Optimiser la pharmacothérapie par la pharmacogénétique – Où en sommes-nous?

Adrien Labriet1*, Ph.D., Isabelle Laverdière2,3,4*, B.Pharm., M.Sc., Ph.D.

1Docteur en sciences pharmaceutiques en sciences pharmaceutiques, Faculté de pharmacie, Université Laval, Québec (Québec) Canada;
2Professeure adjointe, Faculté de pharmacie, Université Laval, Québec (Québec) Canada;
3Chercheuse, Centre de recherche du Centre hospitalier universitaire de Québec-Université Laval, Québec (Québec) Canada;
4Pharmacienne, Centre hospitalier universitaire de Québec-Université Laval, Québec (Québec) Canada

Reçu le 10 mars 2020: Accepté après révision le 11 mars 2020

Depuis le séquençage du génome humain il y a plus de quinze ans, le coût et le temps requis pour établir la séquence complète du code génétique d’une personne ont drastiquement diminué. C’est ainsi que, par exemple dans le projet 1000 Génomes, le génome de milliers de personnes a été répertorié, permettant d’identifier des milliers de variations génétiques1. Les plus étudiées à ce jour sont sans doute les polymorphismes génétiques d’une seule paire de bases (SNP, single nucleotide polymorphism), dont un certain nombre a été associé à la réponse à divers médicaments. Selon que le patient est porteur ou non d’une variante d’un gène (allèle), ces marqueurs pharmacogénétiques peuvent aider à prédire la réponse à une thérapie, à guider le choix de la dose initiale ou à anticiper le risque de toxicités induites par le traitement. Ces variations germinales font partie du patrimoine génétique d’une personne (son génome) et demeurent inchangées tout au long de sa vie. Ainsi, le résultat de ces tests pharmacogénétiques demeure valide pour toute la vie de la personne. Des tests pharmacogénétiques réalisés à partir de l’ADN tumoral sont aussi utilisés en oncologie afin de guider l’usage de thérapies ciblées dont l’efficacité dépend de la présence de mutations somatiques (non-germinales) spécifiques dans les cellules cancéreuses. Similairement, l’évaluation de l’ADN provenant d’un agent infectieux peut aider à déterminer l’utilité de certains médicaments pour traiter la maladie infectieuse. Puisque de nouvelles mutations peuvent être acquises au fil du temps par la tumeur ou l’agent infectieux, il peut s’avérer utile d’en réévaluer le statut génétique dans certaines circonstances, par exemple lorsque la maladie progresse ou qu’elle devient résistante au traitement2.

À ce jour, plus de 250 médicaments autorisés par la Food and Drug Administration (FDA, États-Unis) comportent dans leur monographie des mises en garde, des informations ou des recommandat ions pharmacogénét iques3. Par ailleurs, des groupes internationaux, comme le Clinical Pharmacogenetics Implementation Consortium (CPIC) et le Dutch Pharmacogenet ics Working Group (DPWG), ont publié des recommandations thérapeutiques basées sur l’évaluation de données scientifiques probantes afin d’aider les cliniciens à utiliser l’information génétique disponible pour optimiser l’usage de certains médicaments. À ce jour, les recommandations thérapeutiques émanant de ces deux ou de l’un des deux groupes portent sur environ 70 médicaments46.

Dans le présent numéro du Pharmactuel, l’étude Harry et coll. s’intéresse à la perception qu’ont les pharmaciens hospitaliers français et québécois de la pharmacogénétique. Les auteurs se sont entre autres questionnés sur la formation et l’exposition des pharmaciens aux tests pharmacogénétiques. Ils rapportent qu’environ un tiers des pharmaciens seulement disaient avoir suivi une formation en pharmacogénétique ou avoir été exposés aux résultats de tels tests7. L’intégration de la pharmacogénétique dans les soins de santé demeure donc encore peu répandue. Les médicaments pour lesquels un test pharmacogénétique systématique est recommandé demeurent limités, et sont en grande partie des thérapies anticancéreuses. Parmi les raisons avancées pour expliquer la lenteur de la progression de cet outil en clinique, citons des défis éthiques, organisationnels et éducationnels liés entre autres à la nature sensible des données génétiques et à leur utilisation efficace. Ceci implique notamment la protection des personnes contre la discrimination génétique, l’entreposage en toute sécurité des données, l’établissement de processus entourant l’intégration de ces tests dans la planification des soins et la formation des professionnels de la santé à l’interprétation et à l’utilisation des résultats de ces tests2,8.

