Maude Blanchet1, B.Pharm., M.Sc., Élisabeth Bourassa1, B.Pharm., M.Sc.
Reçu le 8 mars 2016; Accepté après révision le 20 avril 2016
Résumé
Objectif : L’objectif principal du projet était de décrire l’utilisation dans un service des urgences d’un formulaire de prescription de la médication du domicile basé sur les données du Dossier Santé Québec et généré par le logiciel Cristal-Net, afin d’estimer les répercussions de la mise en service de ce formulaire sur la qualité et la sécurité des soins et des services.
Mise en contexte : La prescription des médicaments usuels du patient dans le cadre de soins d’urgence peut constituer un défi pour l’urgentologue, puisque l’obtention d’une information précise sur les médicaments que le patient prend n’est pas aisée. Le Dossier Santé Québec semble offrir une solution intéressante, puisqu’il permet d’obtenir en tout temps et sans délai l’information sur les médicaments délivrés par les pharmacies communautaires participantes, sauf pour les patients qui ont exercé leur droit de refus.
Résultats : Le projet pilote s’est déroulé progressivement sur trois phases, du 3 novembre 2014 au 6 février 2015. Deux pharmaciennes ont recueilli les données de façon prospective et rétrospective. Au total, 399 patients ont été inclus dans l’analyse des données. La majorité des formulaires (78,4 %) présentaient des différences avec le profil transmis par la pharmacie communautaire. Les omissions et les ajouts demeurent les erreurs les plus fréquemment rencontrées.
Conclusion : Puisque le taux d’erreur observé dans ce projet est similaire à ceux de projets antérieurs, l’utilisation du formulaire à titre d’ordonnance initiale dans les services des urgences semble sans danger dans un contexte d’urgence, à condition qu’une formation concernant les lacunes connues du Dossier Santé Québec soit offerte au personnel.
Mots clés : Dossier Santé Québec, ordonnance initiale, urgence
Abstract
Objective: The main objective of this project was to describe the use, in the emergency room, of a home medication prescription form based on Quebec Health Record data and generated by the software program Cristal-Net and to assess the impact of its implementation on the quality and safety of care and services.
Background: Prescribing a patient’s usual medications in the context of the emergency room is a challenge because it is not always easy to obtain accurate information on the patient’s current medications. The Quebec Health Record seems to offer an attractive solution, since information on medications can be obtained immediately for patients who have not exercised their right to opt out.
Results: The pilot project was conducted in three phases from November 3, 2014, to February 6, 2015. Data were gathered prospectively and retrospectively by two pharmacists. In all, 399 patients were included in the data analysis. In 78.4% of cases, a discrepancy was observed with respect to the profile sent by the community pharmacy. Additions and omissions were the most common errors encountered.
Conclusion: Since the error rate observed in this project is similar to that in previous projects, the use of this form as an initial prescription in the emergency room department seems safe. Training of the staff on the most common problems of the Quebec Health Record should be provided to the staff.
Keywords: Emergency room department, initial prescription, Quebec Health Record
« L’objectif de l’équipe de soins des services des urgences est de fournir aux usagers dont l’état le requiert des services d’accueil, de triage, d’évaluation, de stabilisation, d’investigations et de traitement, dans le but de répondre à une condition médicale urgente ou d’arriver à une décision éclairée sur l’orientation du patient »1. La prescription des médicaments usuels du patient dans le cadre de soins urgents peut constituer un défi pour l’urgentologue: d’une part, il a besoin de connaître les médicaments que le patient prend pour pouvoir évaluer ce dernier; d’autre part, il doit prescrire les médicaments dont le patient a besoin pendant la période où ce dernier est sous ses soins, dans un contexte de travail sous pression avec des interruptions fréquentes des tâches.
Pour un service qui fonctionne 24 heures sur 24 et qui doit évaluer rapidement un grand nombre de patients, l’obtention de l’information précise sur les médicaments pris par le patient n’est pas aisée. Le vieillissement de la population, l’accroissement du nombre de médicaments pris par les patients et la multiplication des entités pharmacologiques contribuent à augmenter la complexité de la collecte des données sur les médicaments pris au domicile. Lorsque la liste des médicaments est constituée, le mode de prescription usuel, qui consiste à rédiger manuellement les ordonnances requises, comporte des inconvénients décriés par les urgentologues de notre établissement. En effet, le temps de rédaction n’est pas négligeable, ce qui peut favoriser la rédaction d’ordonnances erronées ou incomplètes ou l’altération de la qualité de l’écriture. De plus, la transcription des ordonnances comporte d’autres risques d’erreur, notamment des omissions.
