, nursing homes, risk management.
La prescription de médicaments aux personnes âgées est un domaine complexe, compte tenu des facteurs de polymorbidité et de polymédication qui touchent cette population1–4. Une revue systématique d’interventions destinées à optimiser la prescription médicamenteuse aux personnes âgées en établissement médico-social (EMS), menée dans six pays différents (Australie, Royaume-Uni, Suède, Pays-Bas, États-Unis et Canada) et auprès de 7 653 résidents, a révélé qu’en moyenne, ces personnes consomment quotidiennement huit médicaments5. Les données probantes qui démontrent que le nombre de médicaments corrèle avec la fréquence des problèmes médicamenteux, des risques d’effets indésirables et d’erreurs médicamenteuses sont solides5,6. La sécurité des patients très âgés, qui reçoivent généralement une polymédication, est donc une priorité évidente en EMS. Dans ce contexte gériatrique à haut risque, il faut prévenir activement les problèmes supplémentaires amenés par des erreurs dans la gestion du circuit médicamenteux. Une erreur médicamenteuse peut se définir comme « un écart par rapport à ce qui aurait dû être fait au cours de la prise en charge thérapeutique médicamenteuse du patient. L’erreur médicamenteuse est l’omission ou la réalisation non intentionnelle d’un acte relatif à un médicament, qui peut être à l’origine d’un risque ou d’un événement indésirable pour le patient. […] L’erreur médicamenteuse peut concerner une ou plusieurs étapes du circuit du médicament […] mais aussi ses interfaces, telles que les transmissions ou les transcriptions7 ».
Une étude menée auprès de 294 EMS (représentant en moyenne 121 lits par EMS) entre 2006 et 2008 aux États-Unis, a relevé que 37,3 % des erreurs étaient répétées une ou plusieurs fois et que les erreurs les plus fréquemment répétées étaient celles de dosage (65,1 %) et d’administration (10,2 %)8. Une autre étude américaine menée dans quatre EMS (150 lits chacun) a relevé que les erreurs étaient plus fréquentes pour les personnes âgées de plus de 75 ans et que ces erreurs occasionnaient des préjudices (temporaires ou non, avec transfert aux urgences ou intervention d’urgence) dans 1,2 % des cas9. L’étude montrait également que la documentation des erreurs était une étape clé du processus de gestion du risque9. En effet, le manque d’outils et de procédures spécifiques pour rapporter les erreurs, ainsi que le manque de communication entre les membres de l’équipe par rapport à l’erreur survenue, constituaient les principales barrières à la mise en place d’un tel processus9.
Depuis 2002, la modification de la Loi sur la santé du canton de Fribourg (Suisse) a conduit à la mise en place obligatoire d’une démarche interdisciplinaire d’assistance pharmaceutique originale en EMS10. Les pharmaciens gardent une responsabilité dans l’organisation de l’approvisionnement en médicaments, mais la rémunération forfaitaire introduite leur donne une indépendance professionnelle quant aux choix des marques et des fournisseurs. L’innovation professionnelle a consisté à confier aux pharmaciens-conseils des prestations visant l’optimisation thérapeutique et économique des prescriptions médicales : élaboration annuelle d’un rapport d’assistance pharmaceutique par EMS, qui décrit et commente la consommation des médicaments; animation de séances de cercles de qualité avec les médecins et les infirmières-chefs de chaque institution dans l’objectif d’établir des consensus de prescriptions. L’AFIPA (association faîtière des institutions pour personnes âgées), santésuisse (association nationale des assureurs-maladie) et la Société des pharmaciens du canton de Fribourg sont signataires d’une convention réglant la gouvernance de la démarche, tandis que l’État de Fribourg assure le respect du cadre législatif et sanitaire. Le Centre de pharmacie communautaire de la Policlinique Médicale Universitaire de Lausanne (Université de Genève, Université de Lausanne, Suisse) est responsable de l’évaluation scientifique et de la formation continue.
