Perception de la pharmacogénomique par les pharmaciens hospitaliers, les internes et les résidents en pharmacie français et québécois

Maud Harry1,2, D.Pharm., Denis Lebel3, B.Pharm., M.Sc., Simon de Denus4,5, B.Pharm., M.Sc., Ph.D., Nathalie Letarte6,7, B.Pharm., M.Sc., DESG, BCOP, Annie Lavoie8, B.Pharm., M.Sc., Géraldine Marquot9, Jean-François Bussières10,11, B.Pharm., M.Sc., MBA, FCSHP, FOPQ

1Assistante de recherche au moment de la rédaction, Unité de recherche en pratique pharmaceutique, Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine, Montréal (Québec) Canada;
2Pharmacienne, Centre hospitalier de Cornouaille, Quimper, France;
3Pharmacien, Chef-adjoint, soins, enseignement et recherche, Département de pharmacie et de l’Unité de recherche en pratique pharmaceutique, Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine, Montréal (Québec) Canada;
4Professeur titulaire, Faculté de pharmacie, Université de Montréal, Montréal (Québec) Canada;
5Chercheur et pharmacien, Institut de cardiologie de Montréal, Montréal (Québec) Canada;
6Pharmacienne, Centre hospitalier de l’Université de Montréal, Centre de recherche du Centre hospitalier universitaire de Montréal, Montréal (Québec) Canada;
7Professeure agrégée de clinique, Faculté de pharmacie, Université de Montréal, Montréal (Québec) Canada;
8Pharmacienne, Département de pharmacie et de Unité de recherche en pratique pharmaceutique, Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine, Montréal (Québec) Canada;
9Candidate au D.Pharm. au moment de la rédaction et assistante de recherche, Unité de recherche en pratique pharmaceutique, Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine, Montréal (Québec) Canada;
10Professeur titulaire de clinique, Faculté de pharmacie, Université de Montréal, Montréal (Québec) Canada;
11Pharmacien, Chef, Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine, Montréal (Québec) Canada

Reçu le 9 septembre 2019: Accepté après révision le 20 décembre 2019

Résumé

Objectif : L’objectif principal de cette étude vise à comparer la perception qu’ont de la pharmacogénomique les pharmaciens hospitaliers, internes et résidents en pharmacie hospitalière français à celle de leurs homologues québécois.

Mise en contexte : L’année 2003 marque la fin du séquençage du génome humain dans le cadre d’un travail concerté sur le plan international. Cette avancée scientifique incroyable ouvre notamment la porte à la pharmacogénomique et à son utilisation en pratique pharmaceutique. On connaît peu les attentes des pharmaciens hospitaliers, des internes et des résidents français et québécois.

Résultats : Un total de 285 pharmaciens hospitaliers, internes et résidents en pharmacie français et québécois ont répondu à un sondage. Les données de 278 répondants ont été analysées, soit 106 répondants en France (taux de réponse de 24,7 %, 106/429) et 172 répondants au Québec (taux de réponse de 33 %, 172/521). Une proportion limitée de répondants a reçu de la formation en pharmacogénomique (36,3 % en France et 29,5 % au Québec) et a donc été exposée à des résultats de tests pharmacogénomiques dans la pratique (31,4 % et 33,7 %). Toutefois, les répondants pensent que le développement de la pharmacogénomique permettra aux pharmaciens hospitaliers de participer davantage à la prise en charge du patient (79,4 % en France et 87,6 % au Québec).

Conclusion : Il existe peu de différence entre la perception qu’ont de la pharmacogénomique les pharmaciens hospitaliers, les internes et les résidents en pharmacie français et québécois. Ils pensent tous que la pharmacogénomique est appelée à prendre une place croissante dans leur pratique. Ils ont néanmoins exprimé des attentes et des appréhensions auxquelles il est possible de répondre par une formation adéquate, des lignes directrices claires et des balises de remboursement.

Mots clés : France, internes, perceptions, pharmaciens, pharmacogénétique, pharmacogénomique, Québec, résidents

Abstract

Objective : The main objective of this study is to compare the perception of pharmacogenomics of French hospital pharmacists and hospital pharmacy interns and residents and their Quebec counterparts.

Background : The year 2003 marked the conclusion of the sequencing of the human genome as part of a concerted, international effort. This incredible scientific breakthrough has opened the door to pharmacogenomics and its use in pharmaceutical practice. Little is known about the expectations of French and Quebec hospital pharmacists and pharmacy interns and residents.