Les établissements ont mis en place différentes pratiques pour favoriser la prescription adéquate et efficiente des médicaments dans les services des urgences. La rédaction des ordonnances directement sur le profil faxé par la pharmacie communautaire est l’une des pratiques les plus répandues au Québec. Elle permet d’offrir une liste de base de bonne qualité et d’éviter également les erreurs de transcription. Par contre, les inconvénients liés à cette pratique ont suscité des réticences concernant la mise en œuvre de cette pratique au Centre hospitalier universitaire (CHU) de Québec-Université Laval. En effet, l’information présentée peut être incomplète si le patient fréquente plus d’une pharmacie. De plus, il existe plusieurs modèles de profils et l’information y est souvent présentée différemment. En outre, certains profils présentent un nombre considérable de pages et, pour traiter les ordonnances, il faut pouvoir interpréter toutes les informations qui s’y trouvent. Enfin, certains profils comportent également des annotations manuscrites par le pharmacien communautaire, qui pourraient être confondues avec les prescriptions des médecins une fois l’ordonnance numérisée. Le nombre de données à traiter par des services de distribution déjà largement sollicités risquait d’entraîner une surcharge de travail ainsi que des délais dans le traitement des ordonnances de l’ensemble des patients de l’hôpital.
Dans le CHU de Québec-Université Laval, afin de pallier à ces désagréments, des assistants techniques en pharmacie (ATP) effectuaient un tri et une saisie des données transmises par les pharmacies communautaires pour les patients dirigés sur civière et présentant certains critères. Ce nouveau formulaire, lancé par les ATP, facilitait ainsi l’interprétation des données tout en rendant plus sûre son utilisation. Cependant, ces procédures de simplification demandent du temps et des ressources, ce qui n’est pas chose facile dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre et de restriction budgétaire. Enfin, les heures d’ouverture restreintes des pharmacies constituent une limite importante à un processus efficace en tout temps.
Ce contexte peu propice remet également en question la pertinence d’un tel investissement pour des patients ne séjournant parfois que quelques heures dans nos services des urgences. En effet, certaines évaluations réalisées auparavant à l’Hôpital de l’Enfant-Jésus ont démontré que la saisie électronique réalisée par les ATP n’était utilisée que pour une minorité de patients, puisque moins de 40 % de ces derniers étaient hospitalisés. La pénurie d’ATP et les ressources limitées pour répondre aux exigences du bilan comparatif des médicaments (BCM) nous ont conduits à remettre en question le service offert dans le service des urgences du CHU de Québec-Université Laval, car ce service s’avérait peu efficient.
Le Dossier Santé Québec (DSQ), alimenté par un nombre croissant de pharmacies, semble offrir une solution intéressante. En effet, il permet d’obtenir en tout temps et sans délai l’information sur les médicaments délivrés par les pharmacies communautaires participantes pour les patients qui n’ont pas exercé leur droit de refus2. De plus, l’équipe des technologies de l’information a mis au point une interface qui permet d’accéder aux données du DSQ par l’intermédiaire de l’application Cristal-Net, le dossier clinique informatisé du CHU de Québec-Université Laval. Nous avions donc la possibilité de créer un formulaire qui utilisait les données du DSQ et les présentait de façon à répondre aux besoins précis d’une ordonnance initiale. Cette option n’était toutefois pas exempte de risques puisque des projets pilotes effectués dans certains établissements avaient montré que l’information fournie par le DSQ comportait des lacunes. Par exemple, comme cette information provient des données sur les médicaments réellement délivrés, elle ne renseigne pas sur les ordonnances mises en attente. Par ailleurs, comme l’information est tributaire de la participation des pharmacies, certains dossiers sont incomplets ou absents, ou contiennent des duplications de traitement. En outre, le risque de surcharge du service de distribution demeure présent: il y a plus de données à prendre en compte dans un tel formulaire que dans une liste manuscrite. Enfin, la prescription plus facile et plus rapide des médicaments pouvait entraîner une augmentation du nombre d’ordonnances et le service de médicaments non essentiels au cours d’un épisode de soins au service des urgences.
