Maude Blanchet1,2, B.Pharm., M.Sc.
Reçu le 6 juin 2016; Accepté après révision le 25 juillet 2016
Résumé
Objectif : L’objectif principal de ce projet est de décrire la prise en charge des divergences relevées au cours de l’utilisation d’un formulaire de prescription contenant des renseignements issus du Dossier Santé Québec, afin d’en estimer les répercussions cliniques sur la qualité et la sécurité des soins et des services offerts aux patients.
Mise en contexte : Après un premier projet de mise en œuvre du formulaire d’ordonnance à l’Hôtel-Dieu de Québec (Centre hospitalier universitaire de Québec-Université Laval), l’utilisation de ce formulaire a été jugée sans danger dans le contexte des urgences. Toutefois, les délais de prise en charge des divergences relevées entre les données du formulaire et celles du Dossier Santé Québec par les équipes médicales et l’équipe de la pharmacie dans un contexte d’utilisation à plus grande échelle demeuraient un enjeu de sécurité.
Résultat : Ce projet s’est déroulé du 6 au 31 juillet 2015. Les données ont été collectées prospectivement. Au total, 111 patients ont été inclus dans l’analyse de sécurité. Parmi les 108 divergences non intentionnelles relevées, seules des divergences potentiellement non significatives n’ont pas été résolues pour le sous-groupe de patients admis à l’hôpital. Plus de 80 % des divergences non intentionnelles étaient résolues dans les 24 heures suivant l’utilisation du formulaire.
Conclusion : L’utilisation d’un formulaire d’ordonnances initiales présentant des renseignements issus du Dossier Santé Québec semble sans danger dans un contexte d’urgence. L’existence d’un processus permettant la réalisation de bilans comparatifs des médicaments pour les patients admis à l’hôpital semble favoriser la prise en charge des divergences non intentionnelles relevées.
Mots clés : Dossier Santé Québec, ordonnance initiale, urgence
Abstract
Objective: The primary objective of this project is to describe the management of discrepancies identified after the use of a prescription form completed with information from the Quebec Health Record in order to assess the clinical impact on the quality and safety of patient care and services.
Background: After the completion of a first project for implementing the prescription form at the Hôtel-Dieu de Québec and the Centre hospitalier universitaire de Québec-Université Laval, it was considered safe to use in the emergence department. However, the amount of time needed to manage discrepancies by the medical and the pharmacy team still presented a safety concern.
Results: The project took place from July 6 to July 31, 2015. Data were collected prospectively. In all, 111 patients were included in the project. Of the 108 unintentional discrepancies identified, only discrepancies with a non-significant potential for serious consequences were not resolved for the subgroup of admitted patients. More than 80% of the unintentional discrepancies were resolved within the first 24 hours following the use of this new form.
Conclusion: The use of an initial prescription form completed with information from the Quebec Health Record seems safe in the emergency department. The existence of a medication reconciliation process for patients who are admitted seems to promote the management of identified unintentional discrepancies.
Key words: Emergency, initial prescription, Quebec Health Record
Depuis sa mise en application, l’utilisation du bilan comparatif des médicaments (BCM) dans les établissements de santé a permis une amélioration de la communication entre les divers intervenants prodiguant les soins aux patients, et donc une diminution du risque d’événements iatrogéniques médicamenteux1–7. Bien que sûr, le BCM demande toutefois temps et énergie et incite ainsi les professionnels de la santé à s’investir davantage pour les patients admis à l’hôpital que pour ceux qui consultent le service des urgences. Cette façon de procéder permet aux intervenants de prendre le temps de réaliser chacune des étapes de l’élaboration d’un BCM, notamment l’obtention de la liste des médicaments pris avant l’admission ainsi que l’entrevue auprès du patient, tout en ciblant mieux la population susceptible de franchir plusieurs points de transitions8.