Depuis 2013, une nouvelle responsabilité complète le cahier des charges des pharmaciens-conseils des EMS du canton de Fribourg11 : il s’agit de la coordination de la démarche institutionnelle de maîtrise des risques liés au circuit du médicament. Le présent article présente le suivi de la mise en œuvre de cette prestation, notamment les questions de recherche concernent l’état des lieux en 2012 des systèmes d’assurance de la qualité, puis l’estimation de la fréquence des erreurs médicamenteuses recensées sur une base volontaire en 2013. L’article décrit l’approche méthodique ainsi que les outils proposés pour favoriser une culture positive de l’erreur et, finalement, la sécurité des résidents.
La recherche repose sur deux enquêtes réalisées successivement en 2012 et en 2013. Les chercheurs ont recueilli des données de façon rétrospective auprès de tous les pharmaciens-conseils (n = 24) de l’ensemble des EMS (n = 43) du canton de Fribourg, dans le cadre du mandat de monitorage et de formation confié au groupe de recherche du Centre de pharmacie communautaire de la Policlinique Médicale Universitaire de Lausanne.
En 2012, les pharmaciens-conseils ont étoffé leurs rapports annuels d’assistance pharmaceutique à l’aide d’une description générale du système d’assurance de la qualité en place pour sécuriser le circuit du médicament10. Les informations collectées ont été classées selon les quatre étapes du processus itératif suivant proposé par les investigateurs comme approche méthodique à l’échelle cantonale :
Détermination des risques potentiels liés au circuit du médicament et de leur criticité : analyse de la criticité du processus avec une estimation de la fréquence de survenue du risque, de la gravité des conséquences et de la détectabilité du problème.
Déclaration des incidents ou des accidents médicamenteux survenus : détection des cas, collecte des données décrivant l’événement survenu, description des mesures correctives immédiates et des mesures préventives qui ont été prises.
Documentation des cas déclarés et suivi de leur traitement : mode de classification des cas, statistiques, suivi des tâches, des responsabilités et des délais pour les mesures correctives ou préventives décidées.
Amélioration continue de la sécurité du circuit du médicament : analyse systémique des cas recensés, définition des priorités d’amélioration (formation, investissements, etc.).
En 2013, les pharmaciens-conseils ont utilisé les dossiers patients (informatisés ou non) ou d’éventuels registres des erreurs créés spécifiquement pour recueillir les données concernant les erreurs médicamenteuses documentées par le personnel de l’EMS. En l’absence de système officiel uniforme, ces informations ont été transmises aux chercheurs sous la forme de documents électroniques (Word ou Excel, au choix des pharmaciens) reprenant, pour la classification des événements, la taxonomie du National Coordinating Council for Medication Error Reporting and Prevention (NCC-MERP) 12. Cette taxonomie, établie par un groupe indépendant composé de 27 organisations nationales (groupes de médecins, société de gériatrie, association d’infirmières et de pharmaciens, etc.) dont l’objectif est de promouvoir une utilisation des médicaments en toute sécurité, a été traduite dans le dictionnaire français de l’erreur médicamenteuse de la Société Française de Pharmacie Clinique (SFPC)7. Cet instrument permet de manière simple et systématique de décrire les divers types d’erreurs médicamenteuses selon les cinq dimensions suivantes : 1) degré de réalisation de l’erreur médicamenteuse; 2) gravité des conséquences cliniques pour le patient; 3) types d’erreurs; 4) étapes du circuit du médicament concernées; 5) causes de l’erreur.
Chaque année, le groupe de recherche organise une séance de formation de deux heures pour présenter les résultats de l’année précédente et les priorités d’action pour l’année suivante. Les instructions pour les enquêtes de 2012 et de 2013 ont donc été diffusées à ces occasions. En octobre 2014, une formation continue d’une demi-journée a été proposée aux pharmaciens-conseils pour qu’ils puissent mettre en œuvre, d’ici 2017 et dans tous les EMS du canton, l’approche méthodique uniforme décrite plus haut, un formulaire officiel de documentation des erreurs médicamenteuses sur la base de la taxonomie NCC-MERP (figure 1) et une culture positive de l’erreur médicamenteuse en EMS.
