Justine Burguière1, candidate au D. Pharm., Sophie Dubois2, D. Pharm, Maryse St-Onge3, M.Ps., Jean-François Bussières4,5, B.Pharm., M.Sc., MBA, FCSHP, FOPQ
Reçu le 10 avril 2018: Accepté après révision par les pairs le 08 octobre 2018
Résumé
Objectif : Présenter le profil des différents systèmes de mesure de la charge de travail des professionnels de la santé au Québec.
Mise en contexte : Deux projets de mesure de la charge de travail ont été lancés en pharmacie hospitalière, en collaboration avec la Société canadienne des pharmaciens d’hôpitaux et l’Association des pharmaciens des établissements de santé du Québec. Pour soutenir cette réflexion, et par une approche mixte combinant une revue documentaire et des entrevues, nous nous sommes intéressés à la mesure de la charge de travail d’autres professionnels de la santé au Québec.
Résultats : Vingt-cinq articles retenus pour leur pertinence ont été résumés. En outre, des entrevues réalisées auprès de neuf professions de la santé ont permis de recueillir des données supplémentaires. Les exigences réglementaires, les outils de saisie, les indicateurs et l’utilisation des données à l’interne varient d’une profession à une autre. Le ministère de la Santé et des Services sociaux a défini les unités de mesures réglementaires de huit professions ainsi que les interventions devant être saisies avec des valeurs unitaires cibles (c.-à.-d. temps moyen nécessaire à la réalisation de l’intervention) concernant trois professions (imagerie médicale, biologie médicale et médecine). Au sein de notre établissement, nous avons déterminé six outils de saisie différents portant sur cinq professions. La saisie des activités est donc exhaustive.
Conclusion : La mesure de la charge de travail est rendue possible grâce à divers outils et se révèle très différente au sein des différents groupes.
Mots clés : Établissement de santé, mesure de charge de travail, professionnels de santé
Abstract
Objective : To present a description of the different systems for measuring the workload of Quebec health professionals.
Background : Two workload measurement projects were launched in hospital pharmacies in collaboration with the Canadian Society of Hospital Pharmacists and the Association des pharmaciens des établissements de santé du Québec. To support this investigation, and using a mixed approach combining a literature review and interviews, we measured workload among Quebec’s other health professionals.
Results : Twenty-five articles of interest were identified and summarized. Relevant data were obtained from interviews for nine health professions. The regulatory requirements, the data entry tools, the indicators and in-house data use vary according to the profession. The Ministry of Health and Social Services has defined regulatory units of measure for eight professions and activities that have to be entered with target unit values (i.e., the average time required to perform the activity) for three professions (medical imaging, laboratory medicine and medicine). At our facility, six different entry tools were identified, and activity entry is exhaustive for only five professions.
Conclusion : Workload measurement is made possible by the various tools and varies considerably within the different groups.
Keywords : Health-care institution, health professionals, workload measurement
On définit la charge de travail comme la « quantité de travail que doit fournir une personne au cours d›une période donnée »1. On peut mesurer la charge de travail à l’aide d’indicateurs, soit des « paramètres significatifs utilisés pour mesurer les résultats obtenus, l’utilisation des ressources, l’état d’avancement des travaux ou le contexte »2. On peut suivre en outre l’évolution des activités d’un département à l’aide d’un tableau de bord. Il s’agit d’un instrument de mesure permettant le pilotage d’une ou de plusieurs activités au sein d’un département, au moyen d’un ensemble d’indicateurs significatifs du fonctionnement de ce secteur3.
Depuis le siècle dernier déjà, on s’intéresse à l’organisation du travail, comme le démontrent notamment les travaux de Taylor4. Dans le domaine de la santé, le premier article indexé faisant référence à la mesure de la charge de travail (MCT) a été publié en 1955 en radiologie5. En ce qui concerne la pharmacie, les premiers articles sur la MCT publiés et indexés remontent au début des années 19806–11. Ces travaux, menés principalement aux États-Unis et au Canada, ont donné naissance au Système canadien de mesure de la charge de travail pour les pharmacies d’hôpital, qui présentait une liste d’activités pharmaceutiques assorties de valeurs unitaires ainsi qu’une base de données permettant le calcul d’une unité de production pharmaceutique12. Ce système a été mis en place dans quelques provinces canadiennes durant les années 1990, mais il a été délaissé par la suite. Au Québec, aucune MCT n’est exigée en pharmacie hospitalière. Toutefois, plusieurs départements de pharmacie colligent volontairement des données de MCT. Dans notre établissement, le Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine, de nombreux outils de MCT ont été implantés au cours des deux dernières décennies13,14. Plus récemment, deux projets de MCT ont été lancés en pharmacie hospitalière, en collaboration avec la Société canadienne des pharmaciens d’hôpitaux (SCPH) et l’Association des pharmaciens des établissements de santé du Québec (APES)15,16.
