Évaluation de la faisabilité d’implanter un système de numérisation impliquant un téléphone intelligent pour la validation à distance des dispensations de médicaments en recherche clinique

Catherine Côté-Sergerie1, BSBP, Valérie Clermont1, BSBP, Denis Lebel2, B.Pharm., M.Sc., FCSHP, Jean-François Bussières3,4, B.Pharm., M.Sc., MBA, FCSHP, FOPQ

1Assistante de recherche, Département de pharmacie, Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine, Montréal (Québec) Canada;
2Pharmacien, Chef adjoint, soins pharmaceutiques, enseignement, recherche, Département de pharmacie et Unité de recherche en pratique pharmaceutique, Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine, Montréal (Québec) Canada;
3Pharmacien, Chef, Département de pharmacie et Unité de recherche en pratique pharmaceutique, Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine, Montréal (Québec) Canada;
4Professeur titulaire de clinique, Faculté de pharmacie, Université de Montréal, Montréal (Québec) Canada

Reçu le 2 juin 2020: Accepté après révision le 26 août 2020

Résumé

Objectif : L’objectif principal est d’évaluer la faisabilité d’implanter un système de numérisation impliquant un téléphone intelligent pour la validation pharmaceutique à distance des préparations de médicaments de recherche.

Mise en contexte : Il est possible de numériser les ordonnances de médicaments et les préparations magistrales des médicaments. L’utilisation de la numérisation pour la validation pharmaceutique en recherche clinique n’a pas été explorée à notre connaissance.

Résultats : Quatre enjeux ont été identifiés pour la numérisation du processus de dispensation. Le processus actuel comporte 10 étapes comparativement à 11 étapes pour le processus révisé. Le système de numérisation impliquant un téléphone intelligent permet d’éliminer deux étapes du processus actuel et il crée trois nouvelles étapes pour le processus révisé. Le temps moyen nécessaire à la validation pharmaceutique de recherche avec le processus révisé est de 2,1 ± 1,5 minutes, tandis qu’il est de 1,1 ± 0,6 minute pour le processus actuel.

Conclusion : L’étude confirme la faisabilité technologique, mais elle met en évidence des enjeux liés à la tâche du pharmacien ainsi qu’à la validation d’une séquence de plusieurs images. L’utilisation d’un tel processus de numérisation pourrait être bénéfique dans certains scénarios qui se présentent peu fréquemment dans notre centre.

Mots clés : Médicaments, numérisation, recherche, validation

Abstract

Objective : The main objective is to assess the feasibility of implementing a digitization system involving a smart phone for the remote pharmaceutical validation of investigational drug preparations.

Background : Drug prescriptions and compounded drug preparations can be digitized. To our knowledge, the use of digitization for pharmaceutical validation in clinical research has not been explored.

Result : Four issues associated with digitizing the dispensing process were identified. The current process involves 10 steps compared to 11 steps for the revised process. The digitization system involving a smart phone eliminates two steps from the current process and creates three new steps in the revised process. The mean time required for pharmaceutical validation in clinical research with the revised process is 2.1 ± 1.5 minutes, compared to 1.1 ± 0.6 minutes for the current process.

Conclusion : This study confirms the technological feasibility, but it also calls attention to issues associated with the pharmacist’s task and with the validation of a sequence of several images. The use of such a digitization process could be beneficial in certain scenarios that occur infrequently at our facility.

Keywords : Digitization, drugs, research, validation

Introduction

Au Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine (CHU Sainte-Justine), nous avons recours à la numérisation des ordonnances et des préparations magistrales depuis près de deux décennies13. Les feuilles d’ordonnance sont numérisées à partir d’appareils de numérisation fixes dans tous les services (p. ex., Modèle MP402SPFMD, Ricoh, Canada) et les préparations sont numérisées à partir de caméras fixes par banc de travail (p. ex., Série IQeye, IQinVisionMD, Canada). Cette numérisation des préparations magistrales de médicaments permet une vérification a posteriori (asynchrone) de la préparation des doses, par le pharmacien désigné, à partir des images obtenues par caméra fixe et permet également de limiter les interruptions lors de la préparation et validation des ordonnances1. Cependant, les caméras fixes utilisées comportent certaines limites pratiques (manipulations restreintes et taille de l’équipement). Nous définissons le terme « numérisation » comme une conversion des données d’un support (p.ex., texte, image, audio et vidéo) en données numériques, que des dispositifs informatiques ou électroniques pourront traiter.

