Enquête sur l’utilisation de l’automédication auprès des professionnels de la santé du Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine

Guillaume Duchesne-Côté1,2,3, B.Sc., Pharm.D., M.Sc., Hugo Schérer1,2,4, Pharm.D., M.Sc., Julie Rivard1,2,5, Pharm.D., M.Sc., Emmy Bernier1,2,6, Pharm.D., M.Sc., Lavina Yu1,2,7, Pharm.D., M.Sc., Jean-François Bussières8,9, B.Pharm., M.Sc., MBA, FCSHP, Ema Ferreira4,10,11, B.Pharm., M.Sc., Pharm.D., FCSHP

1Candidat(e) à la Maîtrise en pharmacothérapie avancée au moment de la rédaction de l’article, Faculté de pharmacie, Université de Montréal, Montréal (Québec) Canada;
2Résident(e) en pharmacie au moment de la rédaction de l’article, Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine, Montréal (Québec) Canada;
3Pharmacien, Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Saguenay–Lac-Saint-Jean, site Hôpital de Chicoutimi, Chicoutimi (Québec), Canada;
4Pharmacien, Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine, Montréal (Québec) Canada;
5Pharmacienne, Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Nord-de-l’Île-de-Montréal, site Hôpital Rivière-des-Prairies, Montréal (Québec) Canada;
6Pharmacienne, Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de la Montérégie-Ouest, site Hôpital Anna-Laberge, Chateauguay (Québec) Canada;
7Pharmacienne, Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de la Montérégie-Est, site Hôpital Honoré-Mercier, Saint-Hyacinthe (Québec) Canada;
8Chef du département de pharmacie et de l’Unité de recherche en pratique pharmaceutique, Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine, Montréal (Québec) Canada;
9Professeur titulaire de clinique, Faculté de pharmacie, Université de Montréal, Montréal (Québec) Canada;
10Pharmacienne, Co-titulaire de la Chaire pharmaceutique Famille Louis-Boivin, Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine, Montréal (Québec) Canada;
11Professeure titulaire de clinique, Vice-doyenne aux études de premier cycle, Faculté de pharmacie, Université de Montréal, Montréal (Québec) Canada

Reçu le 4 avril 2016; Accepté après révision le 15 mai 2016

Résumé

Objectif : Évaluer comment les professionnels de la santé perçoivent l’efficacité, la sécurité et le fonctionnement du programme d’automédication en obstétrique-gynécologie post-partum au Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine.

Mise en contexte : Ce programme existe depuis 2003. Une enquête destinée aux infirmières, aux médecins et aux pharmaciens exposés à ce programme a été conçue. Il s’agissait d’un questionnaire auto-administré distribué en format papier ou à l’aide d’un logiciel de sondages en ligne.

Résultats : Le taux global de participation à l’enquête est de 59 % (n/N = 106/180). Dans l’ensemble, 97 % des personnes ayant répondu au sondage sont d’avis que la douleur des patientes est bien soulagée par la trousse d’automédication et 90 % sont d’avis que la trousse d’automédication entraîne rarement des effets indésirables pour les patientes. Vingt-trois pour cent des personnes ayant répondu à l’enquête remettent en question l’utilisation de la codéine pendant l’allaitement, la majorité allant dans ce sens étant des médecins ou pharmaciens.

Conclusion : Plus de 10 ans après sa mise en œuvre, le programme d’automédication en obstétrique-gynécologie post-partum est apprécié des professionnels de la santé travaillant dans les unités mère-enfant du Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine. Le personnel considère que le programme est efficace et sûr et qu’il fonctionne bien.

Mots clés : Allaitement, automédication, effets indésirables, obstétrique-gynécologie, perception, post-partum, professionnels de la santé

Abstract

Objective: To evaluate health professionals’ perception of the efficacy, safety and functioning of the postpartum and obstetrics/gynecology self-medication program at the Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine.

