Bianca Déry-Neveu1,2,3, Pharm.D., M.Sc., Marylou Fournier-Tondreau1,4,5, Pharm.D., M.Sc.
Reçu le 29 août 2015; Accepté après révision par les pairs le 9 décembre 2015
Résumé
Objectif : Cet article présente un cas de syndrome douloureux régional complexe réfractaire aux traitements classiques et ayant répondu à un traitement par kétamine par voie orale. L’article passe également en revue le traitement du syndrome douloureux régional complexe.
Résumé du cas : Il s’agit d’une femme de 36 ans atteinte d’un syndrome douloureux régional complexe de type I au pied gauche, en contexte ambulatoire. Elle a essayé de nombreux traitements et a dû cesser les exercices de réadaptation en raison de la douleur. Après avoir consulté un médecin d’une clinique externe contre la douleur chronique, elle a commencé un traitement par kétamine par voie orale. Les douleurs ont diminué de façon importante avec la prise de kétamine et la patiente a pu recommencer un programme de réadaptation.
Discussion : Le syndrome douloureux régional complexe doit être pris en charge rapidement pour éviter que les douleurs ne persistent sur le long terme. Plusieurs traitements pharmacologiques ont été évalués pour ce syndrome, mais il existe peu de données dans la documentation scientifique sur la kétamine par voie orale pour le traitement du syndrome douloureux régional complexe. Les observations de ce cas indiquent que la kétamine par voie orale semble avoir été efficace.
Conclusion : La kétamine par voie orale semble être efficace pour soulager la douleur associée au syndrome douloureux régional complexe de notre patiente. Il semble raisonnable d’envisager un tel traitement pour certains patients dont la douleur est réfractaire aux traitements classiques.
Mots clés : Dystrophie sympathique réflexe, kétamine, récepteur N-méthyl-D-aspartate, syndrome douloureux régional complexe
Abstract
Objectives: To present a case study of a patient with standard treatment-refractory complex regional pain syndrome that responded to oral ketamine. To review the treatment of complex regional pain syndrome.
Case summary: The patient is a 36-year-old woman with type 1 complex regional pain syndrome of the left foot in an outpatient setting. She tried numerous treatments and had to stop rehabilitation exercises because of the pain. She was seen at a chronic pain outpatient clinic, and treatment with oral ketamine was initiated. The pain diminished significantly following the introduction of ketamine, and the patient was able to resume a rehabilitation program.
Discussion: Complex regional pain syndrome should be managed quickly to prevent the pain from persisting in the long term. A number of pharmacological treatments have been evaluated, but there are few data in the literature on oral ketamine in complex regional pain syndrome. Based on the observations made in this case, oral ketamine was effective to relieve the patient’s pain.
Conclusion: It appears that oral ketamine was effective in relieving the pain associated with complex regional pain syndrome in our patient. It seems reasonable to consider this drug in certain specific cases where the pain is refractory to standard treatments.
Key words: Complex regional pain syndrome, ketamine, N-methyl-D-aspartate receptor, reflex sympathetic dystrophy
Le syndrome douloureux régional complexe (SDRC) est une maladie peu commune, mais qui peut fortement nuire à la qualité de vie des patients. Les agents pharmacologiques qui peuvent être utilisés sont notamment ceux faisant partie de l’arsenal thérapeutique contre la douleur neuropathique. La kétamine a déjà été étudiée comme traitement du SDRC, mais la plupart des données disponibles dans la documentation scientifique portent sur son administration par voie intraveineuse. À notre connaissance, il existe à ce jour deux rapports de cas où un traitement par kétamine par voie orale a été utilisé pour un SDRC1,2. Cette molécule présente cependant un grand potentiel d’efficacité pour le traitement de ce syndrome, et la voie orale est beaucoup plus simple à utiliser en contexte ambulatoire. Nous vous présentons un cas où un traitement par kétamine par voie orale a été utilisé avec succès pour une patiente atteinte du SDRC.