Dans le service des urgences, la situation est tout autre. En effet, la prescription des médicaments habituellement pris par le patient avant sa consultation pose des défis d’une tout autre envergure. Parmi les problèmes rencontrés, citons le fait de ne pas avoir accès en temps opportun à la liste des médicaments pris par le patient. Ceci s’explique en raison d’un service des urgences qui fonctionne en continu – contrairement aux heures d’ouverture plus restreintes des pharmacies communautaires –, mais également en raison des délais engendrés par les procédures de demande de transmission de profil de patient, et des délais de traitement et de réponse à cette demande. En outre, puisque la présentation de l’information varie d’une pharmacie à l’autre, un tri des renseignements transmis est souvent nécessaire pour que cette liste puisse être facilement interprétée et utilisée en toute sécurité. De plus, la retranscription des renseignements issus des profils des pharmacies communautaires sur les formulaires d’ordonnances de l’établissement demande parfois au médecin un temps considérable, ce qui, dans un contexte d’urgence, pourrait favoriser la rédaction d’ordonnances erronées ou incomplètes. Ces procédures de simplification nécessitent donc du temps et des ressources humaines qui n’existent pas toujours dans un contexte d’urgence, de pénurie de main-d’ œuvre et de restriction budgétaire.
Le Dossier Santé Québec (DSQ) offre une solution intéressante, puisqu’il permet d’obtenir rapidement et à toute heure l’information sur les médicaments fournis par les pharmacies communautaires participantes pour les patients qui n’ont pas exercé leur droit de refus9. En plus de répondre aux besoins du service des urgences, l’utilisation du DSQ permet également de recentrer le travail des assistants techniques en pharmacie qui participent à l’élaboration des BCM pour les patients admis et ceux jugés les plus susceptibles de présenter un événement iatrogénique médicamenteux. À l’heure actuelle, le Centre hospitalier universitaire (CHU) de Québec-Université Laval permet à ses cliniciens d’accéder à cette information grâce au portail Cristal-NetMD, le dossier clinique informatisé de l’établissement. Une fois l’information appelée dans le DSQ à l’aide d’une clé-intervenant, elle peut être sélectionnée et présentée sous la forme d’une ordonnance, grâce aux travaux menés par la Direction des technologies de l’information du CHU de Québec-Université Laval. Cependant, un premier projet pilote de mise en œuvre de cette ordonnance à l’Hôtel-Dieu de Québec a révélé que l’utilisation de ce formulaire d’ordonnance entraînait plusieurs problèmes. Des omissions étaient observées, en raison de l’absence des ordonnances futures ou des modifications de posologie non fournie par la pharmacie communautaire10. Des duplications d’ordonnances de médicaments présents plus d’une fois ou encore non délivrés depuis plusieurs mois ont engendré certaines des erreurs relevées. Afin de limiter les ajouts de médicaments inappropriés, le formulaire d’ordonnance a été modifié, en y rajoutant un tri alphabétique permettant de mieux mettre en évidence les duplications, ainsi qu’une séparation – précédée d’un avis – des médicaments non renouvelés depuis plus de 90 jours.
Après ce premier projet de mise en œuvre du formulaire d’ordonnance, le processus a été jugé sécuritaire dans un contexte d’urgence10. Toutefois, les délais de prise en charge des divergences par les équipes médicales et l’équipe de la pharmacie dans un contexte d’utilisation à plus grande échelle demeuraient un enjeu de sécurité. À l’Hôpital de l’Enfant-Jésus, des assistants techniques en pharmacie effectuent depuis plusieurs années un tri des médicaments délivrés par les pharmacies communautaires, avant de saisir ces données directement dans le logiciel GesphaRx8MD du département de pharmacie. Cette liste simplifiée, commentée et à jour est imprimée sur un formulaire spécifique pouvant servir à préparer les BCM. Elle est également intégrée aux ordonnances hospitalières actives, ce qui permet aux pharmaciens d’avoir accès en tout temps, notamment au moment de la validation des ordonnances, à la liste des médicaments pris à domicile. L’hypothèse initiale sousjacente à la réalisation de ce deuxième projet de mise en place d’un formulaire d’ordonnance présentant l’information issue du DSQ est que son utilisation s’avère également sans danger pour les patients admis à l’hôpital, lorsqu’il existe un processus systématique d’élaboration des BCM. En effet, l’encadrement de l’utilisation du DSQ, notamment par la formation des utilisateurs quant aux limites du DSQ, le recours à un questionnaire ciblé auprès du patient, les améliorations apportées au formulaire ainsi que la présence d’un processus élargi de mise en place et d’élaboration des BCM à l’Hôpital de l’Enfant-Jésus, devraient permettre une prise en charge sans danger des divergences non intentionnelles relevées au cours de l’utilisation du formulaire.
