Application des nouvelles recommandations sur le suivi de la vancomycine intraveineuse et comparaison de deux logiciels pour l’ajustement des dosages

Jean-Philippe Boucher, B. Pharm., M. Sc1,2,3, Laurence Paré, Pharm. D4,5,6

1Pharmacien, Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec - Hôpital Sainte-Croix, Drummondville (Québec) Canada ;
2Chargé d’enseignement clinique, Faculté de pharmacie, Université Laval, Québec (Québec) Canada ;
3Clinicien associé, Faculté de pharmacie, Université de Montréal, Montréal (Québec) Canada ;
4Candidate à la maîtrise en pharmacothérapie avancée au moment de la rédaction, Faculté de pharmacie, Université de Montréal, Montréal (Québec) Canada ;
5Résidente en pharmacie au moment de la rédaction, Centre hospitalier de l’Université de Montréal, Montréal (Québec) Canada ;
6Pharmacienne, Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec - Hôpital Sainte-Croix, Drummondville (Québec) Canada

Reçu le 18 août 2020: Accepté après révision par les pairs le 11 novembre 2020

Résumé

Objectif : L’objectif de cet article est de décrire notre expérience clinique avec les nouvelles recommandations sur le suivi thérapeutique de la vancomycine et de comparer les objectifs cliniques associés à l’utilisation de deux approches différentes pour estimer le ratio de l’aire sous la courbe sur la concentration minimale inhibitrice auprès d’une cohorte de patients hospitalisés qui ont reçu de la vancomycine intraveineuse.

Mise en contexte : Le nouveau consensus sur le suivi thérapeutique de la vancomycine prône l’utilisation du ratio de l’aire sous la courbe sur la concentration minimale inhibitrice comme marqueur pour l’ajustement des doses de vancomycine dans les cas d’infections graves. Le suivi par la réalisation de concentrations plasmatiques minimales seul n’est plus recommandé chez cette catégorie de patients. Deux approches permettant le calcul de l’aire sous la courbe sont recommandées : l’utilisation des équations de premier ordre et l’utilisation de la méthode bayésienne.

Résultats : Les dossiers de 50 patients ont été révisés. Les moyennes des ratios de l’aire sous la courbe sur la concentration minimale inhibitrice obtenues avec les équations de premier ordre et avec la méthode bayésienne étaient de 604 et 591 mg*h/L, respectivement. La répartition des indices thérapeutiques selon les deux méthodes était similaire pour 86 % des patients.

Conclusion : Notre expérience indique que le suivi thérapeutique de la vancomycine intraveineuse selon les nouvelles recommandations et les objectifs cliniques associés sont équivalents, que l’on privilégie un logiciel utilisant la méthode bayésienne ou un logiciel utilisant les équations pharmacocinétiques de premier ordre.

Mots clés : Aire sous la courbe, concentration minimale inhibitrice, équation de premier ordre, méthode bayésienne, vancomycine

Abstract

Objective : The purpose of this article is to describe our clinical experience with the new recommendations on vancomycin therapeutic monitoring and to compare the clinical outcomes associated with using two different approaches to estimate the area under the curve to minimum inhibitory concentration ratio in a cohort of hospitalized patients who received intravenous vancomycin.

Background : The new consensus on vancomycin therapeutic monitoring advocates the use of the area under the curve to minimum inhibitory concentration ratio as a marker for adjusting vancomycin doses in cases of severe infection. Monitoring by measuring minimum plasma concentrations alone is no longer recommended in this category of patients. Two approaches for calculating the area under the curve are recommended: the use of first-order equations and the use of the Bayesian method.

Results : The charts of 50 patients were reviewed. The mean area under the curve to minimum inhibitory concentration ratios obtained with first-order equations and with the Bayesian method were 604 and 591 mg*h/L, respectively. The distribution of the therapeutic indices using the two methods was similar for 86% of the patients.

Conclusion : Our experience indicates that the therapeutic monitoring of intravenous vancomycin according to the new recommendations and the associated clinical outcomes are equivalent, whether one opts for software using the Bayesian method or software using first-order pharmacokinetic equations.

