Audrey Vachon1,2, B.Pharm., M.Sc., Paul Poirier3,4, MD, Ph.D., FRCPC, FCCS, FACC, FAHA
1Pharmacienne, Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec-Université Laval, Québec (Québec) Canada;
2Professeure de clinique, Faculté de pharmacie, Université Laval, Québec (Québec) Canada;
3Cardiologue, Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec-Université Laval, Québec (Québec) Canada;
4Professeur titulaire, Faculté de pharmacie, Université Laval, Québec (Québec) Canada
Reçu le 28 avril 2017; Accepté après révision le 3 mai 2017
Les lignes directrices canadiennes recommandent les statines en première intention tant en traitement préventif primaire que secondaire1. Les avantages de ces hypolipémiants en prévention secondaire ne font aucun doute, puisqu’ils entraînent une réduction des événements cardiovasculaires et coronariens respectivement d’environ 20 % et 25 % à chaque diminution de 1 mmol/L du cholestérol LDL2. D’autre part, en prévention primaire, les données probantes sont moins spectaculaires en raison du risque absolu d’événements qui est substantiellement plus faible dans cette population. En dépit de ce fait, il n’en demeure pas moins que plus de la moitié des événements vasculaires surviennent chez des patients sans antécédent de maladie cardiovasculaire et qu’il est nécessaire d’aborder ce problème3.
Parmi les objectifs de l’étude HOPE-3, dont le résumé et la critique sont présentés dans le présent numéro, se trouvait justement celui d’évaluer les effets cliniques de l’administration systématique d’une dose fixe modérée de rosuvastatine comparativement au placebo à des sujets présentant un risque cardiovasculaire modéré, et ce, peu importe leur niveau de base de cholestérol LDL4. Les résultats obtenus vont dans le même sens que ceux qu’ont révélés plusieurs autres études en prévention primaire et n’ont rien de surprenant. En effet, 10 mg par jour de rosuvastatine administrée durant une médiane de 5,6 ans a réduit le cholestérol LDL de 0,9 mmol/L en moyenne et la survenue du premier co-objectif primaire (un objectif combiné de la mortalité cardiovasculaire, des infarctus non fatals et des accidents vasculaires cérébraux [AVC] non fatals) de 24 %, ce qui représente une diminution du risque absolu de 1,1 %, donc un nombre nécessaire à traiter (NNT) de 915. Il est important de lire ces résultats en gardant à l’esprit le fait que seuls les patients qui étaient très fidèles au traitement (≥ 80 %) et qui toléraient bien la médication lors de la phase initiale ouverte de quatre semaines avaient été inclus et répartis aléatoirement. De plus, sur le plan du suivi, seulement 10 à 20 % des sujets avaient bénéficié d’un bilan lipidique de contrôle après un an, trois ans puis à la fin de l’étude, ce qui fait qu’il est impossible de conclure hors de tout doute que tous les patients prenaient adéquatement leur médication. Rappelons qu’une étude ontarienne publiée en 2002 a mentionné qu’en prévention primaire, seulement 25,4 % des patients prenaient encore leur statine après deux ans6. Finalement, les sujets randomisés dans l’étude HOPE-3 étaient âgés de 65,7 ± 6,4 ans en moyenne, ce qui implique que les résultats obtenus ne peuvent être généralisés à nos patients âgés de plus de 75 ans qui sont, de toute façon, habituellement très peu représentés dans les études de prévention primaire. Par ailleurs, l’outil d’estimation du risque de Framingham n’a pas été validé pour les personnes dont l’âge est égal ou supérieur à 75 ans, ce qui fait que son utilisation n’est pas recommandée1.
Lorsqu’on regarde attentivement les chiffres d’HOPE-3 en valeur absolue, on observe qu’il y a eu 154 (2,4 %) vs 171 (2,7 %) décès cardiovasculaires (rapport de risque 0,89; IC 95 % 0,72–1,11), 45 (0,7 %) vs 69 (1,1 %) infarctus du myocarde (rapport de risque 0,65; IC 95 % 0,44–0,94) et 70 (1,1 %) vs 99 (1,6 %) AVC (rapport de risque 0,70 ; IC 95 % 0,52–0,95)4. Ceci se traduit par une diminution statistiquement significative des infarctus du myocarde de l’ordre de 0,4 % (NNT de 250) et de 0,5 % (NNT de 200) pour les AVC. Finalement, tous les participants recevaient des conseils individualisés sur les habitudes de vie selon les besoins de chacun. En réalité, peu de cliniciens ou d’infirmières ont reçu une formation adéquate et suffisante pour donner des conseils judicieux sur la pratique de l’activité physique et sur les différentes options alimentaires et leurs bienfaits cardiovasculaires. Bien entendu, tout ceci demande du temps et une certaine compétence. Dans cette ère où l’on encourage la participation des patients et la prise de décision partagée, il y a lieu de se remettre en question et de se demander si toutes les options thérapeutiques sont bien présentées à nos patients, afin qu’ils puissent prendre une décision éclairée, ce qui devrait ultimement optimiser la fidélité au traitement qu’ils choisissent et, par conséquent, son efficacité.
