James Hill1,2, Pharm.D., M.Sc., BCPS
Reçu le 14 novembre 2020: Accepté après révision le 26 janvier 2021
Il est bien connu que plusieurs médicaments peuvent être délétères lors de l’hospitalisation des personnes âgées1. L’article présenté dans le présent numéro par Papillon-Ferland et coll. décrit le taux de prescription de sédatifs et d’antipsychotiques chez la clientèle de 75 ans et plus au Centre universitaire de santé McGill, taux rapporté à l’aide d’audits effectués annuellement durant trois ans2. Ceux-ci ont été réalisés dans le cadre de l’Approche adaptée à la personne âgée (AAPA). Le but de la démarche était de documenter et d’implanter des solutions afin d’améliorer l’utilisation de ces deux classes pharmacologiques. Des ordonnances prérédigées ont été révisées pour en retirer les sédatifs et des rencontres ont eu lieu avec les équipes interdisciplinaires. Lors du dernier audit, 21,4 % des patients de 75 ans et plus hospitalisés se sont toujours vu prescrire des sédatifs et 10,3 %, des antipsychotiques, même si les risques de ces médicaments chez la clientèle gériatrique sont bien connus.
L’AAPA, publiée en 2011, doit être implantée dans les centres hospitaliers de soins généraux et spécialisés à la demande du ministère de la Santé et des Services sociaux, et comprend certaines recommandations, telles que la mise en place de mesures non pharmacologiques et l’utilisation réduite des médicaments potentiellement inappropriés chez le patient âgé3. Toutefois, cette implantation a vu le jour dans seulement 66 % des milieux hospitaliers en 2018–20194. Elle est donc inégale d’un établissement, d’une installation et même d’une unité à l’autre. Plusieurs professionnels de la santé au Québec, dont les pharmaciens, n’ont qu’une idée vague de ce qu’est cette approche et ignorent toujours le contenu de ces recommandations. Tous les membres des équipes multidisciplinaires (du préposé au médecin en passant par le personnel infirmier, les physiothérapeutes, etc. et, bien sûr, les pharmaciens) doivent être parties prenantes.
Depuis une dizaine d’années, un courant important s’impose dans la littérature de la santé concernant les soins aux aînés : celui de la déprescription des thérapies médicamenteuses5. Les pharmaciens sont de plus en plus engagés dans ce processus. Des initiatives québécoises et canadiennes comme OPUS-AP, le modèle PEPS et deprescribing.org en font état6–8. Mais quel serait le visage de la déprescription si la prescription initiale était faite par le pharmacien ?
Depuis le 25 janvier 2021, la Loi sur la pharmacie a été mise à jour, et ces nouveautés sont mieux connues par les pharmaciens sous le nom de « projet de loi 31 »9. Parmi les nouveaux actes, le pharmacien peut désormais « … prescrire un médicament visé à l’annexe I du Règlement sur les conditions et modalités de vente des médicaments […] dans le cadre d’une entente de pratique avancée en partenariat9 ». Le pharmacien peut donc, lorsqu’il a signé une entente avec un prescripteur ou un groupe de prescripteurs, prendre en charge la thérapie médicamenteuse de façon plus complète en ajoutant l’amorce à l’ajustement et la cessation des médicaments. Il peut maintenant être proactif plutôt que réactif, donc bien prescrire dès le départ plutôt qu’avoir à déprescrire plus tard.
Au cours des derniers mois, les regroupements des pharmaciens experts (RPE) de l’Association des pharmaciens des établissements de santé du Québec (A.P.E.S.) ont justement créé des modèles d’entente afin d’aider les pharmaciens en établissement de santé à rencontrer leurs partenaires prescripteurs. Le RPE de gériatrie s’est attardé à un modèle pour les soins de longue durée. Toutefois, il ne s’est pas encore penché sur la question de la courte durée.
La personne âgée est présente partout dans notre réseau (urgences, services médicaux et chirurgicaux), comme décrit par Papillon-Ferland et coll2. Il est donc difficile de cibler là où le pharmacien en gériatrie sera le plus efficace. Il n’est d’ailleurs pas exclusif au pharmacien qui exerce en gériatrie de bien prendre en charge la médication du patient âgé.
Il est possible pour le pharmacien en établissement de santé de croire qu’il pourrait mieux prescrire les médicaments dans certaines situations vécues par la personne âgée, dont le traitement de l’insomnie, de l’agitation et du délirium. Toutefois, des embûches subsistent.
Tout d’abord, la Loi réglementant certaines drogues et autres substances ne permet toujours pas l’amorce des benzodiazépines par un pharmacien10. Ainsi, ce dernier n’a pas tous les outils pour lui permettre de bien traiter l’insomnie, par exemple.
Ensuite, même si le pharmacien a pour objectif de bien prescrire dès le départ une thérapie médicamenteuse, seulement lorsqu’indiquée et appropriée, le pourra-t-il facilement ? Si le médicament n’est pas prescrit à l’avance, l’amorce de la thérapie pour l’insomnie, l’agitation ou le délirium survient souvent tard en soirée ou durant la nuit. Le pharmacien sera-t-il disponible 24 heures sur 24? Nos effectifs nous permettent-ils de créer des gardes de ce type? Le groupe de pharmaciens d’un centre hospitalier donné est-il prêt, tout comme le médecin, à se faire réveiller en plein milieu de la nuit pour amorcer une dose appropriée d’halopéridol pour un patient qu’il ne connaît pas?
