Christine Hamel1,2, B.Pharm., M.Sc., Michel LeBlanc1, B.Pharm., M.Sc., Alexandre Van Acker Dugas3,4, Pharm.D.
1Pharmacien, Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de l’Estrie-Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke, Hôpital Brome-Missisquoi-Perkins, Cowansville (Québec) Canada;
2Rédactrice en chef, Pharmactuel, Montréal (Québec) Canada;
3Candidat au Pharm.D. au moment de la rédaction, Faculté de pharmacie, Université de Montréal, Montréal (Québec) Canada, Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de l’Estrie-Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke, site Hôpital Brome-Missisquoi-Perkins, Cowansville (Québec) Canada;
4Pharmacien, pharmacie Familiprix Extra Yanick Fournier, Saint-Constant (Québec) Canada
Reçu le 29 novembre 2018: Accepté après révision par les pairs le 4 juin 2019
Titre de l’article : Digoxin and mortality in patients with atrial fibrillation. J Am Coll Cardiol 2018;71:1063-741.
Auteurs : Lopes RD, Rordorf R, De Ferrari G, Leonardi S, Thomas L, Wojdyla DM et coll.1
Commanditaires : L’étude ARISTOTLE a été financée par Bristol-Myers Squibb/Pfizer. La sous-analyse examinée dans le présent article a été financée et soutenue par l’Institut de recherche clinique Dukes, Bristol-Myers Squibb/Pfizer et en partie par l’Agence pour la recherche et la qualité en santé (Agency for Healthcare Research and Quality).
Cadre de l’étude : La digoxine est utilisée depuis des siècles pour traiter différentes pathologies cardiaques2. Certaines études en insuffisance cardiaque (IC) ont démontré l’efficacité de la digoxine pour diminuer le taux d’hospitalisation, réduire les symptômes et améliorer la tolérance à l’effort ainsi que la qualité de vie des patients ayant un trouble du rythme sinusal3–6. Par contre, des études récentes ont montré une augmentation du risque de décès de toutes causes des patients atteints d’IC à fraction d’éjection ventriculaire gauche (FEVG) diminuée avec la digoxine, lorsque la digoxinémie n’est pas située dans l’intervalle 0,5 à 0,7 ng/mL (0,6 à 0,9 nmol/L)7. La Société canadienne de cardiologie recommande de viser une digoxinémie d’au plus 1,2 ng/mL (1,5 nmol/L) lorsque la digoxine est utilisée pour les patients atteints de fibrillation auriculaire (FA)8. L’efficacité de la digoxine a cependant été évaluée avant l’arrivée des béta-bloqueurs, du sacubitril/valsartan et des antagonistes des récepteurs minéralocorticoïdes, trois classes de médicaments ayant démontré des avantages sur le plan de la mortalité et des hospitalisations dues à l’IC9–13.
À ce jour, aucune étude à répartition aléatoire, contrôlée, à grande échelle et à long terme, n’a été effectuée pour évaluer les avantages et la sécurité de la digoxine dans les cas de FA. Plusieurs études observationnelles ont obtenu des résultats contradictoires14–16. Une des principales faiblesses de ces études réside dans le fait que la digoxinémie n’a pas été systématiquement mesurée. Malgré ces faibles données probantes, la digoxine demeure, avec les béta-bloqueurs, l’une des molécules les plus utilisées pour le contrôle de la fréquence cardiaque17. De plus, les lignes directrices de la Société canadienne de cardiologie de 2016 mentionnent que la digoxine demeure une option de deuxième ligne pour les patients dont la FA n’est pas maîtrisée malgré l’utilisation de béta-bloqueurs ou d’inhibiteurs des canaux calciques8.
L’étude ARISTOTLE, publiée en 2011, visait à évaluer l’efficacité et la sécurité de l’apixaban comparativement à la warfarine pour les patients atteints de FA non valvulaire18. La présente étude est une analyse observationnelle post-hoc d’ARISTOTLE, qui visait à déterminer si la digoxine à elle seule était associée à une augmentation du risque de décès des patients atteints de FA et si la présence d’insuffisance cardiaque ou les concentrations sériques de digoxine jouaient un rôle dans l’association digoxine et risque de décès.
Protocole de recherche : Il s’agit d’une analyse observationnelle post-hoc effectuée à partir de la cohorte de patients participant à l’étude ARISTOTLE, dans plus de 1 000 centres répartis dans une quarantaine de pays. L’étude a été approuvée par les comités d’éthique de chacun des centres concernés.