L’objectif principal de ce projet est de décrire la prise en charge des divergences relevées au cours de l’utilisation d’un formulaire de prescription de la médication prise à domicile, basé sur les données du DSQ et généré par le logiciel Cristal-NetMD dans le service des urgences et les unités de soins, ainsi que d’estimer les répercussions cliniques potentielles sur la qualité et la sécurité des soins et des services offerts aux patients.
Le projet s’est déroulé du 6 au 31 juillet 2015 dans le service des urgences de l’Hôpital de l’Enfant-Jésus du CHU de Québec-Université Laval. Après la réalisation du premier projet pilote de mise en place d’un formulaire d’ordonnance dont l’information est issue du DSQ, les commentaires des utilisateurs ont été recueillis afin d’améliorer le formulaire10. Ainsi, une alerte y a été ajoutée afin d’indiquer les médicaments non renouvelés depuis plus de 90 jours, et le tri des médicaments a été modifié en accordant la priorité à l’ordre alphabétique puis à la date de la dernière délivrance, pour aider les prescripteurs à déceler d’éventuelles duplications.
Avant de démarrer le projet, une formation portant sur les bonnes méthodes d’utilisation du formulaire d’ordonnance, sur les lacunes connues du DSQ ainsi que sur les résultats obtenus au cours du projet précédent a été offerte tant aux urgentistes et aux pharmaciens qu’au personnel de soins infirmiers responsables de la formation du personnel.
La population à l’étude était composée des patients installés sur civière dans le service des urgences de l’Hôpital de l’Enfant-Jésus du CHU de Québec-Université Laval. Pour être inclus dans l’étude, les patients devaient avoir dans leur dossier une ordonnance rédigée sur le formulaire élaboré par l’équipe des technologies de l’information du CHU de Québec-Université Laval et accessible par l’application Cristal-NetMD. Les patients étaient ciblés à la suite d’une vérification de l’ensemble des ordonnances transmises tous les jours par le service des urgences par l’entremise du logiciel de numérisation de la pharmacie. Les profils pharmacologiques provenant des pharmacies communautaires étaient nécessaires pour effectuer l’analyse de sécurité du processus visant à comparer l’information présente sur le formulaire d’ordonnance et l’information transmise par les pharmacies. Les patients dont le dossier ne contenait pas ces profils pharmacologiques étaient donc exclus de l’analyse.