Il s’agit d’une femme de 36 ans, ayant développé un SDRC de type I. Elle présente comme seul antécédent médical des migraines avec aura. La patiente est allergique aux protéines bovines, ce qui engendre des problèmes de tolérance aux médicaments contenant du lactose contaminé par des protéines bovines. Elle a développé un SDRC à la suite d’un traumatisme au pied gauche, à savoir une torsion de la cheville en plus de l’écrasement du pied gauche, sans fracture. L’accident s’est produit à la ferme, dans le cadre de son travail.
La patiente a d’abord suivi des séances de physiothérapie pour une simple entorse à la cheville, puis la douleur a évolué et les symptômes de SDRC – l’allodynie, le changement de couleur de peau, l’œdème, la faiblesse du membre inférieur gauche – sont apparus progressivement. Au cours de l’année suivant son accident, la patiente a passé plusieurs examens, soit une scintigraphie osseuse, une imagerie par résonance magnétique et un électromyogramme, qui se sont tous révélés normaux ou n’ont pas permis de découvrir la cause de la douleur. Le diagnostic de SDRC a été posé 17 mois après son accident.
Son médecin et la pharmacienne du groupe de médecine familiale (GMF) ont tenté plusieurs traitements sans succès durant les quatre mois suivant le diagnostic. Parmi les médicaments essayés, on trouve la prégabaline, la gabapentine, l’amitriptyline, l’hydromorphone, une crème de lidocaïne seule, une crème de kétamine et de lidocaïne, une crème de diclofénac, et le naproxène. Elle a également consulté une ergothérapeute durant cette période et suivi un traitement de réadaptation physique par la thérapie du miroir. Comme ce traitement a augmenté sa douleur et empiré son état général, malgré des ajustements du protocole, elle a dû l’interrompre. L’utilisation d’un neurostimulateur électrique transcutané (TENS) a également eu pour effet d’augmenter sa douleur. La patiente a consulté un anesthésiologiste de l’hôpital qui lui a administré plusieurs blocs nerveux sympathiques au cours de cette même période. En raison du manque d’efficacité des traitements et de la dégradation de l’état de la patiente, l’anesthésiologiste a décidé d’orienter cette dernière vers un pharmacien de la clinique externe contre la douleur chronique.
La patiente a été vue deux mois plus tard, soit 23 mois après son accident, à la clinique externe contre la douleur chronique. À ce moment, elle devait se déplacer en fauteuil roulant, car elle ne tolérait aucun poids sur son pied gauche. La douleur au repos était d’environ 5 à 7 sur une échelle numérique de 10. Au moment de la rencontre avec un pharmacien possédant une expertise en douleur chronique, la patiente prenait la médication indiquée dans le tableau I au jour 1. Le pharmacien a recommandé de commencer un traitement par kétamine par voie orale, à raison de 5 mg deux fois par jour, avec une augmentation de 10 mg par jour deux fois par semaine. Il a également conseillé de diminuer la dose du timbre de fentanyl à 25 μg/h tous les deux jours, puisque la patiente présentait déjà des nausées importantes, des vomissements, une somnolence et une baisse de concentration. L’équipe du GMF a rapidement adopté ces suggestions.
Tableau I Profil pharmacologique de la patiente
La dose de kétamine a été titrée avec précautions (augmentation de 10 mg toutes les deux semaines environ, plutôt que deux fois par semaine) étant donnée la sensibilité de la patiente aux augmentations de dose. Cette sensibilité se manifestait surtout par des nausées et une somnolence, probablement secondaires à l’augmentation de l’effet du fentanyl causée par la kétamine. Toutefois, puisque la dose de kétamine utilisée n’était pas encore thérapeutique, il aurait été difficile de réduire la dose de fentanyl à ce moment sans provoquer une aggravation de la douleur. La kétamine a été préparée par la pharmacie communautaire de la patiente sous forme de sirop (voir recette en annexe 1). Environ une semaine après avoir commencé le traitement par kétamine, la patiente présentait toujours des nausées intenses et des vomissements qui ont nécessité l’ajout d’halopéridol à raison de 0,5 mg deux fois par jour.