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Figure 1. Formulaire proposé pour faciliter la mise en œuvre d’une pratique homogène de déclaration, de documentation et de gestion des risques liés au circuit du médicament dans les EMS du canton de Fribourg. |
L’évaluation de données rétrospectives et anonymisées pour une démarche de qualité des soins ne nécessite pas en Suisse de soumission à une commission d’éthique. Les associations partenaires et le service de la santé publique du canton ont néanmoins validé la démarche interdisciplinaire de l’étude. L’analyse descriptive des données a été réalisée à l’aide du logiciel Microsoft Office Excel 2007MD.
En 2012, 24 (100 %) pharmaciens-conseils responsables de l’assistance pharmaceutique ont participé à l’enquête pour 39 EMS (91 %) du canton de Fribourg (représentant 2 245 résidents [91 %]). Parmi les EMS participant à l’enquête, 37 (95 %) déclaraient avoir un système de gestion des risques liés au circuit du médicament. Toutefois, aucun système ne traitait encore l’ensemble des quatre étapes de la démarche d’assurance de la qualité proposée depuis lors à l’échelle cantonale (tableau I).
Tableau I. État des lieux en 2012 des systèmes en place dans les EMS fribourgeois pour la gestion des risques liés au circuit du médicament.Pour chaque erreur rencontrée, la majorité des EMS (43 %) ont recours à un entretien systématique avec l’équipe de soins ou le collaborateur concerné par l’erreur. À l’opposé, seulement 7 % des EMS ne procèdent à aucune rétroaction. Les autres EMS ayant répondu à cette question traitent à une ou plusieurs occasions les cas d’erreurs, lors de colloques interdisciplinaires.
En 2013, 35 des 43 EMS (81 %) du canton de Fribourg (représentant 1 807 résidents [72 %]) ont participé à l’enquête. Des données décrivant la fréquence annuelle des erreurs médicamenteuses documentées étaient disponibles pour 21 des EMS (60 %) participants (représentant 1 496 résidents) (tableau II).
Tableau II. Classification des erreurs médicamenteuses documentées en 2013 dans 21 EMS du canton de Fribourg, selon les cinq dimensions de la taxonomie NCC-MERPLorsque les EMS ont décrit le degré de réalisation de leurs erreurs, l’analyse a montré que 30 % de ces erreurs étaient avérées (« une erreur médicamenteuse qui s’est effectivement produite et est parvenue jusqu’au patient sans avoir été interceptée7 »). Parmi les erreurs recensées, 3 % correspondaient à des événements susceptibles de provoquer une erreur (catégorie A), 60 % n’avaient pas atteint le patient (catégorie B), 32 % n’avaient provoqué aucun dommage (catégorie C), 5 % ont conduit à une surveillance particulière (catégorie D) et 0,3 % (un seul cas) a nécessité un allongement du séjour hospitalier et entraîné un préjudice pour le patient (catégorie F). Aucune erreur de la catégorie E ou ayant des conséquences plus graves (catégories G, H, I) n’a été rapportée.
Seulement deux EMS ont décrit quelles étapes du circuit du médicament étaient concernées par les erreurs documentées, ainsi que les causes supposées des erreurs. Dans ces établissements, les erreurs surviennent le plus souvent au moment de la délivrance (43 %) et de l’administration (43 %) des médicaments. Les causes mentionnées concernent des problèmes de conditionnement ou de conception (62 %) ainsi que des problèmes dus à des facteurs humains (23 %).
