Christine Hamel1,2, B.Pharm., M.Sc., Serge Maltais3, M.Sc.
Reçu le 4 avril 2019: Accepté après révision le 28 juin 2019
Résumé
Objectif : Décrire l’élaboration de listes fusionnées des abréviations interdites et des médicaments de niveau d’alerte élevé dans un centre intégré universitaire de santé et de services sociaux (CIUSSS de l’Estrie-CHUS).
Description de la problématique : La fusion d’établissements de santé depuis 2015 oblige l’uniformisation et la révision de plusieurs outils, protocoles et ordonnances collectives. La liste des abréviations interdites et de médicaments de niveau d’alerte élevé est un outil primordial pour assurer aux patients une prestation de soins sécuritaires.
Résolution de la problématique : Une analyse préliminaire, puis des discussions en plus grand groupe au sein d’un comité de pharmacologie ont permis d’élaborer une liste uniformisée d’abréviations interdites et de médicaments de niveau d’alerte élevé au CIUSSS de l’Estrie-CHUS. Les listes finales représentent un équilibre entre une inclusion exhaustive et une facilité d’utilisation et d’application dans toutes les installations de l’établissement.
Conclusion : L’uniformisation de ces listes nous permet de créer des outils centralisés pouvant être utilisés par tous, plutôt que de dupliquer le travail dans chaque installation. L’harmonisation de la liste des médicaments de niveau d’alerte élevé implique d’adapter au besoin les stratégies de gestion des risques avec ces abréviations et ce groupe de médicaments et de l’appliquer à l’ensemble de l’établissement.
Mots clés : Abréviation interdite, harmonisation, médicament de niveau d’alerte élevé
Abstract
Objective : To describe the development of merged lists of prohibited abbreviations and high-alert drugs in an integrated university health and social services centre (CIUSSS de l’Estrie-CHUS).
Problem description : The merger of health-care facilites since 2015 requires the standardization and review of several tools, protocols and collective prescriptions. The list of prohibited abbreviations and high-alert drugs is an essential tool for ensuring safe patient care.
Problem resolution : A preliminary analysis and subsequent larger-group discussions within a pharmacy and therapeutics committee led to the development of a standardized list of prohibited abbreviations and high-alert drugs at the CIUSSS de l’Estrie-CHUS. The final lists represent a balance between comprehensive inclusion and ease of use and application at all of the CIUSSS’s facilities.
Conclusion : The standardization of these lists is enabling us to create centralized tools that everyone can use, rather than duplicating work at each facility. Harmonizing the list of high-alert drugs involves adapting, as necessary, the strategies for managing the risks associated with these abbreviations and this group of drugs and using it throughout the institution.
Keywords : Harmonization, high-alert drug, prohibited abbreviation
La fusion des établissements de santé au Québec en 2015 a posé de nombreux défis1. L’un d’entre eux concerne l’uniformisation des outils utilisés dans les anciens établissements constituant désormais les centres intégrés de santé et de services sociaux (CISSS) ou centres intégrés universitaires de santé et de services sociaux (CIUSSS). Un CISSS regroupe des centres hospitaliers, des centres locaux de services communautaires, des centres d’hébergement de soins de longue durée, des centres de protection de l’enfance et de la jeunesse et des centres de réadaptation. Les CIUSSS regroupent les mêmes types d’installations que les CISSS, mais ils incluent également un centre hospitalier à mission universitaire. Le CIUSSS de l’Estrie-CHUS a été créé par la fusion de six réseaux locaux de services incluant les types d’installations mentionnés précédemment ainsi que le Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke et l’Institut universitaire de gériatrie de Sherbrooke.
Les listes d’abréviations interdites et de médicaments de niveau d’alerte élevé revêtent une importance capitale dans les établissements de santé, puisque dans le cas des abréviations, leur utilisation est associée à un risque accru d’erreurs et, pour la liste des médicaments de niveau d’alerte élevé, à des conséquences pouvant être dévastatrices pour les patients en cas d’événement indésirable2–4.