Keywords : Area under the curve, Bayesian method, first-order equation, minimum inhibitory concentration, vancomycin

Introduction

Le premier consensus sur le suivi thérapeutique de la vancomycine intraveineuse chez les patients adultes remonte à 20091. Ce consensus a été révisé à la lumière des données scientifiques actuelles, et de nouvelles lignes directrices ont été publiées en mars 20202.

Ce nouveau consensus prône l’utilisation du ratio de l’aire sous la courbe (ASC) sur la concentration minimale inhibitrice (CMI), défini maintenant comme ASC/CMI, en tant que marqueur pour l’ajustement des doses intraveineuses (IV) de vancomycine dans les cas d’infections graves suspectées ou prouvées au Staphylococcus aureus résistant à la méthicilline (SARM). Le suivi par la mesure des concentrations plasmatiques minimales seule n’est plus recommandé chez cette catégorie de patients. Globalement, peu de données cliniques soutiennent l’utilisation de concentrations plasmatiques minimales entre 15 et 20 mg/L. Il est à noter que les données probantes actuelles sont insuffisantes pour statuer sur la meilleure méthode de suivi dans les cas d’infections non graves à SARM ou en présence d’autres bactéries telles que le Staphylococcus aureus sensible à la méthicilline (SASM) ou les entérocoques.

Ainsi, les lignes directrices proposent maintenant de viser un ratio ASC/CMI entre 400 et 600 mg*h/L. En effet, la vancomycine exercerait son effet bactéricide sur l’inoculum bactérien, lorsque le ratio s’approche ou excède 400 mg*h/L3. Parallèlement, le risque de néphrotoxicité associé à l’utilisation de la vancomycine augmenterait avec une exposition supérieure à 650 mg*h/L4. Ce ratio de 400 à 600 mg*h/L maximiserait de ce fait les bénéfices cliniques, tout en minimisant les risques de toxicité rénale.

Par ailleurs, il n’existe pas de corrélation directe entre les valeurs de concentrations plasmatiques minimales et les valeurs d’ASC en raison de variabilités interindividuelles, notamment en ce qui concerne la distribution et la clairance rénale de la vancomycine, qui affectent l’exposition globale à la vancomycine5.

En plus de l’ASC, le second élément d’importance du ratio correspond à la CMI bactérienne. Les lignes directrices suggèrent de considérer la CMI bactérienne envers la vancomycine à 1 mg/L2. En effet, en traitement empirique, le pathogène et sa CMI associée ne sont pas connus, ce qui rend difficile le calcul de l’ASC/CMI initialement, alors qu’il est démontré que la pharmacocinétique de la vancomycine doit être optimisée rapidement lors de la prise en charge d’une infection2. Par ailleurs, aux États-Unis, plus de 90 % des souches de SARM exhibent une CMI90 inférieure ou égale à 1 mg/L6. Des données d’hôpitaux canadiens corroborent également les observations américaines7. Enfin, les valeurs de CMI rapportées par les laboratoires des hôpitaux sont souvent réalisées au moyen de E-testMD. Or, ces tests de CMI peuvent surestimer jusqu’à deux fois la véritable CMI obtenue par la technique standard de microdilution en bouillon8.

Le calcul de l’ASC était autrefois laborieux. Maintenant, grâce aux avancées pharmacocinétiques et technologiques, il est possible de calculer plus aisément l’ASC. Deux approches sont possibles, soit l’utilisation de la méthode bayésienne et l’utilisation des équations pharmacocinétiques de premier ordre. L’approche préconisée par les nouvelles lignes directrices est l’approche bayésienne, mais l’utilisation des équations pharmacocinétiques de premier ordre est recommandée comme solution de rechange et représente tout de même une amélioration par rapport au suivi avec les concentrations plasmatiques minimales2.