Results : A total of 285 French and Quebec hospital pharmacists and pharmacy interns and residents responded to a survey. The data from 278 respondents were analyzed: 106 respondents in France (24.7% response rate, 106/429) and 172 respondents in Quebec (33% response rate, 172/521). A modest proportion of respondents had received pharmacogenomics training (36.3% in France and 29.5% in Quebec) and therefore had exposure to pharmacogenomic test results in practice (31.4% and 33.7%). However, the respondents felt that the development of pharmacogenomics will enable hospital pharmacists to be more involved in the management of patients (79.4% in France and 87.6% in Quebec).

Conclusion : There is little difference in the perception of pharmacogenomics among hospital pharmacists and pharmacy interns and residents in France and Quebec. All of them believe that pharmacogenomics will play a growing role in their practice. Nevertheless, they expressed certain expectations and apprehensions, which can be addressed through adequate training, clear guidelines and coverage parameters.

Keywords : France, interns, perceptions, pharmacists, pharmacogenetics, pharmacogenomics, Quebec, residents

Introduction

L’année 2003 marque la fin du séquençage du génome humain dans le cadre d’un travail concerté sur le plan international1. Cette avancée scientifique incroyable ouvre notamment la porte à l’utilisation de l’information génétique propre au patient (acide désoxyribonucléique [ADN]) ou à sa maladie (p. ex. ADN des cellules cancéreuses) pour mieux adapter sa thérapie (c.-à-d. choix de la thérapie ou dose d’un médicament). La pharmacogénétique est l’étude des variations de l’ADN qui inf luencent le mode d’action et le métabolisme des médicaments ainsi que la réponse aux médicaments2. Ce terme a été introduit en 1953 par l’Allemand Friedrich Vogel3. La pharmacogénétique se réfère généralement à la façon dont une ou quelques variations génétiques d’un seul gène inf luence la réponse à un seul médicament. On parle d’une interaction gène-médicament.

La pharmacogénomique est un terme plus large, qui étudie la manière dont les gènes (le génome) peuvent inf luencer les réponses à un ou à plusieurs médicaments. On parle d’une interaction génome-médicament. L’étude du génome a été rendue possible grâce aux nouvelles techniques de séquençage à haut débit comparativement aux techniques classiques qui ne permet taient que de questionner quelques gènes et quelques variations génétiques à la fois. En pratique, les deux termes s’utilisent souvent de façon interchangeable4. Notons que, dans cet article, le terme pharmacogénomique décrit l’ensemble des occasions de faire de la pharmacogénomique en pratique pharmaceutique. La pharmacogénomique s’inscrit dans la foulée de la médecine de précision ou de la médecine personnalisée (c.-à-d. celle qui vise à cibler des traitements spécifiques qui tiennent compte des caractéristiques uniques de la personne ou de sa maladie)5. Génome Québec illustre différentes applications de la médecine personnalisée, dont la « possibilité de dresser le profil génomique d’une tumeur pour adapter les traitements ou prédire le risque de récidive, la possibilité de mesurer une prédisposition génétique à certains cancers, l’occasion de procéder à des tests pour déterminer l’interaction entre certains médicaments et les gènes d’une personne ou même d’utiliser l’ADN du foetus pour dépister des anomalies génétiques de façon sécuritaire »5.

La pharmacogénomique représente également une occasion favorable à la pratique pharmaceutique. Dès 2011, le Pharmacy Practice Summit de l’American Society of Health- System Pharmacists (ASHP) avait permis l’élaboration de 147 énoncés, dont un spécifique à l’ajustement de la pharmacothérapie basé sur des facteurs génétiques et neuf autres énoncés complémentaires à celui-ci6. Dans le cadre de ce sommet sur l’avenir de la pratique pharmaceutique, l’ASHP a souligné l’importance de tenir compte notamment des facteurs génétiques dans l’ajustement de la thérapie médicamenteuse. En réponse à ce sommet, l’ASHP a adopté en 2015 un énoncé portant sur le rôle du pharmacien en pharmacogénomique7.