Patients : Les patients admis dans l’étude ARISTOTLE devaient être atteints de FA et présenter un facteur de risque supplémentaire d’accident vasculaire cérébral (AVC). Les principaux critères d’inclusion prenaient en compte l’âge, qui devait être supérieur à 18 ans, la présence d’au moins deux épisodes de FA ou de flutter auriculaire ainsi que la présence d’au moins un facteur de risque d’AVC (âge de plus de 75 ans, antécédent d’AVC, d’ischémie cérébrale transitoire ou d’embolie systémique, survenue d’insuffisance cardiaque symptomatique dans les trois derniers mois ou FEVG inférieure ou égale à 40 %, diabète, hypertension). Les principaux critères d’exclusion comportaient la présence de FA ou de flutter auriculaire de cause réversible (thyrotoxicose, péricardite), une sténose mitrale modérée ou sévère, une augmentation du risque de saignements représentant une contre-indication à un anticoagulant par voie orale, une condition autre que la FA nécessitant une anticoagulation, une hypertension mal contrôlée de manière persistante (tension artérielle systolique supérieure à 180 mmHg ou diastolique supérieure à 100 mmHg), une endocardite active, la prévision d’une chirurgie majeure ou d’une ablation du circuit causant la FA ou le flutter auriculaire, un traitement avec une dose d’aspirine supérieure à 165 mg par jour ou avec une double thérapie antiplaquettaire, des comorbidités graves avec une espérance de vie inférieure à un an, un AVC dans les sept derniers jours, une clairance de la créatinine inférieure à 25 mL/min ou une créatinine supérieure à 221 μmol/L ainsi qu’une thrombocytopénie (plaquettes inférieures ou égales à 100 000/mm3) ou une anémie (hémoglobine inférieure à 90 g/L).
Interventions : L’utilisation de digoxine était documentée à chaque visite de suivi pendant l’étude ARISTOTLE, incluant les dates de début et de fin de traitement. Au début de l’étude, les patients étaient classés en deux groupes : ceux sous digoxine et ceux qui n’en recevaient pas. Les patients ayant commencé à prendre de la digoxine au cours de l’étude étaient qualifiés de nouveaux utilisateurs. Les patients étaient également classés comme présentant de l’IC ou non. Ce paramètre était défini de la façon suivante : la survenue d’IC symptomatique dans les trois derniers mois ou un antécédent d’IC avec une FEVG égale ou inférieure à 40 % ou encore une dysfonction ventriculaire modérée à sévère si la mesure de la FEVG n’était pas disponible. Des mesures de digoxinémies plasmatiques faites au début de l’étude ont permis d’évaluer l’association entre les concentrations plasmatiques de digoxine et la mortalité.
Points évalués : L’objectif primaire visait la mortalité de toutes causes. L’évaluation portait aussi sur la mortalité cardiovasculaire, la mortalité non cardiovasculaire et la mort subite cardiaque. Pour ce faire, deux analyses parallèles, soit une étude de prévalence et une étude d’incidence d’utilisation de digoxine ont été effectuées. L’étude de prévalence évaluait la différence d’événements survenus parmi les patients recevant déjà de la digoxine au début de l’étude par rapport à ceux qui n’en utilisaient pas. Quant à l’étude d’incidence, elle évaluait la différence d’événements pour les patients qui avaient commencé à prendre la digoxine durant l’étude comparativement à ceux qui n’en prenaient pas. Dans cette dernière analyse, les patients qui commençaient à prendre la digoxine étaient appariés à trois patients qui n’en prenaient pas. Les résultats étaient exprimés en risque relatif (RR) avec un intervalle de confiance à 95 % (IC 95 %). Le risque relatif était calculé à partir du nombre d’événements par 100 patients-années de suivi. L’analyse statistique consistait en un modèle de propension ajusté par régression logistique pour certaines variables. Une analyse multivariée a permis de mesurer l’effet de la digoxinémie sur les utilisateurs existants seulement.
Résultats : Les données disponibles concernaient 17 897 (98 %) participants à l’étude ARISTOTLE, qui porte sur l’utilisation de digoxine et la présence ou non d’IC. Parmi cette population, 5 824 patients (32,5 %) prenaient déjà de la digoxine au début de l’étude, tandis que 6 693 (37,4 %) présentaient une IC.
