Mesure de l’intervalle QT : miser sur la communication pour accroître la sécurité des patients

Daniel Milhomme1,2,, inf. M.Sc., Caroline Sirois3,4,5, B.Pharm, M.Sc., Ph.D.

1Professeur en soins critiques, Département des sciences infirmières, Université du Québec à Rimouski, campus de Lévis, Lévis (Québec) Canada;
2Candidat au doctorat en sciences infirmières, Université Laval, Québec (Québec), Canada;
3Professeure, Département des sciences infirmières, Université du Québec à Rimouski, campus de Lévis, Lévis (Québec) Canada;
4Professeure associée, Faculté de pharmacie, Université Laval, Québec (Québec), Canada;
5Chercheure, Centre d’excellence sur le vieillissement de Québec, Centre de recherche du Centre hospitalier universitaire de Québec, Québec (Québec), Canada

Reçu le 5 août 2015; Accepté après révision le 12 août 2015

En électrocardiographie, l’intervalle QT est l’un des principaux points d’intérêt en raison du lien entre la durée de cet intervalle et la survenue d’arythmies potentiellement fatales. D’ores et déjà, plusieurs facteurs contribuant à la modification de la durée de cet intervalle ont été découverts, comme des causes génétiques et la prise de certains médicaments. Plusieurs médicaments font effectivement l’objet d’une attention particulière en raison de leurs effets sur la durée de la repolarisation myocardique. Une modification du temps de repolarisation peut augmenter le risque d’apparition d’arythmies létales, comme la torsade de pointes, et représenter par conséquent un risque important pour le patient1. C’est pourquoi l’infirmière doit être vigilante lors de l’utilisation de médicaments qui modifient la durée de l’intervalle QT. Or, en dépit de toute l’importance que la documentation scientifique accorde à la mesure de l’intervalle QT, notamment dans les cas de morts cardiaques subites inexpliquées, les milieux cliniques sont peu sensibilisés à cette mesure2,3. Quelles sont les raisons associées à ce manque de sensibilité? Pourquoi la mesure de l’intervalle QT semble-t-elle être délaissée au profit des autres mesures, comme celles de l’intervalle PR ou de l’intervalle QRS? Miser sur la communication entre les professionnels de la santé ne serait-il pas une piste de réflexion pour remédier au problème?

Miser sur la communication et la sensibilisation

Dans les unités de soins critiques, ce sont majoritairement les infirmières qui assurent la surveillance électrocardiographique. L’instabilité des patients sous monitorage nécessite souvent l’instauration d’une pharmacothérapie qui peut avoir un effet sur la durée de l’intervalle QT. Bien que les infirmières soient informées des risques associés au prolongement de l’intervalle QT et de l’effet de divers médicaments qui peuvent avoir une incidence sur la durée de cet intervalle, les informations transmises par le pharmacien demeurent essentielles. Les recommandations formulées par les pharmaciens ont des répercussions directes sur la sécurité de l’administration de la médication4. Puisque bon nombre de médicaments modifient la durée de l’intervalle QT et que l’infirmière n’est pas toujours à l’affût de l’ensemble des effets secondaires, les informations transmises à l’infirmière et concernant la médication deviennent capitales pour assurer une surveillance électrocardiographique du patient en toute sécurité. À partir des informations reçues, l’infirmière est en mesure d’accentuer la surveillance et devient plus attentive à l’apparition éventuelle de toute anomalie. Elle est également plus encline à corriger la durée de l’intervalle (QTc) et à faire le lien entre l’intervalle QTc et les risques encourus par le patient. À son tour, elle s’assure de communiquer toute information pertinente au pharmacien, notamment une modification de la durée de l’intervalle ou une modification des ordonnances pharmaceutiques.