Background: This program has been in existence since 2003. A self-administered survey questionnaire targeting nurses, physicians and pharmacists exposed to this program was distributed on paper or via an online survey tool.

Results: The overall participation rate in the survey was 59%. On the whole, 97% of the respondents believe that patients obtain adequate relief with the self-medication kit, and 90% believe that the kit rarely causes any adverse effects to the patients. Twenty-three percent of the respondents question the use of codeine during breastfeeding, most of them being physicians and pharmacists.

Conclusion: More than 10 years after its launch, the postpartum and obstetrics/gynecology self-medication program is appreciated by the health professionals working in the mother/child units of the Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine. The staff perceived the program as being effective and safe and feel that it is functioning well.

Key words: Adverse effects, breastfeeding, health professionals, obstetrics-gynecology, perception, postpartum, self-medication

Introduction

L’automédication correspond à une organisation des soins permettant la participation active du patient à sa thérapie médicamenteuse. Ce concept a été décrit pour la population hospitalisée dans les années 19501. Par opposition à la distribution traditionnelle des médicaments effectuée par l’infirmière lors d’une hospitalisation, l’automédication permet au patient de préserver son autonomie, d’améliorer ses connaissances et de mieux se préparer à la gestion de sa médication lors du retour à domicile2,3. La mise en œuvre de ce type de programme influence la façon dont les professionnels de la santé donnent certains types de soins. Les programmes d’automédication sont notamment mis en place dans les départements d’obstétrique-gynécologie, où plusieurs hôpitaux en décrivent la mise en œuvre410. L’utilité de ces programmes est décrite dans la documentation scientifique3,8.

Au Centre hospitalier universitaire (CHU) Sainte-Justine, un programme d’automédication en obstétrique-gynécologie post-partum est en place depuis 2003. Après la mise en œuvre de ce programme, un projet pilote a évalué la satisfaction des participantes et des infirmières concernées par ce programme. En 2015, nous avons de nouveau voulu connaître l’avis des professionnels de la santé visés par ce programme. L’objectif de cette enquête est d’évaluer comment les professionnels de la santé perçoivent l’efficacité, la sécurité et le fonctionnement de ce programme d’automédication et de quelle manière ils apprécient ce programme.

Méthodologie

Description du programme

Au CHU Sainte-Justine, le programme d’automédication en obstétrique-gynécologie post-partum comprend une trousse d’automédication, un feuillet d’information, une feuille d’administration des médicaments (FADM) et un formulaire de consentement.

Les quantités de médicaments contenues dans les trousses d’automédication varient selon le type d’accouchement. Chaque trousse comprend de l’acétaminophène 325 mg (huit comprimés pour les accouchements par voie vaginale ou 12 comprimés pour les accouchements par césarienne), du naproxène 250 mg (huit comprimés pour les accouchements par voie vaginale ou 14 comprimés pour les accouchements par césarienne), de l’acétaminophène-codéine 300 mg-30 mg (six comprimés pour les accouchements par voie vaginale ou 16 comprimés pour les accouchements par césarienne) et du docusate de sodium 100 mg (six capsules pour les deux types d’accouchements). Ces médicaments sont étiquetés et emballés individuellement dans un sachet en plastique à l’aide d’un système d’emballage automatisé. Un onguent d’hydrocortisone-sulfate de zinc 0,5 %-0,5 % est remis en présence d’hémorroïdes. De plus, la trousse pour les accouchements par voie vaginale contient un gel de lidocaïne 2 % pour soulager les douleurs périnéales.