Le suivi a été assuré par l’équipe du GMF avec l’aide du pharmacien de la clinique contre la douleur. La patiente a commencé à sentir une amélioration de la douleur lorsque la dose de kétamine par voie orale était d’environ 100 mg par jour, soit 25 mg quatre fois par jour. Environ deux mois après le début du traitement par kétamine, la patiente a pu être orientée vers un ergothérapeute pour poursuivre un traitement de réadaptation physique. À ce moment, la patiente évaluait l’intensité de sa douleur au repos à 4 à 5, parfois à 3, sur une échelle de 10.
À l’heure actuelle, la patiente suit un traitement de réadaptation et des cours d’aquaforme. Elle se déplace toujours en fauteuil roulant, mais peut maintenant faire peser un certain poids sur son pied et utiliser des aides à la mobilité pour parcourir de courtes distances. Elle prend 160 mg de kétamine par jour et situe généralement sa douleur entre 4 et 6 sur une échelle de 10. Cette dose de kétamine a pu être atteinte environ trois mois et demi après le début du traitement. Les autres médicaments qu’elle prend à l’heure actuelle sont indiqués dans le tableau I au mois 6. En ce qui concerne les effets indésirables de la kétamine, le bilan hépatique de la patiente est normal, elle n’a pas présenté de cauchemars ni d’autres symptômes psychomimétiques généralement associés à ce médicament, à l’exception de quelques épisodes d’euphorie. Ceux-ci se sont produits environ un mois après le début du traitement par kétamine, à une dose de 100 mg par jour. Ils se manifestaient par des fous rires durant environ 30 minutes. Les épisodes ont disparu après 36 heures sans intervention particulière.
L’incidence du SDRC varie de 5,46 à 26,2 par 100 000 personnes par an3,4. Il existe deux types de ce syndrome. Le type 1, anciennement connu sous le terme de dystrophie sympathique réflexe, représente 90 % des cas; le type 2, qui remplace le terme médical « causalgie » diffère en raison de son association avec une lésion nerveuse3–7. On définit le SDRC comme une douleur disproportionnée par rapport à un événement initial3–6. En effet, dans la majorité des cas, il existe un événement initial néfaste (traumatisme, ischémie, compression nerveuse) à l’origine du SDRC3–5. Les événements les plus communs sont une fracture, une entorse, une blessure par écrasement et une chirurgie3–5. La douleur est régionale et non limitée au territoire d’un nerf ou d’un dermatome précis3,5,6. La douleur peut être spontanée ou évoquée et elle varie d’un patient à l’autre, parfois pour un même patient4,6. Le tableau II présente les manifestations cliniques du SDRC selon les différentes atteintes. Le diagnostic est établi à partir des critères de Budapest, qui reposent majoritairement sur les manifestations cliniques du SDRC8. Le SDRC se veut un diagnostic d’exclusion; les examens de laboratoire et l’imagerie médicale peuvent servir à éliminer les autres diagnostics possibles3,4.
Tableau II Manifestations cliniques du syndrome douloureux régional complexe selon les différentes atteintes1–5
La cause exacte du SDRC reste inconnue à ce jour. Certains facteurs de risque ont été établis, tels qu’un traumatisme léger à modéré (comparativement à grave), l’immobilisation, un plâtre trop serré, le sexe féminin, une douleur fonctionnelle de base plus importante3–6. Les membres les plus souvent atteints sont la main, le poignet, le pied ou la cheville4,5. On sait maintenant qu’il n’existe pas de lien entre les facteurs psychologiques et le SDRC9.