L’utilisation de médicaments en recherche clinique nécessite aussi la rédaction d’une ordonnance. Bien qu’un nombre croissant de logiciels permette la prescription électronique de médicaments, les ordonnances de médicaments de recherche demeurent manuscrites afin de tenir compte des différentes exigences inhérentes à la recherche. Afin d’assurer une meilleure traçabilité de ces ordonnances, dans notre centre, il est pratique courante de numériser les ordonnances de médicaments de recherche et de les transmettre au logiciel de numérisation utilisé dans la pharmacie. Cette numérisation des ordonnances se fait à partir d’appareils de numérisation fixes (p.ex., Modèle MP402SPFMD, Ricoh, Canada).

La préparation, la dispensation et la validation pharmaceutique des médicaments de recherche sont soumises à des exigences en matière de registre, de gestion de l’insu et de traçabilité. Au CHU Sainte-Justine, l’étape de validation pharmaceutique de médicaments de recherche est effectuée en personne par le pharmacien désigné. La validation pharmaceutique de la dispensation des médicaments de recherche correspond à la vérification, par le pharmacien désigné, de la concordance entre la préparation du médicament, des documents pertinents (feuilles de répartition aléatoire, confirmation d’attribution au traitement, etc.) et de l’ordonnance de recherche. La numérisation des préparations de médicaments de recherche clinique n’est pas implantée dans notre centre.

Nous nous sommes intéressés à la numérisation des préparations de médicaments de recherche clinique, à l’aide d’un téléphone intelligent, pour la validation à distance. Le terme « téléphone intelligent » est utilisé pour décrire un téléphone mobile standard, doté d’un appareil photographique numérique. Le terme « validation à distance » signifie que le pharmacien désigné peut effectuer cette étape sans avoir besoin de la préparation du médicament devant lui.

Méthode

Il s’agit d’une étude descriptive prospective de faisabilité. Aucune autorisation du comité d’éthique n’a été nécessaire étant donné qu’il n’y a pas eu d’accès à des dossiers patients. L’objectif principal était d’évaluer la faisabilité d’implanter un système de numérisation impliquant un téléphone intelligent pour la validation à distance des préparations de médicaments en recherche clinique. La validation pharmaceutique à distance serait possible grâce à des photographies des préparations de recherche captées par un téléphone intelligent et de l’ordonnance de recherche déjà numérisée.

L’étude s’est déroulée au CHU Sainte-Justine, un centre hospitalier universitaire mère-enfant. L’établissement offre un service pharmaceutique de soutien à la recherche qui supervise l’ensemble des projets de recherche clinique sur les médicaments impliquant un promoteur externe ou interne, à l’exception des protocoles de recherche clinique oncologique. Au cours de l’année financière 2018–2019 (1er avril 2018 au 31 mars 2019), le service pharmaceutique de soutien à la recherche gérait 111 protocoles distincts impliquant des médicaments et a effectué 1172 dispensations. L’équipe inclut un pharmacien responsable (0,2 équivalent-temps plein), une coordonnatrice de pharmacie recherche (1 équivalent-temps plein) et des stagiaires ou assistants de recherche et offre un service du lundi au vendredi de 8 heures à 16 heures. Actuellement, toutes les ordonnances de médicaments sont saisies dans un dossier pharmacologique informatisé (DPI) (GesPhaRxMD). Les images découlant de la numérisation des ordonnances de médicaments et des photographies de préparations magistrales sont traitées dans un logiciel de numérisation (NumeRxMD).

Dans un premier temps, nous avons revu le cadre juridique et normatif afin de vérifier les enjeux relatifs à la numérisation du processus de dispensation des médicaments en recherche. Les sites Web suivants ont été consultés : International Council for Harmonisation, American Society of Health-System Pharmacists, Santé Canada, Instituts de recherche en santé du Canada, Fonds de recherche du Québec – Santé, Société canadienne des pharmaciens d’hôpitaux, Ordre des pharmaciens du Québec (OPQ), Université de Montréal et Centre de recherche du CHU Sainte-Justine.