Valgus et coll. ont décrit l’impact de ces recommandations sur quatre établissements de santé (Vanderbilt University Medical Center, University of North Carolina Healthcare, Mayo Clinic, University of Florida) ayant implanté de façon concrète la pharmacogénomique dans leur pratique pharmaceutique8. Les auteurs illustrent les neuf recommandations proposées dans le cadre du Pharmacy Practice Model Initiative et leur impact sur l’activité des pharmaciens (p. ex. paires gène-médicament ciblées, telles que warfarine/CYP2C19 et warfarine/VKORC1 depuis 2007 dans un établissement, clopidrogel/CYP2C19 depuis 2010 dans un établissement, allopurinol /HLA-B*5801 dans un établissement depuis 2012). Les auteurs considèrent qu’il faut tout mettre en oeuvre pour que les pharmaciens recourent davantage à la pharmacogénomique.

Afin de mieux comprendre la perception qu’ont les pharmaciens hospitaliers de la pharmacogénomique, en 2011, de Denus et coll. ont sondé les pharmaciens québécois sur les attentes et les préoccupations associées à la pharmacogénomique9. En 2016, nous nous sommes intéressés à nouveau à l’évolution de la perception qu’ont les pharmaciens de la pharmacogénomique. L’objectif principal de cette étude est de comparer la perception qu’ont de la pharmacogénomique les pharmaciens hospitaliers, les internes et les résidents en pharmacie français à celle leurs homologues québécois.

Méthode

Il s’agit d’une étude descriptive transversale menée du 31 janvier au 15 mars 2016 auprès d’une population de pharmaciens hospitaliers, d’internes et de résidents en pharmacie de France et du Québec. En France, les pharmaciens hospitaliers ciblés exercent en région parisienne et ont été identifiés à partir de la liste des pharmaciens hospitaliers du Centre National Hospitalier d’Information sur le Médicament (CNHIM), tandis que les internes ont été identifiés à partir de la liste des internes inscrits en région parisienne au Programme d’internat en pharmacie hospitalière de l’Université Paris Descartes et de l’Université Paris-Sud. Au Québec, les pharmaciens hospitaliers ciblés sont membres de l’Association des pharmaciens des établissements de santé du Québec (A.P.E.S.), tandis que les résidents sont inscrits au Programme de maîtrise en pharmacothérapie avancée de l’Université de Montréal et de l’Université Laval. Il s’agit d’un échantillon de convenance. Le protocole de recherche a été approuvé par le Comité d’éthique de la recherche du Centre hospitalier universitaire (CHU) Sainte-Justine.

Questionnaire

Les questions utilisées dans l’enquête de de Denus et coll. et une séance de remue-méninges nous ont servi à déterminer les variables à étudier9. Le sondage de 23 questions à choix multiples comportait cinq questions relatives à la démographie, six à l’exposition actuelle des répondants et à leurs connaissances de la pharmacogénomique, six aux attentes des pharmaciens envers la pharmacogénomique et six aux appréhensions des pharmaciens envers la pharmacogénomique. L’examen de l’exposition actuelle a été basé sur les six ressources suivantes: DrugBank, Pharmacogenomics Knowledgebase (PharmGKB), Clinical Pharmacogenetics Implementation Consortium (CPIC), volet web de pharmacogénét ique de la Food and Drug Administration (FDA) et Pharmacogenomics: Application to Patient Care, Second Edition, American College of Clinical Pharmacy1014.

Enquête

L’enquête a été réalisée sur un site de sondage en ligne (SurveyMonkeyMD). Avant de répondre aux questions, les répondants pouvaient prendre connaissance d’une définition de la pharmacogénomique (Étude de la manière dont le profil génétique [ADN] d’une personne peut influencer sa réponse à un médicament. Cette réponse peut inclure des effets favorables ou défavorables) et d’un test pharmacogénomique (test [p. ex. test sanguin] visant à analyser le profil génétique [ADN] d’une personne afin de déterminer si un médicament causera des effets secondaires [réactions indésirables] ou des bienfaits chez elle, ou encore s’il sera nécessaire de modifier la dose. Ces renseignements peuvent aider les professionnels de la santé à choisir les médicaments adéquats). De plus, ils pouvaient voir un exemple concret d’utilisation de la pharmacogénomique pour le traitement de l’hypertension.