L’utilisation de digoxine au début de l’étude n’était pas associée à une augmentation de la mortalité de toutes causes (risque relatif ajusté [RR] : 1,09; intervalle de confiance à 95 % [IC 95 %] 0,96–1,23, p = 0,19). Les résultats étaient similaires avec ou sans présence d’IC. À la suite d’un ajustement du modèle pour des variables confondantes potentielles, la concentration plasmatique de la digoxine mesurée au début de l’étude, qui était utilisée comme variable continue, était en relation directe avec la mortalité de toutes causes. Chaque augmentation de 0,5 ng/mL (0,6 nmol/L) de la digoxinémie était associée à une augmentation de 19 % de la mortalité (RR : 1,19; IC 95 % : 1,07–1,32, p = 0,0010) dans l’ensemble de la population ainsi que parmi les patients atteints d’IC (RR : 1,22; IC 95 % : 1,08–1,38, p = 0,0018) et sans IC (RR : 1,18; IC 95 % : 0,97–1,45, p = 0,10). Les investigateurs ont observé que chaque augmentation de 0,1 ng/mL (0,13 nmol/L) de la digoxinémie correspondait à une augmentation de 4 % de la mortalité de toutes causes (RR : 1,04; IC 95 % : 1,01–1,06). Les patients qui avaient une concentration plasmatique égale ou supérieure à 1,2 ng/mL (1,5 nmol/L, n = 499; 11,4 %) connaissaient une augmentation significative du risque de mortalité de 56 % comparativement à ceux ne recevant pas de digoxine (RR : 1,56; IC 95 % : 1,20–2,04; p = 0,0011). En revanche, les digoxinémies inférieures à 0,9 ng/mL (1,15 nmol/L) et celles entre 0,9 et 1,2 ng/mL (1,15 et 1,5 nmol/L) ne produisaient aucune différence significative du risque de mortalité. La digoxine ne semblait pas influencer les résultats obtenus avec l’apixaban, comparativement à ceux avec la warfarine.
Parmi les 12 703 patients ne recevant pas de digoxine au début de l’étude, 873 (6,9 %) ont commencé à en prendre durant la période de suivi. Sept-cent-quatre-vingt-six (786) de ces patients ont été appariés à 2 337 participants témoins. Les patients ayant commencé à prendre de la digoxine en cours d’étude présentaient un risque significativement plus élevé de mortalité comparativement aux participants témoins (RR : 1,78; IC 95 % :1,37–2,31, p < 0,0001). La présence ou non d’IC n’influençait pas les résultats. Quant à la mortalité de toutes causes, le nombre nécessaire pour obtenir un effet nocif (number needed to harm, NNH) était de 34 à un an et de 17 à deux ans. Le temps médian avant le décès des patients ayant commencé à recevoir de la digoxine durant l’étude était de 165 jours. Dans cette étude, les nouveaux utilisateurs de digoxine présentaient un risque deux fois plus élevé de mort subite que les participants témoins (RR : 2,14; IC 95 % :1,11–4,12, p = 0,0230). Le temps médian avant le décès des patients ayant subi une mort subite était de 148 jours. La mortalité de toutes causes, la mortalité cardiovasculaire, la mortalité non cardiovasculaire et les hospitalisations pour IC étaient également significativement plus élevées parmi les nouveaux utilisateurs de digoxine. De fait, ces derniers présentaient un risque relatif d’hospitalisation liée à l’IC de 1,69 (IC 95 % : 1,15–2,49, p = 0,0083), ce qui est contraire aux résultats obtenus par certaines études antérieures3.
L’analyse post hoc que Lopes et coll. ont effectuée de la cohorte d’ARISTOTLE visait à déterminer si la digoxine est associée à une augmentation de la mortalité parmi les patients atteints de FA, avec ou sans IC. Les résultats de différentes études publiées à ce sujet au cours des dernières années étant contradictoires, cette question de recherche était très pertinente. Les résultats indiquent une association possible entre la concentration plasmatique de la digoxine et l’augmentation de la mortalité de toutes causes, surtout parmi les patients ayant une digoxinémie égale ou supérieure à 1,2 ng/mL (1,5 nmol/L). Les auteurs rapportent également que les nouveaux utilisateurs de digoxine font face à une augmentation de la mortalité cardiovasculaire et du taux de mort subite. Finalement, contrairement aux résultats obtenus lors d’autres études, Lopes et coll. ont montré une augmentation des hospitalisations liées à l’IC parmi les nouveaux utilisateurs de digoxine présentant également de la FA.