L’objectif principal du projet était de décrire l’utilisation, dans un service des urgences, d’un formulaire de prescription de la médication que le patient prenait à son domicile. Ce formulaire DSQC-N reposait sur les données du DSQ et était généré par le logiciel Cristal-Net. Le projet cherchait à estimer les répercussions de l’utilisation de ce formulaire sur la qualité et la sécurité des soins et des services. Plus spécifiquement, ce projet visait à:
mesurer la disponibilité et le type d’information transmise;
comparer cette information avec celle présente sur les profils fournis par les pharmacies communautaires;
évaluer les répercussions de l’utilisation du formulaire en matière d’efficacité et de sécurité, tant sur la qualité de l’ordonnance émise dans le service des urgences que sur l’organisation du travail dans ce service et à la pharmacie.
Le projet pilote s’est déroulé progressivement sur trois phases; le passage à la phase suivante était tributaire de la réussite de la phase précédente. Les phases cliniques ayant permis la collecte de données se sont déroulées du 3 novembre 2014 au 6 février 2015 selon le protocole suivant:
Évaluation des processus et des outils par des médecins ciblés.
Processus complet suivi par l’ensemble des médecins lorsqu’il y a présence d’un pharmacien pour effectuer une validation de l’ordonnance en préalable à son envoi au département de pharmacie, à savoir du lundi au vendredi, de jour seulement.
Processus complet suivi sans restrictions ni validation préalable du pharmacien du service des urgences.
La population à l’étude se compose des patients installés sur civière au service des urgences du CHU de Québec-Université Laval, Hôpital Hôtel-Dieu de Québec (HDQ). Pour être inclus dans l’étude, les patients devaient avoir un dossier DSQ précisant la médication active ainsi qu’un formulaire DSQC-N rempli par le médecin présent à l’urgence et figurant dans le dossier hospitalier. L’absence d’un profil provenant des pharmacies communautaires entraînait l’exclusion du patient de l’analyse visant à évaluer la sécurité du processus proposé, puisque ce profil était nécessaire pour comparer l’information provenant du profil et celle figurant sur le formulaire DSQC-N. Pour l’évaluation de la charge de travail du personnel touché, la population à l’étude était composée des pharmaciens de l’HDQ, ainsi que des médecins et infirmières du service des urgences de cet hôpital.
Les données ont été collectées prospectivement au cours des deux premières phases cliniques et rétrospectivement durant la dernière phase à l’aide de l’information disponible dans les dossiers patients. Deux pharmaciennes ont analysé des formulaires d’ordonnance afin d’évaluer la qualité de la prescription. Ces pharmaciennes colligeaient les problèmes constatés sur l’ordonnance: mauvaise utilisation du formulaire, ordonnance incomplète ou ambiguë, interprétation erronée des données, divergence non intentionnelle entre l’ordonnance de l’urgentologue et les médicaments présumés que le patient prenait à domicile. Une divergence était considérée comme non intentionnelle (erreur médicamenteuse) lorsque cette dernière semblait non souhaitée par le prescripteur, c’est-à-dire qu’aucune information pouvant expliquer la modification de la thérapie n’était présente dans le dossier (p. ex. omission d’un médicament non présent dans le DSQ, dose erronée prescrite puisque l’ordonnance présentant la dose réelle est en attente à la pharmacie et absente du DSQ, ou encore nouvelle prescription d’un antibiotique présent dans l’actif DSQ en raison du délai de grâce autorisé par le DSQ alors que le traitement est terminé et qu’il n’y a aucun signe d’infection).
Le point de comparaison pour déterminer une divergence était le profil de la pharmacie communautaire, car le projet ne prévoyait pas la réalisation d’histoire médicamenteuse de façon systématique. Enfin, la sécurité du processus a été évaluée en étudiant la proportion des divergences non intentionnelles résolues par la suite.
Des mesures de tendances centrales ont été utilisées pour décrire les variables quantitatives comme l’âge, le nombre de médicaments présents sur les formulaires DSQC-N et le nombre de médicaments prescrits. Les variables qualitatives (types de divergences, classes des médicaments concernées, potentiel de gravité des divergences) ont été exprimées en proportion, sous forme de pourcentages. Les divergences non enregistrées ont été classées selon l’échelle d’évaluation du potentiel de gravité utilisée dans les projets de recherche du Centre hospitalier Affilié de l’Université Laval et chaque divergence a été évaluée par deux pharmaciens3.
