Marie Sophie Brochet1, B.Pharm., M.Sc., Oliver Shane Ip Wan Fat2, Pharm.D., Stephanie Dib2, Pharm.D., Walid Nahi2, Pharm.D., Alexandra Khoury2, Pharm.D., Jean-David Parent2, Pharm.D., Ema Ferreira2,3, B.Pharm., M.Sc., Pharm.D., FSCPH
Reçu le 15 juin 2018: Accepté après révision par les pairs le 09 septembre 2018
Résumé
Objectif : Présenter les répercussions sur le processus de soins pharmaceutiques des sept nouvelles activités que la Loi 41 a accordées aux pharmaciens québécois et qui ont été implantées en décembre 2017 dans le cadre d’un projet pilote en obstétrique-gynécologie au CHU Sainte-Justine.
Description de la problématique : L’implantation et l’évaluation des activités de la Loi 41 tardent en milieu hospitalier, et les établissements de santé québécois ne disposent d’aucune méthode préétablie pour évaluer ces activités.
Résolution de la problématique : Du 11 décembre 2017 au 18 mai 2018, 200 activités nouvellement autorisées ont été effectuées par les pharmaciennes et les étudiants en pharmacie du département d’obstétrique-gynécologie: 45 % concernaient des ajustements médicamenteux, 25 % des prescriptions sans diagnostic, 24 % des prolongations d’ordonnances et 4,5 % des analyses de laboratoire. Outre le recensement des activités des pharmaciens, les investigateurs ont effectué un sondage auprès des infirmières et des médecins, qui ont été majoritairement favorables au projet. Ils ont aussi été en mesure d’évaluer l’impact clinique des activités selon l’échelle Overhage et coll.: 81 % d’entre elles ont été jugées significatives alors qu’aucune activité n’a été délétère.
Conclusion : L’implantation des activités réservées découlant de la Loi 41 a été réussie dans le cadre des activités du département d’obstétrique-gynécologie du CHU Sainte-Justine. La démarche décrite comporte non seulement la description des activités, mais également une démarche évaluative qui permet de confirmer les retombées de la Loi 41. À notre connaissance, il s’agit d’une première au Québec en milieu hospitalier.
Mots clés : Établissement de santé, évaluation des résultats et des processus de soins en santé, Loi 41, pharmacie, service hospitalier de gynécologie et d’obstétrique
Abstract
Objective : To describe the impact of the pharmaceutical care process for the seven new activities granted to Quebec pharmacists by Bill 41, which were implemented at the CHU Sainte-Justine in December 2017 as part of an obstetrics/gynecology pilot project.
Problem description : The implementation and evaluation of the activities set out in Bill 41 has been a long time coming in hospitals, and Quebec’s health-care institutions do not have a preestablished method for evaluating these activities.
Problem resolution : From December 11, 2017 to May 18, 2018, there were 200 instances in which the newly authorized activities were performed by the pharmacists and pharmacy students in the Department of Obstetrics and Gynecology: 45% involved medication adjustments, 25% prescriptions with no diagnosis, 24% prescription extensions and 4.5% laboratory tests. In addition to the inventory of the pharmacists’ activities, the investigators conducted a survey among the nurses and physicians, most of whom were in favour of the project. They were also able to assess the clinical impact of the activities using Overhage et al.’s scale: 81% of them were considered significant, and no activity was deleterious.
Conclusion : The reserved activities set out in Bill 41 have been successfully implemented within the framework of the activities of the CHUSJ’s Department of Obstetrics and Gynecology. The approach described involves not only a description of the activities, but also an evaluative approach that can be used to confirm the repercussions of Bill 41. To our knowledge, this is a first in a Quebec hospital.