La prestation de soins en toute sécurité dépend de la capacité des professionnels de la santé à bien communiquer entre eux5. Les infirmières et les pharmaciens doivent acquérir des compétences non seulement théoriques et cliniques, mais également communicationnelles et relationnelles6. Afin que la communication soit efficace, le message doit être clair, bien reçu et compris par la personne. Il doit également faire l’objet d’échanges et de rétroactions7. Montagnolo précise que la communication de l’information entre les professionnels peut présenter des lacunes, au point de compromettre la sécurité du patient8. Or, il ne suffit pas uniquement de transmettre l’information, il faut aussi s’assurer que la méthode de transmission soit efficace et que les données transmises perdurent dans le temps. Dans des environnements de soins de plus en plus complexes, il importe de transmettre les informations les plus pertinentes et prioritaires. Ainsi, la présence d’une interaction médicamenteuse accroissant fortement le risque d’un allongement de l’intervalle QT doit être transmise de façon efficace, pour éviter qu’elle ne se perde dans le lot de mémos de toutes sortes qui peuvent notamment surcharger le travail des infirmières. Le pharmacien a ainsi une obligation de hiérarchiser les messages transmis et de s’assurer que les informations soient bien reçues, interprétées et consignées dans le dossier.

Afin d’améliorer la communication existante, il est possible d’organiser des rencontres interdisciplinaires entre les infirmières, les pharmaciens et les médecins afin de discuter de l’importance de consigner les informations4. Braaf et coll. mettent en évidence l’importance d’utiliser des stratégies efficaces pour éviter que l’information ne soit perdue, incomplète, voire même inexacte9. Il va sans dire que la communication entre les professionnels de la santé est un élément clé de la prévention des événements indésirables liés à l’administration des médicaments. Par contre, encore faut-il que cette communication soit structurée et réfléchie pour qu’elle atteigne les résultats escomptés.

Pour résumer, l’environnement complexe dans lequel les infirmières et les pharmaciens évoluent nécessite un travail d’équipe et une communication efficace pour assurer la sécurité des soins10. Travaillant en étroite collaboration dans l’intérêt du patient, l’infirmière et le pharmacien sont des acteurs importants qui peuvent modifier le cours des événements. Il reste maintenant à instaurer des stratégies pour améliorer la communication dans les unités de soins, afin d’éviter la survenue d’événements indésirables associés à une modification de la durée de l’intervalle QT.

Références

1. Drew BJ, Califf RM, Funk M, Kaufman ES, Krucoff MW, Laks MM et coll. AHA scientific statement: Practice standards for electrocardiographic monitoring in hospital settings: an American Heart Association Scientific Statement from the Councils on Cardiovascular Nursing, Clinical Cardiology, and Cardiovascular Disease in the Young: endorsed by the Inernational Society of Computerized electrocardiology and the American Association of Critical-Care Nurses. J Cardiovasc Nurs 2005;20:76–106.
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2. Hutton DM. The importance of routine QT interval measurement in rhythm interpretation. Dynamics 2008;19:29–33.
pubmed  

3. Pickham D, Drew BJ. QT/QTc interval monitoring in the emergency department. J Emerg Nurs (2008);34:428–34.
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4. Liu W, Manias E, Gerdtz M. Medication communication through documentation in medical ward: knowledge and power relations. Nurs Inq 2014;21:246–58.
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5. Frank JR, Brien S. Les compétences liées à la sécurité des patients – L’amélioration de la sécurité des patients dans les professions de la santé. Institut canadien pour la sécurité des patients. Ottawa,:ISMP;2008. 60p.

6. Richard C, Lussier MT. La communication en santé. Édition du Renouveau pédagogique inc. : Montréal, 2005. 850 p.

7. Edwards RI. An agenda for UK clinical pharmacology pharmacovigilance. Br J Clin Pharmacol 2012;73:979–82.
cross-ref  pubmed  pmc  

8. Montagnolo AJ. Information breakdowns. Inaccurate, delayed or missing data put patients’ lives at risk. Trustee 2014;67:29–30.

9. Braaf S, Riley R, Manias E. Failures in communication through documents and documentation across the perioperative pathway. J Clin Nurs 2015;24:1874–84.
cross-ref  pubmed  

10. Groupe de travail sur le travail d’équipe et les communications (GTTEC). Améliorer la sécurité des patients grâce à des communications et un travail d’équipe efficaces : analyse documentaire, évaluation des besoins, évaluation des outils de formation et consultations d’experts. Institut canadien pour la sécurité des patients, Edmonton, 2011.



Pour toute correspondance : Daniel Milhomme, Université du Québec à Rimouski, campus de Lévis, 1595, boulevard Alphonse-Desjardins, Lévis (Québec) G6V 0A6, CANADA; Téléphone : 418 833-8800, poste 3270; Courriel : daniel_milhomme@uqar.ca

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PHARMACTUEL, Vol. 48, No. 3, 2015