Dans un deuxième temps, nous avons évalué les technologies de numérisation disponibles, choisi et acheté un téléphone intelligent, interfacé le téléphone acheté avec le logiciel de numérisation en place et vérifié la fonctionnalité du processus de numérisation. Les ordonnances de recherche sont saisies dans le DPI pour la gestion de la dispensation. Dans un troisième temps, nous avons cartographié le processus de dispensation des médicaments de recherche, actuel et révisé.

Dans un quatrième temps, nous avons testé le recours au téléphone intelligent pendant 30 jours durant lesquels les préparations de médicaments de recherche ont été photographiées et les images, transmises et validées à distance, parallèlement avec l’ordonnance de recherche déjà numérisée. Nous avons d’abord calculé, durant une période de sept jours (17 au 25 janvier 2019), le temps moyen requis pour la réalisation de chaque étape d’une dispensation de médicaments de recherche. Par la suite, une phase pilote a été engagée du 31 janvier 2019 au 26 février 2019, durant laquelle nous avons recueilli et analysé les variables suivantes : nombre total de dispensations réalisées durant la phase pilote, nombre total de préparations validées à l’aide du processus révisé, nombre d’images requis par dispensation, nombre de kilo-octets par image, temps moyen nécessaire à la prise de photographies par dispensation et temps moyen de validation par dispensation. Nous avons recueilli des commentaires auprès des personnes concernées. Seules des statistiques descriptives ont été effectuées.

Résultats

Révision du cadre juridique et normatif

À l’échelle internationale, la recherche clinique est notamment encadrée par les Bonnes pratiques cliniques (BPC) proposées par The International Council for Harmonisation of Technical Requirements for Pharmaceuticals for Human Use4. En avril 2019, Santé Canada a annoncé la mise en œuvre de la deuxième édition des Bonnes pratiques cliniques internationales5. Les trois conseils de recherche du Canada (sciences humaines, sciences naturelles et génie, instituts de recherche en santé) ont quant à eux adopté un nouvel énoncé de politique des trois conseils (EPTC) en matière d’éthique de la recherche en 20186. Le titre 5 de la partie C du Règlement sur les aliments et drogues précise les exigences en matière de recherche clinique actuellement en vigueur au Canada7. En outre, d’autres documents ont été pris en considération, dont les Guidelines for the Management of Investigational Drug Products de l’American Society of Health-System Pharmacists, les lignes directrices sur la conduite des activités de recherche en pharmacie, le Code de déontologie des pharmaciens et le Guide des standards de pratique de l’OPQ811. Le tableau I présente les enjeux définis lors de la revue documentaire et relatifs à la numérisation du processus de dispensation des médicaments de recherche clinique. Pour chaque source documentaire, nous avons déterminé l’enjeu, l’extrait pertinent ainsi que l’application pratique.

Tableau I Profil des enjeux relatifs à la numérisation du processus de gestion des médicaments de recherche clinique issus de la revue documentaire et les mesures à instaurer

 

À partir de cette revue documentaire, nous avons défini quatre enjeux relatifs à la numérisation du processus de dispensation de médicaments en recherche, soit le maintien de la confidentialité, le maintien de l’insu, la traçabilité du processus (doses dispensées, incluant le numéro de lot et la date limite d’utilisation) et le fait de pouvoir assurer une validation pharmaceutique complète.

Tout d’abord, l’EPTC mentionne l’importance d’avoir implanté des mesures de sécurité matérielles, administratives et techniques pour les établissements, afin d’offrir une protection de l’information adéquate pour tout le cycle de vie des renseignements, et de maintenir la confidentialité6. Étant donné que le processus révisé implique que des photographies d’informations confidentielles seront captées par un téléphone intelligent et transmises vers le logiciel de numérisation, il est primordial d’assurer la protection de cette information transmise. Il faut activer en tout temps la protection de l’accès au téléphone par mot de passe, assurer la connexion au réseau sécurisé de l’hôpital, permettre la transmission automatique des images au logiciel de numérisation et la suppression automatique des images sur le téléphone intelligent au terme du processus. Les logiciels GesPhaRxMD et NumeRxMD utilisés au CHU Sainte-Justine sont déjà soumis à des mesures de protection, par exemple, la restriction de l’accès par identifiant et par mot de passe.