Keywords : Bill 41, evaluation of outcomes and health care processes, health-care institution, hospital services in obstetrics and gynecology, pharmacy
Avec près de 500 lits et une équipe de 36 pharmaciens, le CHU Sainte-Justine (CHUSJ) est le seul établissement de santé au Québec consacré exclusivement aux soins mère-enfant1,2. L’intégration des pharmaciens au sein des équipes traitantes a pris son élan dans les années 90, et leur rôle continue de s’accroître à ce jour1. Depuis le 20 juin 2015, la Loi 41 permet aux pharmaciens d’effectuer sept nouvelles activités, telles que la prolongation, l’ajustement et la substitution de l’ordonnance d’un médecin3,4. Un rapport de l’Ordre des pharmaciens du Québec datant de juin 2017 révélait que plus de 710 000 nouvelles activités avaient été effectuées depuis l’instauration de la Loi 41 en milieu communautaire en 2015. Toutefois, l’implantation de ces activités tarde en milieu hospitalier, car la pratique des pharmaciens dans ce milieu se distingue de la pratique en communautaire par sa complexité, la proximité de l’équipe traitante, les nombreux intervenants, les instances locales dictant les pratiques et la présence d’ordonnances collectives6.
Dans l’optique d’amorcer l’implantation des nouvelles activités au CHUSJ, le département d’obstétrique-gynécologie a lancé le 11 décembre 2017 une expérience pilote qui devait mener à une évaluation. Or, bien que l’évaluation de l’activité soit essentielle à l’amélioration de la qualité des soins au sein d’un hôpital, les nouvelles activités associées à la Loi 41 ne sont pas toujours adéquatement évaluées, vu les contraintes de temps et les ressources limitées7. En ce moment, plusieurs hôpitaux les ayant implantées ne les ont pas encore évaluées8–15.
L’objectif de cet article vise à décrire l’implantation des activités de la Loi 41 dans le département d’obstétrique-gynécologie du CHUSJ et de présenter, au moyen d’indicateurs objectifs, leurs retombées sur le processus de soins.
Les nouvelles activités autorisées par la Loi 41 occupent une place grandissante en milieu communautaire. Mais la situation est différente en milieu hospitalier, et les pharmaciens de plusieurs établissements n’ont pas encore intégré les nouvelles activités de la Loi 41 à leur quotidien6. Jusqu’en décembre 2017, le CHUSJ faisait partie de l’un d’entre eux. Quant aux hôpitaux ayant procédé à l’implantation des nouvelles activités, l’évaluation objective des retombées des nouvelles activités sur le processus de soins ne semble pas non plus avoir été effectuée. Nous avons pu le constater en contactant l’Association des pharmaciens des établissements de santé du Québec (A.P.E.S.) et plusieurs hôpitaux québécois, dont le CHU de Québec-Université Laval, le Centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) de l’Outaouais et le CISSS de la Montérégie-Centre8–16.
Les méthodes d’implantation et d’évaluation varient selon les milieux. De plus, au sein du même établissement, l’hétérogénéité des méthodes complexifie les comparaisons. Par ailleurs, bien que les activités aient été quantifiées, peu de milieux avaient établi des indicateurs prospectifs pour procéder à une évaluation à long terme. Comme le recensement des activités était parfois volontaire, il semble difficile de retrouver leurs traces8–16.
Certains établissements ont effectué des sondages auprès de différents professionnels de la santé17. Cependant, les données recueillies sont subjectives et peuvent comporter des biais de désirabilité17. Il est intéressant de faire une analyse subjective, mais idéalement, il ne faudrait pas s’y limiter.
Au CHUSJ, un mécanisme de recueil standardisé de l’information sur les activités dans le dossier pharmacologique informatisé (GesphaRxMD, CGSI TI inc., Québec Canada) et dans le dossier-patient papier en vue d’une évaluation prospective a été instauré en décembre afin de permettre une analyse descriptive.
Le projet pilote a été approuvé par le comité exécutif du Conseil des médecins, dentistes et pharmaciens (CMDP) en novembre 2017, après quoi les investigateurs ont pris contact avec l’A.P.E.S. et d’autres centres hospitaliers ayant déjà implanté les activités nouvellement autorisées par la Loi 41. Ensuite, à l’aide du guide produit par l’A.P.E.S., ils ont rédigé une politique sur les nouvelles activités du pharmacien et ont apporté des modifications à la règle d’émission des ordonnances pour que le pharmacien soit reconnu et autorisé dans l’hôpital comme prescripteur des activités ciblées6. Ils ont organisé des séances d’information pour les infirmières, les assistants techniques en pharmacie (ATP) et les pharmaciens. Ils ont également publié des communiqués dans les bulletins respectifs de ces professions afin de présenter le projet. Finalement, les acteurs du milieu ont graduellement introduit les nouvelles activités dans le département d’obstétrique-gynécologie, tout en priorisant celles qui cadraient mieux avec la pratique du département.