La physiopathologie du SDRC reste aujourd’hui mal comprise. Plusieurs mécanismes semblent entrer en jeu, les principaux étant un processus inflammatoire et de sensibilisation, notamment en raison d’une augmentation de l’excitabilité des neurones nociceptifs dans la moelle épinière (activation des récepteurs N-méthyl-D-aspartate [NMDA], substance P, bradykinine)3,4. On associe également au SDRC des troubles du système nerveux sympathique, une baisse des taux des catécholamines circulantes et des cytokines anti-inflammatoires (interleukine [IL]-10), une augmentation des taux de cytokines pro-inflammatoires (facteur de nécrose tumorale alpha [TNF-α], IL-1, IL-2, IL-6), des facteurs génétiques et une déminéralisation osseuse localisée3,4.
Le SDRC est une maladie qui peut devenir invalidante et nuire à la qualité de vie. La maladie peut évoluer vers une forme chronique ou disparaître en quelques mois4. La dépression, l’anxiété et l’insomnie sont des complications possibles de cette maladie3.
L’objectif du traitement est de soulager la douleur et de préserver le fonctionnement du membre atteint, afin d’améliorer la qualité de vie3. Un diagnostic précoce suivi de l’initiation rapide d’un traitement devrait être préconisé pour empêcher que la douleur ne se chronicise3. La prévention primaire favorise la mobilisation précoce3. De plus, une étude a montré que la prise d’une forte dose de vitamine C, soit 500 mg par jour pendant 50 jours, entraînait une diminution de la fréquence d’apparition du SDRC dans les cas de fracture du poignet et de la cheville10. La prise en charge du SDRC dépend en grande partie de la gravité de l’atteinte, ainsi que des signes et des symptômes que le patient présente. Les données actuelles misent sur l’importance d’une approche interdisciplinaire permettant une prise en charge optimale du patient3,6,7. Quatre piliers de soins sont proposés, à savoir l’éducation, la réadaptation physique, le soulagement de la douleur et les interventions psychologiques7. Dans les cas plus légers, la réadaptation physique et la prise d’anti-inflammatoire non stéroïdien peuvent être suffisantes, tandis que les cas modérés vont nécessiter également des traitements pharmacologiques adjuvants. Pour les cas graves, une perfusion de kétamine, un bloc nerveux sympathique ou une neuromodulation peuvent être envisagés.
La réadaptation physique grâce à la physiothérapie et l’ergothérapie est la pierre angulaire du traitement du SDRC. De nombreuses thérapies peuvent être essayées, notamment le massage, les bains chauds et froids en alternance, l’aquaforme, le TENS, la thérapie miroir et l’imagerie motrice graduée3–7. La physiothérapie, y compris des mouvements de faible amplitude, des exercices de renforcement isométriques et des exercices de traction et de compression, peut être intégrée graduellement3–7. La prise en charge des maladies associées doit également faire partie de l’arsenal thérapeutique; une psychothérapie de soutien peut s’avérer nécessaire3–7.
Les lignes directrices sur le SDRC proposent que la prise en charge pharmacologique de la douleur soit similaire à celle de la douleur neuropathique3,7. L’arsenal thérapeutique est composé de la gabapentine, de la prégabaline, des antidépresseurs tricycliques, des inhibiteurs de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline, ainsi que des opiacés, si la douleur est invalidante11. Ces derniers sont des agents de première intention, bien qu’ils soient peu étudiés dans le cadre du SDRC. Bien que les données n’appuient pas l’utilisation des opioïdes, ils peuvent faciliter la réadaptation3. En ce qui concerne l’analgésie topique, la capsaïcine semble être une option intéressante lorsque la douleur est localisée3,5,6.