Alors que les options pharmacologiques sont souvent celles qui sont présentées d’emblée, il semble pertinent de rappeler que des interventions non pharmacologiques, comme la pratique régulière d’activité physique, sont associées à une réduction substantielle d’événements cardiovasculaires. Prenons l’exemple de la méta-analyse de Sofi et collaborateurs, qui a évalué les données de 22 études de cohortes prospectives regroupant plus de 500 000 personnes suivies sur une période allant de 4 à 25 ans7. Les résultats ont démontré que la pratique d’activités physiques de niveau modéré ou élevé permet de réduire significativement les événements coronariens, respectivement de 11 et 22 %, comparativement au groupe témoin qui était sédentaire ou peu actif. Cet effet « dose-dépendant » de l’exercice physique a aussi été observé dans la méta-analyse réalisée par Hamer et Chida, qui a étudié la marche comme intervention thérapeutique en prévention primaire de maladies cardiovasculaires8. En effet, les investigateurs ont observé que le groupe qui marchait de façon plus intense (plus de cinq heures, ou plus de 17 km par semaine) a obtenu une réduction des événements cardiovasculaires et de la mortalité toutes causes confondues respectivement de 31 % et de 32 %. En comparaison, le groupe qui marchait moins (environ trois heures ou 9,8 km par semaine), est parvenu respectivement à des réductions de 16 % et de 20 % des événements cardiovasculaires et de la mortalité toute cause. Toutes ces données mettent en lumière l’importance d’accorder de l’attention à ces interventions non pharmacologiques très payantes d’un point de vue clinique, comme l’ont fait les plus récentes lignes directrices canadiennes dans le matériel supplémentaire accompagnant le manuscrit.
En somme, la prévention primaire de la maladie cardiovasculaire doit continuer de faire l’objet d’études afin que nous puissions sélectionner les interventions les plus efficientes pour nos patients. Les statines font partie de ces options thérapeutiques, mais devraient-elles être proposées systématiquement à tous les patients considérés à risque modéré ? La différence de 69 cas (235 vs 304, rosuvastatine vs placebo) pour le premier co-objectif primaire vaut-elle vraiment le coût sociétal de traiter d’emblée avec une approche pharmacologique ou bien le temps est-il venu de responsabiliser les gens au sujet de leur santé ? Certains diront que si on appliquait les chiffres de HOPE-3 à la population mondiale, on ferait l’économie de bien des événements cardiovasculaires. Encore faut-il que les patients puissent se permettre une telle approche dans leurs systèmes de santé respectifs9. Il est plus que jamais primordial de mettre l’accent sur l’importance d’adopter de bonnes habitudes de vie, comme l’activité physique et une saine alimentation. Les bienfaits sur le plan cardiovasculaire sont indéniables, sans compter les avantages « collatéraux » sur la santé mentale, la prévention du syndrome métabolique ou du diabète pour ne nommer que ceux-là. Maintenant, il n’en tient qu’à nous d’en faire la promotion et la valorisation auprès de nos patients et de leur démontrer qu’une grande partie de la solution est en eux !
Aucun financement en relation avec le présent article n’a été déclaré par l’auteur.
Tous les auteurs ont rempli et soumis le formulaire de l’ICMJE pour la divulgation de conflits d’intérêts potentiels. Audrey Vachon est membre du comité consultatif sur les statines et a participé à la rédaction de l’ordonnance collective nationale sur les statines pour l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS). Paul Poirier est membre du comité consultatif sur les statines de l’INESSS et membre expert sur les lignes directrices de la Société canadienne de cardiologie sur la dyslipidémie. Il est également conférencier, consultant ou expert pour diverses compagnies pharmaceutiques (Abbott Vascular, Amgen, AstraZeneca, Bayer, Boehringer Ingelheim, Bristol-Meyers Squibb, Eli Lilly, Janssen, Merck, NovoNordisk, Pfizer, Roche, Sanofi-Aventis, Servier, Valeant).
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2. Cholesterol Treatment Trialists’ (CTT) Collaboration; Baigent C, Blackwell L, Emberson J, Holland LE, Reith C, Bhala N et coll. Efficacy and safety of more intensive lowering of LDL cholesterol: a meta-analysis of data from 170 000 participants in 26 randomised trials. Lancet 2010;376:1670–81.
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4. Boivin E, Bouchard M, Germain M, Thériault J. Étude HOPE-3 : Y a-t-il un bénéfice à débuter une médication hypolipémiante et antihypertensive en prévention primaire? Pharmactuel 2017;50:84–91.
5. Yusuf S, Bosch J, Dagenais G, Zhu J, Xavier D, Liu L et coll. Cholesterol lowering in intermediaterisk persons without cardiovascular disease. N Engl J Med 2016;374:2021–31.
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7. Sofi F, Capalbo A, Cesari F, Abbate R, Gensini GF. Physical activities during leisure time and primary prevention of coronary heart disease: an update meta-analysis of cohort studies. Eur J Cardiovasc Prev Rehabil 2008;15:247–57.
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PHARMACTUEL, Vol. 50, No. 2, 2017