Pour pouvoir participer au programme d’automédication, les femmes doivent être âgées d’au moins 14 ans, comprendre le français ou l’anglais et ne pas avoir d’antécédents d’abus de substances. Les participantes ayant accouché par voie vaginale peuvent participer au programme d’automédication dès leur arrivée à l’unité d’obstétrique-gynécologie. Les patientes ayant eu une césarienne peuvent y participer dès le retrait de l’analgésie épidurale, soit environ 24 heures après leur arrivée à l’unité. Le personnel infirmier demande aux patientes de signer le formulaire de consentement et leur explique le programme ainsi que la bonne utilisation des médicaments. Durant leur participation au programme, les patientes doivent remplir une FADM pour détailler le médicament pris, l’heure, le nombre de comprimés pris, le lieu de la douleur ainsi que l’intensité de la douleur ressentie avant et 60 minutes après la prise de la médication. Au moment du congé de l’hôpital, les patientes peuvent rapporter à domicile les médicaments qui restent dans la trousse d’automédication.

Population

Cette étude transversale a été menée auprès des professionnels de la santé exposés au programme d’automédication en obstétrique-gynécologie post-partum du CHU Sainte-Justine. Les personnes consultées avaient un des titres d’emplois suivants : anesthésiste, fellow en médecine obstétricale, infirmier-chef ou assistant infirmier-chef, infirmière, médecin interniste en gynécologie-obstétrique, obstétricien-gynécologue, pédiatre, pharmacien ou résident en médecine obstétricale. Les données ont été agrégées en deux catégories, soit médecins-pharmaciens et personnel infirmier.

Questionnaires

Une enquête a été conçue spécifiquement pour répondre aux objectifs de l’étude. Deux versions du sondage ont été élaborées en fonction de la profession des personnes interrogées. Le questionnaire destiné aux médecins et aux pharmaciens comprenait 21 questions, alors que celui destiné au personnel infirmier en comprenait 26. Vingt questions étaient communes aux deux versions du questionnaire. Le questionnaire portait sur cinq thèmes :

  1. L’efficacité et la sécurité du programme d’automédication

  2. Le fonctionnement du programme d’automédication et le niveau de compréhension des patientes

  3. La pertinence de chaque médicament compris dans le programme d’automédication

  4. L’évaluation des quantités de médicaments distribuées

  5. L’évaluation de la charge de travail du personnel infirmier

Le questionnaire a été mis à l’essai au préalable auprès de deux professionnels de la santé (un médecin et une infirmière) afin de confirmer la faisabilité de l’enquête et la clarté des énoncés.

Collecte de données

Deux supports différents ont été utilisés pour la diffusion de l’enquête. Le sondage pour les pharmaciens, les médecins, les résidents et les fellows en médecine utilisait un logiciel en ligne11. Le 28 avril 2015, le département de pharmacie a envoyé 125 courriels à 104 participants potentiels. Un courriel de rappel a été envoyé le 6 mai 2015. Le sondage en ligne a pris fin le 14 mai 2015. L’existence de l’enquête a également été mentionnée à deux reprises dans le courriel hebdomadaire du département d’obstétrique-gynécologie permettant de rejoindre les obstétriciens-gynécologues, les médecins internistes en gynécologie-obstétrique, les résidents et les fellows en médecine obstétricale. Comme le personnel infirmier ne disposait pas d’adresse de courriel interne, le sondage leur a été distribué en version papier. Durant cette période, 76 copies ont été remises à l’infirmière-chef du département mère-enfant, qui les a distribuées au personnel infirmier et a par la suite remis les copies remplies au département de pharmacie.

Les résultats de l’enquête sont présentés sous forme de statistiques descriptives. Le questionnaire comportait des questions à choix multiples, des échelles de Likert à quatre niveaux, des échelles de 0 à 100 % et des questions ouvertes. Les analyses effectuées étaient des analyses descriptives. L’échelle de Likert à quatre niveaux a été agrégée en deux catégories pour l’analyse (en accord ou en désaccord).

En répondant au sondage, les participants consentaient à ce que les résultats anonymes soient publiés dans une revue canadienne.

Résultats

Cent six personnes ont répondu à l’enquête. Le taux de participation global est de 59 % (106/180). Le taux de participation est de 32 % (33/104) pour la version électronique de l’enquête et de 96 % (73/76) pour la version papier. Le tableau I présente les caractéristiques des personnes ayant participé à l’enquête.