Enfin, les répercussions du projet sur l’organisation du travail des pharmaciens en distribution ont été déterminées à l’aide d’une comparaison entre les problèmes recensés par les pharmaciens une semaine avant le début du projet et ceux vécus pendant les quatre semaines de la dernière phase du projet. Les répercussions sur le travail dans le service des urgences ont quant à elles été mesurées de façon informelle à partir des commentaires recueillis avant, pendant et après le projet.
Dans les deux premières phases du projet, le processus a été testé pour 244 patients couchés sur civière. Le formulaire n’était pas disponible pour 116 d’entre eux, pour les raisons suivantes: pharmacie non branchée (85,3 %), refus de participation au DSQ (6,0 %), numéro d’assurance maladie du Québec inexistant (0,9 %), absence d’ordonnance dans la section active du DSQ (3,4 %), autre raison (4,3 %). Lors de la dernière phase du projet, puisque les patients étaient inclus rétrospectivement à la rédaction de l’ordonnance sur le formulaire DSQC-N, aucun patient n’a été exclu de l’analyse générale. Ainsi, 272 patients ont été évalués: 1 patient a été exclu en raison d’un décès avant la fin de la rédaction de l’ordonnance et 271 patients ont été inclus. Le tableau I présente une description des formulaires.
Tableau I Caractéristiques des données présentes sur les formulaires DSQC-N
Parmi l’ensemble des formulaires DSQC-N pouvant être comparés au profil transmis par la pharmacie communautaire du patient, 20,6 % d’entre eux (63/306; 35/124 dans les deux premières phases du projet et 28/182 dans la dernière phase du projet) présentaient la même information que celle contenue dans le profil de la pharmacie. Mille cinq cent dix ordonnances (25,2 %) ont été définies comme étant différentes, pour les raisons suivantes: ordonnances futures non inscrites au DSQ (17,5 %; 49/463 dans les deux premières phases du projet et 215/1 047 dans la dernière phase du projet), absence d’ordonnances dont la teneur ou la posologie a été modifiée (1,8 %; 2/463 dans les deux premières phases du projet et 25/1 047 dans la dernière phase du projet), autre raison (80,7 %; 412/463 dans les deux premières phases du projet et 807/1 047 dans la dernière phase du projet). Parmi les autres raisons, citons les suivantes: présence d’une duplication touchant près de 60 % des patients pour lesquels une différence a été mise en évidence (p. ex. deux ordonnances du même médicament, mais avec des posologies différentes; ou encore des médicaments de la même classe pharmacologique, mais dont l’une des ordonnances n’est pas utilisée par le patient); médicaments présents dans le DSQ, mais non présents sur les profils transmis (17,4 % des cas, p. ex. le patient consulte plus d’une pharmacie ou le pharmacien communautaire a épuré le dossier avant l’envoi du profil); médicaments présents dans le DSQ, mais inactifs sur le profil (10,3 % des cas, p. ex. délai de grâce, note manuscrite sur le profil qui indique que l’ordonnance n’est plus utilisée); raisons autres (13,4 % des cas, p. ex. lignes de posologie manquantes, arrêt de transmission de l’information, ordonnance détruite dans le dossier communautaire après l’impression du DSQ dans notre établissement, le patient utilise plus d’une pharmacie et l’une d’entre elles n’est pas branchée, absence de certains médicaments comme les inhalateurs et l’insuline ainsi que les médicaments en vente libre ou sous contrôle pharmaceutique).
Parmi les 3 494 ordonnances rédigées sur les formulaires DSQC-N, 1 834 divergences ont été mises en évidence: 1 036 divergences intentionnelles enregistrées (56,5 %), 479 divergences intentionnelles non enregistrées (26,1 %) et 319 divergences non intentionnelles (17,4 %). Ces deux derniers types de divergences, considérés comme inadéquats, représentent 67,6 % (281 cas) des divergences relevées au cours des deux premières phases du projet et 36,3 % (517 cas) de celles découvertes durant la dernière phase du projet. Par conséquent, le taux de divergences était de 2,20 au cours des deux premières phases du projet, comparativement à 2,84 durant la dernière phase du projet, alors que le taux d’erreur était de 0,63 au cours des deux premières phases du projet, comparativement à 1,31 durant la dernière phase du projet. La figure 1 montre la répartition des différents types de divergences pour l’ensemble des phases du projet, tandis que la figure 2 présente plus précisément la répartition des divergences non intentionnelles selon leur potentiel de gravité.