Globalement, le présent travail a montré que les professionnels de santé des EMS du canton de Fribourg ont compris l’importance d’optimiser la sécurité du circuit du médicament dans l’intérêt des résidents de ces établissements. L’état des lieux a montré en effet que plus de 90 % des EMS ont intégré cette dimension de l’assurance de la qualité, bien qu’il ne s’agisse pas encore d’une démarche obligatoire. Cet objectif de sécurité se retrouve d’ailleurs dans le système de management de la qualité QUAFIPA mis en place par l’Association Fribourgeoise des Institutions pour Personnes Agées pour répondre aux exigences légales et entrepreneuriales14. Néanmoins les résultats de cette étude ont montré le besoin de mettre en œuvre une démarche interdisciplinaire plus complète et méthodique, comme celle proposée par les chercheurs et qui repose sur les principes généraux de la sécurité des patients, sur la taxonomie NCC-MERP et sur l’analyse des modes de défaillance, de leurs effets et de leur criticité (AMDEC)14,15.
Les résultats ont montré dans quels domaines des efforts particuliers devront être faits en priorité : aucun EMS n’a en effet traité les étapes qui visent la prévention des risques et l’amélioration continue de la sécurité. Une analyse de type AMDEC permettra en amont de reconnaître et de hiérarchiser les risques médicamenteux, tout en cherchant les possibilités de les prévenir et de les détecter au plus vite. Une telle analyse a l’avantage de rassembler les expériences interdisciplinaires actives sur le terrain autour du même objectif.
Tout en aval de la méthode proposée par les chercheurs, la revue annuelle des cas documentés donnera une vision générale de la sécurité des résidents au sein de chaque EMS, ainsi que l’occasion de définir d’éventuelles mesures d’amélioration continue.
En 2013, 60 % des EMS utilisaient la taxonomie NCC-MERP, à des niveaux de détails néanmoins très divers. Ces résultats confirment que la taxonomie NCC-MERP est un outil de documentation pragmatique adapté aux EMS. Toutefois, la diversité d’application observée indique qu’une stratégie de mise en œuvre et des recommandations d’usage claires restent nécessaires.
Un consensus a été trouvé avec les pharmaciens-conseils pour viser dès 2015 la documentation minimale des trois premiers chapitres de la taxonomie, à savoir le degré de réalisation de l’erreur, la gravité des conséquences cliniques pour le patient et le type d’erreur. À noter que l’usage du dossier patient informatisé par 48 % des EMS est un élément satisfaisant, puisqu’il facilite la documentation des erreurs médicamenteuses et leur traitement statistique.
L’objectif à l’échelle cantonale n’est pas de comparer les EMS, car les différences observées dans les relevés statistiques sont difficilement interprétables; celles-ci reflètent en effet non seulement des variations de compétences humaines et d’organisation du travail, mais également la diversité des seuils de détection des erreurs, de leur documentation et de leur résolution. Pourtant, l’objectif visé par les associations centrales des EMS et des pharmaciens-conseils est d’atteindre en 2017 une homogénéité satisfaisante des pratiques de gestion des risques liés au circuit du médicament et un haut niveau de « culture positive de l’erreur ». En l’absence d’obligation légale, les craintes du personnel soignant à se sentir jugé ou celles des institutions à être « classées » constituent en effet des barrières majeures à faire tomber. Une enquête menée auprès d’une équipe soignante de 105 personnes dans un hôpital de l’Oregon (États-Unis) a mis en évidence cinq dimensions susceptibles d’améliorer cette « culture de l’erreur » : 1) le leadership (créer un environnement de sécurité où le personnel soignant peut envisager de placer sa propre famille); 2) la culture de formation continue de l’établissement; 3) l’amélioration continue de la qualité (la perception de l’équipe soignante d’être dans un processus d’amélioration); 4) le médecin responsable (chargé de développer une attitude positive basée sur la réflexion quant aux processus de pratique); 5) la sécurité doit être vue par tous les membres de l’équipe comme une priorité (p. ex. avec la création de documents de référence)16.