Tableau I Caractéristiques des personnes ayant participé à l’enquête

 

Efficacité et sécurité du programme d’automédication

Une proportion élevée de personnes ayant répondu à l’enquête considère que le programme permet de bien soulager la douleur des patientes, qu’il est sans risque de laisser la trousse d’automédication au chevet des patientes et que le contenu de cette trousse ne cause que rarement des effets indésirables. Toutefois, 11 % des personnes ayant répondu à l’enquête pensent que les médicaments contenus dans la trousse d’automédication peuvent entraîner des effets indésirables pour les nouveau-nés qui y sont exposés par l’intermédiaire du lait maternel. Ces résultats sont présentés dans le tableau II.

Tableau II Évaluation de l’efficacité et de la sécurité du programme d’automédication du CHU Sainte-Justine

 

Fonctionnement et compréhension du programme

Une proportion élevée des personnes interrogées considère que les patientes comprennent bien le fonctionnement de la trousse d’automédication, qu’elles remplissent la FADM de façon adéquate, que la FADM est utile pour leur pratique et que les critères d’inclusion et d’exclusion du programme d’automédication sont faciles à appliquer. La majorité des personnes trouve que le délai pour remettre la trousse aux patientes est adéquat. Ces résultats sont présentés dans le tableau III.

Tableau III Évaluation du fonctionnement du programme d’automédication du CHU Sainte-Justine et du degré de compréhension du programme par les patientes, auprès des professionnels de la santé

 

Pertinence de chaque médicament compris dans le programme

La majorité des personnes ayant répondu à l’enquête, toutes professions confondues, souhaitaient conserver l’acétaminophène (98 %), le naproxène (99 %), le docusate de sodium (97 %), le gel de lidocaïne (99 %) et l’onguent d’hydrocortisone et de sulfate de zinc (96 %) dans la trousse d’automédication (données non présentées). Un peu moins de personnes étaient en faveur de garder l’acétaminophène-codéine dans la trousse : 78 % voulaient la conserver, 6 % ne voulaient plus l’utiliser dans le programme et 16 % voulaient le remplacer par un autre médicament (données non présentées).

L’analyse des résultats selon la profession des personnes interrogées montre qu’il y a peu de différence entre les réponses du personnel infirmier et celles des médecins et des pharmaciens. Cependant, l’usage de l’acétaminophène-codéine est davantage remis en question par les médecins et les pharmaciens, 38 % (12/32) d’entre eux souhaitant conserver l’association dans la trousse d’automédication, tandis que 19 % (6/32) veulent la retirer et 44 % (14/32) désirent la remplacer par une autre molécule. Pour sa part, 97 % (64/66) du personnel infirmier désire conserver l’association acétaminophène-codéine dans la trousse d’automédication, 0 % (0/66) veut la retirer et 3 % (2/66) souhaite la modifier. De plus, 23 % des personnes ayant participé à l’enquête (41 % [13/32] des médecins et des pharmaciens et 15 % [11/72] des infirmières) remettent en doute l’utilisation de la codéine en allaitement.

Parmi les personnes souhaitant remplacer l’acétaminophène-codéine, six ont proposé l’hydromorphone, cinq la morphine, trois la codéine seule, deux un opiacé seul sans préciser lequel, une le tramadol et une une association d’acétaminophène-tramadol. Certaines personnes proposaient aussi de ne pas utiliser un promédicament et de réserver les opiacés à la clientèle ayant eu une césarienne.