L’Institut pour la sécurité des médicaments aux patients (ISMP) des États-Unis publie sa première liste d’abréviations dangereuses en 1987 et sa première liste de médicaments de niveau d’alerte en 1998. Ces concepts font partie des exigences d’agences d’agrément, dont Agrément Canada, responsable de l’agrément des établissements de santé publics du Québec. Outre le besoin d’élaborer et de maintenir ces listes, des mesures conséquentes doivent être prises pour faire en sorte de ne pas utiliser les abréviations dangereuses sélectionnées et d’assurer la sécurité de l’usage des médicaments de niveau d’alerte élevé. Ces pratiques organisationelles requises (POR) revêtent une importance capitale pour la sécurité des patients, étant donné que des conséquences graves et parfois même mortelles sont survenues lors de l’utilisation inappropriée d’abréviations ou de médicaments de niveau d’alerte élevé6,7.
Les abréviations dangereuses ou interdites sont des abréviations, désignations de doses et symboles qui peuvent être facilement mal interprétés ou impliqués dans des événements indésirables causant des préjudices. Elles devraient être interdites dans les communications relatives aux médicaments2. Les médicaments de niveau d’alerte élevé sont, quant à eux, des médicaments qui présentent un risque accru de causer des préjudices importants aux patients si une erreur survient lors de leur utilisation3. Bien que les erreurs associées à ces médicaments ne soient pas très fréquentes, les conséquences encourues peuvent être catastrophiques pour les patients3.
La Loi modifiant l’organisation et la gouvernance du réseau de la santé et des services sociaux, notamment par l’abolition des agences régionales, est venue changer considérablement le visage du système de santé québécois en 20151. La fusion de plusieurs installations qui étaient auparavant indépendantes a engendré une hétérogénéité importante entre les processus et les outils utilisés. La fusion de plusieurs installations à missions diverses complexifie la création d’outils s’appliquant de manière uniforme aux différentes pratiques en vigueur dans le CIUSSS de l’Estrie-CHUS. Par contre, il est souhaitable d’uniformiser les outils de ces nouvelles structures. Cette harmonisation permet notamment de maximiser l’uniformisation des stratégies pour les médicaments de niveau d’alerte élevé, afin de renforcer la sécurité, une exigence de la POR d’Agrément Canada. Les patients sont dorénavant plus facilement transférables d’une installation à l’autre ainsi que les médecins qui peuvent aussi pratiquer dans différentes installations du nouvel établissement. L’utilisation des mêmes outils dans toutes les installations d’un CISSS ou d’un CIUSSS facilite l’apprentissage et l’adoption des règles en vigueur6.
Afin de palier le problème d’hétérogénéité des listes d’abréviations interdites et de médicaments de niveau d’alerte élevé au CIUSSS de l’Estrie-CHUS, le comité de pharmacologie du CIUSSS a été mandaté en 2018 pour effectuer un travail d’uniformisation de ces listes. Cet article présente un résumé du processus d’uniformisation ainsi que du plan de diffusion et d’implantation de ces outils dans les différentes installations du CIUSSS de l’Estrie-CHUS. La Direction des services professionnels du CIUSSS de l’Estrie-CHUS a délivré une autorisation de publication de cet article.