Afin de soutenir la réflexion des pharmaciens dans la MCT, nous nous sommes intéressés à la MCT des autres professionnels de la santé au Québec.
Il s’agit d’une étude descriptive et transversale. L’objectif principal est de présenter un profil de la MCT des professionnels de la santé au Québec, à l’aide d’une approche mixte combinant une revue de la littérature et des entrevues. L’étude se déroule dans notre établissement, un centre hospitalier universitaire mère-enfant de 500 lits.
Afin de comprendre les différentes dimensions relatives à la MCT, les membres de l’équipe de recherche (JB, SD, MSO, JFB) ont réalisé une carte heuristique par remue-méninges et consensus sur le concept d’indicateurs, sachant que la MCT repose sur le calcul d’indicateurs.
Afin de comprendre les concepts relatifs à la MCT, ils ont réalisé une revue documentaire sur la MCT en santé. À partir des termes « workload measurement » et « healthcare », sur le moteur de recherche PubMed, ils ont recensé tous les articles traitant de la MCT des professionnels de la santé et en ont extrait les points communs permettant de définir quelques généralités sur la MCT des professionnels de la santé.
Afin d’établir un profil de la MCT chez les professionnels de la santé au Québec, ils ont réalisé des entretiens semi-dirigés auprès des chefs professionnels (le terme chef professionnel est utilisé au CHU Sainte-Justine par opposition à cadre administratif) et des spécialistes en procédés administratifs de notre établissement, du 2 au 13 février 2018. Ont été interrogés le spécialiste en procédés administratifs et responsable du logiciel de gestion des activités professionnelles (GAP, e-GAP), le chef du service social, celui de physiothérapie, de psychologie, d’inhalothérapie, de l’imagerie médicale, du laboratoire de biologie médicale, un médecin des urgences et une cadre-conseil en sciences infirmières en soins critiques. Tous les professionnels de la santé contactés ont accepté de participer à l’entrevue. Douze variables ont été colligées: 1) référentiels en vigueur, 2) unités de mesure exigées par le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec (MSSS), 3) instance encadrant la MCT, 4) outil de saisie utilisé, 5) type de support de l’outil, 6) chronologie de saisie, 7) respect de la fréquence de saisie attendue, 8) personne effectuant la saisie, 9) degré d’exhaustivité de la saisie, 10) caractère réglementaire des indicateurs utilisés pour la MCT, 11) type d’indicateurs utilisés pour la MCT et 12) notion de complexité des indicateurs utilisés. Seules des statistiques descriptives ont été réalisées.
La figure 1 présente la carte heuristique des différentes dimensions d’un indicateur, obtenue par consensus de l’équipe de recherche.
Au total, 25 articles pertinents de la littérature portant sur la MCT des professionnels de la santé ont été retenus. De ces articles, nous avons pris en compte les éléments clés suivants: 1) la MCT des professionnels de la santé s’inscrit souvent dans un contexte de contrôle ou de réduction budgétaire et elle permet bien souvent des prises de décision sur l’allocation des ressources financières et humaines; 2) il est nécessaire d’élaborer des outils spécifiques à chaque secteur d’activité pour que la collecte de données soit fonctionnelle et efficiente; 3) les indicateurs de MCT mesurent rarement la complexité des cas des patients; 4) les outils de MCT calculent la productivité d’un service, mais rarement sa performance. Les références des 25 articles pertinents sélectionnés dans la revue de littérature sont présentées en annexe.
La figure 2 présente une description des articles sélectionnés dans la revue documentaire.
Neuf entretiens de 30 à 60 minutes ont été réalisés auprès de différents professionnels de la santé chefs de secteurs.
Deux référentiels contribuent à la MCT pour les professionnels de la santé de notre établissement, soit le Manuel de gestion financière du MSSS et le Guide interne d’activités de l’établissement42.