Plusieurs points forts de cette étude sont à souligner. Tout d’abord, le nombre important de participants, soit 17 987, ont été inclus dans l’analyse. Ensuite, un grand nombre de patients ont eu des digoxinémies. Par ailleurs, le financement de l’étude dépendait en partie de fonds publics et non seulement de l’industrie pharmaceutique. En outre, les objectifs évalués reposaient sur des paramètres objectifs et reproductibles. Enfin, malgré le fait que la méthodologie était de type observationnel, les auteurs ont fait d’importants ajustements pour des variables confondantes et un modèle de propension a été utilisé lors de l’analyse statistique à cet effet.
Cette étude présente néanmoins plusieurs points faibles. La nature rétrospective et l’analyse menée de manière post hoc sont moins rigoureuses qu’une étude à répartition aléatoire et peuvent avoir influencé les résultats. Par contre, avec les données probantes actuelles que l’on trouve dans la littérature scientifique, il est possiblement devenu non éthique que de mener une étude à répartition aléatoire évaluant si la digoxine augmente davantage la mortalité qu’un placebo20.
Par ailleurs, les concentrations plasmatiques de digoxine d’un bon nombre de patients qui en prenaient déjà n’étaient pas disponibles au début de l’étude et il n’existe pas de mesure de la digoxinémie de certains patients ayant commencé à prendre ce médicament en cours d’étude. De plus, l’hypo ou l’hyperkaliémie sont des facteurs contribuant à la toxicité de la digoxine. Pourtant, les auteurs ne font aucune mention des mesures des kaliémies des patients. Une autre faiblesse importante de l’étude réside dans le fait qu’il est possible qu’un biais de définition de l’insuffisance cardiaque ait été introduit. De ce fait, des symptômes d’IC dans les trois derniers mois ou une histoire de FEVG égale ou inférieure à 40 % de certains patients auraient pu ne pas être pris en compte. De plus, les symptômes d’IC n’étant pas très spécifiques, des patients ont pu être classés dans le groupe IC alors qu’en réalité, ils n’en souffraient pas. D’autre part, un biais de survie est également possible entre les nouveaux et les anciens utilisateurs, étant donné que les anciens utilisateurs ont démontré qu’avec le temps, ils toléraient bien la molécule. Par ailleurs, les personnes âgées avaient davantage recours à la digoxine, ce qui peut influencer les résultats sur la survie21. Dans la présente étude, les nouveaux utilisateurs de digoxine présentaient un risque deux fois plus élevé de mort subite que les témoins. Ainsi, la survie a pu s’améliorer avec le temps dans le groupe digoxine, puisque les patients plus fragiles semblaient avoir tendance à décéder plus rapidement que les patients moins vulnérables. Eisen et coll. ont par ailleurs démontré que les patients souffrant de FA aussi bien que d’IC qui recevaient la digoxine étaient généralement atteints de plus de comorbidités que ceux qui n’en utilisaient pas22.
Tout comme Lopes et coll., certains auteurs ont constaté une augmentation de la mortalité en présence de la digoxine. Plusieurs méta-analyses, comportant des études observationnelles, ont démontré une augmentation de 15 à 38 % du risque relatif de mortalité de toutes causes et environ 20 % du risque de décès cardiovasculaire parmi les patients souffrant de FA traités avec la digoxine20,23–26. L’influence de l’IC sur la mortalité parmi les patients atteints de FA est controversée, les résultats obtenus pour cette population étant contradictoires20,23–27.
Sethi et coll. ont effectué une revue systématique de littérature comptant 28 études et 2 223 participants atteints de FA ou de flutter auriculaire, qui n’a pas permis de détecter de différence de mortalité de toutes causes entre les patients prenant de la digoxine et ceux qui n’en prenaient pas14. Il est intéressant de constater qu’une analyse post hoc portant sur les participants à l’étude Losartan Intervention For Endpoint reduction in Hypertension (LIFE) démontrait une augmentation de la mortalité de toutes causes de 61 % en présence de la digoxine, mais lorsque le modèle était ajusté pour des covariables potentiellement confondantes, aucune différence statistiquement significative n’apparaissait28. Dans une méta-analyse de 52 études portant sur la digoxine, Ziff et coll. ont également observé que les études non ajustées démontraient une augmentation du risque de décès en présence de la digoxine, mais que l’analyse des études à répartition aléatoire seules montrait un risque non significatif15. Ces auteurs concluaient que les études observationnelles étaient incapables d’ajuster le modèle pour toutes les variables confondantes.