Par ailleurs, diverses considérations doivent être prises en compte lors du processus d’évaluation visant à instaurer un test pharmacogénétique en clinique. Pour en nommer quelques-unes : le degré de fiabilité des données appuyant l’association entre le marqueur pharmacogénétique et le phénotype observé (p. ex.: toxicité), la valeur clinique ajoutée du test (utilité clinique) et les données pharmacoéconomiques. Ces éléments ont notamment fait partie de l’évaluation ayant mené l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS) à émettre en 2019 un avis formulant des recommandations favorables liées à la détermination du statut DPYD des patients avant le commencement d’une chimiothérapie à base de f luoropyrimidines. L’INESSS a aussi publié un outil clinique portant sur l’information à transmettre au patient et l’ajustement posologique de ces chimiothérapies en fonction du risque de toxicités sévères et du génotypage DPYD9. Le gène DPYD code pour l ’enzyme dihydropyrimidine déshydrogénase (DPD). Des polymorphismes de ce gène ont été associés à une augmentat ion du risque de toxicités sévères aux chimiothérapies de type f luoropyrimidines, comme le fluorouracil (5-FU) et son précurseur oral la capécitabine. La DPD joue un rôle primordial dans la dégradation de ces médicaments, et la réduction de son activité enzymatique expose le patient à un risque accru de toxicités sévères qui dépendent de la dose, telles que la neutropénie, la diarrhée et les mucosites911. Les premières preuves scientif iques démontrant ce lien remontent à près de 30 ans12. L’allèle DPYD*2A (c.1905+1G>A ou rs3918290) est la variation la plus largement étudiée dans ce contexte. Les résultats convergents des études, dont des méta-analyses, appuient le lien entre ce polymorphisme et la survenue de toxicités sévères aux fluoropyrimidines. Le génotypage de la variation DPYD*2A est un exemple de test pharmacogénétique inclus au Répertoire québécois et système de mesure des procédures de biologie médicale. Le clinicien qui interprète le résultat de ce test doit garder à l’esprit deux concepts. Tout d’abord, la présence d’un allèle à fonctionnalité réduite chez un patient ne se traduit pas toujours par la survenue de toxicités sévères. À l’inverse, un test négatif (l’allèle DPYD*2A n’a pas été détecté) ne signifie pas que le patient ne court aucun risque de développer des toxicités. Ceci s’explique en partie par le fait que l’allèle DPYD*2A est somme toute peu fréquent dans la population en général et que d’autres variations du gène DPYD peuvent contribuer à la diminution ou l’absence de l’activité de l’enzyme DPD. À titre d’exemple, environ respectivement 1 % et 0,2 % de la population caucasienne et afroaméricaine est porteuse hétérozygote du DPYD*2A. L’évaluation combinée des variations génétiques DPYD c.1905+1G>A (DPYD*2A), 1236G>A, 1679T>G et 2846A>T permet d’augmenter la capacité des tests génétiques DPYD à prédire (sensibilité du test) le risque de toxicités sévères aux f luoropyrimidines911. Ces variations génétiques sont présentes de façon individuelle ou concomitante chez environ 7 % des personnes d’origine européenne9,10.

Il est est imé que 10 à 40 % des patients recevant des chimiothérapies à base de 5-FU développe des toxicités sévères pouvant parfois être mortelles. Malgré ce risque, le 5-FU et la capécitabine sont fréquemment utilisés pour traiter divers cancers9. Bien qu’imparfait, l’évaluation du statut DPYD est un outil utile qui permet de limiter ce risque en aidant les cliniciens à déterminer la dose initiale la plus appropriée ou à éviter l’utilisation des fluoropyrimidines pour un patient donné. En somme, les résultats du test fournissent de l’information supplémentaire précieuse, dont l’interprétation doit tenir compte du contexte clinique global de chaque patient, au même titre notamment que certains facteurs cliniques (p. ex.: fonction rénale pour la capécitabine) et environnementaux (p. ex.: interactions médicamenteuses).

Actuellement, les tests pharmacogénétiques utilisés en clinique reposent surtout sur l’évaluation d’un ou de quelques polymorphismes génétiques présents dans un ou quelques gènes2,4,5. Toutefois, ce paradigme pourrait être appelé à changer dans le futur. En effet, les innovations technologiques de la dernière décennie ont ouvert la voie à une nouvelle ère, celle des sciences omiques. Avec ces nouvelles approches, les possibilités ne se limitent plus à questionner de façon individuelle quelques variations génétiques, quelques protéines ou métabolites, mais bien l’ensemble du génome, du protéome ou du métabolome. Bien que ces technologies appartiennent encore au domaine de la recherche scientifique, l’information omique pourrait mener au développement de stratégies permettant de personnaliser les thérapies sur la base de combinaisons de marqueurs multiples13,14. Il va sans dire que l’utilisation de tels marqueurs pour guider et individualiser la thérapie en clinique complexif ierait considérablement l’interprétation des résultats et exigerait des professionnels de la santé des connaissances encore plus poussées dans ce domaine.