Évaluation des quantités de comprimés distribuées

Le personnel infirmier a évalué les quantités de comprimés distribuées. Une partie des personnes interrogées considèrent que les trousses d’automédication ne contiennent pas suffisamment de comprimés d’acétaminophène (48 % [31/65] des personnes pour les trousses pour les accouchements par voie vaginale et 37 % [23/63] des personnes pour les trousses pour les accouchements par césarienne). Les participants à l’enquête considèrent qu’il manque des comprimés d’acétaminophène-codéine dans la trousse d’automédication pour les accouchements par voie vaginale (32 % [20/63] des participants) ou dans celle pour les accouchements par césarienne (44 % [28/63] des participants). Les quantités de naproxène dans la trousse d’automédication pour les accouchements par voie vaginale et par césarienne semblent adéquates pour respectivement 93 % (57/61) et 84 % (51/61) des personnes interrogées. Les quantités de docusate de sodium dans la trousse d’automédication pour les accouchements par voie vaginale et par césarienne semblent adéquates pour 89 % des personnes interrogées (respectivement 54/61 et 55/62). À noter que, quel que soit le type de molécule ou de trousse, peu de participants (jamais plus de 5 %) pensent que les trousses contiennent trop de comprimés.

Sur une échelle de 0 % à 100 %, le personnel infirmier estime que 28 ± 17 % (n = 65) des patientes ont besoin de comprimés supplémentaires pour l’un des médicaments contenus dans la trousse ou d’une trousse d’automédication supplémentaire.

Évaluation de la charge de travail du personnel infirmier

Le personnel infirmier (n = 73) a évalué la charge de travail liée au programme d’automédication. Pour l’exécution du programme, 96 % sont plutôt ou totalement d’accord avec l’affirmation qu’il est plus pratique de fournir les médicaments dans une trousse que par distribution traditionnelle. De plus, les personnes interrogées évaluent à 39 ± 27 % (n = 64) la proportion de patientes pour lesquelles ils inscrivent des informations sur la FADM laissée au chevet de la patiente, informations que la patiente aurait dû consigner elle-même.

Lorsque nous avons demandé aux infirmières d’évaluer le temps requis pour l’explication initiale du programme d’automédication à une patiente donnée, 11 % (7/61) ont répondu moins de cinq minutes, 66 % (40/61) entre cinq et dix minutes, 20 % (12/61) entre 11 et 15 minutes et 3 % (2/61) entre 16 et 20 minutes. Aucune personne interrogée n’a évalué le temps requis à plus de 20 minutes.

En ce qui concerne le temps requis par quart de travail pour le suivi du programme d’automédication pour une patiente donnée, 57 % (35/61) évaluent ce temps à moins de cinq minutes, 36 % (22/61) à entre cinq et dix minutes, 5 % (3/61) à entre 11 et 15 minutes et 2 % (1/61) à entre 16 et 20 minutes. Aucune personne interrogée n’a évalué le temps requis à plus de 20 minutes.

Commentaires recueillis

Des commentaires et des suggestions ont également été recueillis dans le but d’améliorer le programme d’automédication. Des personnes participant à l’enquête ont proposé d’ajouter certains médicaments à la trousse d’automédication, tels que de la poudre de polyéthylène glycol 3350 ou des suppositoires de glycérine pour traiter la constipation, et une crème de sucralfate pour soulager les gerçures mammaires. D’un autre côté, d’autres personnes ont proposé de limiter le nombre de médicaments différents dans la trousse pour limiter les confusions.

Pour faciliter le fonctionnement du programme, l’ajout systématique d’un crayon à la trousse et la simplification de la FADM ont été proposés à plusieurs reprises pour améliorer le taux de remplissage de la FADM. Pour aider les patientes à faire la distinction entre les différents médicaments, les personnes interrogées ont également recommandé d’indiquer la couleur des comprimés sur la FADM.

Enfin, certaines personnes ayant répondu à l’enquête ont également proposé d’améliorer l’approche aux patientes en renforçant le fait que celles-ci ont le choix de participer ou non au programme d’automédication et qu’il ne s’agit pas d’un mode de distribution obligatoire.

Discussion

Cette étude visait à obtenir l’avis du personnel soignant sur le programme d’automédication du CHU Sainte-Justine mis en œuvre depuis plus de 10 ans.