En ce qui concerne les mesures instaurées afin de protéger l’insu, dans le processus mis en place à notre centre, les images des préparations de médicaments de recherche sont transmises directement dans une file d’attente créée pour la recherche clinique dans le logiciel de numérisation. Cette file d’attente n’est visible que par le personnel concerné du service pharmaceutique de soutien à la recherche. Aussi, les images transmises au logiciel de numérisation ne sont pas associées au DPI, ce qui empêche tout autre individu non engagé dans la recherche clinique de voir les images des préparations de médicaments. Ces mesures sont équivalentes à la ségrégation de l’information dans des cartables dans un local verrouillé. Il s’agit d’un complément aux mesures de traçabilité déjà en place. L’utilisation d’un tel système de numérisation permet de désynchroniser le processus de dispensation de médicaments de recherche, en plus de permettre une validation asynchrone.

Évaluation des technologies de numérisation accessibles

Il existe plusieurs technologies permettant la prise de photos à des fins de numérisation (appareils photos de type consommateur, appareils photos de type professionnel et téléphones intelligents). Nous avons retenu le téléphone intelligent pour la numérisation en recherche clinique, compte tenu de son faible coût, de sa petite taille, de sa facilité d’utilisation et de sa mobilité (le téléphone peut être positionné facilement).

On recense de nombreux modèles de téléphone intelligent offerts sur le marché. Au moment de mener notre étude, notre choix s’est arrêté sur le modèle Galaxy J3MD (2018) de Samsung. Ce téléphone intelligent était déjà offert au département de pharmacie où il avait été utilisé pour d’autres tâches. Cet appareil possède une caméra avec une résolution de 8,0 mégapixels, un écran de 5,0 pouces offrant une résolution de 1280 × 720 pixels; il affiche un poids de 152 grammes et une capacité de connexion Wi-Fi directe12.

Le paramétrage du téléphone intelligent a été effectué par un technicien informatique. Premièrement, le technicien informatique a connecté le téléphone intelligent au réseau sécurisé de l’hôpital. Il a ensuite installé une application (FolderSyncMD, accessible sur GooglePlay) qui permet la synchronisation automatique des images prises par le téléphone intelligent vers la file d’attente dédiée à la recherche clinique dans le logiciel de numérisation. Grâce à l’application FolderSyncMD, une fois cette transmission terminée, les photographies sont automatiquement supprimées du téléphone intelligent.

Cartographie du processus de dispensation des médicaments de recherche actuel et révisé

Le tableau II présente la cartographie du processus de dispensation des médicaments de recherche actuel et révisé (avec utilisation du téléphone intelligent). Le processus actuel comporte 10 étapes, comparativement à 11 étapes pour le processus révisé. Le système de numérisation impliquant un téléphone intelligent permet d’éliminer deux étapes du processus actuel et il crée trois nouvelles étapes pour le processus révisé.

Tableau II Cartographie des processus de dispensation des médicaments de recherche actuel et révisé avec utilisation du téléphone intelligent

 

Implantation d’un système de numérisation impliquant un téléphone intelligent

Au cours de la première phase, 20 ordonnances de recherche ont été préparées et validées à l’aide du processus actuel et les étapes génériques ont été chronométrées. Le tableau III présente les temps moyens associés aux étapes génériques du processus actuel de dispensation des médicaments de recherche au service pharmaceutique de soutien à la recherche. En moyenne, 14,9 ± 4,1 minutes ont été nécessaires pour réaliser la dispensation d’un médicament de recherche. Le temps associé à la validation pharmaceutique de la dispensation des médicaments de recherche (incluant les déplacements de l’assistant de recherche, l’attente avant la validation et l’étape de validation pharmaceutique) représente 20 % du processus actuel de dispensation.

Tableau III Temps moyens associés aux étapes génériques du processus actuel de dispensation des médicaments de recherche au service pharmaceutique de soutien à la recherche pour la préparation et la validation de 20 ordonnances de recherche

 