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Figure 1. Répartition des différents types de divergences mises en évidence |
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Figure 2. Répartition des divergences non intentionnelles selon leur potentiel de gravité en fonction des différentes phases du projet |
Parmi les 238 divergences non intentionnelles mises en évidence au cours de la dernière phase du projet, 21 (8,8 %) ont été résolues au moment de la validation par le pharmacien en distribution, 30 (12,6 %) l’ont été par l’équipe médicale du service des urgences ou responsable de l’admission, et 48 (20,2 %) l’ont été a posteriori par le pharmacien du projet pilote. Les autres erreurs n’ont pas été résolues, soit parce que le patient avait quitté le service des urgences au moment de la collecte des données, soit parce que les divergences ont été jugées non significatives sur le plan clinique. Fait intéressant à noter, quelques erreurs ont été engendrées par le pharmacien au moment de la validation.
Les médecins du service des urgences se sont montrés satisfaits de l’outil et du processus, qui permettaient de réduire le temps consacré à interpréter l’information et à rédiger l’ordonnance. Ils souhaitaient pouvoir en poursuivre l’utilisation. L’infirmière-chef du service des urgences a expliqué que les infirmières étaient globalement satisfaites et avaient signalé peu de problèmes. Par contre, la gestion des clés d’accès au DSQ a constitué un défi de taille, puisque chaque agent administratif devait avoir sa propre clé pour être en mesure d’imprimer le formulaire.
Le département de pharmacie a grandement apprécié la validation des formulaires correctement remplis, car les ordonnances étaient lisibles et le plus souvent complètes. Subjectivement, les pharmaciens mentionnaient toutefois que la résolution d’un problème relevé sur le formulaire augmentait la charge de travail du personnel du secteur distribution. Toutefois, les évaluations effectuées avant et pendant le projet n’ont pas permis de corroborer cette impression.
Les résultats présentés montrent qu’un formulaire présentant les données du DSQ est un outil de prescription intéressant et qui se révèle relativement sans danger malgré un contenu imparfait.
Il était étonnant de constater que près de la moitié des patients n’avaient pas de données actives dans le DSQ durant les deux premières phases du projet, alors que peu d’entre eux avaient exercé leur droit de refus. Bien qu’un biais de sélection ait pu influencer ces résultats en raison de la provenance géographique de la clientèle, près de 75 % des pharmacies de la région de la Capitale-Nationale étaient branchées au moment de l’étude. Toutefois, à l’heure de cette publication, toutes les pharmacies de cette région communiqueraient leurs données au DSQ et la proportion de patients sans information dans leur DSQ devrait être fort réduite2.
Bien que les différences entre les profils fournis par les pharmacies communautaires et l’information contenue dans le DSQ soient relativement bien connues, les différences observées dans le cadre de ce projet surpassent celles attendues. Plusieurs d’entre elles sont inhérentes au DSQ, dont le contenu est constitué uniquement de médicaments prescrits et ayant fait l’objet d’au moins une délivrance, alors que le profil donne l’information sur les ordonnances en attente de service ainsi que les médicaments non prescrits sous contrôle pharmaceutique. De plus, la période de grâce de 30 jours après la fin théorique de la prise du médicament favorise la présence, sur le formulaire DSQC-N, de médicaments qui sont absents ou qui présentent la mention « inactif » dans le profil des pharmacies.
Toutefois, d’autres différences que celles attendues ont également été mises en évidence. Ainsi, l’une des hypothèses formulées est que le contenu du DSQ est tributaire de l’utilisation faite du logiciel de la pharmacie communautaire. En effet, plusieurs ordonnances absentes des profils transmis par les pharmacies communautaires après l’épuration faite par le pharmacien en service (ordonnances qui sont donc considérées comme non actives) figurent toujours comme actives dans le DSQ. Cela entraîne un fort volume d’ordonnances actives dans le DSQ ainsi que plusieurs duplications (plusieurs ordonnances pour un même médicament, parfois à des posologies différentes). La consultation de la date de la dernière délivrance et de la quantité délivrée est donc nécessaire pour établir les médicaments réellement susceptibles d’être pris par le patient, ce qui rend l’outil moins convivial.