Efficacité et sécurité du programme d’automédication

Le personnel perçoit presque unanimement que la trousse d’automédication permet de soulager les patientes de façon efficace. East et coll. ont mené une étude à répartition aléatoire qui évaluait la mise en œuvre d’un programme d’automédication ainsi que la perception du programme par les infirmières. Les résultats de leur étude ont montré que 82 % des infirmières trouvaient que le programme permettait de bien soulager les patientes, ce qui est similaire aux résultats de la présente étude9.

Les résultats de notre enquête laissent entendre que les professionnels questionnés considèrent que le programme d’automédication est sûr. Seulement 11 % des participants ont mentionné que les médicaments utilisés dans le programme d’automédication pouvaient causer des effets indésirables chez le nouveau-né. Par contre, les participants n’ont pas été questionnés sur la nature ou la gravité de ces effets indésirables.

Fonctionnement et compréhension du programme

Une majorité de participants (91,3 %) estime que les patientes comprennent bien l’usage de la trousse d’automédication. Ce résultat contraste avec les données de East et coll. qui montraient que seulement 52 % des infirmières estimaient que les patientes étaient bien informées à propos de leurs médicaments et que seulement 46 % des infirmières estimaient que les patientes comprenaient à quel moment elles devaient les prendre9. Les résultats de notre étude mettent en évidence la maturité du programme d’automédication, mis en place dans l’établissement depuis 2003, alors que l’étude de East et coll. a été effectuée lors de la mise en œuvre du programme9. Par ailleurs, la majorité des personnes ayant répondu à notre enquête sont satisfaites de la FADM et du délai nécessaire pour remettre la trousse d’automédication aux patientes.

Pertinence de chaque médicament compris dans le programme d’automédication

Le personnel soignant remet peu en cause la pertinence des médicaments compris dans la trousse, à l’exception de l’acétaminophène-codéine. Ce médicament compte moins d’appui auprès des médecins et des pharmaciens qu’auprès du personnel infirmier. Globalement, 23 % des personnes interrogées considèrent que la codéine n’est pas une bonne option en cas d’allaitement, ce choix thérapeutique étant plus remis en question par les médecins et les pharmaciens que par le personnel infirmier. Cette divergence d’opinions pourrait s’expliquer par une meilleure connaissance de la documentation scientifique par les médecins et les pharmaciens, ceux-ci étant possiblement plus à l’affût des changements de recommandations thérapeutiques ainsi que des avis publiés par Santé Canada en 2008 et en 2013 sur l’usage de la codéine en pédiatrie et pendant l’allaitement1214. Une utilisation prudente de la codéine par la mère à la plus petite dose efficace et pour la plus courte durée possible a été associée à une faible fréquence (environ 2 %) d’effets indésirables chez les bébés allaités. D’autres travaux se poursuivent au CHU Sainte-Justine afin de réévaluer le contenu de la trousse en tenant compte de la satisfaction de la clientèle et de la gestion des risques.

Parmi les options de traitement proposées pour remplacer l’acétaminophène-codéine, l’hydromorphone et la morphine étaient citées fréquemment par les personnes interrogées. Bien que la cinétique de ces molécules est plus prévisible et que leur efficacité et leur innocuité ne dépendent pas d’un métabolisme ayant plusieurs phénotypes, ces médicaments présentent toutefois d’autres inconvénients, tels qu’une puissance plus importante et un risque d’abus et de détournement plus élevé. L’utilisation d’un opiacé remettrait certainement en question le fonctionnement du programme d’automédication actuel. En effet, les opiacés doivent être administrés par distribution traditionnelle pour maintenir un contrôle suffisant en vue des exigences réglementaires en matière de documentation, de suivi et de gestion des doses. Peu de données sont disponibles concernant l’utilisation de l’hydromorphone et de la morphine en allaitement, comparativement à la codéine1517. L’oxycodone et le tramadol sont métabolisés par le cytochrome P450 2D6 et ont un métabolite actif, tout comme la codéine18,19. Il existe également peu de données concernant l’utilisation de ces molécules pendant l’allaitement19,20.