Les données ont été collectées prospectivement, le cas échéant jusqu’à la fin de l’hospitalisation des patients, à l’aide des informations disponibles dans les dossiers des patients. Chaque dossier a été évalué indépendamment par une étudiante en pharmacie ainsi que par la chercheuse principale, et chaque divergence notée entre les deux évaluations entraînait une réévaluation du dossier. Comme pour le premier projet réalisé à l’Hôtel-Dieu de Québec, des données ont été colligées concernant les problèmes constatés sur l’ordonnance : mauvaise utilisation du formulaire, ordonnance incomplète ou ambigüe, interprétation erronée des données ou divergence non intentionnelle entre l’ordonnance de l’urgentiste et ce que l’on présumait que le patient prenait à domicile. Une divergence était considérée comme non intentionnelle (erreur médicamenteuse) lorsqu’elle semblait non souhaitée par le prescripteur, c’est-à-dire qu’aucune information pouvant expliquer la modification de la thérapie n’était présente dans le dossier. Des exemples de divergences non intentionnelles étaient l’omission d’un médicament non présent dans le DSQ, la prescription d’une dose erronée car l’ordonnance présentant la dose réelle est en attente à la pharmacie communautaire et absente du DSQ, ou encore une nouvelle prescription d’un antibiotique qui figure encore dans le DSQ actif en raison du délai de grâce alors que le traitement est terminé et que le patient ne présente aucun signe d’infection. Puisque l’objectif de ce projet était d’évaluer la prise en charge réelle des divergences par les équipes, aucune intervention n’était réalisée par la chercheuse principale, à moins que le risque d’événement indésirable ne soit jugé trop important.
Le point de comparaison pour établir la présence d’une divergence était le profil de la pharmacie communautaire, car le projet ne prévoyait pas un recueil systématique des antécédents médicamenteux des patients. Enfin, la sécurité du processus a été évaluée selon la proportion des divergences non intentionnelles résolues par la suite, ainsi que le délai de résolution de ces dernières.
Des mesures de tendance centrale ont servi à décrire les variables quantitatives comme l’âge, le nombre de médicaments présents sur les formulaires d’ordonnance, le nombre de médicaments prescrits et le délai de résolution. Les variables qualitatives (types de divergences, classes médicamenteuses concernées, potentiel de gravité des divergences, personnel responsable de la résolution de la divergence) ont quant à elles été exprimées en proportion, sous forme de pourcentages. Les divergences non documentées ont été classées selon l’échelle de potentiel de gravité utilisée dans les précédents projets de recherche du Centre hospitalier affilié universitaire de Québec3.
Au total, 118 patients ont été inclus dans le projet, dont 59 (50 %) ont été admis à l’hôpital par un médecin spécialiste après leur évaluation dans le service des urgences. L’âge moyen des patients était de 70 ± 15,8 ans (intervalle : 22 à 94 ans). Sur l’ensemble des formulaires utilisés, 1 617 médicaments ont été relevés, dont 224 médicaments dupliqués et 225 médicaments non délivrés depuis plus de 90 jours. À la fin du projet, 867 médicaments (53,6 %) ont été prescrits sur les formulaires d’ordonnance, ce qui représente une moyenne de 7,3 ± 4,5 médicaments par formulaire (intervalle : 1 à 21 médicaments). Parmi l’ensemble des ordonnances réalisées, 17 duplications médicamenteuses ont été relevées et huit médicaments ont été prescrits bien qu’ils n’aient pas été délivrés dans les 90 derniers jours. Enfin, 415 médicaments, délivrés dans les 90 derniers jours, n’ont pas été prescrits par les urgentistes. La catégorie de médicaments « autre », qui comprenait notamment les bisphosphonates, les vitamines et les crèmes, représentait la catégorie la moins souvent prescrite (26,1 %). Les autres classes de médicaments les moins prescrites étaient les médicaments cardiovasculaires (11,1 %) ainsi que ceux agissant sur le système nerveux central (9,6 %) ou l’appareil digestif (8,8 %).
Cent onze patients (94,1 %) ont pu être inclus dans l’analyse de sécurité, dont 58 (52,3 %) patients admis à l’hôpital; sept patients ont été exclus puisque leur profil provenant des pharmacies communautaires ne figurait pas dans leur dossier. Dans près de la moitié des cas (55 patients; 46,6 %), le profil était disponible avant l’impression du formulaire d’ordonnance (délai moyen avant l’impression pour ces patients : 3 h 37 [intervalle : 11 minutes à 11 h 53]) et pouvait donc être consulté au moment de la rédaction des ordonnances.