L’utilisation de la méthode bayésienne repose sur l’utilisation d’un logiciel intégrant un modèle statistique de type bayésien. Il est fortement suggéré d’avoir minimalement deux concentrations plasmatiques pour utiliser ce type de logiciel, soit une concentration minimale et maximale prélevée une à deux heures après la fin de la perfusion. Il est possible d’utiliser cette méthode avec un seul prélèvement devant être réalisé immédiatement avant l’administration de la prochaine dose (concentration plasmatique minimale), mais les données probantes en faveur du prélèvement unique sont plus faibles. Le plus grand avantage de la méthode bayésienne est que le calcul de l’ASC peut être fait avant l’atteinte de l’état d’équilibre, ce qui permet de modifier plus rapidement la conduite thérapeutique en cas de prédiction d’une non-atteinte des cibles initiales. Un des inconvénients de ces logiciels est le coût généralement élevé associé à l’abonnement. De plus, l’utilisation de ce type de logiciel est plus complexe et demande usuellement plus de temps que celle d’équations de premier ordre.

L’utilisation d’équations de premier ordre repose sur la collecte à l’état d’équilibre de deux prélèvements de concentrations plasmatiques de vancomycine : un prélèvement au creux et un prélèvement au pic postdistributionnel d’une à deux heures après la fin de la perfusion. L’avantage majeur de cette approche est qu’elle est plus simple et plus intuitive; plusieurs logiciels gratuits sont d’ailleurs accessibles en ligne. Le principal inconvénient de cette méthode est qu’elle ne procure qu’un aperçu à un moment précis de l’exposition à la vancomycine; advenant un changement physiologique majeur, comme une insuffisance rénale aiguë, les prévisions pourraient s’avérer erronées. Par ailleurs, comme l’atteinte de l’état d’équilibre est requise, cette méthode ne permet pas de réagir aussi rapidement que la méthode bayésienne en cas de non-atteinte des cibles fixées initialement.

Depuis novembre 2018, les pharmaciens en antibiogouvernance de l’Hôpital Sainte-Croix de Drummondville procèdent au suivi pharmacocinétique de la vancomycine IV avec le ratio ASC/CMI. Pour le suivi de l’ASC/CMI, le logiciel VancoPKMD, accessible à www.vancopk.com, est actuellement utilisé. Ce logiciel gratuit utilise les équations pharmacocinétiques de premier ordre. Il a été choisi en raison de sa disponibilité, de sa facilité d’utilisation et de sa plus grande fiabilité pour les patients dont le poids se situe aux extrêmes, comparativement à d’autres logiciels en ligne gratuits9. Dans ce centre provincial désigné pour la réalisation de différentes chirurgies bariatriques, les cliniciens sont souvent confrontés à des patients hospitalisés souffrant d’obésité morbide.

L’objectif de cet article est de décrire notre expérience en lien avec l’application des nouvelles recommandations pour le suivi thérapeutique de la vancomycine IV et de comparer les objectifs cliniques associés à l’utilisation de deux approches différentes pour estimer le ratio ASC/CMI auprès d’une cohorte de patients hospitalisés qui ont reçu de la vancomycine IV dans notre centre hospitalier.

Méthodes

De façon rétrospective, nous avons révisé les dossiers de patients qui ont reçu de la vancomycine à l’Hôpital Sainte-Croix de Drummondville entre le 1er janvier 2019 et le 21 juillet 2019. Nous avons exclu les patients qui ont reçu de la vancomycine par une autre voie que celle de la vancomycine IV (voie orale et intraophtalmique notamment), les patients qui ont reçu une dose unique de vancomycine IV ou dont la thérapie a été cessée avant la réalisation de dosages plasmatiques, ainsi que les patients insuffisants rénaux sous dialyse.

Dans un deuxième temps, une comparaison de la performance des deux types de logiciels a été effectuée dans le but d’évaluer l’impact clinique de l’utilisation d’un type de logiciel bayésien par rapport à un logiciel d’équations pharmacocinétiques de premier ordre. Pour évaluer l’impact clinique, nous avons analysé les résultats obtenus par les deux logiciels et déterminé si la conduite clinique aurait été différente avec un logiciel plutôt que l’autre. Ainsi, nous avons intégré, toujours de façon rétrospective, les données de la cohorte de patients dans un logiciel utilisant la méthode bayésienne.