Dans le Manuel de gestion financière, le MSSS a défini les unités de mesures (UM) réglementaires de huit professions et les interventions devant être saisies avec des valeurs unitaires cibles (c.-à-d. temps moyen nécessaire à la réalisation de l’intervention) de trois professions (imagerie médicale, biologie médicale et médecine). Le Manuel ne précise pas de balises pour les autres professions. Les UM recueillies en vertu du Manuel de gestion sont transmises périodiquement à la direction de l’établissement et au MSSS à chaque exercice financier (c.-à-d. du 1er avril au 31 mars de l’année suivante). Ces données sont vérifiées et intégrées aux rapports statistiques (AS-478) et financiers (AS-471) de l’établissement.
Le Guide interne d’activités de l’établissement a été élaboré afin d’organiser et d’harmoniser la MCT des professions de la santé non régies par le Manuel de gestion financière. Le Guide définit et code les interventions à saisir pour la MCT, soit les heures de prestation de services (HPS) composées d’activités thérapeutiques directes (réalisées auprès du patient) et indirectes (réalisées en soutien aux activités directes) et les heures d’activités professionnelles (HAP), soit des activités non thérapeutiques. Bien qu’il soit difficile de remonter jusqu’à l’origine de cette balise, les établissements de santé favorisent depuis les années 1990 une répartition telle que 80 % des activités sont consacrées à des HPS et 20 % à des HAP. Les résultats sont présentés régulièrement en salle de pilotage (obligation du MSSS qui favorise la culture de la mesure et le partage de résultats liés à des indicateurs de mesure) afin de repenser l’organisation des services et de discuter des stratégies d’amélioration des pratiques. D’une manière générale, les données recueillies par les chefs professionnels permettent d’analyser la productivité et la performance de leur service, en considérant la complexité de chaque secteur d’activité. Ces observations permettent de déterminer et d’adapter les besoins en personnel, de mieux répartir les patients et d’élaborer des plans des pratiques attendues (p. ex. le nombre d’usagers que chaque professionnel doit voir dans une journée). Elles permettent par ailleurs aux chefs de présenter plus aisément des arguments au MSSS lorsqu’ils observent une pénurie en personnel ou en matériel.
Le tableau I en annexe présente une comparaison de la mesure de la charge de travail des professionnels de la santé de notre établissement.
Les travailleurs sociaux, les ergothérapeutes, les physiothérapeutes et les psychologues doivent, à la fin de la journée, avoir œuvré globalement pendant 420 minutes, soit sept heures, et notifié le temps mis pour chaque activité. Les activités sont classées en trois groupes: l’activité directe auprès du patient, l’activité indirecte soutenant l’activité directe et l’activité non thérapeutique. Le tableau II en annexe présente les trois groupes d’activités de ces quatre professions, devant être décrites quotidiennement, ainsi que les interventions que renferme chacun d’eux. Quant à la saisie des interventions du service social, de la physiothérapie, de l’ergothérapie et de la psychologie, elle ne prend pas en compte la notion de complexité. On ne peut donc pas justifier le fait d’accorder plus de temps à un patient difficile pour une intervention qui prendrait moins de temps avec un autre patient. Cependant, une réflexion est en cours actuellement pour intégrer la complexité des cas à la MCT afin de se rapprocher au plus près de la réalité du terrain.
Pour ce qui est des inhalothérapeutes, un agent administratif fait la saisie des activités et des unités techniques provinciales, par usager et par jour. Dans le Manuel de gestion financière, le MSSS associe un nombre d’unités techniques provinciales à 58 interventions, soit le temps moyen nécessaire à la réalisation de chacune d’elles. Parmi les 58 interventions, une quarantaine sont réalisées dans notre établissement. Elles sont réparties en neuf groupes d’activités: traitements, soutien ventilatoire, oxygénothérapie, physiologie respiratoire, sécrétions, voies aériennes, réanimation cardiorespiratoire, évaluation et surveillance et autres interventions. Trentetrois (33) de ces activités ont une durée préétablie, tandis que le temps réel consacré aux sept autres interventions peut être facturé. Ces dernières sont codées dans le logiciel et associées à des durées prédéterminées, peu importe si elles correspondent ou non au temps réel de l’intervention. Pour cela, l’agent utilise le dossier clinique du patient, préalablement rempli par l’inhalothérapeute, il retranscrit les interventions pratiquées en code d’unités techniques. Certaines unités techniques permettent d’ajouter la notion de complexité (p. ex. le code 702 permet à l’inhalothérapeute d’ajouter un temps réel supplémentaire passé au chevet du patient, lorsque le cas le nécessite; le code 1006 permet l’ajout de 10 minutes supplémentaires de travail dans les cas de trauma, auprès d’un brûlé ou d’un prématuré). En sus des activités définies par le MSSS, les inhalothérapeutes peuvent être engagés dans d’autres activités, telles que des fonctions administratives, le développement des ressources humaines, la recherche, l’entretien majeur et la stérilisation de l’équipement, les périodes d’attente, l’élaboration des politiques et procédures, la gestion de la liste de rappel, la participation à l’équipe multidisciplinaire, le déplacement et le contrôle qualité.