Une uniformisation des listes existantes des abréviations interdites au sein des anciens établissements a été entreprise au CIUSSS de l’Estrie-CHUS. Les auteurs ont effectué une analyse préliminaire des listes utilisées dans les différents établissements en créant un tableau informatisé qui répertorie les similitudes et les divergences entre les listes. Ils ont également inclus les abréviations se trouvant sur la liste d’ISMP Canada. De même, les abréviations interdites qui étaient identiques dans tous les établissements ont été conservées sans discussion dans la nouvelle liste, sauf si elles étaient désuètes. Les membres du comité de pharmacologie qualifiaient de désuètes les abrévitations qui n’avaient plus cours depuis plusieurs années au sein de toutes les installations (p. ex. l’abréviation « G » pour « grain », une unité de mesure ancienne qui n’est plus en usage). Lorsque les abréviations divergeaient, les investigateurs ont consulté les pharmaciens ayant l’historique des anciens établissements ainsi que les communications écrites émises à ce sujet. Ils ont également discuté avec différents intervenants provenant de toutes les installations pour recueillir leur opinion sur les abréviations interdites proposées avant présentation au comité de pharmacologie. Par la suite, le comité de pharmacologie a discuté des abréviations divergentes et des résultats de l’analyse pour décider si elles seraient retenues ou non. La liste finale a résulté d’un consensus des membres du comité de pharmacologie.
Ceux-ci ont aussi décidé d’intégrer une liste d’abréviations adéquates à l’outil qui serait diffusé. Cette pratique, qui a déjà cours dans l’une des installations, a suscité un réel intérêt de la part des prescripteurs. Les abréviations adéquates incluses dans cette liste étaient celles couramment utilisées dans toutes les installations, qui ne risquaient pas de porter à confusion. L’outil final développé au cours de ce processus est présenté à la figure 1.
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Figure 1 Liste d’abréviations interdites et adéquates uniformisée pour le CIUSSS de l’Estrie-CHUSa |
Un travail similaire a permis de produire une liste de médicaments de niveau d’alerte élevé. Ici encore, un tableau informatisé a favorisé une meilleure vue d’ensemble des similitudes et des différences entre les listes des anciens établissements. La liste de l’ISMP Canada a permis ensuite de valider la liste des médicaments de niveau d’alerte élevé et de s’assurer qu’il n’y ait aucune omission involontaire. Les auteurs ont révisé la liste de manière exhaustive et l’ont transmise au comité de pharmacologie avec le tableau informatisé mentionné précédemment, accompagnés de suggestions concernant les médicaments de niveau d’alerte élevé à conserver sur la liste finale. Les divergences ont par la suite fait l’objet de discussions en réunion du comité de pharmacologie. Ces discussions des membres du comité de pharmacologie provenant de chacune des installations ont abouti à un consensus sur la liste finale de médicaments de niveau d’alerte élevé qui a été produite (Figure 2).
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Figure 2 Liste de médicaments de niveau d’alerte élevé uniformisée pour le CIUSSS de l’Estrie-CHUSa,b |
Après la création de ces listes, il a fallu élaborer un plan de diffusion qui les mette à la disposition de tous les intervenants concernés, dans toutes les installations du CIUSSS de l’Estrie - CHUS. Tout d’abord, une demande a été effectuée auprès du comité de gestion des outils cliniques afin que les abréviations adéquates et interdites apparaissent sur les formulaires de prescription des différentes installations. Notons qu’aucune uniformisation rétroactive des formulaires de prescription n’a été effectuée jusqu’à maintenant dans les CIUSSS de l’Estrie-CHUS. Les anciennes prescriptions archivées ne contiennent donc pas la mise à jour de la liste d’abréviations interdites. La nouvelle liste d’abréviations interdites paraîtra prospectivement sur les nouveaux formulaires et sur les ordonnances préimprimées lors de leur création ou de leur révision par le comité de pharmacologie. Un article a été publié dans la VIEtrine Express, périodique hebdomadaire déposé sur l’intranet, pour annoncer les listes. De plus, la parution d’une série de capsules sur les abréviations dangereuses a débuté en août 2018 dans la VIEtrine, périodique bimestriel à l’interne paraissant à la fois sur l’intranet et sous forme papier destiné à l’ensemble de la communauté7. Les nouvelles listes ont été envoyées par courriel à tous les membres du Conseil des médecins, dentistes et pharmaciens (CMDP). Les listes sont disponibles sur l’intranet du CIUSSS et sur celui de la Faculté de médecine de l’Université de Sherbrooke8,9. Elles ont également été envoyées par courriel à tous les résidents en médecine, aux membres du Conseil multidisciplinaire et du Conseil des infirmiers et infirmières, du Conseil des infirmiers et infirmières auxiliaires, ainsi qu’aux étudiants en soins infirmiers. Des notes de services pour affichage ont été transmises aux différents services de l’ensemble des installations du CIUSSS de l’Estrie-CHUS. Une présentation des abréviations interdites et des médicaments de niveau d’alerte élevé a été offerte aux assistants techniques en pharmacie et aux pharmaciens. Les listes ont été présentées aux chefs adjoints pharmaciens, gérant chacune des installations, pour qu’ils les diffusent à leurs comités opérationnels du circuit du médicament respectifs. La liste d’abréviations adéquates et interdites sous forme plastifiée a été ajoutée à chaque dossier patient de certaines installations.