Nous avons utilisé le logiciel InsightRxMD, accessible à www.insight-rx.com, pour lequel nous avons obtenu un essai gratuit limité. Ce logiciel est l’un des plus performants sur le marché actuellement10. Il utilise une base de données pharmacocinétiques et un modèle statistique afin de prédire l’évolution pharmacocinétique ultérieure de la vancomycine selon différents paramètres du patient entrés dans l’interface. La justesse de la prédiction est plus grande si le patient présente des variables pharmacocinétiques similaires à celles intégrées dans la base de données. À l’inverse, si le patient présente des variables pharmacocinétiques différentes de celles attendues chez des patients présentant des caractéristiques similaires dans la base de données, la robustesse du modèle est plus faible, de même que la validité de la prédiction; le logiciel peut alors suggérer de recourir à davantage de prélèvements pharmacocinétiques pour améliorer la précision.

Il importe de mentionner que, dans notre centre hospitalier, les doses de vancomycine sont déterminées par un pharmacien, et ce, même en dehors des heures d’ouverture de la pharmacie grâce à la garde téléphonique. Ainsi, la quasi-totalité de nos patients reçoivent des doses de charge de vancomycine, ce qui permet d’atteindre rapidement des concentrations plasmatiques plus élevées en cours de traitement.

Une autorisation d’accès aux dossiers a été obtenue de la part du directeur des services professionnels de notre établissement. Des variables comme l’âge, le poids, la clairance de la créatinine calculée selon la formule de Cockcroft-Gault, le diagnostic présomptif et le diagnostic final ont été compilées. En ce qui a trait au suivi pharmacocinétique de la vancomycine, les données sur la dose de charge, la dose de maintien ainsi que les dosages plasmatiques ont été recueillies.

Pour chaque patient, un minimum de deux dosages plasmatiques de vancomycine a été réalisé lorsque l’état d’équilibre était présumé atteint, soit à la quatrième dose, en excluant la dose de charge. Les concentrations plasmatiques minimales devaient être réalisées cinq minutes avant le début de l’administration de la dose, alors que les concentrations plasmatiques maximales devaient être réalisées 60 minutes après la fin de la perfusion. Les heures exactes de prélèvement par le personnel infirmier ont été utilisées et saisies dans les logiciels.

Pour chacun des logiciels, nous avons calculé la moyenne et établi la médiane des ratios d’ASC/CMI obtenus. Pour ce faire, nous avons utilisé une valeur de CMI de 1 pour les calculs, même en présence d’une CMI différente, en raison des différents aspects discutés précédemment, et ce, tel que recommandé par les plus récentes lignes directrices2.

Nous avons classé les valeurs de ratio ASC/CMI obtenues pour chaque patient en trois catégories distinctes afin de mieux comparer la performance des logiciels. Un résultat inférieur à 90 % de l’intervalle minimal recommandé (soit un ASC/CMI inférieur à 360 mg*h/L) était classé sous-thérapeutique. Un résultat entre 90 et 110 % de l’intervalle recommandé (soit un ASC/CMI entre 360 et 660 mg*h/L) était classé thérapeutique. Un résultat supérieur à 110 % de l’intervalle recommandé (soit un ASC/CMI supérieur à 660 mg*h/L) était classé suprathérapeutique.

Nous avons également vérifié le degré d’accord des logiciels sur les ratios calculés afin d’explorer si un type de logiciel avait tendance à sous-estimer ou surestimer les valeurs par rapport à l’autre type. Nous avons considéré que les deux logiciels étaient en accord si la différence entre les deux résultats était inférieure à 10 %.

Par ailleurs, certains patients ont bénéficié de plus d’une analyse de leur ratio ASC/CMI en raison d’un traitement prolongé par la vancomycine. Pour les fins de la présente analyse, nous n’avons considéré que le premier ratio ASC/CMI obtenu durant le séjour hospitalier. Enfin, nous avons documenté la survenue de néphrotoxicité, définie par une augmentation de la créatinine de 50 % ou plus durant le traitement par vancomycine, jusqu’à deux semaines après l’arrêt de la thérapie11.