La MCT du Département d’imagerie médicale est confiée à un commis qui fait une saisie des procédures lorsque le patient se présente au rendez-vous. Comme pour les inhalothérapeutes, le MSSS associe à chaque intervention (i.e. dans certaines disciplines, le terme procédure est utilisé par le MSSS) une valeur unitaire fixe. La valeur unitaire représente le temps moyen en salle qu’il faut au technologue en imagerie pour exécuter une seule procédure, peu importe le nombre de technologues qui se trouvent dans la salle. Le Manuel de gestion financière décrit et code 505 procédures en unité technique provinciale. Seule une partie de ces activités sont réalisées dans notre établissement et saisies dans le logiciel de MCT. Les procédures se répartissent au sein de sept groupes distincts: la radiologie générale, l’ultrasonographie, la mammographie, la tomodensitométrie, la résonnance magnétique, l’angioradiologie et la lithotripsie. Le technologue peut ajouter une valeur unitaire au temps fixe exigé par la procédure, pour les cas complexes (p. ex. patient intubé, soins critiques, enfant de moins de cinq ans). De plus, 51 valeurs unitaires supplémentaires sont décrites dans le Manuel de gestion financière, permettant l’ajout de complexité. En sus des activités définies par le MSSS, les technologues en imagerie peuvent être engagés dans d’autres activités, telles que des fonctions administratives, le développement des ressources humaines, le contrôle de la qualité des équipements, les périodes d’attentes, l’évaluation de la qualité, le temps consacré à l’entrée de données et au montage de dossiers, le temps consacré à la composition de documents techniques et le temps consacré aux stagiaires en technologie de l’imagerie médicale.
Quant aux laboratoires de biologie médicale, un agent administratif ou un technicien fait la saisie informatique des procédures de manière prospective. Comme pour les inhalothérapeutes et l’imagerie médicale, le MSSS associe à chaque procédure une valeur pondérée fixe (la valeur relative associée à chacune des procédures [analyses de laboratoires] afin de refléter le niveau relatif de ressources que requiert sa réalisation). Au total, le Manuel de gestion financière a décrit et codé 1677 procédures en valeurs pondérées. Seule une partie est réalisée dans notre établissement et saisie dans le logiciel de MCT. Les procédures se répartissent au sein de groupes distincts: les procédures locales, les procédures régionales et les procédures suprarégionales. La répartition territoriale des procédures suprarégionales est régie par le MSSS. L’ajout d’une valeur pondérée supplémentaire à la procédure pondérée n’est pas possible. Les procédures réalisées pour des fins de contrôle de qualité, de calibration ou de mise au point et d’évaluation de nouvelles méthodes ne sont pas prises en considération dans le compte des unités de mesure.