Avant le lancement de la présente démarche en 2012, le pharmacien-conseil responsable de l’assistance pharmaceutique était peu impliqué dans la mission de sécurité des résidents en EMS. Son cahier des charges, étoffé en 2015 par le Service de la santé publique du canton de Fribourg, officialise une fonction de coordination et d’animation de la démarche interdisciplinaire à ce sujet1.
Les résultats des deux enquêtes ont montré que la sécurité des patients était bel et bien une priorité des professionnels des soins de santé, mais que la mise en œuvre d’une approche plus systématique était nécessaire, d’où l’objectif convenu de manière volontaire par les partenaires pour l’année 2017. La formation continue d’une demi-journée (voir Méthodologie), dispensée en octobre 2014, s’inscrivait ainsi dans cette stratégie interdisciplinaire de renforcer une « culture positive de l’erreur médicamenteuse ». Toutefois, les chercheurs mesureront les progrès de la démarche à la lumière du contenu des nouveaux chapitres consacrés au thème de la sécurité des résidents, exigés dans les rapports annuels d’assistance pharmaceutique des EMS.
Près de la moitié des EMS fribourgeois utilisent des systèmes informatisés de gestion des soins, ce qui facilite l’annonce, la documentation et l’analyse statistique des cas d’erreurs. C’est pour l’autre moitié des institutions que l’usage d’un formulaire structuré, élaboré par les chercheurs, a été enseigné (figure 1). Le formulaire proposé précise ainsi les rôles de chacun. L’ensemble des collaborateurs et des partenaires de l’EMS, ainsi que tous les résidents et leurs proches, sont invités à signaler les erreurs médicamenteuses dont ils ont connaissance auprès d’un responsable des soins. Celui-ci est chargé de documenter la situation (dans le dossier patient informatisé ou à l’aide d’un formulaire ad hoc) ainsi que les mesures prises, préventives ou correctives. Une copie de ce « message qualité » est ensuite transmise au pharmacien-conseil, qui enregistre les éléments clés du cas dans un tableau de données informatisées (dont le format a été défini par les chercheurs). Au moins une fois par an, le pharmacien-conseil vérifie le respect des délais mentionnés sur le « message qualité » et en informe la direction de l’EMS, présente aux responsables médicaux, infirmiers et administratifs le bilan statistique des erreurs médicamenteuses documentées, et anime la recherche de consensus sur les mesures d’amélioration continue à prendre. Ce bilan statistique et le consensus font l’objet d’un chapitre du rapport annuel d’assistance pharmaceutique.
Pour la première fois en Suisse, les pharmaciens assument officiellement une prestation visant la sécurité de la médication des résidents d’EMS. La majorité des pharmaciens-conseils participant à l’enquête ont mentionné l’utilisation d’un système de gestion du risque lié au circuit médicamenteux et aucune erreur ayant de graves conséquences n’a été relevée. L’analyse de ces résultats a montré que la sécurité des résidents dans les EMS fribourgeois est une priorité pour l’ensemble des professionnels, soutenus par les autorités sanitaires et les associations centrales. L’amélioration doit porter en priorité sur une plus grande homogénéité et une meilleure normalisation des pratiques de gestion des risques liés au circuit du médicament. Cette réflexion a conduit à l’élaboration d’un formulaire standardisé de recensement des erreurs médicamenteuses, à la diffusion d’un enseignement spécifique et à l’exigence d’un nouveau chapitre sur le thème dans les rapports d’assistance pharmaceutique de chaque établissement. Il s’agira d’évaluer d’ici 2017 comment la mise en œuvre de la démarche proposée par les chercheurs se déroule et déploie ses effets.
Aucun financement en relation avec le présent article n’a été déclaré par les auteurs.
Tous les auteurs ont rempli et soumis le formulaire de l’ICMJE pour la divulgation de conflits d’intérêts potentiels. Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec le présent article.
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