En mai 2018, à l’aide des logiciels GesphaRxMD et du dossier patient numérisé (ChartMaxxMD, Health IT Outcomes, Erie, PA, ÉUA), les investigateurs ont réuni les dossiers des patientes ayant bénéficié d’une activité prévue dans la Loi 41 depuis décembre 2017. Cela a été possible grâce à un code qui avait été créé dans GesPharxMD pour chacune des activités. Ils ont ensuite développé un outil facilitant la récolte des données nécessaires à l’analyse (tableau I et II). Cet outil de collecte consistait en un tableau Excel permettant de rassembler les différentes données présentées dans ces tableaux.
Par la suite, trois stagiaires ont évalué séparément l’impact clinique de chaque activité selon l’échelle d’Overhage et coll.18. Ils ont mis en commun leurs évaluations individuelles afin d’attribuer un degré d’impact clinique final à chacune des activités réalisées.
De plus, un sondage de dix questions prétesté puis distribué en mains propres ou envoyé par courriel aux infirmières et aux médecins du département d’obstétrique-gynécologie a permis de recueillir leur rétroaction. Les questions du sondage figurent à l’annexe. Les réponses ont été colligées anonymement. La démarche d’évaluation de la qualité de l’acte a été approuvée par le CMDP. Une autorisation du directeur des services professionnels a été obtenue pour la publication du présent article. Afin d’élargir le nombre de personnes sondées, les investigateurs ont publié une annonce dans les communiqués adressés aux médecins et aux infirmières et avisé les responsables de la formation continue.
Les résultats obtenus ont été présentés au département de pharmacie et au comité exécutif du CMDP au début du mois de juin 2018. Dans l’ensemble, le tout a été bien accueilli, et tous avaient hâte de prendre connaissance des répercussions des nouvelles activités dans les autres départements.
Entre le 11 décembre 2017 et le 18 mai 2018, les pharmaciennes et leurs stagiaires ont effectué 200 activités pour 123 patientes, ce qui correspond à environ 1,6 activité par patiente et 1,25 activité par jour. La durée d’hospitalisation moyenne et médiane était respectivement de 163 heures et 99 heures, dont sont exclues deux valeurs aberrantes de 1705 et 1969 heures. Nous supposons qu’une longue durée d’hospitalisation corrèle avec des patientes ayant des grossesses à risque et donne donc l’occasion aux pharmaciens d’effectuer un plus grand nombre d’activités. Ces dernières concernaient plus souvent des femmes de 31 à 40 ans qui étaient au troisième trimestre de grossesse. Les patientes qui sont à ce stade de la grossesse sont plus sujettes à de longues hospitalisations en raison du risque d’accouchement prématuré. Dans l’ensemble, 81,5 % des patientes avaient moins de cinq médicaments. Une hypothèse veut qu’étant donné que les patientes sont relativement jeunes, la prévalence de pathologies chroniques et le nombre de médicaments nécessitant l’exécution d’activités de la Loi 41 par les pharmaciens soient moindres. Il faut aussi prendre en compte le fait que les pharmaciens effectuent d’autres activités qui ne sont pas liées à la Loi 41, ce qui peut être confondant dans l’évaluation statistique des nouvelles activités.
Tableau I Caractéristiques générales, caractéristiques des patientes et impact clinique des actes
L’ajustement d’ordonnance est l’activité la plus fréquente, avec 93 activités qui impliquent 202 ordonnances. Le nombre d’ajustements comptabilisé est inférieur au nombre total des médicaments concernés, car un seul ajustement a été compté pour l’ensemble des médicaments ajustés au même moment pour une même patiente. C’était aussi le cas pour les autres activités de la Loi 41.
L’ajustement impliquant la réduction de la dose à zéro, ou suspension temporaire du traitement, est le type d’ajustement d’ordonnances le plus fréquemment réalisé (73,3 %). Cette observation n’a rien de surprenant, étant donné que la plupart des patientes hospitalisées en obstétrique-gynécologie sont sur le point d’accoucher et que certains médicaments ne sont plus requis après l’accouchement. Notons que l’ajustement des médicaments concerne le plus souvent ceux qui sont habituellement prescrits pour des problèmes obstétricaux (tableau II).