Divers traitements pharmacologiques ont été étudiés pour une population atteinte de SDRC. Un essai clinique a associé les antioxydants (diméthylsulfoxyde 50 % [DMSO] en crème et acétylcystéine) à des résultats prometteurs, mais ces molécules ne sont pas disponibles au Québec12. Les corticostéroïdes oraux ont donné des résultats concluants dans le cadre d’un traitement aigu et à court terme du SDRC13. Les agents modulant le calcium (amlodipine, nifédipine, bisphosphonate, calcitonine par voie nasale) ont fait l’objet de plusieurs études. Les dihydropyridines, des inhibiteurs des canaux calciques, semblent être efficaces pour maîtriser la vasoconstriction et améliorer ainsi la circulation sanguine14. Des essais cliniques ont montré que les bisphosphonates offraient des avantages pour le traitement du SDRC avec ostéopénie, tandis que les données obtenues avec la calcitonine sont plutôt décevantes15–17. L’administration de kétamine en perfusion à dose subanesthésique a fait preuve d’efficacité, mais elle est associée à des problèmes de tolérance (hallucinations, étourdissements, vision trouble)18,19.
Pour les patients qui ont des symptômes réfractaires au traitement, le bloc nerveux sympathique, la neurostimulation (médullaire ou des nerfs périphériques), l’injection intrathécale de baclofène ainsi que la chirurgie (sympathectomie) sont des options thérapeutiques plus invasives qui peuvent être tentées en dernier recours3,20. Certains traitements sont actuellement à l’étude, notamment le tadalafil, les immunoglobulines par voie intraveineuse et l’oxygénothérapie hyperbare21–23.
La sensibilisation centrale semble être un facteur important de plusieurs types de douleurs chroniques, dont le SDRC. Le récepteur du glutamate de type NMDA jouerait un rôle majeur dans l’apparition de ce syndrome24. En effet, les récepteurs NMDA sont inactifs en temps normal et peuvent être activés, entre autres, par des stimuli douloureux répétés25. Le glutamate est un neurotransmetteur excitateur et son action sur le récepteur NMDA de la corne dorsale de la moelle épinière a pour effet d’augmenter la transmission synaptique, ce qui amplifie la perception de la douleur (hyperalgésie) et abaisse le seuil douloureux (allodynie)25.
Le mécanisme d’action de la kétamine est complexe et ses propriétés sont dues à son action sur de multiples récepteurs, notamment les récepteurs opiacés, monoaminergiques (p. ex. sérotonine, noradrénaline et dopamine), muscariniques et les canaux sodiques et potassiques voltage-dépendants26,27. Toutefois, les propriétés pharmacologiques de la kétamine sont principalement dues à son action antagoniste sur les récepteurs NMDA28. Cette propriété en fait un choix intéressant pour le traitement du SDRC, bien que le niveau de preuve envers un tel choix soit faible18. La kétamine ne devrait donc pas être utilisée comme traitement de première intention. Des études comparatives à répartition aléatoire et de grande envergure sont nécessaires pour mieux connaître le potentiel réel de cet agent18.
La plupart des études publiées portent sur une utilisation intraveineuse de la kétamine et seuls deux rapports de cas concernent l’utilisation de la kétamine par voie orale pour le traitement du SDRC1,2. Dans le premier cas, la patiente présentait un SDRC de type I au bras gauche réfractaire aux traitements classiques. Elle a reçu de la kétamine par voie orale à une dose de départ de 30 mg toutes les huit heures, jusqu’à la dose maximale de 60 mg toutes les six heures. Cette dose était bien tolérée et efficace pendant une période de quatre à cinq mois, mais les symptômes ont progressé par la suite1. Dans le deuxième cas, la patiente souffrait d’une neurofibromatose de type 1 avec des douleurs chroniques et intenses au niveau des doigts, qui a évolué en SDRC réfractaire localisé aux deux mains et au gros orteil du pied droit. Elle a reçu une perfusion de kétamine avec des blocs nerveux sympathiques de bupivacaine à deux reprises, qui ont eu une efficacité temporaire de quelques semaines. Puis, la patiente a entamé un traitement par kétamine par voie orale à une dose de 10 mg trois fois par jour, en plus de recevoir de nouveaux blocs nerveux sympathiques. Elle a pris de la kétamine par voie orale pendant environ cinq semaines à une dose de 10 mg deux fois par jour, en association avec de la méthadone. Le traitement s’est avéré efficace, mais la douleur est réapparue à l’arrêt de la prise de kétamine2.
