Utilisation du dossier numérisé du patient pour aider les professionnels de la santé dans l’exercice de leurs fonctions

Bénédicte Gourieux1, D.Pharm.

1Pharmacien, Hôpitaux Universitaires de Strasbourg, Strasbourg, France

Reçu le 1 novembre 2016; Accepté après révision le 9 novembre 2016

Depuis de nombreuses années, le bilan comparatif des médicaments est largement reconnu comme une initiative importante pour assurer la sécurité des usagers. C’est une pratique organisationnelle requise définie comme priorité stratégique par Agrément Canada, qui a pour objectif de mettre cette pratique en œuvre dans tous les services des établissements de santé. La campagne ≪ Soins de santé plus sécuritaires maintenant! ≫ a également désigné le bilan comparatif des médicaments comme une priorité en matière de sécurité des usagers1. L’Organisation mondiale de la Santé a également élaboré un protocole normalisé pour la réalisation du bilan comparatif des médicaments, dans le cadre de ses interventions visant à améliorer la sécurité des usagers2.

En France, cette pratique, appelée conciliation des traitements médicamenteux, n’est pas encore à proprement parler une pratique exigible prioritaire définie par la Haute Autorité de Santé dans son manuel de certification des établissements de santé. Cependant, les experts de la Haute Autorité de Santé évaluent désormais la mise en œuvre effective d’une telle conciliation dans le cadre du critère d’évaluation ≪ Management de la prise en charge médicamenteuse du patient ≫ (une des pratiques exigibles prioritaires)3.

Si la mise en œuvre étendue du bilan comparatif en établissement de santé est ≪ naturelle ≫ pour prévenir l’iatrogénie médicamenteuse lors des points de transition du parcours de soins du patient, les professionnels de la santé doivent construire ce bilan comme un véritable outil transversal de coordination des soins communautaires et hospitaliers, pour tous les professionnels de la santé participants. Par ailleurs, dans le contexte actuel, l’organisation de cette pratique doit être efficiente et utiliser ou améliorer les ressources informatiques : logiciels de prescription informatisée, dossiers patients informatisés (dossiers médicaux électroniques)4. En France, en établissement de santé, le dossier patient informatisé et la prescription informatisée consolident la pratique de la conciliation médicamenteuse, en offrant selon les logiciels une saisie électronique du bilan médicamenteux et une interaction dynamique avec la prescription médicamenteuse réalisée par le médecin. Une telle pratique ne doit cependant pas s’arrêter au milieu hospitalier et doit intégrer les soins communautaires. Il s’agit alors de trouver des progiciels ≪ interopérables ≫ permettant de disposer d’un flux complet, sécurisé et transversal de renseignements sur les médicaments prescrits et dispensés en milieu hospitalier et communautaire.

En complément, les dossiers patients mis au point par la gouvernance de certains systèmes de santé (p. ex : Dossier Médical Partagé [DMP] en France, Dossier Santé Québec [DSQ] au Québec) ou par certains ordres professionnels (Dossier Pharmaceutique [DP] en France, élaboré par l’Ordre national des pharmaciens) constituent des sources d’information précieuses pour la réalisation des bilans comparatifs58.

Pour illustrer l’importance de ces dossiers informatisés, l’article de Blanchet rapporte la prise en charge des divergences relevées au cours de l’utilisation d’un formulaire d’ordonnances présentant des renseignements issus du DSQ dans un établissement de santé du Québec9. Les travaux réalisés montrent que les données contenues dans le DSQ constituent une source importante de renseignements qui doit être confrontée aux profils pharmacologiques transmis par les pharmacies communautaires pour permettre une prescription médicale la plus adéquate possible. Cependant, le DSQ est jugé opérationnel dans un service d’urgences à condition que les professionnels de la santé soient bien formés à la nature des données qui y sont enregistrées.

En 2016, 99,8 % des pharmacies communautaires de France ont mis en œuvre le DP8. L’enjeu du DP est aussi bien sécuritaire qu’économique, et il permet la prévention des redondances et des iatrogénies médicamenteuses. Le DP permet aux pharmaciens de consulter l’historique des médicaments qui ont été dispensés (avec et sans ordonnance) au cours des quatre derniers mois (au cours des trois dernières années pour les médicaments biologiques et au cours des 21 dernières années pour les vaccins). Cependant, l’accord du patient est requis pour l’ouverture du DP, et le patient peut s’opposer à l’enregistrement de certains médicaments dans le dossier. Le DP peut être consulté par les pharmaciens exerçant en milieu hospitalier (8,9 % des pharmacies d’établissement de santé en France sont connectées au DP). Entre le printemps 2013 et la fin 2015, le DP a fait l’objet d’une expérimentation auprès de certains médecins hospitaliers (anesthésistes, urgentistes, gériatres), qui ont été autorisés à le consulter avec l’accord des patients10. Cette expérimentation visait à mieux coordonner l’action entre les professionnels de santé communautaires et hospitaliers. Elle a donné lieu à la publication de l’article 97 de la loi n° 201641 du 26 janvier 2016 (Loi de modernisation de notre système de santé), qui généralise l’accès au DP à tous les médecins des établissements de santé11. Ainsi, le déploiement du DP dans les établissements de santé devrait s’accélérer en 2017. L’utilisation du DP à l’hôpital, qui contribue donc à relier les soins communautaires aux soins hospitaliers, fait l’objet de divers travaux12. C’est également un dispositif intégré dans certains projets de recherche portant sur l’organisation des soins.