Dans l’ensemble, le laps de temps moyen entre l’élément déclencheur décelé (accouchement, erreur de dose, de la forme pharmaceutique, de la posologie ou de la durée de traitement) et l’ajustement était d’environ 21 heures. Certains éléments, tels que les fins de semaine, les prescriptions rédigées en soirée et la priorité de certains ajustements accordée à d’autres activités ont accru cette attente. En effet, 23 ajustements ont été retardés en raison d’une fin de semaine, en raison de l’absence de pharmacien à l’étage. Il serait donc raisonnable de prendre ce facteur en compte dans le calcul du retard moyen des ajustements. C’est pourquoi, lorsque l’élément déclencheur était survenu durant la fin de semaine, le retard était comptabilisé à partir de huit heures le lundi suivant, moment de l’arrivée des pharmaciennes. Il en est résulté que le laps de temps moyen ajusté entre l’élément déclencheur et l’ajustement était d’environ 17 heures, ce qui semble être un intervalle de temps raisonnable compte tenu de la priorisation des interventions et du nombre de patientes suivies par les pharmaciens.
Au total, 48 prolongations d’ordonnances concernant 84 prescriptions ont été effectuées. Lorsque le pharmacien prolongeait la prise de plusieurs médicaments au cours d’une hospitalisation, une seule prolongation était prise en compte. Ces prolongations s’inscrivent dans la démarche du bilan comparatif des médicaments entre l’admission, le séjour et le congé.
Près de 95 % des prolongations couvraient toute la période de l’hospitalisation, car les médicaments en question n’avaient pas été represcrits à l’admission. Le laps de temps moyen entre l’admission et la prolongation d’ordonnances était de 35 heures. Sont exclus de ce calcul les médicaments qui ont été prolongés en cours d’hospitalisation alors qu’ils n’étaient pas requis au moment de l’admission, car le laps de temps aurait été aberrant (p. ex. 359 heures pour la prolongation d’une crème pour de l’eczéma). Quant au laps de temps médian entre l’admission et la prolongation d’ordonnances, il est de 22 heures, ce qui semble acceptable, puisque les patientes passent souvent par l’urgence avant d’être admises à l’étage où elles sont alors vues par les pharmaciennes et que les laps de temps ont été calculés à partir de l’heure et de la date d’admission à l’hôpital. Ce raisonnement s’applique aussi au temps d’attente de la réalisation des autres activités. Ajoutons à cela le laps de temps entre la prescription dans le dossier patient et l’heure à laquelle l’infirmière transmet cette prescription à la pharmacie de l’hôpital ainsi que celui de l’inscription du médicament au profil pharmacologique de GesphaRxMD avant que le tout soit analysé par un pharmacien.
Tableau II Résultats de la collecte de données par activité autorisée par la Loi 41
Près de 25 % des médicaments dont la prise a été prolongée concernent les vitamines et minéraux, tels que le sulfate ferreux et la vitamine B12. De plus, les médicaments les plus fréquemment prolongés sont spécifiquement la vitamine D et la lévothyroxine, l’une et l’autre dans 14 % des cas, ce qui est peu étonnant, compte tenu la population soignée en obstétrique-gynécologie.
Bien que toutes les conditions mineures liées à la prescription sans diagnostic aient été prises en compte, les pharmaciens n’ont prescrit que pour quatre d’entre elles (tableau II). Les multivitamines prénatales et le dimenhydrinate sont les médicaments les plus prescrits, ce qui concorde avec les pathologies fréquemment traitées en obstétrique-gynécologie et incluses dans la Loi 41. Le laps de temps moyen entre l’apparition des signes et symptômes de ces conditions mineures et la prescription est d’environ 36 heures. Nous aurions voulu évaluer le temps qui s’est écoulé entre la prescription du pharmacien et la mention au dossier patient de la réduction des signes et symptômes, mais nous n’avons pas été en mesure de le faire, puisque les notes au dossier patient ne mentionnaient pas toujours la date et l’heure de l’amélioration des symptômes. En outre, il y avait souvent des facteurs confondants à la suite de la prescription du pharmacien, comme l’intervention d’autres professionnels avant la diminution des symptômes.