La kétamine est connue pour ses effets psychomimétiques incommodants, comme une confusion, des cauchemars, des hallucinations, une perturbation des sens et une impression d’irréalité28. Il est nécessaire d’avoir recours à certains médicaments, comme les benzodiazépines, pour réduire la fréquence d’apparition de ces effets25,29. Plusieurs autres effets indésirables de la kétamine ont également été rapportés, notamment des effets adrénergiques (tachycardie, palpitations, hypertension) ou cholinergiques (hypersalivation, hypersécrétion bronchique), une hépatotoxicité, des céphalées, des nausées, des étourdissements et une fatigue18,25.
Une approche thérapeutique agressive a été retenue pour cette patiente, étant donné qu’une prise en charge rapide est préconisée pour le SDRC, que la patiente présentait des douleurs depuis près de deux ans lors de sa consultation à la clinique externe contre la douleur chronique, et que la douleur empêchait tout traitement de réadaptation. Parmi les options thérapeutiques encore disponibles pour cette patiente (inhibiteurs de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline ou encore anticonvulsivants, comme le topiramate), c’est la kétamine qui a été choisie. Cette décision repose sur l’impression que les récepteurs NMDA jouaient un rôle dans sa douleur, puisque cette dernière durait depuis très longtemps. De plus, il est possible de titrer la kétamine relativement rapidement pour atteindre des doses efficaces en l’espace d’un mois environ.
Contrairement à ce qui est décrit dans la majorité des publications scientifiques, la voie orale a été ici privilégiée à la voie intraveineuse pour cette patiente, en raison de sa plus grande facilité d’utilisation en contexte ambulatoire. Bien qu’il existe peu de données sur l’utilisation de la kétamine par voie orale pour le traitement du SDRC, cette voie d’administration a été beaucoup mieux étudiée dans le contexte de la douleur chronique neuropathique, notamment dans le cadre des soins palliatifs. Une même dose de kétamine administrée par voie parentérale ou par voie orale ferait preuve d’une efficacité semblable, malgré la faible biodisponibilité (15 % environ) de la kétamine par voie orale25,30. Cette similarité s’explique par le fait qu’elle subit une première transformation hépatique qui la transforme en norkétamine, un métabolite actif qui possède de puissantes propriétés antalgiques25. Toutefois, le ratio optimal de conversion entre les deux voies d’administration de la kétamine est controversé25,30,31.
La dose de kétamine utilisée pour cette patiente correspond aux doses généralement utilisées pour le traitement de la douleur chronique. Cependant, les doses efficaces de kétamine par voie orale sont très variables dans la documentation scientifique, se situant entre 45 mg et 1 000 mg par jour32. On constate également une grande variation entre les doses mentionnées dans les deux rapports de cas de SDRC décrits ci-dessus1,2.
Selon l’évolution chronologique de la douleur de cette patiente, le soulagement semble être attribuable à la kétamine, d’autant plus qu’aucun autre traitement contre la douleur n’a été tenté durant la mise à l’essai de la kétamine.