Au total, 641 divergences ont été relevées, dont 84 divergences intentionnelles documentées (13,1 %), 449 divergences intentionnelles non documentées (70 %) et 108 divergences non intentionnelles (16,8 %), pour un taux d’erreur de 0,97 et un taux de divergence de 5,02 par dossier. Parmi les 111 patients pour lesquels une analyse de sécurité a pu être réalisée, cinq (4,2 % soit 3/53 pour les patients en observation dans le service des urgences et 2/58 pour les patients admis) n’étaient associés à aucune divergence ou à des divergences intentionnelles documentées uniquement. Le tableau I présente la répartition des divergences selon le statut des patients (en observation dans le service des urgences ou admis à l’hôpital). La majorité des divergences non intentionnelles relevées concernaient des omissions de médicaments en raison de l’absence de ces derniers sur les formulaires (67,6 %), et 34,3 % des divergences non intentionnelles auraient pu provoquer un événement iatrogénique significatif ou grave pour le patient (tableau I). Aucune divergence non intentionnelle ne présentait un potentiel de gravité pouvant engendrer le pronostic vital si cette dernière n’était pas résolue. La figure 1 montre la répartition des divergences non intentionnelles selon les types d’erreurs relevées, tandis que la figure 2 présente les divergences non intentionnelles selon leur potentiel de gravité.
Tableau 1 Description des types de divergences relevées et de leur résolution selon les différentes populations étudiées
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Figure 1 Proportion des différents types de divergences non intentionnelles relevées |
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Figure 2 Répartition des divergences non intentionnelles selon leur potentiel de gravité |
À la fin du projet, 236 (42,4 %) divergences intentionnelles non documentées et non intentionnelles ont été résolues, dont 199 (84,3 %) dans les 24 heures suivant la rédaction des ordonnances dans le formulaire (tableau I). Bien que 50 % des divergences possiblement significatives et 27,3 % des divergences potentiellement graves n’aient pas été résolues avant le départ du patient de l’établissement, ces deux types de divergences ont toutes été revues et corrigées pour les patients admis à l’hôpital. Malgré la présence des profils provenant des pharmacies communautaires dans les dossiers, les omissions de médicament demeurent le type de divergences non intentionnelles non résolues les plus fréquemment rencontrées. La figure 3 présente le statut de résolution des divergences non intentionnelles relevées en fonction du type d’erreur et de leur potentiel de gravité. Les équipes médicales ont résolu 42,2 % des divergences non intentionnelles relevées, comparativement à 4,4 % par les urgentologues et 53,3 % par la pharmacie. Au total, 83,3 % des divergences non intentionnelles résolues par la pharmacie ont été corrigées après l’intervention des pharmaciens présents dans le secteur de distribution; 75 % de ces divergences concernaient des ajouts de médicaments, comme des duplications, des médicaments prescrits et présents sur le formulaire en raison du délai de grâce, ou encore des médicaments prescrits qui n’étaient pas pris par le patient (analyse des dates de la dernière délivrance).
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Figure 3 Proportion de résolution des divergences non intentionnelles selon le type d’erreur relevé ou leur potentiel de gravité |
Les résultats présentés confirment l’hypothèse initiale, c’est-à-dire que l’utilisation du formulaire d’ordonnance contenant des renseignements sur les médicaments issus des données du DSQ s’avère un outil intéressant, et que ce dernier demeure sécuritaire lorsqu’un processus d’élaboration des BCM est disponible pour les patients admis à l’hôpital.