Évaluation des quantités de comprimés distribuées

Une proportion importante du personnel infirmier juge pertinent d’augmenter les quantités d’acétaminophène ainsi que d’acétaminophène-codéine dans les trousses d’automédication pour les accouchements vaginaux ou par césarienne. Contrairement au naproxène et au docusate de sodium, dont le nombre maximal de prises quotidiennes est limité à deux, ces deux types de comprimés ont des posologies variables et risquent d’être utilisés de manière très différente selon l’intensité des douleurs de la patiente. Une étude évaluant les quantités de comprimés utilisées par les participantes permettrait de clarifier la situation. De telles données ont été recueillies dans le cadre d’une autre étude réalisée auprès des unités mère-enfant du CHU Sainte-Justine.

Évaluation de la charge de travail du personnel infirmier

Dans notre étude, 96 % du personnel infirmier considère qu’il est plus pratique de distribuer les médicaments en auto-administration. Arpin et coll. avaient conduit une évaluation similaire dont les résultats montraient que 93 % des infirmières appréciaient ce mode de distribution, malgré les répercussions sur leur charge de travail8. Cependant, seulement 50 % des infirmières interrogées dans l’étude de East et coll. préféraient l’automédication à la distribution traditionnelle9. Cette proportion s’explique peut-être par la mise en œuvre récente du programme et une certaine résistance au changement des pratiques9.

En ce qui concerne la charge de travail, il faut entre cinq et dix minutes à la majorité des infirmières pour expliquer initialement le programme d’automédication aux patientes. Une étude interne effectuée en 2003, après la mise en œuvre du programme d’automédication, avait évalué l’avis du personnel infirmier (n = 21) grâce à huit questions utilisant des échelles de Likert. En 2003, 42 % des personnes interrogées estimaient passer entre cinq et dix minutes et 37 % entre 11 et 15 minutes à expliquer initialement le fonctionnement de la trousse d’automédication aux patientes, comparativement à respectivement 66 % et 20 % des personnes interrogées dans l’étude actuelle. L’expérience acquise a pu rendre l’explication initiale plus facile et plus concise. Certains ont soulevé dans les commentaires généraux des propositions d’améliorer les explications initiales pour s’assurer que le consentement soit volontaire et éclairé.

L’étude a plusieurs forces. Le questionnaire a été conçu spécifiquement pour le projet et évalue le programme dans un contexte clinique réel. Cette étude a permis d’obtenir l’avis des différents professionnels associés au programme d’automédication. Ce type d’évaluation s’inscrit dans le cadre du programme local d’assurance qualité et du processus continu de conformité en lien avec le cadre normatif d’Agrément Canada. La diffusion des données de cette enquête et le partage des outils utilisés pour réaliser l’audit peuvent contribuer à l’évaluation des pratiques dans d’autres milieux.

Quant aux limites de l’étude, il faut préciser que cette étude est le reflet d’une pratique locale. Le questionnaire utilisé a été créé pour l’enquête et n’est pas un outil validé. Le taux de réponse au sondage en ligne (médecins et pharmaciens) est moins élevé que pour le sondage papier (personnel infirmier), ce qui pourrait entraîner un biais de sélection. Malgré le taux de réponse plus élevé, il y avait plus de données manquantes dans le sondage papier. Il était également difficile de joindre tous les participants avec le même mode de diffusion. Le profil des participants ayant répondu à la version électronique pourrait être différent de celui des personnes ayant répondu à la version papier. Un biais de désirabilité sociale pourrait également être présent.