Financement

Isabelle Laverdière est détentrice d’une bourse de carrière chercheurs-boursiers cl iniciens-Junior 1 du Fonds de recherche du Québec-Santé (FRQS). Les auteurs n’ont déclaré aucun autre financement en relation avec le présent article.

Conflits d’intérêts

Les auteurs ont rempli et soumis le formulaire de l’ICMJE pour la divulgation de conflits d’intérêts potentiels. Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec le présent article.

Références

1. The 1000 Genomes Project Consor tium. A global reference for human genetic variation. Nature 2015;526:68–74.
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2. Relling MV, Evans WE. Pharmacogenomics in the clinic. Nature 2015;526:343–50.
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3. Table of Pharmacogenomic Biomarkers in Drug Labeling. [en ligne] https://www.fda.gov/drugs/science-and-research-drugs/table-pharmacogenomic-biomarkers-drug-labeling (site visité le 10 mars 2020).

4. Clinical Pharmacogenetics Implementation Consortium. [en ligne] cpicpgx.org/ (site visité le 10 mars 2020).

5. PharmGKB – Clinical Guideline Annotations. [en ligne] https://www.pharmgkb.org/guidelineAnnotations (site visité le 10 mars 2020).

6. Bank PCD, Caudle KE, Swen JJ, Gammal RS, Whirl-Carrillo M, Klein TE et coll. Comparison of the guidelines of the Clinical Pharmacogenetics Implementation Consortium and the Dutch Pharmacogenetics Working Group. Clin Pharmacol Ther 2018;103:599–618.
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7. Harry M, Lebel D, de Denus S, Letarte N, Lavoie A, Marquot G et coll. Perceptions des pharmaciens hospitaliers et des résidents/internes en pharmacie québécois et français vis-à-vis de la pharmacogénomique. Pharmactuel 2020; 53:88–95.

8. Hippman C, Nislow C. Pharmacogenomic testing: clinical evidence and implementation challenges. J Pers Med 2019;9:40.
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9. Institut national d’excellence en santé et services sociaux. [en ligne] https://www.inesss.qc.ca/publications/consulter-une-publication/publication/traitements-a-base-de-fluoropyrimidines-meilleures-strategies-pour-reduire-le-risque-de-toxicites.html (site visité le 10 mars 2020).

10. Amstutz U, Henricks LM, Offer SM, Barbarino J, Schellens JHM, Swen JJ et coll. Clinical pharmacogenetics implementation consortium (CPIC) guideline for dihydropyrimidine dehydrogenase genotype and fluoropyrimidine dosing: 2017 update. Clin Pharmacol Ther 2018;103:210–6.
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11. Caudle KE, Thorn CF, Klein TE, Swen JJ, McLeod HL, Diasio RB et coll. Clinical Pharmacogenetics Implementation Consortium guidelines for dihydropyrimidine dehydrogenase genotype and fluoropyrimidine dosing. Clin Pharmacol Ther 2013;94:640–5.
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12. Wigle TJ, Tsvetkova EV, Welch SA, Kim RB. DPYD and fluorouracil-based chemotherapy: mini review and case report. Pharmaceutics 2019;11:199.
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13. Chakraborty S, Hosen MI, Ahmed M, Shekhar HU. Onco-multi-OMICS approach: a new frontier in cancer research. Biomed Res Int 2018;2018: 9836256.
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14. Has in Y, Seldin M, Lusis A. Multi-omics approaches to disease. Genome Biol 2017; 18:83.
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Pour toute correspondance: Isabelle Laverdière, Centre hospitalier universitaire de Québec-Université Laval, 2705, boulevard Laurier, Local R4715, Québec (Québec) G1V 4G2, CANADA; Téléphone: 418 654-2296; Courriel: isabelle.laverdiere@pha.ulaval.ca

*Adrien Labriet et Isabelle Laverdière ont contribué de façon équivalente à la rédaction de cet article ( Return to Text )

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PHARMACTUEL, Vol. 53, No. 2, 2020