En phase pilote pour le processus révisé, du 31 janvier 2019 au 26 février 2019, nous avons pris des photographies des préparations de médicaments de recherche et des documents nécessaires à la validation avec le téléphone intelligent. Nous avons recueilli des données pour 30 dispensations. Cependant, seulement 23 % (n = 7) des dispensations ont pu être validées à l’aide du processus révisé, en raison de contraintes logistiques. Le temps moyen total associé au processus complet de dispensation d’un médicament de recherche à l’aide du processus révisé était de 13,0 ± 4,0 minutes (n = 6). Une donnée extrême a été exclue du calcul de temps moyen total. Le temps moyen nécessaire à la validation pharmaceutique des médicaments de recherche à l’aide du processus révisé était de 2,1 ± 1,5 minutes (alors qu’il était de 1,1 ± 0,6 minute pour le processus actuel). Majoritairement, deux images par dispensation sont nécessaires pour inclure tous les éléments nécessaires à la validation. Pour un protocole de recherche en particulier, sept images ont dû être captées, dont la liste de répartition aléatoire, la feuille de correspondance du produit, une seringue orale, des bouteilles et des étiquettes. Généralement, 20 à 59 secondes sont nécessaires pour capter toutes les images requises.

Le processus révisé a été testé auprès de deux pharmaciens qui effectuent habituellement les validations pharmaceutiques de recherche et auprès de l’assistante de recherche responsable de la prise des photographies, et leurs commentaires ont été recueillis. Les pharmaciens trouvaient que les images obtenues avaient une résolution suffisante pour assurer une bonne lisibilité des informations qu’elles contenaient. Ils pensaient aussi que les informations pertinentes étaient facilement localisables sur les images et que le processus révisé était facile d’utilisation. Par contre, un pharmacien sur deux avait l’impression que le temps nécessaire à la validation était plus long qu’avec le processus actuel. Enfin, les deux pharmaciens s’entendaient pour dire qu’ils utiliseraient le processus révisé, à certaines conditions.

Pour sa part, l’assistante de recherche trouvait que l’utilisation d’un téléphone intelligent pour la prise de photographies était facilitée dans la mesure où sa manipulation permet de prendre des photographies des préparations sous tous les angles. Il s’adapte donc bien aux particularités inhérentes aux préparations des différentes études cliniques. Le tableau IV présente un profil des données recueillies durant la phase pilote à l’aide du processus révisé de dispensation des médicaments de recherche au service pharmaceutique de soutien à la recherche.

Tableau IV Données recueillies durant la phase pilote à l’aide du processus révisé de dispensation des médicaments de recherche au SPSR

 

Discussion

Cette étude descriptive prospective de faisabilité présente une démarche originale de numérisation. À notre connaissance, aucune étude similaire n’a été publiée en recherche clinique. Neville et coll. ont démontré une réduction du temps médian de traitement d’une ordonnance en implantant un processus de numérisation des ordonnances au Canada13. Austin et coll. ont également observé une réduction du temps de traitement des ordonnances en procédant à la numérisation14. Wietholter et coll. ont également noté une réduction du temps de traitement en implantant un prescripteur électronique15. La désynchronisation du processus de validation peut être plutôt bénéfique dans certains scénarios où, par exemple, on compte plusieurs étapes intermédiaires qui nécessiteraient la présence du pharmacien pour valider chacune d’entre elles.

L’étude démontre que la numérisation du processus de dispensation des médicaments de recherche est technologiquement possible et que le processus mis au point pour notre centre ne contrevient à aucun enjeu défini lors de la revue du cadre normatif en recherche puisque des mesures de sécurité adéquates ont été mises en place. Le recours à un téléphone intelligent est un bon choix d’appareil de numérisation compte tenu de son faible coût, de sa facilité d’utilisation et de la possibilité de prendre des photos rapidement en vérifiant en temps réel la qualité des images recueillies. Ailleurs dans le département de pharmacie du CHU Sainte-Justine, le téléphone intelligent a été intégré avantageusement à plusieurs flux de travail, en remplacement des caméras fixes (caméras fixées à des bras ergonomiques dans les hottes à flux laminaire ou vis-à-vis des bancs de travail pour des préparations magistrales non stériles).

Bien que le recours au téléphone intelligent s’avère technologiquement faisable, le processus révisé comporte des limites d’utilisation observées durant la phase pilote. La limite principale apparue lors de la phase pilote s’explique par le fait que, dans notre centre hospitalier, les pharmaciens engagés dans la validation pharmaceutique des préparations de recherche font partie de l’équipe de gestion du département. Ils effectuent au quotidien diverses tâches de gestion et ils se déplacent fréquemment à l’intérieur et à l’extérieur du département de pharmacie. Avec le processus actuel, la validation pharmaceutique des dispensations de médicaments de recherche s’insère ponctuellement dans leur quotidien parmi une multitude d’autres tâches.