La conformité des ordonnances à la liste des abréviations interdites subira une vérification lors des collectes de données annuelles effectuées dans les installations hospitalières de l’établissement. De plus, le règlement d’émission des ordonnances du CIUSSS de l’Estrie-CHUS est présentement en révision, entre autres pour permettre l’intégration de la nouvelle liste d’abréviations adéquates et interdites. Une tournée des services médicaux et des différents services des unités de soins aura lieu pour informer tous les intervenants de ces nouvelles listes. Un suivi des communications de l’ISMP et une révision régulière de la liste d’abréviations interdites et des médicaments de niveau d’alerte élevé sont également prévus.
Les erreurs médicamenteuses surviennent de manière relativement fréquente, et on estime qu’en 2007, l’utilisation d’abréviations aurait été responsable d’environ 5 % de ces erreurs aux États-Unis10. Les erreurs survenant lors de l’utilisation de médicaments de niveau d’alerte élevé peuvent avoir des conséquences graves, voire mortelles pour les patients3,11. Par exemple, l’abréviation « U » pour les prescriptions d’insuline a été fréquemment associée à l’administration d’une dose décuplée de cette hormone et à des hypoglycémies graves ayant parfois mené au décès des patients10. La création de listes d’abréviations interdites et de médicaments de niveau d’alerte élevé au sein des établissements de santé est une étape essentielle à la prestation sécuritaire des soins de santé2,3.
Les points de transition entre les installations sont qualifiés d’étapes critiques où les erreurs médicamenteuses sont plus fréquentes6. Depuis la fusion des établissements de santé en CISSS ou CIUSSS en 2015, les patients sont appelés à transiter plus fréquemment entre les diverses installations d’un même centre intégré1. L’uniformisation des pratiques entre les installations d’un même CISSS ou CIUSSS devrait permettre de diminuer le risque d’erreurs11. De plus, les listes identiques d’abréviations et de médicaments de niveau d’alerte élevé dans toutes les installations diminuent le besoin de formations ainsi que le risque de confusion chez les intervenants pratiquant dans plusieurs milieux du même centre intégré11.
Malheureusement, depuis 2015, peu de travaux concernant l’uniformisation des pratiques ont été publiés. Nous présentons ainsi un des rares processus d’uniformisation qui soient publiés, soit la fusion des listes d’abréviations interdites et de médicaments de niveau d’alerte élevé ayant eu lieu au CIUSSS de l’Estrie-CHUS.