Les résultats d’une évaluation non publiée effectuée en 2013–2014 dans le Centre hospitalier de l’Université Laval (CHUL), l’Hôpital Saint-François d’Assise et l’HDQ avaient montré les mêmes types de différence, mais en quantité beaucoup moins importante. Seulement 22 % des dossiers (11/50) présentaient des différences entre les formulaires DSQC-N et les profils provenant des pharmacies communautaires; au contraire, dans le projet actuel, cette proportion était respectivement de 68,8 % et de 85,2 % au cours des deux premières phases et de la dernière phase.
À la suite de l’analyse de ces résultats, des améliorations ont été apportées au formulaire après le projet-pilote afin d’atténuer l’effet des duplications. Notamment, un tri alphabétique regroupant les ordonnances d’un même médicament et l’ajout d’une section distincte pour les médicaments délivrés depuis plus de 90 jours ont permis d’améliorer l’acceptation et l’utilisation du formulaire par les équipes médicales.
Toutefois, ces résultats nous amènent à conclure que le profil fourni par la pharmacie communautaire demeure un outil indispensable, malgré l’existence d’un formulaire d’ordonnance basé sur les données du DSQ. Cela est particulièrement vrai pour prescrire les médicaments des patients qui ne peuvent être interrogés ou qui les connaissent peu. En effet, le profil transmis permet de prendre connaissance des ordonnances futures de médicaments effectivement pris par les patients, aide à distinguer les médicaments actifs des médicaments inactifs ou échus et fournit de l’information sur les médicaments sous contrôle pharmaceutique ou ceux mis en référence par le pharmacien communautaire (p. ex. échantillon).
La méthode utilisée dans le projet actuel ne permettait pas de vérifier si l’utilisation du formulaire DSQC-N influençait le taux réel d’erreurs de prescription dans le service des urgences de l’HDQ. Pour ce faire, il aurait fallu mesurer ce taux avant le début du projet, lorsque les médecins rédigeaient leurs ordonnances à la main sans toujours pouvoir compter sur le profil de la pharmacie communautaire (notamment lorsque les pharmacies sont fermées). Cependant, le taux d’erreur observé ne semble pas plus élevé que ce qui a été mesuré dans d’autres études. Bien que les populations étudiées dans les projets antérieurs ne soient pas comparables à la population de ce projet, le taux d’erreur obtenu semble similaire, ce qui permet ainsi de croire que l’utilisation du formulaire DSQC-N n’engendre pas un risque supérieur d’erreur (taux d’erreur de 1,31 lors de la dernière phase du projet, comparativement à respectivement 1,23 et 1,30 dans les études publiées en 2008 et en 2010)3,4. Les catégories de médicaments visées par les divergences non intentionnelles sont également similaires à celles décrites précédemment, à savoir les médicaments agissant sur l’appareil cardiovasculaire, le système nerveux central et le tractus gastro-intestinal3,4.
Le taux d’erreurs d’omission observé dans le projet présenté (58,9 %) est similaire à celui obtenu dans les projets antérieurs, à savoir respectivement 65 % et 53 % dans les projets de 2008 et de 2010, ce qui démontre que l’utilisation du formulaire DSQC-N, malgré les lacunes connues, ne semble pas compromettre davantage la sécurité des ordonnances rédigées dans le service des urgences3,4. Bien que les erreurs d’omission aient été plus nombreuses durant la dernière phase du projet, cette augmentation peut s’expliquer par un nombre plus grand d’ordonnances futures à cette étape, donc non présentes au DSQ. Un nombre important d’ajouts (médicaments qui n’apparaissent pas dans le profil ou qui y sont notés comme inactifs) a été observé dans le cadre du projet. Bien que les pharmaciens du secteur de distribution, en exerçant leur vigilance, puissent corriger une certaine proportion de ces ajouts, une bonne connaissance de l’outil assortie d’un entretien avec le patient sont nécessaires pour éviter ce type d’erreur. Ainsi, la proportion des médicaments ajoutés est passée de 4 % en 2008 à 8 % en 2010 et à 32,9 % dans le projet actuel3,4.