Les répondants ciblés ont été contactés par courriel. En France, chaque pharmacien ciblé a reçu une invitation personnel le à répondre au sondage, tandis qu’un coordonnateur à l’enseignement a procédé à un envoi groupé aux internes. Au Québec, chaque chef de département de pharmacie a reçu le sondage accompagné d’une demande de le transmettre aux pharmaciens hospitaliers de chaque département, tandis qu’un coordonnateur à l’enseignement a procédé à un envoi groupé aux résidents en pharmacie. Les répondants ont donné leur consentement implicite pour la publication des résultats en participant à la collecte de données.

Analyse

Les données ont été extraites de SurveyMonkeyMD dans un chiffrier (ExcelMD, Microsoft). L’analyse statistique a été réalisée avec le logiciel Prism8MD (GraphpadMD). Les réponses au sondage ont été décrites par proportions de répondants exprimées en pourcentages.

La comparaison des réponses au questionnaire selon le lieu d’exercice (c.-à-d. la France et le Québec) a été réalisée à l’aide d’un test exact de Fisher. Une formulation bilatérale a été choisie pour l’ensemble des tests réalisés et la différence était considérée comme statistiquement significative lorsque la valeur de p était inférieure à 0,05.

Résultats

Le sondage a été envoyé à 429 pharmaciens hospitaliers et internes en pharmacie en France et à 521 pharmaciens hospitaliers et résidents en pharmacie au Québec. Finalement, 285 participants des deux pays ont répondu au sondage. Sept répondants ont été exclus de l’analyse compte tenu de données incomplètes concernant leur profil démographique. L’analyse porte donc sur les données de 278 répondants, soit 106 en France (taux de réponses de 24,7 %, 106/429) et 172 au Québec (taux de réponses de 33 %, 172/521).

Le tableau I présente le prof i l démographique des répondants. Trois des cinq caractéristiques étudiées ne se différencient pas entre les deux pays. En revanche, l’enquête révèle une proportion significativement plus élevée de répondants « pharmaciens exerçant en milieu hospitalier » au Québec qu’en France. De plus, on note une proportion significativement plus élevée de répondants en contact direct avec des patients au Québec qu’en France.

Tableau I Profil démographique des répondants

 

Le tableau II présente un profil du degré d’accord à différents énoncés entourant l’exposition actuelle des répondants à la pharmacogénomique et leurs connaissances du sujet. Les données présentent la proportion de réponses positives aux questions, lorsque cela est applicable. La différence concernant cinq des six caractéristiques étudiées est nulle. Cependant, on observe une proportion significativement plus élevée au Québec qu’en France de répondants ayant été exposés aux résultats de tests pharmacogénomiques à partir du dossier médical du patient. Une faible proportion de répondants se disent familiers avec les différents outils proposés, tant en France qu’au Québec.

Tableau II Profil du degré d’accord à différents énoncés portant sur l’exposition actuelle des répondants à la pharmacogénomique et sur leurs connaissances du sujet

 

Le tableau III présente un profil du degré d’accord à différents énoncés entourant l’attente des pharmaciens hospitaliers et des internes et résidents en pharmacie envers la pharmacogénomique. Les données présentent la proportion de réponses positives aux questions, lorsque cela est applicable. Deux des six caractéristiques étudiées ne démontrent aucune différence. Par contre, une proportion significativement plus élevée de répondants québécois préfèrent un dossier partagé par les professionnels de la santé comme lieu de communication des résultats et une proportion également plus élevée de répondants québécois veulent communiquer eux-mêmes les résultats de tests pharmacogénomiques.

Tableau III Profil du degré d’accord à différents énoncés entourant les attentes des pharmaciens envers la pharmacogénomique

 

Le tableau IV présente un profil du degré d’accord à différents énoncés entourant les appréhensions des pharmaciens hospitaliers, des internes et des résidents en pharmacie envers la pharmacogénomique. Les données présentent la proportion de réponses positives aux questions, lorsque cela est applicable. Trois des six caractéristiques étudiées ne démontrent aucune différence. Par contre, une proportion supérieure de répondants québécois se dit inquiète qu’un test pharmacogénomique révèle par hasard des facteurs de risque ignorés d’une autre maladie.

Tableau IV Profil du degré d’accord à différents énoncés entourant les appréhensions des pharmaciens envers la pharmacogénomique

 

Discussion

Cette étude descriptive fait le point sur la perception qu’ont de la pharmacogénomique les pharmaciens hospitaliers, les internes et les résidents en pharmacie français et québécois.