Lors de la fusion de la liste d’abréviations interdites au CIUSSS de l’Estrie-CHUS, les membres du comité de pharmacologie se sont assurés qu’elle contiendrait les abréviations les plus problématiques selon plusieurs organismes, dont le Programme de gestion thérapeutique des médicaments (PGTM) et le Joint Commission on Accreditation of Healthcare Organizations4,9. Ces abréviations sont cc, U/UI et qd4,12. De fait, des erreurs fréquentes sont causées par l’utilisation de cc, qui peut ressembler à zéro, à un double zéro ou à l’abréviation interdite U. L’unité de mesure adoptée par le Comité international des poids et mesures en 1946 (système international) est le millilitre ou son abréviation mL. L’utilisation de mL/h est donc plus appropriée. L’abréviation U/UI peut également être dangereuse, car ce symbole peut être confondu avec un zéro. La conséquence pour le patient est alors de recevoir dix fois la dose prescrite. Quant à l’abréviation QD (une fois par jour), le problème réside dans le fait qu’elle peut être confondue avec QID (quatre fois par jour)4.
Le zéro après la virgule peut décupler la dose si le séparateur décimal n’est pas évident. L’expression des doses inférieures à 1 sans ajout d’un zéro avant le séparateur décimal peut également décupler la dose si la virgule n’est pas visible4. Pour cette raison et à cause de la POR d’Agrément Canada concernant les abréviations interdites, les investigateurs ont décidé d’ajouter ces deux éléments à la liste d’abréviations à proscrire du CIUSSS de l’Estrie-CHUS.
Les abréviations de sublingual (SL) et sous-cutané (SC) peuvent aussi être confondues entre elles4. Étant donné l’utilisation moins répandue de formulations médicamenteuses sublinguales que sous-cutanées, l’abréviation SL a été proscrite et l’abréviation SC est qualifiée d’adéquate.
Les abréviations du nom des médicaments sont également à proscrire, car elles ne sont pas universellement reconnues, ce qui peut mener à une confusion en ce qui a trait à la substance prescrite2,4. Certains organismes recommandent d’interdire les abréviations MSO4 (pour « morphine sulfate “en anglais) et MgSO4 (la formule chimique pour le sulfate de magnésium), qui peuvent être confondues2,4. Nous avons choisi de ne pas ajouter ces abréviations à la liste interdite. Puisque l’abréviation MSO4 n’est pas utilisée, le risque de confusion est jugé négligeable. L’ISMP Canada et US n’interdisent pas de manière explicite les formules chimiques. Outre l’abréviation MgSO4 mentionnée cidessus, le risque d’erreur semble faible lors de l’utilisation de formules chimiques (p. ex. KCl). De plus, l’utilisation répandue de ces formules chimiques par les prescripteurs rendrait leur interdiction difficile à faire respecter. Pour ces raisons, les formules chimiques font partie des abréviations acceptées au CIUSSS.
L’expérience démontre que la liste en soi d’abréviations interdites ne diminue pas leur utilisation12,13. D’autres mesures sont nécessaires pour assurer le respect de cette liste par les prescripteurs. Le Programme de gestion thérapeutique des médicaments a publié en 2016 une étude portant sur l’évolution du taux de non-conformité des ordonnances concernant les abréviations interdites dans trois centres hospitaliers universitaires québécois à la suite de diverses interventions12. Les auteurs de cette étude concluent qu’il faut une variété et une combinaison de mesures d’intervention afin d’améliorer les pratiques de prescriptions. Plusieurs autres études corroborent ces résultats12,14,15. En plus des méthodes formatives, les ordonnances préimprimées sont un moyen habituellement efficace de diminuer l’utilisation d’abréviations dangereuses12. Plusieurs travaux axés sur cet objectif et favorisant l’uniformisation des pratiques sont en cours actuellement au sein du comité de pharmacologie. Ils portent sur la standardisation des protocoles, des ordonnances collectives et des ordonnances préimprimées au CIUSSS de l’Estrie-CHUS.
