Corticothérapie par voie générale et pneumonie acquise en communauté: illusion de l’évidence

Mathieu Simon1,2, MD, FRCPC, FCCM

1Pneumologue-intensiviste, Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec-Université Laval, Québec (Québec), Canada;
2Professeur agrégé, Faculté de médecine, Université Laval, Québec (Québec), Canada

Reçu le 28 juin 2016; Accepté après révision le 30 juin 2016

La médecine attend beaucoup des corticostéroïdes. Ces médicaments engendrent une vaste inhibition des différentes cascades inflammatoires, ce qui ouvre des possibilités à tout le moins théoriques pour la prise en charge de maladies pour lesquelles de telles cascades sont cliniquement prépondérantes. L’intéressant article de Blum et coll. commenté dans cette édition de Pharmactuel apporte un nouveau témoignage sur ce sujet1,2.

La pneumonie acquise en communauté (PAC) est une maladie ayant de lourdes conséquences pour la société: elle est fréquente, coûte cher et est trop souvent mortelle. Les maladies, les décès et la majorité des coûts associés à la PAC sont principalement dus à ses complications inflammatoires, comme le syndrome de réponse inflammatoire systémique (SRIS), le sepsis et le syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA). Une fois ces troubles installés, les corticostéroïdes se sont avérés inaptes à traiter ces complications, d’où l’intérêt d’envisager une corticothérapie précoce pour les patients vulnérables qui n’ont pas encore manifesté de complications inflammatoires.

La stratégie utilisée par Blum et coll. se révèle efficace; elle entraîne principalement une réduction de la durée des symptômes et donc de la durée du séjour hospitalier1. Bien que moins convaincant et plus subjectif qu’une réduction du nombre de maladies associées et de décès, ce résultat demeure néanmoins important pour un système de soins de santé aux ressources limitées.

Cinq méta-analyses contemporaines ont depuis conforté les conclusions de Blum et coll.37. Elles ont montré la même répercussion sur le délai avant d’atteindre la stabilisation clinique et la durée de séjour. Parmi ces cinq revues, celles de Siemieniuk, Marti et Horita montrent un avantage supplémentaire en matière de survie, mais seulement pour les patients dont le tableau clinique initial était déjà grave35. Toutes les méta-analyses montrent que l’usage de stéroïdes est associé à une plus haute prévalence d’hyperglycémie.

Les limites inhérentes à l’interprétation de ces données sont nombreuses, la principale étant l’hétérogénéité des cohortes et des doses des stéroïdes utilisées. Malgré cela, les conclusions des diverses études se rejoignent: la corticothérapie par voie générale s’avère utile comme thérapie d’appoint pour la prise en charge de la PAC nécessitant une hospitalisation. L’avantage organisationnel du raccourcissement de la durée de séjour semble s’appliquer à l’ensemble des patients. Le gain individuel (diminution du risque de décès) est moins certain et ne pourrait être démontrable que pour les cas les plus graves.

La question est la suivante: doit-on recommander l’usage systématique des stéroïdes dans le traitement de la PAC? Il y a un pas à franchir. Une telle recommandation ne pourrait être faite en l’absence de données probantes prospectives de bonne qualité qui permettraient entre autres d’établir plus clairement le régime stéroïdien à utiliser.

La prudence s’impose aussi en raison de la fréquence nettement plus importante des hyperglycémies observée avec la corticothérapie dans l’ensemble des études1,37. L’hyperglycémie est un marqueur éprouvé de mauvais pronostic en présence de maladies graves. Son traitement par insulinothérapie protocolisée est l’une des sources d’erreurs médicamenteuses les plus fréquentes. Le risque réel, en dehors de protocoles de recherche bien encadrés, reste à évaluer.

Nous pourrions aujourd’hui tirer cette conclusion, aussi fragile que les données probantes en sa faveur: les corticostéroïdes limitent efficacement plusieurs manifestations inflammatoires associées à la PAC, améliorant la perception de l’état clinique du patient et résultant en un congé de l’hôpital plus précoce, sans effets indésirables aux conséquences cliniques mesurables. Un sous-groupe de patients à la présentation plus grave pourrait voir leur pronostic vital amélioré.

L’exactitude de cette interprétation pourrait être prochainement remise en question par les résultats de l’étude Extended Steroid in CAP(e) (ESCAPE) qui étudie l’effet d’une corticothérapie à doses décroissantes, d’une durée de 20 jours, sur le taux de mortalité associé à la pneumonie acquise en communauté8. Les multiples critères d’évaluation secondaires et le caractère prospectif de l’étude devraient jeter une lumière plus juste sur cette importante question.

Dans l’attente des résultats de cette étude, je réserverai dans ma pratique la corticothérapie aux patients nécessitant une prise en charge dans une unité de soins intensifs, en raison du gain de survie possible et de l’assurance d’un meilleur suivi et de la prise en charge adéquate des dysglycémies éventuelles.

Financement

Aucun financement en relation avec le présent article n’a été déclaré par l’auteur.

Conflits d’intérêts

L’auteur a rempli et soumis le formulaire de l’ICMJE pour la divulgation de conflits d’intérêts potentiels. L’auteur n’a déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec le présent article.

Références

1. Wakim L, Wazzan D. L’ajout de la prednisone au traitement de la pneumonie acquise en communauté pour les patients hospitalisés. Pharmactuel 2016;49:147–51.

2. Blum CA, Nigro N, Briel M, Schuetz P, Ullmer E, Suter-Widmer I et coll. Adjunct prednisone therapy for patients with community-acquired pneumonia: a multicentre, double-blind, randomised, placebo-controlled trial. Lancet 2015;38:1511–8.
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3. Siemieniuk RA, Meade MO, Alonso-Coello P, Briel M, Evaniew N, Prasad M et coll. Corticosteroid therapy for patients hospitalized with community-acquired pneumonia: a systematic review and meta-analysis. Ann Intern Med 2015;163:519–28.
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4. Marti C, Grosgurin O, Harbarth S, Combescure C, Abbas M, Rutschmann O et coll. Adjunctive corticotherapy for community acquired pneumonia: a systematic review and meta-analysis. PLoS One 2015;10:e0144032.
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5. Horita N, Otsuka T, Haranaga S, Namkoong H, Miki M, Miyashita N et coll. Adjunctive systemic corticosteroids for hospitalized community-acquired pneumonia: systematic review and meta-analysis 2015 update. Sci Rep 2015;5:14061.
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6. Chen LP, Chen JH, Chen Y, Wu C, Yang XH. Efficacy and safety of glucocorticoids in the treatment of community-acquired pneumonia: a meta-analysis of randomized controlled trials. World J Emerg Med 2015;6:172–8.
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7. Wan YD, Sun TW, Liu ZQ, Zhang SG, Wang LX, Kan QC. Efficacy and safety of corticosteroids for community-acquired pneumonia: a systematic review and meta-analysis. Chest 2016;149:209–19.
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8. Extended Steroid in CAP(e) (ESCAPe). [en ligne] https://clinicaltrials.gov/ct2/show/NCT01283009 (site visité le 28 juin 2016).



Pour toute correspondance: Mathieu Simon, Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec-Université Laval, 2725, chemin Sainte-Foy, Québec (Québec), G1V 4G5, CANADA; Téléphone: 418 656-8711; Télécopieur: 418-656-4762; Courriel: Mathieu.Simon@criucpq.ulaval.ca

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PHARMACTUEL, Vol. 49, No. 3, 2016