Résultats

Du 1er janvier au 21 juillet 2019, 215 dossiers de patients ayant reçu de la vancomycine ont été révisés. Soixante-quatre patients ont été exclus, puisque la vancomycine a été cessée avant la réalisation des dosages plasmatiques. Soixante-deux patients ont également été exclus, car ils recevaient la vancomycine par voie orale pour le traitement d’une infection à Clostridioides difficile. Trente et un patients ont reçu une dose unique de vancomycine IV et n’ont donc pas été retenus. Les autres exclusions (n = 8) concernaient des patients sous thérapie de remplacement rénal ou ayant reçu la vancomycine par une voie d’administration ophtalmique. Ainsi, globalement, 50 patients ont bénéficié d’une analyse de ratio ASC/CMI pour assurer le suivi de leur thérapie antibiotique. Le tableau I présente les caractéristiques démographiques et cliniques de la population.

Tableau I Caractéristiques démographiques et cliniques des patients

 

Plusieurs types de diagnostics présomptifs ont justifié l’introduction d’un traitement par la vancomycine IV. Dans près de la moitié des cas, le diagnostic présomptif était une infection avec foyer pulmonaire ou foyer cutané sans infection invasive. La figure 1 présente la répartition des diagnostics présomptifs ayant justifié l’utilisation de vancomycine IV. Lors de son introduction, la majorité des patients, soit 96 %, ont reçu une dose de charge.

 


 

Figure 1 Répartition des diagnostics présomptifs d’infection ayant justifié l’introduction de vancomycine IV

Parmi les 18 patients dont nous avons obtenu une CMI bactérienne des différentes espèces de staphylocoques envers la vancomycine, seuls quatre avaient une CMI de 1, telle que rapportée par le laboratoire. Deux patients ont eu des CMI différentes selon les différents prélèvements : un patient a présenté des CMI de 1, 1,5 et 2, et l’autre, de 0,5, 1 et 1,5. Huit des 18 patients dont une CMI avait été mesurée ont présenté une CMI à 1,5.

Les moyennes des ratios ASC/CMI obtenues respectivement avec les logiciels VancoPKMD et InsightRxMD sont de 604 (écart-type : 207) et 591 mg*h/L (écart-type : 190), alors que les ratios ASC/CMI médians sont de respectivement 595 (écart interquartile : 294) et 567 mg*h/L (écart interquartile : 206). Ces ratios se situent à la limite supérieure de l’intervalle thérapeutique recommandé. Le tableau II présente les différents résultats obtenus.

Tableau II Ratios ASC/CMI obtenus selon la méthode de calcul utilisée

 

Dans la figure 2, on constate que la répartition des indices thérapeutiques selon les logiciels est similaire chez 86 % des patients. Sept patients avaient des ratios ASC/CMI estimés les classant dans des indices thérapeutiques différents selon le logiciel utilisé. Sur ces sept patients, notons que deux présentaient des paramètres pharmacocinétiques différents de ceux qui étaient attendus par la base de données du logiciel bayésien.

 


 

Figure 2 Répartition des ratios ASC/CMI selon leur indice thérapeutique

L’impact clinique de cette différence d’indice thérapeutique en fonction de l’ASC/CMI selon le logiciel utilisé est pratiquement nul. Pour ces sept patients, au final, la conduite clinique aurait été la même avec ou sans l’utilisation du logiciel bayésien. La finalité clinique des patients ayant des indices thérapeutiques différents selon le logiciel utilisé est présentée dans le tableau III.

Tableau III Ratios ASC/CMI des patients ayant des indices thérapeutiques différents selon le logiciel utilisé et leur objectif clinique

 

Concernant le degré d’accord des ratios entre les logiciels, les ratios ASC/CMI ont été similaires pour les deux logiciels chez 40 patients sur 50 (80 %). Une surestimation du logiciel VancoPKMD par rapport au logiciel InsightRxMD a été observée chez huit patients, soit 16 %. À l’inverse, deux patients, soit 4 %, ont obtenu un ASC/CMI sous-estimé avec le logiciel VancoPKMD, comparativement au logiciel InsightRxMD.

Durant le traitement ou peu de temps après son arrêt, deux patients, soit 4 % de la cohorte, ont souffert d’une toxicité rénale. Un des deux patients avait un ratio ASC/CMI suprathérapeutique et l’autre, un ratio thérapeutique.