Le jugement clinique du pharmacien était nécessaire pour évaluer le potentiel de gravité des divergences mises en évidence dans ce projet. Afin de limiter les répercussions de ce biais, on a rappelé aux urgentologues à quel point il était important qu’ils détaillent les actes posés, et chaque divergence non intentionnelle a été réévaluée par un pair, comme dans le projet de 20104. Bien qu’une diminution des divergences avec un potentiel de gravité significatif ait pu être notée (23,2 % comparativement à 39,7 % en 2010), les résultats obtenus dans ce projet restent préoccupants. En effet, une augmentation non négligeable de la proportion de divergences à potentiel sérieux a été observée (17,2 % [28,4 % au cours des deux premières phases du projet et 13,4 % durant la dernière phase du projet] comparativement à 11,4 % en 2010). De plus, contrairement aux résultats obtenus en 2008 et en 2010, des divergences mettant potentiellement en jeu le pronostic vital ont été observées (3,4 %)3,4. En outre, comme le montre la figure 2, la proportion de patients touchés par les divergences non intentionnelles ayant des retombées potentielles significatives, graves ou engageant le pronostic vital est plus élevée au cours de la dernière phase que durant les deux premières phases du projet. Cependant, bien qu’un événement iatrogénique médicamenteux puisse survenir après l’administration d’une seule dose erronée, le risque associé à la prise d’une ou de deux doses d’un médicament prescrit par erreur dans le service des urgences nous semble malgré tout moindre que la prise répétée d’un médicament prescrit de façon erronée si une telle erreur perdure tout au long de l’hospitalisation du patient. Par conséquent, les résultats présentés pourraient être considérés comme associés à un faible risque si les divergences sont prises en charge dans un délai de moins de 24 heures. Cependant, une vigilance accrue des pharmaciens du secteur de distribution ainsi que la mise en place d’un processus sans danger et rapide de mise en place et de réalisation des BCM semblent nécessaires pour limiter les risques pour le patient.
De plus, comme les résultats de la dernière phase du projet le montrent, près de 60 % des divergences non intentionnelles mises en évidence n’ont pas été résolues, soit parce que les pharmaciens concernés n’ont pas jugé nécessaire de le faire, soit parce que le patient avait déjà quitté l’établissement. Bien que les équipes médicales n’aient corrigé que 12,5 % des divergences non intentionnelles relevées, ce résultat peut avoir été influencé tant par la rapidité des corrections effectuées par les pharmaciens que par la volonté non enregistrée de ces derniers de ne pas effectuer de corrections. Cependant, puisque les divergences non intentionnelles mises en évidence concernent des médicaments potentiellement dangereux, un processus complémentaire permettant de sécuriser l’admission du patient et d’enregistrer l’intention médicale de corriger ou non la divergence semble nécessaire si l’information transmise par le DSQ est utilisée pour réaliser les ordonnances initiales au service des urgences.
Le projet a réservé une part importante à la formation des médecins et des pharmaciens sur les lacunes du DSQ et sur la manière de compenser ces dernières, notamment par le biais d’un questionnaire au patient et de la consultation du profil pharmacologique, ainsi que sur l’importance pour le médecin de bien communiquer ses intentions. Tout au long du projet, des rappels fréquents ont été nécessaires. L’augmentation importante de la proportion de divergences intentionnelles enregistrées en dernière phase du projet et la réduction de moitié des prescriptions de médicaments inactifs ou dupliqués semblent être le fruit de tels rappels.
L’ensemble des intervenants participant au projet ont apprécié l’utilisation du formulaire DSQC-N en raison de l’absence de retranscription, de la diminution du nombre d’ordonnances incomplètes ainsi que de la facilité d’interprétation (l’information est toujours présentée de la même manière, quelle que soit la pharmacie du patient). Le problème d’accès ainsi que la gestion des clés d’accès au DSQ demeurent toutefois des défis importants qui devront être relevés pour une utilisation de ce formulaire à plus grande échelle.