Le mécanisme d’action expliquant l’augmentation de la mortalité en présence de digoxine n’a pas été clairement élucidé. Plusieurs hypothèses ont été proposées, dont une augmentation du risque de décès causée par les arythmies, une augmentation du risque de mort subite cardiaque et une augmentation du risque d’AVC22,29,30. Certains auteurs mentionnent que la digoxine pourrait augmenter le risque thromboembolique en augmentant les niveaux de calcium intracellulaire24. Vamos et coll. émettent l’hypothèse, quant à eux, que la digoxine pourrait causer une augmentation du tonus vagal, une diminution de la période réfractaire auriculaire et une diminution de la conduction au noeud auriculoventriculaire, ce qui pourrait contribuer au développement d’arythmies25. Finalement, la digoxine pourrait influencer le système neuroendocrinien et la fonction baroréceptrice des patients souffrant de FA21.
Plusieurs auteurs ont corrélé l’augmentation du risque de décès des patients sous digoxine avec des digoxinémies plus élevées20,24. Lopes et coll. concluent à une corrélation importante entre la digoxinémie et la mortalité, une digoxinémie supérieure à 1,2 ng/mL (1,5 nmol/L) étant associée à une augmentation de 56 % de la mortalité. L’association entre la digoxinémie et la mortalité observée par Lopes et coll. concorde avec la sous-analyse de l’étude DIG3,7. La présence d’insuffisance rénale aiguë pourrait contribuer à l’obtention de digoxinémies suprathérapeutiques. Ce point est important à prendre en considération, étant donné que la digoxine est une molécule présentant un index thérapeutique étroit. Ainsi, Kongkaew et coll. ont démontré une prévalence de sous-dosage de 33,04 % et une prévalence de surdosage de 33,8 % de la digoxine pour des patients souffrant de FA et/ou d’IC31.
La digoxine n’est plus un traitement de premier choix selon les lignes directrices les plus récentes portant sur l’IC32. Par contre, la digoxine administrée à une dose permettant de respecter une digoxinémie inférieure à 1,2 ng/mL (1,5 nmol/L) demeure un choix approprié pour les patients atteints de FA qui ne peuvent contrôler de façon optimale leur fréquence cardiaque avec un agent de première ligne8. Toutefois, étant donné l’association possible entre la digoxine et une augmentation de la mortalité, il est important de bien examiner les risques et les avantages avant d’introduire ce médicament. Le pharmacien joue un rôle clé dans l’utilisation sécuritaire de cet agent à index thérapeutique étroit. De fait, il peut participer activement au suivi des digoxinémies, par exemple lorsqu’une interaction médicamenteuse potentielle est décelée ou dans un contexte de fonction rénale altérée. Par conséquent, le pharmacien peut procéder à l’ajustement des doses de digoxine afin de réduire le plus possible le risque d’effets indésirables et de décès, particulièrement parmi les nouveaux utilisateurs, qui semblent plus exposés au risque de décès selon les résultats de cette étude. De plus, l’hypo ou l’hyperkaliémie étant des facteurs contribuant à la toxicité de la digoxine, le pharmacien doit veiller à ce que des kaliémies des patients recevant la digoxine soient mesurées fréquemment.
Plusieurs méta-analyses et revues systématiques publiées au cours des dernières années font état d’une augmentation de la mortalité des utilisateurs de digoxine atteints de FA avec ou sans IC. Les résultats obtenus par Lopes et coll. renforcent davantage le besoin d’évaluer très sérieusement les risques et les avantages d’entreprendre un traitement à la digoxine. De fait, l’analyse montre qu’une digoxinémie supérieure à 1,2 ng/mL (1,5 nmol/L) est associée à une augmentation de 56 % de la mortalité. Lorsque la digoxine fait partie de la thérapie d’un patient, il est primordial de l’utiliser de manière prudente, afin de limiter le plus possible les risques. Le pharmacien, en collaboration avec le médecin, peut jouer un rôle clé dans l’utilisation sécuritaire de la digoxine, en effectuant des suivis de digoxinémies et en ajustant les doses au besoin.
Aucun financement en relation avec le présent article n’a été déclaré par les auteurs.
Tous les auteurs ont rempli et soumis le formulaire de l’ICMJE pour la divulgation de conflits d’intérêts potentiels. Christine Hamel est rédactrice en chef de Pharmactuel. Les autres auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec le présent article.
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PHARMACTUEL, Vol. 52, No. 4, 2019