La pharmacienne du GMF a effectué un suivi rapproché de cette patiente afin de prévenir et de traiter rapidement les effets indésirables qui peuvent survenir avec l’utilisation de la kétamine, comme une augmentation de l’effet des opiacés25. Pour cette raison, une diminution de 35 % de la dose du fentanyl a été conseillée. Généralement, on recommande une réduction de dose des opiacés de 50 % lorsqu’on commence le traitement par kétamine25. Une autre possibilité serait de conserver la même dose d’opiacé, mais de surveiller étroitement le patient et d’être prêt à réduire rapidement la dose d’opiacé au besoin. De plus, dans ce cas-ci, il a été recommandé de diviser la dose de fentanyl en deux timbres de 12 μg/h, afin de pouvoir retirer facilement un timbre en cas de surdosage. Toutefois, on recommande normalement l’utilisation d’un opiacé de courte durée d’action lorsqu’on commence le traitement par kétamine, afin de pouvoir intervenir rapidement et d’éviter que l’effet ne perdure pour de nombreuses heures en cas de surdosage.
Les effets psychomimétiques de la kétamine sont également à surveiller. Pour cette patiente, l’halopéridol avait servi principalement à maîtriser ses nausées et ses vomissements, mais il est également utile pour réduire la fréquence d’apparition de ces effets25,29. Il aurait été plus prudent d’ajouter de l’halopéridol ou une benzodiazépine dès le début du traitement par kétamine, puisqu’un épisode de dysphorie peut conduire le patient à refuser de poursuivre le traitement médicamenteux qui serait potentiellement utile. Dans ce cas-ci, la patiente ne semble pas avoir présenté d’effet psychomimétique majeur depuis le début du traitement. Par ailleurs, elle ne semble avoir ressenti aucun effet secondaire cholinergique ou adrénergique.
Les données sur l’utilisation à long terme de la kétamine sont rares. On craint, notamment, qu’une utilisation prolongée entraîne une hépatotoxicité18. Il est donc nécessaire d’effectuer un dosage régulier des enzymes hépatiques du patient. Pour cette patiente, il est prévu d’arrêter progressivement le traitement par kétamine après le traitement de réadaptation, dans environ quatre mois. La dose quotidienne sera réduite de 10 mg une fois toutes les deux semaines. Une réduction très lente des doses est à privilégier afin d’éviter une réapparition des symptômes.
Le cas abordé est celui d’une femme atteinte d’un SDRC réfractaire aux traitements classiques et qui a obtenu un soulagement avec un traitement par kétamine par voie orale. Seulement deux rapports de cas mentionnant l’utilisation de kétamine par voie orale dans un contexte de SDRC ont été répertoriés dans la documentation scientifique, mais les résultats seraient prometteurs. Bien que le traitement par kétamine ne corresponde pas au traitement de première intention pour le SDRC, il serait possible de l’essayer pour les patients qui présentent une douleur réfractaire aux traitements classiques. Lorsque l’équipe traitante entreprend un traitement par kétamine par voie orale pour un patient en consultation externe, elle doit communiquer avec le pharmacien d’officine et lui fournir la recette de la préparation magistrale à réaliser. L’équipe traitante et le pharmacien d’officine doivent également effectuer un suivi de l’efficacité et de l’innocuité du traitement. Le suivi de l’innocuité doit comprendre une surveillance de l’augmentation des effets des opiacés, aussi bien au début du traitement par kétamine qu’au moment des augmentations de doses. Il doit également comprendre une surveillance des symptômes psychomimétiques, adrénergiques et cholinergiques, ainsi qu’une évaluation mensuelle de la fonction hépatique.
Cet article comporte une annexe; elle est disponible sur le site de Pharmactuel (www.pharmactuel.com).
Aucun financement en relation avec le présent article n’a été déclaré par les auteurs.
Tous les auteurs ont rempli et soumis le formulaire de l’ICMJE pour la divulgation de conflits d’intérêts potentiels. Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec le présent article.
Cet article a été réalisé dans le cadre du cours Communication scientifique de la Faculté de pharmacie de l’Université de Montréal. Les auteurs en remercient les responsables. Un remerciement spécial à Robert Thiffault et Martine Grondin pour leur contribution à cet article. Une autorisation écrite a été obtenue de ces personnes.
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