Les deux groupes étudiés sont comparables, mais il existe une proportion plus élevée de répondants « pharmaciens hospitaliers » au Québec qu’en France ainsi qu’une proportion plus élevée de répondants québécois exerçant directement auprès des patients. Les soins pharmaceut iques sont implantés au Québec depuis quelques décennies, et cette part icipation accrue des pharmaciens aux soins des patients peut inf luencer la percept ion qu’i ls ont de la pharmacogénomique et les appréhensions qui s’ajoutent aux considérations cliniques lors du suivi de la thérapie médicamenteuse.

Bien que d’autres sondages aient été menés auprès de pharmaciens dans différents pays, il s’agit de la première étude comparant la perception des pharmaciens hospitaliers, des internes et des résidents en pharmacie en France et au Québec. Cette enquête fait également suite à une enquête similaire menée en 2011 auprès de 284 pharmaciens québécois9. Il est difficile de comparer les résultats de cette enquête aux autres sondages, compte tenu des nombreux facteurs capables d’influencer les réponses: formation de base des répondants, exposition pratique, expérience professionnelle, disponibilité des tests, remboursement des tests dans le lieu de l’étude. De plus, il faut noter que les autres enquêtes recensées ont été réalisées de 2014 à 2019, dans 10 pays différents, auprès de pharmaciens de différents milieux de pratique. De façon générale, on note peu de différences en termes de perception entre les deux groupes étudiés.

Exposition actuelle et connaissances

En ce qui concerne l’exposition actuelle et les connaissances des répondants, cinq des six variables étudiées ne démontrent aucune différence. Bien que les résultats soient similaires entre les deux pays, la proportion de répondants ayant reçu une formation en pharmacogénomique est limitée (36,3 % en France et 29,5 % au Québec) et celle ayant été exposée à des résultats de tests pharmacogénomiques dans sa pratique est également faible, soit 31,4 % en France et 33,7 % au Québec.

Le tiers des répondants seulement (28,7 % en France et 37,6 % au Québec) dit être au courant du fait que la FDA informe les cliniciens que des tests génétiques peuvent être pratiqués avant l’utilisation de plusieurs médicaments. Ces résultats laissent entendre qu’environ le tiers des répondants au sondage possède un peu plus d’expérience de la pharmacogénomique que les autres, ce qui n’a rien de surprenant, compte tenu de l’implantation progressive de cette discipline.

Par ailleurs, une seule variable (c.-à-d. source de données ayant permis la communication des résultats de tests pharmacogénomiques) démontre une différence statistiquement significative en faveur des répondants québécois. En ef fet, 42,5 % des répondants français et 65,1 % des répondants québécois disent avoir utilisé le dossier médical du patient pour connaître le résultat des tests. Les répondants français consultent peut-être moins le dossier médical du patient, compte tenu de leur présence limitée dans les unités de soins et les cliniques externes15. Un clinicien peut prescrire une analyse génétique durant un séjour hospitalier, en clinique ou en cabinet, mais le patient peut également solliciter lui-même ce type d’analyse en ligne et à ses frais. Ainsi, les résultats de tests pharmacogénomiques ne sont pas forcément versés au dossier médical du patient. L’enquête ne permet donc pas de commenter la qualité des analyses effectuées avec ou sans ordonnance médicale.

Attentes des répondants

Les répondants pensent que le développement de la pharmacogénomique permettraaux pharmaciens hospitaliers de participer davantage à la prise en charge du patient (79,4 % en France et 87,6 % au Québec). Albassam et coll. notent qu’environ les deux tiers des répondants (c.-à-d. pharmaciens et médecins) considèrent que l’utilisation de la pharmacogénomique convient à leur pratique clinique actuelle16. Mai et coll. rapportent que 60 % des pharmaciens s’intéressent à intégrer la pharmacogénomique à leur pratique17. Muzoriana et coll. montrent que 93,9 % des pharmaciens zimbabwéens jugent qu’il est de leur responsabilité de conseiller le patient sur les tests pharmacogénomiques18. Toutefois, en 2011, McCullough et coll. avaient rapporté que seulement un tiers des répondants se sentaient concernés par la pharmacogénomique19. Dans toutes ces études, les répondants considèrent que la pharmacogénomique fait partie des outils pouvant contribuer un jour au bon usage des médicaments.