Quant au DMP, il contient des renseignements relatifs à la prise en charge des patients : données d’identification du titulaire du DMP, données personnelles de santé, données médicales générales, données de soins, données de prévention, données images, et un espace d’expression du titulaire. Le DMP a donc pour vocation première d’améliorer la qualité des soins en facilitant la coordination et les échanges d’information entre les professionnels de la santé, mais sa mise en oeuvre peine à prendre de l’ampleur. Il faut noter que le DP sera déversé à terme dans le DMP (décret n° 2016-914 du 4 juillet 2016 relatif au dossier médical partagé)13. Les professionnels de la santé pourront alors disposer de données de santé plus complètes pour mieux prendre en charge leurs patients.

Le DSQ représente un fort enjeu du plan stratégique de la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ). Sa mise en oeuvre est étendue en milieu communautaire (95 % des pharmaciens du Québec mettent à jour la base de données avec les médicaments dispensés)14. Les banques de données du DSQ couvrent les domaines suivants : médicaments, laboratoire, imagerie médicale, immunisation, allergie et intolérance, résumés d’hospitalisation. Les efforts de la Régie portent actuellement sur la mise en place du dispositif dans les hôpitaux et les cliniques. Les professionnels de la santé, dont les pharmaciens, devront alors utiliser le DSQ pour rendre leur pratique professionnelle plus efficiente et pour sécuriser davantage la prise en charge et la coordination des soins de chaque patient.

En conclusion, même si à l’heure actuelle les systèmes informatiques et les bases de données en santé existent aussi bien en milieu hospitalier que communautaire et contribuent à fiabiliser l’information sur les traitements médicamenteux, ces richesses doivent être davantage exploitées dans le respect des professionnels et des patients.

Financement

Aucun financement en relation avec le présent article n’a été déclaré par l’auteur.

Conflits d’intérêts

L’auteur a rempli et soumis le formulaire de l’ICMJE pour la divulgation de conflits d’intérêts potentiels. L’auteur n’a déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec le présent article.

Références

1. Agrément Canada. Pratiques organisationnelles requises : livret 2016. 77 pages. [en ligne] http://accreditation.ca/sites/default/files/rop-handbook-2016-fr.pdf (site visité le 1er novembre 2016).

2. Organisation mondiale de la Santé. The High 5s Project – Standard Operating Protocol for Medication Reconciliation. Version 3, 2014. 36 pages. [en ligne] http://www.who.int/patientsafety/implementation/solutions/high5s/h5s-sop.pdf (site visité le 1er novembre 2016).

3. Haute Autorité de Santé. Manuel de certification des établissements de santé v2010. Janvier 2014. 112 pages. [en ligne] http://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_1732464/fr/manuel-de-certification-des-etablissements-de-sante-v2010-edition-janvier-2014 (site visité le 1er novembre 2016).

4. The Electronic Medication Reconciliation Group. Boîte à outils pour le remplacement du bilan comparatif des médicaments sur papier par sa version électronique. L’Institut pour l’utilisation sécuritaire des médicaments du Canada. 2014. 50 pages. [en ligne] http://www.patientsafetyinstitute.ca/fr/toolsresources/Pages/Paper-to-Electronic-MedRec-Implementation-Toolkit.aspx (site visité le 1er novembre 2016).

5. Commissio Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL) : Le dossier pharmaceutique. [en ligne] https://www.cnil.fr/fr/le-dossier-pharmaceutique-dp (site visité le 31 octobre 2016).

6. Fieschi M. L’opportunité du DMP pour l’élaboration d’un système d’information en santé. Numéro Spécial – Le dossier médical personnel. Actual Doss Santé Publ. Mars 2007 ;58:48–49.

7. Ministère de la Santé et des Services sociaux. Dossier Santé Québec. [en ligne] http://www.dossierdesante.gouv.qc.ca/ (site visité le 1er novembre 2016).

8. Ordre national des pharmaciens. Le dossier pharmaceutique. [en ligne] http://www.ordre.pharmacien.fr/Le-Dossier-Pharmaceutique (site visité le 1er novembre 2016).

9. Blanchet M. Prise en charge des divergences relevées au cours de l’utilisation d’un formulaire d’ordonnances présentant des renseignements issus du Dossier Santé Québec. Pharmactuel 2016;49:248–54.

10. Décret n° 2013-31 du 9 janvier 2013 – Conditions de l’expérimentation relative à la consultation du DP par les médecins. https://www.legifrance.gouv.fr/eli/decret/2013/1/9/AFSH1240405D/jo

11. Loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé. Journal Officiel du 27 janvier 2016 et rectificatif au JO du 9 avril 2016. [en ligne] https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000031912641&categorieLien=id (site visité le 1er novembre 2016).

12. Henry C, Fellous L, Lagrange A, Chiarabini T, Bedos A, Dinh A et coll. Intérêt du dossier pharmaceutique dans la conciliation médicamenteuse à l’entrée du patient en service de médecine aiguë. Pharm Hosp Clin 2016;51:68.

13. Décret n° 2016-914 du 4 juillet 2016 relatif au dossier médical partagé, pris en application de l’article 96 de la loi du 26 janvier 2016. Journal Officiel de la République Française du 5 juillet 2016. [en ligne] https://www.legifrance.gouv.fr/jo_pdf.do?id=JORFTEXT000032842901 (site visité le 1er novembre 2016).

14. Les données personnelles de santé gérées par l’assurance maladie. Mars 2016. 167 pages. Cour des comptes. [en ligne] www.ccomptes.fr - @Courdescomptes (site visité le 1er novembre 2016).



Pour toute correspondance : Bénédicte Gourieux, Service Pharmacie, Hôpitaux Universitaires de Strasbourg, 1, avenue Molière, 67098 Strasbourg, FRANCE; Téléphone : +33 388 12 78 09; Télécopieur : +33 388 12 78 04; Courriel : b.gourieux@orange.fr

(Return to Top)



PHARMACTUEL, Vol. 49, No. 4, 2016