Les résultats de cette deuxième phase de mise en œuvre du formulaire d’ordonnance issu du DSQ dans les services des urgences du CHU de Québec-Université Laval semblent indiquer que les améliorations apportées au formulaire d’ordonnance après le projet initial effectué à l’Hôtel-Dieu de Québec, ainsi que les formations offertes aux urgentistes et aux pharmaciens de l’Hôpital de l’Enfant-Jésus, ont favorisé une utilisation simplifiée et plus sécuritaire du formulaire. En effet, dans le projet présenté, peu de médicaments ont été doublement prescrits ou prescrits alors que les renseignements présents dans le formulaire semblaient indiquer que le patient ne prenait plus le médicament ou le prenait d’une manière différente de celle mentionnée dans l’ordonnance initiale (prescriptions doubles : 17/867 [2 %] comparativement à 197/3 494 [5,6 %] dans le projet précédent; prescriptions superflues : 8/867 [0,9 %] comparativement à 51/3 494 [1,5 %] dans le projet précédent)10. Ainsi, la proportion de divergences non intentionnelles concernant l’ajout de médicaments a diminué de 32,9 % à 21,3 %. Le classement alphabétique des médicaments, qui permet la découverte plus rapide des duplications, et la possibilité d’ajouter des mises en garde, comme « médicaments non renouvelés depuis plus de 90 jours », favorisent une prescription plus sécuritaire des médicaments tout en offrant une meilleure prise en charge des lacunes actuelles du DSQ.
Bien que l’utilisation de ce type de formulaire augmente le nombre de divergences relevées en raison de l’absence de nouvelle prescription de médicaments jugés non nécessaires pour une observation au service des urgences (415 médicaments, dont des statines, des bisphosphonates, des laxatifs, des crèmes ou des inhalateurs), la majorité des divergences relevées (70 %) représentent des divergences intentionnelles non documentées. Bien que ce type de divergences puisse favoriser l’incompréhension ou le questionnement de certains professionnels prodiguant des soins aux patients, elles demeurent tout de même moins préoccupantes que les divergences non intentionnelles. De plus, les résultats du projet actuel semblent indiquer une meilleure compréhension de l’outil proposé, puisque le taux d’erreur est inférieur à celui observé dans les projets antérieurs (taux d’erreur de 0,97 dans le projet actuel, comparativement à 1,31 dans la dernière phase du projet de mise en œuvre du DSQ réalisé à l’Hôtel-Dieu de Québec, et à respectivement 1,23 et 1,3 dans les projets portant sur la mise en place des processus d’élaboration de BCM dans les hôpitaux de l’Enfant-Jésus [2008] et du Saint-Sacrement [2010])3,4,10. Finalement, la proportion de patients pour lesquels des divergences non intentionnelles ont été relevées est également inférieure à celle observée dans la dernière phase du projet de mise en œuvre du DSQ à l’Hôtel-Dieu de Québec (respectivement 19,8 % et 7,2 % pour les divergences potentiellement significatives et graves, comparativement à 77,3 % et 38,8 %)10. Toutefois, en raison du taux élevé de divergences (5,02) et bien qu’une justification ne soit pas exigée pour l’ensemble des médicaments qui ne sont pas represcrits par les urgentistes, une note explicative est maintenant demandée pour les médicaments à haut risque, comme les narcotiques à hautes doses ou la clozapine, afin d’éviter un questionnement ou des démarches supplémentaires de vérification auprès du médecin ou de l’infirmière, et de faciliter ainsi le travail effectué en distribution.
Contrairement au projet réalisé à l’Hôtel-Dieu de Québec où des pharmaciennes attitrées au projet réévaluaient rapidement l’ensemble des ordonnances réalisées sur le formulaire fourni, le projet actuel voulait décrire l’utilisation d’un tel formulaire dans un contexte réel, c’est-à-dire sans intervention du chercheur. Ainsi, bien que la proportion de divergences non intentionnelles concernant les omissions demeure préoccupante (67,6 %), le taux de résolution de ces divergences et des erreurs de doses, de posologies ou d’ajouts de médicaments pour la population admise à l’hôpital est encourageant. De plus, aucune divergence non intentionnelle significative ou grave n’est demeurée irrésolue pour les patients admis à l’hôpital (figure 3).