Dans notre enquête, la quasi-totalité des répondants pense également que les tests figurant dans les lignes directrices cliniques devraient être gratuits (c.-à-d. f inancés par le système public de santé [98 % et 95,8 %]). Toutefois, notre enquête n’évaluait pas le remboursement en fonction de la qualité des preuves justifiant ou non le recours à un test pharmacogénomique. Schwartz et coll. rapportent également que la presque totalité des répondants considère que les tests pharmacogénomiques devraient être gratuits lorsqu’ils font partie de lignes directrices cliniques20. Bank et coll. rapportent que 78,4 % des répondants soutiennent le remboursement de tests pharmacogénomiques sous certaines conditions21. Ces résultats montrent la confiance des pharmaciens dans le recours à la pharmacogénomique pour favoriser la santé du patient même si, à l’heure actuelle, il existe encore peu de tests recommandés dans les lignes directrices cliniques.

Dans notre enquête, la moitié des répondants pense disposer du temps nécessaire pour intégrer et utiliser ces résultats dans leur pratique (44 % et 54,2 %), ce qui concorde aussi avec Bank et coll. qui rapportent que seulement 50 % des répondants considèrent disposer du temps nécessaire pour ef fectuer cette nouvel le activité21. Crews et coll. estiment qu’une consultation en pharmacogénomique peut nécessiter de 20 à 120 minutes de temps pharmacien par patient en fonction de la complexité22. La consultation permet au pharmacien d’interpréter les résultats des tests et de formuler des recommandations en vue d’optimiser la thérapie du patient.

Dans notre enquête, une différence statistiquement significative était observée pour deux variables. Un nombre inférieur de répondants français pensent que les résultats de tests pharmacogénomiques devraient être versés dans un dossier partagé par les professionnels de la santé (52,8 % et 72,7 %). Ce n’est pas étonnant, étant donné que le Dossier santé Québec est en place au Québec depuis 2013 tandis que le dossier médical partagé en France tend seulement à se mettre en place et présente encore des lacunes sur le plan des informations médicales du patient23. Elewa et coll. notent que près du trois quarts des répondants considèrent que les résultats de tests pharmacogénomiques devraient être intégrés dans le dossier patient24. Bank et coll. rapportent que la presque totalité des répondants souhaite également cette intégration des données au dossier patient21.

Une proportion inférieure de pharmaciens hospitaliers français se voit communiquer le résultat d’un test pharmacogénomique à un patient (31,1 % et 52,3 %). Ceci n’est pas étonnant compte tenu de la proportion plus faible de répondants français en contact direct avec les patients (66 % par rapport à 88,3 %), à cause de la différence du nombre de pharmaciens hospitaliers par établissement et de leur présence au chevet des patients entre la France et le Québec15.

Appréhensions des répondants

Une majorité de répondants est à l’aise de recommander à un patient de se prêter à un test visant à vérifier qu’un médicament pourrait être efficace (83 % et 82,6 %). Toutefois, très peu de répondants se sentent prêts à interpréter les résultats de tests pharmacogénétiques dès maintenant, mais une majorité d’entre eux serait prête à le faire dans la mesure où une formation sur le sujet leur est offerte (75,5 % et 87,2 %). Le degré d’aisance qu’expriment les pharmaciens face à l’interprétation de tests de pharmacogénomique varie beaucoup d’une étude à l’autre. Alexander et coll. rapportent que plus de 50 % des pharmaciens interrogés ne se sentent pas qualifiés pour pratiquer une médecine personnalisée.25 Albassam et coll. montrent également que moins du tiers des répondants au Koweït se jugent aptes à cibler des sources fiables de données pharmacogénétiques ou à utiliser avec précision des résultats d’un test ou même à déterminer les médicaments qui nécessitent des tests pharmacogénomiques16. Près de 50 % des pharmaciens jordaniens seulement se disent capables de commenter les résultats de tests pharmacogénomiques à leurs patients et plus de 60 % des pharmaciens chypriotes pensent avoir les connaissances suffisantes concernant la disponibilité des tests et leur utilisation en pharmacothérapie26,27. Bank et coll. notent que la grande majorité des étudiants en pharmacie sondés aux Pays-Bas se sentiraient qualifiés pour interpréter des résultats liés à la pharmacogénomique et conseiller un patient ou un confrère après avoir reçu une formation supplémentaire21. Ainsi, la formation semble être un point important à prendre en considération pour que les pharmaciens se sentent aptes à utiliser les tests pharmacogénomiques. Les résultats très variables d’un pays à l’autre illustrent les différences de compétences développées par le pharmacien à travers le monde. Nous émettons l’hypothèse que les études en pharmacie dans les régions nord-américaines abordent peut-être déjà ces notions contrairement aux pays d’Afrique et du Moyen-Orient, ce qui rendrait les pharmaciens de ces pays moins à l’aise à l’idée d’intégrer cette nouvelle compétence à leur pratique professionnelle.