Discussion

Il peut sembler paradoxal qu’après plus de 60 ans d’utilisation, les cliniciens soient encore à se questionner sur la meilleure méthode pour réaliser le suivi thérapeutique de la vancomycine. Notre étude présente les premières données québécoises publiées sur la comparaison des deux méthodes de calcul du ratio ASC/CMI nouvellement recommandées par le plus récent consensus sur le suivi thérapeutique de la vancomycine.

Dans cette étude rétrospective menée durant plus de six mois d’utilisation de la vancomycine dans notre centre hospitalier, nous avons observé que les valeurs moyennes et médianes des ratios ASC/CMI se situaient dans la portion supérieure de l’intervalle thérapeutique recommandé par les nouvelles lignes directrices. Ces données démontrent qu’il est possible d’obtenir des dosages tout à fait dans les cibles en utilisant des doses courantes en clinique et indiquent même que des doses plus faibles pourraient être suffisantes.

Les deux logiciels ont somme toute donné des résultats similaires quant à la catégorisation des patients dans les indices thérapeutiques prédéfinis. En effet, plus de 85 % des patients se sont retrouvés dans la même catégorie thérapeutique quel que soit le logiciel utilisé. Pour les sept patients qui se sont retrouvés dans des catégories différentes, nous avons démontré que l’impact clinique était inexistant dans la cohorte. Qui plus est, deux des sept patients présentaient des paramètres pharmacocinétiques différents de ceux que l’on attendait dans la base de données du logiciel bayésien, ce qui signifie que des prélèvements sanguins supplémentaires auraient été nécessaires pour s’assurer du suivi adéquat de leur thérapie. Par ailleurs, en observant plus attentivement les données du tableau III, il est possible de constater que les ratios obtenus avec le logiciel InsightRxMD chez les patients 2 à 6 sont très proches de l’intervalle prédéfini et que le choix d’un intervalle plus strict de 5 % au lieu de 10 % augmenterait significativement le degré d’accord entre les logiciels.

Nos résultats tendent à démontrer qu’il existe un degré d’accord appréciable de 80 % entre les deux logiciels. Lorsque ces derniers n’affichent pas des résultats similaires, le logiciel VancoPKMD tend à surestimer davantage les ratios ASC/CMI par rapport au logiciel InsightRxMD. Néanmoins, cela n’est pas une constante absolue et l’inverse est également vrai, comme nous l’avons observé.

Par ailleurs, les résultats que nous avons obtenus sont similaires à ceux observés dans un autre centre hospitalier québécois, dont les données sont publiées dans un résumé du Grand Forum de l’Association des pharmaciens des établissements de santé du Québec, présenté dans ce numéro. Une comparaison des valeurs d’ASC obtenues entre les logiciels VancoPKMD et DoseMeRxMD (logiciel utilisant la méthode bayésienne) a été réalisée au Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke auprès d’environ 50 patients12. Les valeurs d’ASC obtenues entre les deux méthodes étaient globalement comparables.

Le taux de néphrotoxicité de 4 % dans la présente étude est inférieur à celui retrouvé dans la littérature médicale et peut s’expliquer par de multiples facteurs, notamment le faible degré de dysfonction rénale présent initialement, un arrêt plus précoce de la vancomycine, la surveillance accrue de la fonction rénale et la limitation des néphrotoxines. Un des deux patients ayant subi une néphrotoxicité a présenté un ratio ASC/CMI suprathérapeutique. De façon intéressante, depuis que nous avons adopté le suivi par ASC/CMI, nous avons remarqué une diminution de l’incidence de la néphrotoxicité associée à la vancomycine dans notre centre, probablement tributaire des doses moins élevées utilisées. Ce constat a également été fait par d’autres chercheurs13.

Il est à noter que plusieurs autres facteurs cliniques peuvent avoir augmenté le risque de néphrotoxicité chez ces patients : utilisation concomitante de la pipéracilline-tazobactam, infection invasive à pneumocoque, durée de l’exposition à la vancomycine et insuffisance rénale avant l’administration de vancomycine14. Un de ces cas de toxicité rénale est survenu deux semaines après la fin du traitement par vancomycine chez une patiente en fin de vie, dont l’état prémortem pourrait également être la cause.