Également, la diminution de l’utilisation de plusieurs médicaments potentiellement inappropriés implique souvent l’implantation de mesures non pharmacologiques. Celles-ci représentent la première étape pour traiter l’insomnie, l’agitation et le délirium chez la personne âgée avec le moins d’effets indésirables possibles11–13. Toutefois, il est déjà difficile d’avoir accès à ces solutions. Ces mesures sont parfois onéreuses (p. ex., chambres individuelles afin de favoriser un environnement plus calme pour dormir). Elles peuvent être peu coûteuses, mais nécessiter plus de personnel afin que les aînés puissent y avoir accès (p. ex., donner un verre de lait chaud avant de se coucher, rassurer un patient dément désorienté) dans une conjoncture où une pénurie de personnel est bien réelle. Le patient ne pourra pas plus en bénéficier qu’actuellement, même si le pharmacien croit qu’une mesure non pharmacologique doit être instaurée.
Malgré ceci, le pharmacien en établissement de santé ne doit pas hésiter à se mobiliser et à signer des ententes de pratique avancée en partenariat. Il n’a pas nécessairement à débuter par l’amorce de la thérapie pour le traitement de l’insomnie, l’agitation ou le délirium. Une meilleure utilisation de plusieurs autres médicaments pourra avoir de nombreux impacts positifs sur sa clientèle gériatrique.
Le pharmacien devient ainsi un nouveau partenaire dans le réseau de la santé pouvant amorcer la meilleure thérapie médicamenteuse pour toutes les clientèles, dont celles qui sont parmi les plus vulnérables, nos aînés. Il y a encore plusieurs choses à construire, à modifier…, mais il est permis de croire que nous pourrons bien prescrire, mieux prescrire afin de ne pas avoir à déprescrire !
Aucun financement en relation avec le présent article n’a été déclaré par l’auteur.
L’auteur a rempli et soumis le formulaire de l’ICMJE pour la divulgation des conflits d’intérêts potentiels. L’auteur n’a déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec le présent article.
1. Riaz M, Brown JD. Association of adverse drug events with hospitalization outcomes and costs in older adults in the USA using the Nationwide Readmissions Database. Pharmaceut Med 2019;33:321–9.
2. Papillon-Ferland L, Bonnici A, Guèvremont C, Mallet L. Approche adaptée à la personne âgée : suivi de l’utilisation des sédatifs et antipsychotiques au Centre universitaire de santé McGill. Pharmactuel 2021;54:58–64.
3. Ministère de la Santé et des Services sociaux. Approche adaptée à la personne âgée en milieu hospitalier - Cadre de référence. [en ligne] https://publications.msss.gouv.qc.ca/msss/fichiers/2010/10-830-03.pdf (site visité le 13 novembre 2020).
4. Ministère de la santé et des services sociaux. Rapport annuel de gestion 2018–2019. [en ligne] https://publications.msss.gouv.qc.ca/msss/document-002394/ (site visité le 13 novembre 2020).
5. Sirois C, Gagnon C, MacCarthy LM, Schuster B, Turner JP. La déprescription : aller au-delà de la gériatrie. Pharmactuel 2019;52:151–2.
6. Cossette B, Bruneau MA, Couturier Y, Gilbert S, Boyer D, Ricard J et coll. Optimizing practices, use, care and services-Antipsychotics (OPUS-AP) in long-term care centers in Québec, Canada : A Strategy for Best Practices. J Am Med Dir Assoc 2020;21:212–9.
7. Garland CT, Guénette L, Rouleau R, Sirois C. Polymédication en CHSLD, le modèle PEPS : une organisation basée sur la collaboration infirmière-pharmacien. Perspective infirmière 2020;17:22–7.
8. Farrell B, Grad R, Howell P, Quast T, Reeve E. Deprescribing guidelines: value of an interactive mobile application. PRiMER 2020;4:26.
9. Éditeur officiel du Québec. Projet de règlement – Règlement sur l’amorce et la modification d’une thérapie médicamenteuse, sur l’administration d’un médicament et sur la prescription de tests par un pharmacien. Gazette officielle du Québec 2020. [en ligne] https://www.opq.gouv.qc.ca/fileadmin/documents/Actualites/2020/Projets-de-reglements/72682_1_.pdf (site visité le 13 novembre 2020).
10. Gouvernement du Canada. Loi réglementant certaines drogues et autres substances. [en ligne] https://lois-laws.justice.gc.ca/fra/lois/c-38.8/index.html (site visité le 13 novembre 2020).
11. Hoang LUA, Gravel J. Gestion des hypnosédatifs en UCDG – 2ième édition. Montréal (Québec, Canada) : Regroupement des Unités de courte durée gériatriques et des services hospitaliers de gériatrie du Québec (RUSHGQ);2018.
12. Hill J, Clerc D. Gestion des antipsychotiques dans le traitement des SCPD en UCDG – 2ième édition. Montréal (Québec, Canada) : Regroupement des Unités de courte durée gériatriques et des services hospitaliers de gériatrie du Québec (RUSHGQ);2018.
13. Paré C, Hill J. Gestion des antipsychotiques dans le traitement du délirium en UCDG – 2ième édition. Montréal (Québec, Canada) : Regroupement des Unités de courte durée gériatriques et des services hospitaliers de gériatrie du Québec (RUSHGQ);2018.
PHARMACTUEL, Vol. 54, No. 1, 2021