Les investigations n’ont porté que sur neuf prescriptions d’analyses de laboratoire qui ont donné lieu à 11 analyses (l’activité inscrite dans la Loi pouvait inclure plusieurs analyses), ce qui pourrait s’expliquer par le fait qu’il s’agissait de l’une des dernières activités implantées et qu’une analyse pouvait compter plusieurs laboratoires (p. ex. tobramycine, taux d’azote uréique et créatinine). Le laps de temps moyen entre l’élément déclencheur et la prescription de l’analyse de laboratoire est d’environ 27 heures. Par élément déclencheur, citons par exemple la prescription d’un médicament dont on a besoin de recevoir le dosage ou qui influence une valeur de laboratoire. Ce temps d’attente, qui semble long, peut s’expliquer par le fait que, dans les situations recensées, les dosages n’étaient pas des interventions pharmaceutiques prioritaires au cours de la journée des pharmaciennes. Il arrivait également que celles-ci effectuent ces interventions à des moments précis de la journée, soit peu avant l’heure de la dose suivante d’un aminoside par exemple. Lors de cette période d’évaluation, les pharmaciennes n’ont pas prescrit certaines analyses, telles que les formules sanguines complètes et les électrolytes, puisque ces analyses font partie de protocoles et sont déjà prescrites sur les feuilles d’ordonnances préimprimées.
Le pharmacien qui prescrit une analyse de laboratoire doit en interpréter les résultats et en faire le suivi ou les transmettre à un autre collègue. Dans plusieurs cas, les suivis n’avaient pas été notés au dossier, puisqu’ils étaient effectués de façon verbale, ce qui constitue un point à améliorer dans le futur.
En premier lieu, nous avons tenté d’évaluer les effets des activités sur différents indicateurs, comme la mortalité, la morbidité et la qualité de vie19. La difficulté provenait du fait que les différents membres de l’équipe en faisaient une évaluation disparate. Certains indicateurs, comme l’observance et le coût, n’ont pas été pris en considération, puisqu’il leur était impossible d’évaluer l’impact des activités sur ces indicateurs avec les données que nous avons été en mesure d’extraire des dossiers patients. L’échelle d’Overhage, comportant six niveaux, nous a permis de classer les interventions en fonction de leur caractère significatif ou non sur le plan clinique18 (tableau I). Ainsi, 80,9 % des interventions ont été jugées cliniquement significatives, autrement dit, elles ont permis de procurer des soins optimaux accompagnés d’une amélioration de la qualité de vie, mais sans impact majeur (p. ex. sur le plan de la mortalité) sur la santé du patient. Les activités jugées très significatives permettaient de prévenir un effet indésirable potentiel ou une interaction majeure (p. ex. réduction à zéro de la dose d’un anti-inflammatoire non stéroïdien en présence de lithium). Les interventions faiblement significatives concernaient, par exemple, la réduction à zéro des multivitamines prénatales après l’accouchement afin de diminuer la constipation en période post-partum. Parmi les activités jugées non significatives, on trouve la vérification de la dose d’un médicament sans qu’aucun ajustement n’ait été apporté à l’ordonnance initiale du médecin. Aucune activité n’a été jugée néfaste.