Tout comme pour les infirmiers et les pharmaciens, le MSSS n’exige aucune mesure d’intervention pour les médecins hospitaliers. Contrairement aux infirmiers et aux pharmaciens, les médecins (omnipraticiens et spécialistes) ne mesurent pas leur charge de travail à des fins d’évaluation ou d’optimisation de l’organisation du Service mais à des fins de facturation. Au Québec, il existe différents types de rémunération des médecins: la rémunération à l’acte (elle est indiquée pour les pratiques qui ont un gros volume de visites), la rémunération au tarif horaire (basée sur le nombre d’heures de pratique, indépendamment du nombre de patients et des actes médicaux effectués au cours d’une période donnée, elle est indiquée dans le cas de pratiques à faible débit) et la rémunération mixte (combinaison d’un forfait de base et un supplément par acte médical payé selon un pourcentage du montant habituel offert en rémunération à l’acte). Le processus de facturation diffère selon le type de rémunération43. En ce qui concerne la rémunération à l’acte, il existe des ententes collectives négociées entre les fédérations médicales (Fédération des médecins omnipraticiens du Québec et Fédération des médecins spécialistes du Québec) et le MSSS, qui établissent les honoraires spécifiques à chaque type de service (c.-à-d. consultation, acte médical ou chirurgical). Deux entités appliquent ces ententes: d’une part, les médecins qui transforment leurs actes en codes à l’aide d’agences de facturation ou de secrétaires médicales et, d’autre part, la Régie de l’assurance-maladie du Québec (RAMQ), qui rémunère les médecins. Ceux-ci sont libres de procéder à leur propre facturation, de déléguer leur facturation à un agent administratif ou à une agence de facturation44. Dans ce dernier cas, ils fournissent à l’agence la liste des patients avec leur numéro d’assurance-maladie ainsi que les actes pratiqués pour chaque patient. Chaque médecin peut choisir librement son agence. Les manuels des médecins omnipraticiens et spécialistes sur la rémunération à l’acte indiquent les codes et tarifs associés à chaque acte45,46. La RAMQ rémunère les médecins et veille aux bonnes pratiques de facturation en s’assurant de l’absence d’erreurs et de fraudes44. La RAMQ n’émet pas de rapport statistique des données collectées, mais celles-ci sont accessibles aux décideurs, dont le MSSS.
En ce qui concerne les soins infirmiers, le MSSS n’exige aucune mesure d’intervention. Selon l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ), seul 53 % de leur quart de travail est consacré à leur champ d’expertise. Pour l’OIIQ, le MSSS devrait améliorer son évaluation des besoins des patients afin de créer des équipes de soins optimales. Dans le contexte actuel de dénonciation d’une surcharge de travail des infirmiers et infirmières du Québec, la Direction des soins infirmiers de notre établissement a élaboré un outil de quantification de l’acte infirmier à partir de quatre outils déjà existants et décrits dans la littérature scientifique. Le projet se concrétisera prochainement avec l’informatisation de l’outil. Seize activités sont décrites et codées (1 point = 5 minutes de travail), soit l’évaluation et la surveillance des paramètres cliniques, oxygénation / ventilation, médication ou administration des médicaments, perfusion de solutés, interventions ou assistance lors de procédures médicales réalisées par l’infirmière à la chambre du patient, mouvement de patient et soins requis, alimentation, élimination, mobilisation, prélèvement, isolement, gestion et planification de l’épisode de soins, stade de développement de l’enfant (0–2 ans, 2–7 ans, 7–11 ans, 11–19 ans), patient présentant une altération à la participation aux soins, travail en interdisciplinarité et imprévisibilité qu’un patient puisse nécessiter davantage de soins infirmiers ou une surveillance accrue à cause de son état. L’outil de quantification se présente sous la forme d’une grille d’activités par patient et par 24 heures et les trois infirmières qui prennent en charge le patient doivent la remplir. L’infirmière notifie le temps réel passé à chacune des activités et décrit le temps prévisionnel que devrait passer l’infirmière du quart suivant pour la même activité. À la fin d’un quart de travail, la somme des temps réels et estimés permet de coter le patient et de répartir les patients selon quatre niveaux de soins (p. ex. un patient de niveau 1 requiert moins de temps pour l’infirmier qu’un patient de niveau 2). L’outil de quantification de l’acte infirmier est représentatif de l’ensemble des tâches de l’infirmier à l’hôpital et permet également de mesurer la complexité d’une intervention.
À notre connaissance, il s’agit de la première étude décrivant les différents systèmes de MCT au sein d’un établissement de santé. Cette étude descriptive présente un profil détaillé des différents systèmes de MCT des professionnels de santé de notre établissement.
L’étude met en évidence des aspects positifs induits par la MCT. Tout d’abord, la MCT des professionnels de la santé, qui inclut la définition des interventions attendues par les professionnels de santé, peut leur permettre de cibler leurs lacunes et de définir des objectifs à atteindre. En effet, les acteurs du milieu peuvent notamment observer les écarts entre leurs pratiques et les plans de pratiques attendues, et cibler les activités les plus difficiles afin de chercher des pistes d’amélioration. Ensuite, cette étude permet également l’optimisation de l’organisation interne du service, par l’élaboration de plans des pratiques attendues. Enfin, les indicateurs recueillis peuvent également faire office d’argumentaire auprès du MSSS pour appuyer les requêtes de ressources humaines et financières.