Plusieurs auteurs s’accordent sur le fait que l’utilisation d’un prescripteur électronique permet de diminuer de manière importante l’utilisation des abréviations interdites12,13. Par contre, peu d’établissements jouissent présentement de cette technologie. C’est également le cas au CIUSSS de l’Estrie-CHUS16. Bien que l’utilisation de prescripteurs électroniques soit plus sécuritaire, la POR d’Agrément Canada exige qu’une liste d’abréviations interdites soit maintenue à jour même avec l’utilisation de ces outils informatiques. Ainsi, l’uniformisation de la liste d’abréviations interdites s’est révélée essentielle dans notre milieu et d’autant plus pertinente que la prescription manuscrite sera encore abondamment utilisée durant la prochaine décennie.
Une phase d’audit sur les abréviations interdites est également une étape primordiale du processus d’amélioration du taux de conformité. Des audits ont parfois été menés à répétition, dans certains anciens établissements intégrés au CIUSSS15,17,18. Une collecte de données annuelle a été instaurée dans les installations hospitalières, et le taux d’abréviations interdites fait maintenant partie des indicateurs de sécurité du circuit du médicament de l’établissement. Les résultats sont présentés aux instances tactiques et stratégiques de gestion du circuit du médicament et des actions transversales pourront être entreprises en plus des mesures correctives provenant d’initiatives portant sur les installations. Cet audit pourrait notamment permettre de déterminer les installations dans lesquelles les interventions auront eu le plus de succès. Ceci pourrait aider par la suite les autres installations à établir des stratégies plus efficaces et à les appliquer.
La liste de médicaments de niveau d’alerte élevé uniformisée pour le CIUSSS reflète essentiellement celle de l’ISMP US, puisque l’ensemble de ces médiaments est utilisé dans notre établissement. Des auteurs mentionnent toutefois qu’une liste trop inclusive de médicaments de niveau d’alerte élevé pourrait devenir excessivement contraignante19. Les médicaments sur la liste de l’ISMP n’étant pas inscrits au formulaire (p. ex. teinture d’opium, insuline U-500) n’ont pas été inclus, de même que ceux sur la liste des anciennes installations ne figurant pas sur la liste de l’ISMP et pour lesquels il n’y avait pas de données probantes sur l’historique d’événements indésirables. Parmi les exceptions, le misoprostol par voie orale avait été ajouté à la liste de l’un des anciens établissements à la suite du besoin d’introduire une deuxième teneur au service de maternité et dont une erreur hypothétique de teneur aurait pu entrainer des conséquences graves pour la patiente. Une stratégie visant à rehausser la sécurité de son utilisation a été mise en place après une analyse prospective des risques, et le statut d’alerte élevé lui a été accordé pour reconnaître ce risque et le besoin de maintenir la stratégie.
Pour les médicaments de niveau d’alerte élevé comme pour les abréviations interdites, il ne suffit pas d’avoir une liste des éléments pouvant poser problème19. D’autres actions sont nécessaires, selon le type d’erreur possible avec chaque médicament19. Selon la POR sur la gestion des médicaments de niveau d’alerte élevé, une stratégie complète doit être élaborée et mise en place. L’harmonisation de la liste des médicaments de niveau d’alerte élevé implique donc une harmonisation des plans de sécurité des installations.
Le comité tactique interdisciplinaire du circuit du médicament du CIUSSS de l’Estrie-CHUS élabore en ce moment une stratégie de gestion des risques pour les médicaments de niveau d’alerte élevé. La prise en charge du plan d’intervention concernant les abréviations interdites et les médicaments de niveau d’alerte élevé sera placée principalement sous la responsabilité du Département de pharmacie. Bien que les données probantes soient plutôt rares et de faible qualité à cet effet, le taux de succès des interventions éducatives dirigées par des pharmaciens s’est révélé intéressant14,20.