La validation pharmaceutique, en présence physique, des médicaments de recherche et de toutes les pièces justificatives peut se faire n’importe où (dans le bureau des pharmaciens, au service pharmaceutique de soutien à la recherche ou ailleurs dans le département de pharmacie, sur une surface de travail appropriée), alors que la validation pharmaceutique à distance avec le logiciel de numérisation requiert l’ouverture d’une session sur un ordinateur incluant un accès au DPI et au logiciel de numérisation, le tout préférablement sur leur ordinateur. L’étude pilote a mis en évidence la nécessité pour ces pharmaciens de l’équipe de gestion, lorsqu’ils sont interpellés pour une validation pharmaceutique, de revenir à leur poste de travail pour la validation à distance, ce qui est parfois impossible (par exemple, lors de réunions en présentiel importantes). C’est d’ailleurs pourquoi, durant la phase pilote, seulement 23 % des dispensations de médicaments de recherche ont pu être validées à l’aide du processus révisé. Dans un scénario où le pharmacien affecté à la recherche clinique est davantage astreint à un poste de travail et où sa tâche principale consiste à valider des ordonnances, le recours à la numérisation pour le processus de dispensation des médicaments de recherche pourrait représenter un véritable gain d’efficience.

L’étude pilote met également en évidence les difficultés inhérentes à la numérisation des pièces justificatives. Dans la validation des préparations magistrales, la sélection des photos requises et leur séquence sont connues et prévisibles. En recherche clinique, les documents varient beaucoup d’un protocole de recherche à l’autre et le caractère pilote de l’étude n’a pas permis de standardiser la sélection et la séquence. La présence physique de l’assistant de recherche permet d’accélérer le processus de validation en guidant le pharmacien vers les documents pertinents à chacune des étapes de la validation pharmaceutique.

Le processus révisé pourrait être davantage utile au sein d’un établissement de santé comportant plusieurs sites et pour lequel une validation pharmaceutique centralisée à distance pourrait être optimale. En outre, l’étude montre la possibilité d’utiliser un téléphone intelligent en soutien à la numérisation au sein d’un département de pharmacie. En somme, notre étude met en évidence le peu de balises encadrant le recours à la numérisation de la part des autorités réglementaires ou professionnelles. L’informatisation croissante du circuit du médicament mérite qu’on se penche sur les exigences et les enjeux relatifs à la numérisation du processus en recherche clinique.

Cette étude comporte des limites. Un petit nombre d’observations a été effectué. Il est difficile d’établir un portrait définitif des avantages et des inconvénients. L’étude a toutefois le mérite de confirmer la faisabilité de recourir à un téléphone intelligent dans le processus de dispensation des médicaments de recherche clinique. Il pourrait être utile de répéter l’étude au sein d’autres pharmacies de recherche afin de confirmer les résultats, particulièrement si plusieurs sites distants sont couverts.

Conclusion

En conclusion, il est technologiquement faisable d’implanter un système de numérisation impliquant un téléphone intelligent pour la validation pharmaceutique à distance des dispensations de médicaments de recherche clinique. L’étude met en évidence des enjeux liés à la tâche du pharmacien ainsi qu’à la validation d’une séquence de plusieurs images.

Financement

Aucun financement en relation avec le présent article n’a été déclaré par les auteurs.

Conflits d’intérêts

Tous les auteurs ont rempli et soumis le formulaire de l’ICMJE pour la divulgation de conflits d’intérêts potentiels. Jean-François Bussières est membre du comité de rédaction de Pharmactuel. Les autres auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec le présent article.

Remerciements

Les auteurs tiennent à remercier Cynthia Tanguay, coordonnatrice du Service pharmaceutique de soutien à la recherche pour sa collaboration. Une autorisation écrite a été obtenue de cette personne.

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Pour toute correspondance: Catherine Côté-Sergerie, Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine, 3175, chemin de la Côte-Sainte-Catherine, Montréal (Québec) H3T 1C5, CANADA; Téléphone : 514 345-4931 poste 5904; Courriel : catherine.cote-sergerie.hsj@ssss.gouv.qc.ca

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PHARMACTUEL, Vol. 54, No. 1, 2021