Certaines erreurs ont été relevées au moment de l’analyse des données. Tout d’abord, 11 ajustements à zéro de l’oxazépam ont été notées, alors que le pharmacien n’a pas le droit d’ajuster des ordonnances de stupéfiants, de drogues contrôlées et de substances ciblées en vertu de la Loi 41. Comme l’oxazépam prescrit au besoin pour les grossesses présentant un risque élevé fait partie d’un protocole de l’hôpital, l’ajustement a été effectué à plusieurs reprises. Selon les données recueillies, la raison justifiant l’ajustement à zéro de l’oxazépam était d’éviter la poursuite de ce médicament devenu non nécessaire en post-partum. Une autre erreur détectée à six reprises a été une appellation erronée des activités inscrites aux dossiers médicaux. Par exemple, un ajustement pouvait consister en une prolongation d’ordonnance à l’admission. Notre équipe a noté à trois reprises une activité posée sans qu’elle soit nécessaire, c’est-à-dire deux prolongations effectuées à l’admission alors qu’un médecin avait déjà represcrit les médicaments et la mention d’un ajustement alors que le pharmacien avait simplement vérifié la dose prescrite (p. ex. le calcul de la dose absolue de méthotrexate à partir d’une prescription en mg/m2 alors que le poids et la taille étaient mentionnés). À l’inverse, il est également arrivé à trois reprises qu’une activité de la Loi 41 ait été effectuée sans qu’elle soit rapportée dans le logiciel GesphaRxMD. D’ailleurs, les activités n’ont probablement pas toutes été détectées. Parmi les autres points notés, il y a également eu trois ajustements pour hausser la dose de certains médicaments alors qu’aucune cible thérapeutique n’avait été mentionnée au dossier. Notons de plus que, selon la Loi 41, le pharmacien ne peut pas ajouter une posologie manquante à la prescription d’un médecin (sauf s’il s’agit d’une condition mineure prévue par la Loi), puisque cela reviendrait à prescrire le médicament en question. De telles irrégularités étaient attendues étant donné que l’expérience pilote constituait une période de rodage en vue de l’implantation définitive de ces activités au CHUSJ. Les investigateurs ont tenu une conférence à l’intention des pharmaciens afin de leur présenter les résultats de cette étude et d’uniformiser les pratiques dans le but d’accroître la conformité aux pratiques attendues.
Au total, 21 infirmières et six médecins du département d’obstétrique-gynécologie ont répondu au sondage d’évaluation des nouvelles activités. La plupart des infirmières de jour ont été sondées alors que les médecins ont été moins nombreux à répondre, malgré une démarche similaire. Les infirmières connaissent bien l’ensemble des nouvelles activités du pharmacien à l’exception de la prescription et de l’interprétation des analyses de laboratoire (trois réponses sur 21) et de la prescription d’un médicament sans diagnostic requis (la moitié des réponses). Quant aux médecins, 85 % d’entre eux disent connaître toutes les activités autorisées par la Loi 41 sauf la prescription et l’interprétation d’analyses de laboratoire (67 %).
Une majorité d’infirmières, 76 %, et de médecins, 67 %, ayant répondu au sondage avaient déjà été en contact avec les nouvelles activités du pharmacien. Tous mentionnaient être à l’aise d’accorder une plus grande autonomie aux pharmaciens. De façon générale, les résultats étaient favorables aux nouvelles activités, surtout celles portant sur l’amélioration de la fluidité des soins et de la prise en charge des patients.
Par contre, les infirmières ont également soulevé certains aspects à améliorer. Tout d’abord, la moitié d’entre elles jugeaient que les nouvelles activités amenaient des difficultés de communication interprofessionnelle sur le plan du suivi des patients. Par exemple, elles ne savaient pas si une contre-signature d’un médecin était nécessaire lorsque le pharmacien réalisait une activité mentionnée dans la Loi. Elles craignaient aussi que les médecins ne prennent pas le temps de réévaluer adéquatement le dossier des patientes évaluées par les pharmaciens, puisque ces derniers corrigent systématiquement les ordonnances déposées au dossier. Ce point corrobore l’un des points soulevés par les professionnels de la santé des autres hôpitaux sondés. Il sera donc important d’assurer une communication optimale au sein de l’équipe médicale pour faire en sorte que les nouvelles activités du pharmacien aient un impact positif.
Il s’agit tout d’abord d’une étude rétrospective sans groupe témoin. Ensuite, le nombre d’activités réalisées demeure limité, mais il constitue une base suffisante pour déterminer les enjeux et accompagner les changements en cours. Enfin, une démarche similaire pourrait être réalisée en pédiatrie et auprès d’autres types de patients.
Au département d’obstétrique-gynécologie du CHUSJ, l’implantation des activités réservées découlant de la Loi 41 peut être qualifiée de réussite. Le processus décrit comporte non seulement la description des activités, mais également une démarche évaluative et objective à partir de méthodes validées, ce qui permet de confirmer les effets positifs de ces nouvelles activités attribuées aux pharmaciens. À notre connaissance, il s’agit d’une première au Québec en milieu hospitalier.
Cet article comporte une annexe; elle est disponible sur le site de Pharmactuel (www.pharmactuel.com).
Aucun financement en relation avec le présent article n’a été déclaré par les auteurs.
Tous les auteurs ont rempli et soumis le formulaire de l’ICMJE pour la divulgation de conflits d’intérêts potentiels. Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec le présent article.