Le choix du profil de pharmacie communautaire comme comparatif pour mettre en évidence les divergences peut sembler discutable. Le taux d’erreurs aurait probablement été supérieur si le comparatif avait été le meilleur schéma thérapeutique possible (MSTP), comme le processus de BCM le préconise5. Toutefois, comme le MSTP est souvent réalisé après la rédaction des ordonnances initiales dans un hôpital à fort volume d’activités, le processus de BCM se fait après la décision d’admettre le patient. Il ne s’agissait pas ici de déterminer si le DSQ représentait une base acceptable pour le BCM, mais bien s’il pouvait servir de base de prescription initiale dans le service des urgences, comme l’est le profil dans d’autres établissements.
Les limites rencontrées au cours de la réalisation de ce projet pilote sont principalement l’aspect rétrospectif de l’analyse effectuée au cours de la dernière phase du projet, la présence de deux pharmaciens effectuant la collecte de données, ce qui peut créer un biais d’interprétation, ainsi que le manque de traces écrites de l’intention médicale dans les ordonnances, ce qui peut surestimer le nombre de divergences non intentionnelles. Afin de réduire au minimum les deux premières limites, chaque divergence relevée a été révisée par un pair, pour une meilleure validité externe de l’outil. En vue de limiter les répercussions des biais d’information favorisés par l’analyse rétrospective des données au cours de la dernière phase du projet, les médecins ont été rencontrés à quelques reprises afin de leur rappeler à quel point il était important qu’ils enregistrent leurs actes médicaux pour que les communications entre les intervenants s’améliorent et que le risque d’événements iatrogéniques liés à la médication diminue. En ce qui concerne les résultats sur les répercussions de l’utilisation du formulaire DSQC-N sur la charge de travail des différents professionnels, un biais de sélection demeure présent puisque les résultats étaient tributaires des réponses obtenues.
L’utilisation du formulaire DSQC-N semble sans danger dans un contexte d’urgence et a été fort appréciée des médecins. Cependant, pour que l’admission du patient soit également sans danger, l’obtention du profil provenant de la pharmacie communautaire est essentielle en raison des nombreuses différences mises en évidence entre l’information contenue dans les formulaires DSQC-N et l’information transmise par les pharmacies. Enfin, le processus de BCM, incluant un questionnaire, doit être mis en place pour les patients admis afin de réduire les erreurs d’omission ou d’ajouts inadéquats de médicament, ainsi que les erreurs de posologie.
Aucun financement en relation avec le présent article n’a été déclaré par les auteurs.
Tous les auteurs ont rempli et soumis le formulaire de l’ICMJE pour la divulgation de conflits d’intérêts potentiels. Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec le présent article.
Nous tenons à remercier particulièrement mesdames Anne Bertrand et Karine Pelletier, pharmaciennes au CHU de Québec-Université Laval, Hôtel-Dieu de Québec pour l’aide précieuse apportée à la réalisation de ce projet. Une autorisation écrite a été obtenue de ces personnes.
1. Ministère de la Santé et des Services sociaux. Gouvernement du Québec, 2000. Guide de gestion de l’unité d’urgence. [en ligne] https://www.amuq.qc.ca/assets/memoires-et-positions/Guide_de_gestion_de_l_unite_d_urgence.pdf?phpMyAdmin=i%2CheTT%2CBhLKb96mm75DwfLeUjab (site visité le 22 janvier 2016).
2. Ministère de la Santé et des Services sociaux. Gouvernement du Québec, 2013. Dossier Santé Québec. [en ligne] www.dossierdesante.gouv.qc.ca (site visité le 22 janvier 2016).
3. Blanchet M. Évaluation de l’impact clinique de la réalisation d’un bilan comparatif des médicaments au Centre hospitalier affilié universitaire de Québec. Pharmactuel 2010;43:188–95.
4. Couture I, Blanchet M, Moreau-Rancourt M-E. Évaluation de l’impact clinique de la réalisation du bilan comparatif des médicaments à l’Hôpital de l’Enfant-Jésus du Centre hospitalier affilié universitaire de Québec. Pharmactuel 2011;44:210–6.
5. Agrément Canada, 2015. Pratiques organisationnelles requises – Livret 2016. [en ligne] http://accreditation.ca/sites/default/files/rop-handbook-2016-fr.pdf (site visité le 23 février 2016).
PHARMACTUEL, Vol. 49, No. 3, 2016