Cette étude comporte certaines limites. Premièrement, nous avons inclus dans l’étude tous les patients dont un suivi thérapeutique de la vancomycine avait été réalisé, et non exclusivement les patients atteints d’infections graves à SARM. Nous avons procédé de cette façon, car l’étude se serait déroulée sur une période trop longue pour atteindre un nombre significatif de patients atteints d’une infection grave à SARM compte tenu de l’épidémiologie québécoise limitée pour ce type d’infection. À ce jour, il n’existe pas de recommandations dans la littérature médicale pour la prise en charge du suivi pharmacocinétique de la vancomycine chez les patients présentant une infection non sérieuse à SARM ou une infection due à d’autres micro-organismes comme les streptocoques ou les entérocoques2.

Deuxièmement, cette étude est monocentrique et la taille d’échantillon était faible. Ce nombre représentait toutefois plus de six mois d’exposition à la vancomycine IV pour notre centre hospitalier. Néanmoins, les constats effectués ne seront pas nécessairement les mêmes dans des centres hospitaliers ayant des missions et des populations différentes. Des centres dont la proportion d’utilisation de la vancomycine serait plus élevée que la nôtre pour ce qui est des patients requérant des soins intensifs et où il existe une grande labilité de la pharmacocinétique de cet antibiotique pourraient observer des résultats différents.

Enfin, nous avons utilisé pour les analyses une valeur de CMI bactérienne, lorsque connue, de 1, tel que recommandé par les nouvelles lignes directrices2. Parmi les 18 patients pour lesquels nous avons obtenu une CMI bactérienne des différentes espèces de staphylocoques envers la vancomycine, seuls quatre avaient une CMI de 1, telle que rapportée par le laboratoire. Néanmoins, nous avons considéré que les CMI à 1,5 représentaient surtout une surestimation obtenue par la méthode du E-test. De même, nous n’avons pas considéré les quelques CMI à 0,5 et nous leur avons également attribué une CMI de 1. En s’appuyant sur les valeurs de CMI de la vancomycine envers le SARM retrouvées récemment en Amérique du Nord, nous croyons que cette limite est moins importante globalement7,8.

Conclusion

Notre expérience indique que le suivi thérapeutique de la vancomycine intraveineuse selon les nouvelles recommandations et les objectifs cliniques associés sont équivalents, que l’on privilégie un logiciel utilisant la méthode bayésienne ou un logiciel utilisant les équations pharmacocinétiques de premier ordre. Ainsi, pour notre centre hospitalier, l’utilisation d’un logiciel gratuit et accessible en ligne semble tout à fait adéquate. L’extrapolation des résultats à des centres hospitaliers différents du nôtre, à savoir les hôpitaux de mission tertiaire ou quaternaire, devrait être faite avec prudence.

Par ailleurs, à l’échelle provinciale, des recherches sont en cours afin d’évaluer le recours à un logiciel de pharmacie hospitalière unique pour le Québec. Si ce logiciel comportait un module d’antibiogouvernance, il serait intéressant d’évaluer la possibilité qu’y soit greffé un calculateur de type bayésien pour le suivi de la pharmacocinétique de la vancomycine. De cette façon, l’aspect financier serait possiblement moins un enjeu. De même, l’accessibilité en ligne d’un logiciel bayésien gratuit pourrait s’avérer intéressante pour les cliniciens. La nouvelle version bêta du logiciel ClinCalcMD, accessible à https://clincalc.com/Vancomycin, représente un ajout digne de considération.

Remerciements

Les auteurs tiennent à remercier Mme Marie Carrier pour les démarches concernant l’obtention de la licence d’utilisation du logiciel InsightRxMD. Cette personne a donné une autorisation écrite.

Financement

Aucun financement en relation avec le présent article n’a été déclaré par les auteurs.

Conflit d’intérêts

Tous les auteurs ont rempli et soumis le formulaire de l’ICMJE pour la divulgation de conflits d’intérêts potentiels. Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec le présent article.

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Pour toute correspondance: Jean-Philippe Boucher, Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec – Hôpital Sainte-Croix, 570, rue Hériot, Drummondville (Québec) J2B 1C1, Canada; Téléphone : 819 478-6464; Courriel : jean-philippe_boucher_csssdrum@ssss.gouv.qc.ca

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PHARMACTUEL, Vol. 54, No. 2, 2021