Une révision périodique de la liste des abréviations interdites fait partie des éléments clés pour assurer une prescription sécuritaire des médicaments. On recommande une fréquence miminale bisannuelle19. Le comité de pharmacologie du CIUSSS de l’Estrie-CHUS prévoit plutôt une révision annuelle des listes afin de pouvoir ajouter rapidement un élément problématique au besoin. Une surveillance centrale de la littérature scitentifique, portant sur la sécurité du médicament effectuée par le Département de pharmacie et basée principalement sur le bulletin de sécurité et autres communications de l’ISMP, ainsi qu’une vigie des événements indésirables survenus dans l’établissement, détermineront si des médicaments ou des abréviations devraient être ajoutés ou retirés des listes21. Le mandat des comités opérationnels du circuit du médicament présents dans chaque installation, de même que celui du comité tactique transversal comporte la surveillance des événements indésirables.
Une des limites du présent projet est tout d’abord que la méthode utilisée pour l’uniformisation des listes était empirique. Ensuite, aucun outil de validation n’a permis de vérifier plus spécifiquement la liste des médicaments de niveau d’alerte élevé, par exemple le High-Alert Medication Stratification Toll-Revised (HAMST-R)22. Enfin, les rapports d’incidents spécifiques au CIUSSS n’ont pas servi à déterminer quels sont les médicaments de niveau d’alerte élevé utilisés localement21. Par contre, la méthode utilisée a permis de couvrir le plus largement possible les abréviations pouvant poser problème lors de la prescription d’ordonnances, sans alourdir de manière indue le processus de sélection. Ensuite, les listes d’organismes reconnus ont été consultées. Enfin, les investigateurs ont jugé préférable de discuter, avec des membres représentant chacun des anciens établissements, des éléments ajoutés et retirés à ces listes plutôt que d’imposer aux autres partenaires la liste de l’un des anciens établissements, et ce, afin de favoriser l’adhésion de tous aux nouveaux outils proposés.
La première étape de l’utilisation appropriée des abréviations dans les documents portant sur les médicaments et les médicaments de niveau d’alerte élevé dans notre CIUSSS consistait à uniformiser les listes en cours dans les différents établissements. L’uniformisation de ces listes nous permet de créer des outils centralisés pouvant être utilisés par tous, plutôt que de dupliquer le travail dans chaque installation.
L’harmonisation de la liste des médicaments de niveau d’alerte élevé implique d’adapter au besoin les stratégies de gestion des risques avec ce groupe de médicaments et de l’appliquer à l’ensemble de l’établissement. Les outils de diffusion à disposition sont également de plus grande envergure dans le nouveau CIUSSS, étant donné le nombre accru de professionnels devant être informés. Le pharmacien a un rôle important à jouer dans la création et la diffusion des listes d’abréviations interdites. Il est souvent le premier intervenant à constater le risque d’erreur lié à une abréviation ou la possibilité d’en éviter, puisqu’il connait les risques associés à une telle abréviation. Il peut également contribuer à une utilisation plus sécuritaire des médicaments de niveau d’alerte élevé, car il possède les connaissances requises pour comprendre les degrés de risque. Une évaluation de la conformité des ordonnances et des procédures de gestion des médicament de niveau d’alerte élevé sera nécessaire dans un avenir plus ou moins rapproché. Elle permettra d’évaluer l’impact de nos efforts et le besoin d’ajuster nos stratégies.
Cet article comporte une annexe; elle est disponible sur le site de Pharmactuel (www.pharmactuel.com).
Aucun financement en relation avec le présent article n’a été déclaré par les auteurs.
Tous les auteurs ont rempli et soumis le formulaire de l’ICMJE pour la divulgation de conflits d’intérêts potentiels. Christine Hamel est rédactrice en chef de Pharmactuel. Les auteurs n’ont déclaré aucun autre conflit d’intérêts en relation avec le présent article.
Les auteurs tiennent à remercier les membres du sous-comité de courte durée et du comité central de pharmacologie du CIUSSS de l’Estrie-CHUS ayant contribué à l’élaboration des listes d’abréviations interdites et de médicaments de niveau d’alerte élevé: Armelle Apter, Gentiane Gosselin, Patrice Lamarre, Dr Luc Lanthier et René Thibault. Une autorisation écrite a été obtenue de ces personnes.
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