L’étude met également en évidence plusieurs limites de la MCT des professionnels de santé. Premièrement, nous soulignons le manque d’exhaustivité de la MCT. Les professions régies par le MSSS ne mesurent que leurs activités procédurales, c’est-à-dire spécifiques à la profession, et ne mesurent pas leurs activités transversales ou non spécifiques à la profession (réunions, appels téléphoniques). En effet, le MSSS évalue l’efficience des services de soins, qui se calcule uniquement en fonction des activités procédurales. Deuxièmement, les valeurs unitaires imposées par le MSSS ne sont qu’une estimation très approximative de la charge de travail. Par conséquent, les indicateurs utilisés pour la MCT manquent de « finesse », ils ne prennent pas en compte le temps passé en amont et en aval de l’activité et la notion de complexité ajoutée aux indicateurs est souvent absente ou partiellement présente. En outre, l’outil de saisie est sujet à subjectivité, car il est souvent bien mal rempli (p. ex. résistance des professionnels, manque de temps, biais de mémoire). De même que pour les autres professions, la MCT des médecins est subjective parce qu’elle vise la facturation et la rémunération. En raison d’une connaissance différente des règles de facturation, des médecins de pratique similaire gagnent souvent des revenus complètement différents. Certains médecins connaissent toutes les subtilités de la facturation et parviennent à optimiser leurs revenus, tout en respectant l’éthique. L’importance accordée à la rémunération, à la compétence de la personne qui s’en occupe et à l’échange d’informations statistiques influence la rémunération19. En ce qui concerne les soins infirmiers, l’outil de quantification de l’acte infirmier est également jugé trop subjectif. En effet, puisque le jugement de l’infirmière est à la base de l’utilisation de cet outil, l’estimation des temps requis pour chaque acte est sujette à surestimation dans un but d’amélioration de ses conditions de travail.
Par ailleurs, nous soulignons la dévalorisation de l’enseignement et de la recherche induite par les outils de MCT. En effet, seules les données se rapportant aux services et aux soins sont retenues comme indicateurs de performance. Les cibles des salles de pilotage des établissements de santé exigent 80 % d’activités thérapeutiques et seulement 20 % d’activités non thérapeutiques. Les activités d’enseignement et de recherche sont revues à la baisse dans le but d’atteindre la cible des 20 %. Cette constatation est contraire au principe même d’un centre hospitalier universitaire, qui doit normalement valoriser l’enseignement et la recherche.
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Figure 1 Carte heuristique des différentes dimensions d’un indicateur |
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Figure 2 Description des articles sélectionnés dans la revue documentaire |
À cela s’ajoute le peu d’explications données quant à l’utilisation des indicateurs récoltés, qui contribue à alimenter l’impression négative qu’entretiennent les professionnels de la santé. Ceux-ci n’y voient qu’une mesure coercitive visant à les surveiller et à analyser leur productivité à des fins de comparaisons. Il est difficile pour les chefs professionnels de faire valoir la plus-value d’une description statistique des activités professionnelles si ces indicateurs ne tiennent pas compte de la complexité de la patientèle et du mandat spécifique du professionnel à l’intérieur de chaque trajectoire de soins. L’impression négative des professionnels de la santé peut nuire à la qualité du travail, et à la qualité des soins fournis aux patients.