En revanche, une différence statistiquement significative a été observée entre les répondants québécois et français en ce qui a trait à trois variables étudiées, dont le fait de recommander un médicament en dépit de résultats de tests pharmacogénomiques contradictoires (c.-à-d. qu’il serait inefficace ou à risque d’effets indésirables graves si la maladie à traiter est grave). Dans notre enquête, les répondants se disent inquiets à l’idée de devoir communiquer à un patient un résultat de tests pharmacogénomiques révélant un risque de développer une maladie (78,4 % et 89,3 %). De plus, en France comme au Québec, la presque totalité des répondants (92 % et 97 %) sont inquiets de voir les assureurs utiliser des résultats de tests pharmacogénomiques. Bank et coll.21 rapportent également que plus de 90 % des répondants s’inquiètent de l’utilisation de résultats de pharmacogénomique par les compagnies d’assurances. D’autres études expriment une inquiétude semblable chez 58 % des pharmaciens jordaniens et 35 % des pharmaciens koweitiens16,26.

Par ai l leurs, cet te enquête a été menée en 2016. La pharmacogénomique est une discipline en émergence et on peut penser que les perceptions et les appréhensions ont évolué depuis lors. Il serait donc intéressant de soumettre à nouveau le questionnaire plus tard afin de mesurer les changements éventuels de perception et d’appréhension de la part des répondants.

Cette étude comporte certaines limites. En effet, il s’agit d’un échantillon non probabiliste de convenance. Bien qu’il ne représente pas l’ensemble de la population à l’étude, il est quand même utile parce qu’il est réaliste compte tenu des ressources disponibles et qu’il permet d’explorer un sujet d’étude en émergence. Par ailleurs, l’étude de la perception des pharmaciens hospitaliers, des internes et des résidents en pharmacie se base sur un faible taux de répondants (24,7 % en France et 33 % au Québec). Bien que les groupes de répondants de France et du Québec soient comparables quant au genre, à l’âge et à l’affectation en gestion, il existe une différence significative en ce qui concerne la proportion de pharmaciens hospitaliers comparativement aux internes et aux résidents en pharmacie ainsi qu’au contact direct qu’ont les répondants avec les patients. Ces deux éléments peuvent expliquer les différences de perception notées. Il pourrait être intéressant de répéter l’étude en veillant à une répartition équitable de répondants et en limitant l’étude aux pharmaciens hospitaliers, puisque les résidents en pharmacie ont moins de recul. En outre, l’étude ne permet pas d’établir le niveau préalable de formation et de connaissances en pharmacogénomique. Il est possible qu’il y ait une différence à cet égard entre la France et le Québec.

Conclusion

Il existe peu de différence entre la perception qu’ont de la pharmacogénomique les pharmaciens hospitaliers, les internes et les résidents en pharmacie français et québécois. Ils pensent tous que la pharmacogénomique est appelée à prendre une place croissante dans leur pratique. Ils ont néanmoins exprimé des attentes et des appréhensions auxquelles il est possible de répondre par une formation adéquate, des lignes directrices claires et des balises de remboursement.

Financement

Aucun financement en relation avec le présent article n’a été déclaré par les auteurs.

Conflits d’intérêts

Tous les auteurs ont rempli et soumis le formulaire de l’ICMJE pour la divulgation de conflits d’intérêts potentiels. Jean-François Bussières est membre du comité de rédaction de Pharmactuel. Les auteurs n’ont déclaré aucun autre conflit d’intérêts en relation avec le présent article.

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Pour toute correspondance: Jean-François Bussières, Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine, 3175, chemin de la Côte-Sainte-Catherine, Montréal (Québec) H3T 1C5, CANADA; Téléphone: 514 3454603; Courriel: jean-francois.bussieres.hsj@ssss.gouv.qc.ca

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PHARMACTUEL, Vol. 53, No. 2, 2020