Conclusion

Cette enquête visait à évaluer comment les professionnels de la santé perçoivent l’efficacité, la sécurité et le fonctionnement du programme d’automédication en obstétrique-gynécologie post-partum du CHU Sainte-Justine. Dans l’ensemble, 97,1 % du personnel soignant considèrent que la trousse d’automédication permet de bien soulager les patientes, et 90,5 % pensent que la trousse d’automédication entraîne rarement des effets indésirables pour les patientes. Vingttrois pour cent des personnes interrogées remettent en question l’utilisation de la codéine en cas d’allaitement, en accord avec la controverse présente dans la documentation scientifique depuis quelques années.

Financement

Aucun financement en relation avec le présent article n’a été déclaré par les auteurs

Conflits d’intérêts

Tous les auteurs ont rempli et soumis le formulaire de l’ICMJE pour la divulgation de conflits d’intérêts potentiels. Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec le présent article.

Remerciements

Les auteurs remercient Mesdames Marie-Sophie Brochet, Geneviève Fortin et Caroline Morin, pharmaciennes en gynécologie-obstétrique, ainsi que Monsieur Denis Lebel, pharmacien et coordonnateur à l’enseignement au Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine, pour leur aide à la révision des questionnaires et de ce manuscrit. Une autorisation écrite a été obtenue de ces personnes. Les auteurs remercient également les membres du personnel médical et infirmier des unités mère-enfant pour leur généreuse participation à cette enquête.

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13. Gouvernement du Canada. Renseignements importants concernant l’innocuité de Tylenol avec codéine chez les mères allaitantes et les individus présentant un métabolisme ultra-rapide de la codéine – Pour les professionnels de la santé. Santé Canada 2008. [en ligne] http://canadiensensante.gc.ca/recall-alertrappel-avis/hc-sc/2008/14526a-fra.php (site visité le 15 novembre 2015).

14. Gouvernement du Canada. Après examen, Santé Canada recommande que la codéine soit administrée seulement chez les patients âgés de 12 ans et plus. Santé Canada 2013. [en ligne] http://canadiensensante.gc.ca/recall-alert-rappel-avis/hc-sc/2013/33915a-fra.php (site visité le 15 novembre 2015).

15. Drugs and Lactation Database (LactMed). Monographie de produit: Hydromorphone. [en ligne] http://toxnet.nlm.nih.gov/cgi-bin/sis/search2/f?./temp/~0cxk4P:1 (site visité le 15 novembre 2015).

16. Drugs and Lactation Database (LactMed). Monographie de produit: Morphine. [en ligne] http://toxnet.nlm.nih.gov/cgi-bin/sis/search2/f?./temp/~Er0dA0:1 (site visité le 15 novembre 2015).

17. Drugs and Lactation Database (LactMed). Monographie de produit: Codeine. [en ligne] http://toxnet.nlm.nih.gov/cgi-bin/sis/search2/f?./temp/~qbsRSZ:1 (site visité le 15 novembre 2015).

18. Lurcott G. The effects of the genetic absence and inhibition of CYP2D6 on the metabolism of codeine and its derivatives, hydrocodone and oxycodone. Anesth Prog 1998;45:154–6.

19. Drugs and Lactation Database (LactMed). Monographie de produit: Tramadol. [en ligne] http://toxnet.nlm.nih.gov/cgi-bin/sis/search2/f?./temp/~jJgyQF:1 (site visité le 15 novembre 2015).

20. Drugs and Lactation Database (LactMed). Monographie de produit: Oxycodone. [en ligne] http://toxnet.nlm.nih.gov/cgi-bin/sis/search2/f?./temp/~KqN6lY:1 (site visité le 15 novembre 2015).



Pour toute correspondance : Hugo Schérer, Département de pharmacie, Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine, 3175, chemin de la Côte-Sainte-Catherine, Montréal (Québec) H3T 1C5, CANADA; Téléphone : 514 345-4603; Télécopieur : 514 345-4820; Courriel : hugo.scherer@umontreal.ca

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PHARMACTUEL, Vol. 49, No. 2, 2016