Il est en outre difficile pour les chefs de bien évaluer la performance de leurs équipes sur la base d’une cible de 80 % d’HPS qui n’offre pas d’indication quant à la proportion devant être consacrée aux activités directes par rapport aux activités indirectes. C’est à cette difficulté qu’a voulu faire face la direction des services multidisciplinaires en élaborant le modèle « Profil des pratiques attendues ». En collaboration avec les professionnels de sa discipline, le chef détermine la nature des activités pertinentes à réaliser dans les différents secteurs cliniques pour répondre aux besoins de chacune de ses patientèles. Cette analyse permet de reconnaître que la nature des activités professionnelles peut être différente entre les professionnels d’une même discipline selon leur secteur d’activités et, conséquemment, que la charge de travail tiendra compte de ces spécificités. Elle permet de mieux objectiver la nature des activités directes et indirectes, de préciser la proportion du direct et de l’indirect et donc, de définir la pratique pertinente attendue. Par exemple, le travailleur social à l’urgence verra plus de nouveaux patients par jour, ses épisodes de services seront brefs et la répartition de ses HPS illustrera davantage la réalisation d’activités d’évaluation, de liaison en réseau et de tenue de dossiers. Par ailleurs, le travailleur social œuvrant dans la trajectoire des maladies chroniques verra ses épisodes de services s’échelonner sur de plus longues périodes, il aura moins de nouveaux patients par année que son collègue de l’urgence et davantage d’activités d’évaluation et d’intervention qui seront codées. L’importance du travail interdisciplinaire dans ces secteurs se reflétera dans la compilation de statistiques liées à des discussions cliniques. À ce jour, les professionnels ayant collaboré à ces groupes de travail adhèrent à la définition de ces indicateurs, qui sont beaucoup plus significatifs pour eux.
Une des finalités de la MCT est l’efficience, soit un gain de productivité par rapport aux ressources déployées. Paradoxalement, le temps passé par les professionnels à remplir l’outil de saisie de la MCT peut être une limite à l’efficience attendue. Dans le contexte de mise en place d’un financement axé sur les patients en établissements de santé, il est pertinent de connaître les outils de MCT utilisés pour tous les professionnels de santé.
Cette étude descriptive comporte des limites. En premier lieu, les données de l’article sont majoritairement issues d’entretiens avec les chefs « professionnels » de notre établissement. L’étude devrait être élargie à d’autres établissements afin de vérifier si ces données sont généralisables. En outre, seulement neuf professions de la santé ont été analysées. L’étude devrait être élargie à d’autres professions, comme les diététistes, les perfusionnistes cliniques et les infirmières auxiliaires.
Cette étude présente un profil de la MCT de neuf groupes professionnels de la santé exerçant en établissement de santé au Québec. La MCT est rendue possible grâce à divers outils et se révèle très différente au sein des différents groupes. L’étude met en évidence des exigences réglementaires pour certains groupes et des exigences locales pour d’autres. Les exigences réglementaires, les outils de saisie, les indicateurs et l’utilisation des données à l’interne varient d’une profession à une autre.
Cet article comporte une annexe; elle est disponible sur le site de Pharmactuel (www.pharmactuel.com)
Aucun financement en relation avec le présent article n’a été déclaré par les auteurs.
Tous les auteurs ont rempli et soumis le formulaire de l’ICMJE pour la divulgation de conflits d’intérêt potentiels. Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec le présent article.
1. Office québécois de la langue française. Grand dictionnaire terminologique. Charge de travail. [en ligne] http://www.granddictionnaire.com/ficheOqlf.aspx?Id_Fiche=505875 (site visité le 7 avril 2018).
2. Office Québécois de la langue française. Grand dictionnaire terminologique. Indicateur. [en ligne] http://www.granddictionnaire.com/ficheOqlf.aspx?Id_Fiche=8364530 (site visité le 7 avril 2018).
3. Office Québécois de la langue française. Grand dictionnaire terminologique. Tableau de bord. [en ligne] http://www.granddictionnaire.com/ficheOqlf.aspx?Id_Fiche=506873 (site visité le 7 avril 2018).
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19. Association médicale canadienne. La facturation. 2015. [en ligne] https://www.cma.ca/Assets/assets-library/document/fr/practice-management-and-wellness/2015-Chapitre3_La_facturation-f.pdf#search=la%20facturation (site visité le 7 avril 2018).
20. Régie de l’assurance-maladie du Québec. Manuel des médecins omnipraticiens – rémunération à l’acte. 2018. [en ligne] http://www.ramq.gouv.qc.ca/SiteCollectionDocuments/professionnels/manuels/syra/medecins-omnipraticiens/100-facturation-omnipraticiens/manuel-omnipraticiens-remuneration-acte-RFP.pdf (site visité le 7 avril 2018).
21. Régie de l’assurance-maladie du Québec. Manuel des médecins spécialistes – rémunération à l’acte. 2018. [en ligne] http://www.ramq.gouv.qc.ca/SiteCollectionDocuments/professionnels/manuels/syra/medecins-specialistes/150-facturation-specialistes/manuel-specialistes-remuneration-acte-RFP.pdf (site visité le 7 avril 2018).
PHARMACTUEL, Vol. 51, No. 4, 2018