Peu d’ordonnances d’admission ont été réalisées à l’aide des formulaires de BCM élaborés par les assistants techniques en pharmacie, en raison du changement apporté à la chaîne de travail quant à la priorisation de la saisie des médicaments délivrés au domicile lorsque les patients ont une demande d’admission. Cependant, l’existence d’un processus d’élaboration des BCM semble favoriser une utilisation plus sécuritaire d’un formulaire d’ordonnance utilisant les renseignements contenus dans le DSQ. En effet, la présence, dans le dossier du patient, du profil provenant des pharmacies communautaires et d’une liste des médicaments délivrés au domicile simplifiée par le tri et la saisie de l’information effectués par un assistant technique en pharmacie, ainsi que la mise en évidence rapide des divergences non intentionnelles par les pharmaciens, y compris ceux du secteur de la distribution, facilitent la prise en charge des patients et sécurisent l’utilisation d’un tel formulaire. Enfin, le délai de résolution des divergences est jugé raisonnable puisque plus de 80 % de ces dernières ont été résolues dans les 24 heures suivant l’utilisation du formulaire, ce qui diminue le risque d’événement iatrogénique médicamenteux pour les patients.
En outre, les résultats obtenus confirment l’hypothèse émise lors de la réalisation du projet à l’Hôtel-Dieu de Québec quant à l’implication moindre des équipes médicales dans la prise en charge des divergences non intentionnelles en raison de la rapidité d’intervention des pharmaciennes attitrées au projet. En effet, la proportion de divergences non intentionnelles résolues par les équipes médicales a augmenté de 30,3 % à 46,6 %. De plus, la participation des pharmaciens, principalement du secteur de la distribution, est essentielle pour sécuriser l’utilisation d’un tel formulaire. En effet, leur vigilance est responsable de la résolution de 83,3 % des divergences non intentionnelles. Une meilleure connaissance de l’outil et des erreurs relevées dans le précédent projet peuvent expliquer la grande différence observée entre les deux projets (résolution des divergences non intentionnelles par le secteur de distribution : 83,3 % dans ce projet, comparativement à 30,4 % dans le projet antérieur)10. Enfin, il est possible que le processus actuel d’élaboration des BCM à l’Hôpital de l’Enfant-Jésus ait également favorisé une meilleure prise en charge des divergences non intentionnelles par le secteur de distribution. En effet, la présence continue de la liste des médicaments délivrés au domicile dans le dossier pharmacologique hospitalier a pu aider à la mise en évidence et à la prise en charge de divergences non intentionnelles autres que les ajouts, puisque le quart des divergences non intentionnelles résolues par le secteur de distribution concernait des erreurs d’omission, de dose ou de posologie.
Les limites rencontrées au cours de la réalisation de ce projet sont principalement l’évaluation subjective du potentiel de gravité des divergences non intentionnelles ainsi que la surestimation possible de leur nombre, favorisée par le manque de documentation de l’intention médicale dans les ordonnances. Tout comme dans les projets effectués antérieurement, une révision par un pair de chaque divergence relevée a permis de limiter les conséquences d’un biais d’interprétation4,5.
La réalisation de ce second projet de mise en œuvre de l’utilisation d’un formulaire d’ordonnance amélioré contenant des renseignements issus du DSQ semble sans danger dans un contexte d’urgence, alors que l’existence d’un processus d’élaboration des BCM pour les patients admis à l’hôpital semble favoriser la prise en charge des divergences non intentionnelles relevées. Cependant, un processus d’élaboration des BCM (y compris un questionnaire auprès du patient ou un partenariat avec ce dernier pour la découverte et la résolution des ordonnances erronées ou absentes sur un tel formulaire) doit être mis en place pour les patients admis à l’hôpital afin de réduire les erreurs d’omission et de posologie ainsi que les délais de résolution de ces erreurs.
Aucun financement en relation avec le présent article n’a été déclaré par les auteurs.
L’auteure a rempli et soumis le formulaire de l’ICMJE pour la divulgation de conflits d’intérêts potentiels. L’auteure n’a déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec le présent article.
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