Les auteurs souhaitent remercier les personnes citées dans les références pour leur disponibilité et le temps investi dans les entretiens téléphoniques. Une autorisation écrite a été obtenue de ces personnes.
1. Association des pharmaciens des établissements de santé du Québec (A.P.E.S.). Centre hospitalier universitaire Ste-Justine. [en ligne] https://www.apesquebec.org/lapes/histoire/fiches-historiques/centre-hospitalier-universitaire-sainte-justine (site visité le 21 mai 2018).
2. CHU Sainte-Justine. Le CHU en bref. [en ligne] https://www.chusj.org/fr/a-propos/qui-sommesnous/Le-CHU-en-bref (site visité le 21 mai 2018).
3. Assemblée nationale du Québec (ASSNAT). Loi concernant principalement la mise en œuvre de certaines dispositions du discours sur le budget du 4 juin 2014 et visant le retour à l’équilibre budgétaire en 2015–2016. [en ligne] http://www.assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/projets-loi/projet-loi-28-41-1.html (site visité le 21 mai 2018).
4. Ordre des pharmaciens du Québec (OPQ), Collège des médecins du Québec (CMQ). Loi 41: Guide d’exercice sur les activités réservées aux pharmaciens. [en ligne] https://www.opq.org/doc/media/1713_38_fr-ca_0_guide_exercice_activites_reservees_pharmacien.pdf (site visité le 21 mai 2018).
5. Ordre des pharmaciens du Québec (OPQ). La Loi 41 fête son deuxième anniversaire. [en ligne] https://www.opq.org/fr-CA/pharmaciens/nouvelles/2017-06-20-la-loi-41-fete-son-deuxieme-anniversaire- (site visité le 21 mai 2018).
6. Marceau N, Bourassa É, Martineau J, Parent M, Tremblay R. Loi 41: Guide d’exercice pour les pharmaciens des établissements de santé du Québec. [en ligne] https://www.apesquebec.org/sites/default/files/private/documentation/forfait/2016-02-23/20160224-eve-loi41-guide.pdf (site visité le 3 mai 2018).
7. Collège des médecins du Québec (CMQ). L’évaluation de l’acte médical. [en ligne] http://www.cmq.org/publications-pdf/p-1-2013-08-01-fr-evaluation-acte-medical.pdf (site visité le 21 mai 2018).
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9. Ip Wan Fat O. Entretien téléphonique avec Élisabeth Bourassa, pharmacienne au CHU de Québec-Université Laval. 22 novembre 2017.
10. Ip Wan Fat O. Entretien téléphonique avec Nathalie Marceau, conseillère aux affaires professionnelles de l’A.P.E.S. 22 novembre 2017.
11. Ip Wan Fat O. Entretien téléphonique avec Carl Desparois, chef du département de pharmacie du CISSS de l’Outaouais. 22 novembre 2017.
12. Ip Wan Fat O. Entretien téléphonique avec Mikaël Dumoulin, adjoint aux affaires professionnelles au CISSS de la Montérégie Centre. 22 novembre 2017.
13. Ip Wan Fat O. Entretien téléphonique avec Annick Dufour, adjointe aux soins pharmaceutiques et à la recherche clinique au CISSS de la Montérégie Centre. 1er mai 2018.
14. Ip Wan Fat O. Échange de courriel avec Marc Parent, pharmacien au CHU de Québec-Université Laval. 1er mai 2018.
15. Parent M. Vers une Loi 41 2.0: Une réflexion (A.P.E.S.). Conférence; 27 avril 2018.
16. Ip Wan Fat O. Entretien téléphonique avec Nathalie Marceau, conseillère aux affaires professionnelles de l’A.P.E.S. 1er mai 2018.
17. Audet N, Bilodeau I, Tremblay G, Bourrassa E. Description de l’application de la Loi 41 au Centre hospitalier universitaire de Québec – site Hôpital Saint-François d’Assise. Pharmactuel 2018;51:99–104.
18. Overhage JM, Lukes A. Practical, reliable, comprehensive method for characterizing pharmacists’ clinical activities. Am J Health Syst Pharm 1999;56:2444–50.
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PHARMACTUEL, Vol. 51, No. 4, 2018