Bon usage des anticoagulants oraux et conformité de l’analyse pharmaceutique : audit sur les prescriptions hospitalières

Amaury Durand , Pharm.D. 1, Elise Baltora 2, Nathalie Pelloquin , Pharm.D. 3, Simon Soudet , MD 4, Aurélie Lenglet , Pharm.D., Ph.D. 5

1 Interne en pharmacie, Pharmacie à usage intérieur, Centre hospitalier universitaire Amiens-Picardie, Amiens, France ;
2 Externe en pharmacie, Pharmacie à usage intérieur, Centre hospitalier universitaire Amiens-Picardie, Amiens, France ;
3 Pharmacienne, Pharmacie à usage intérieur, Centre hospitalier universitaire Amiens-Picardie, Amiens, France ;
4 Médecin, Médecine vasculaire, Centre hospitalier universitaire Amiens-Picardie, Amiens, France ;
5 Pharmacienne, Pharmacie à usage intérieur, Centre hospitalier universitaire Amiens-Picardie, Amiens, France

Reçu le 17 février 2021: Accepté après révision le 16 avril 2021

Résumé

Introduction : Les anticoagulants oraux font partie des classes médicamenteuses responsables du plus grand nombre d’évènements iatrogènes dans le monde et notamment en France.

Objectifs : Vérifier la conformité de la prescription des antivitamines K (acénocoumarol, fluindione, warfarine) et des anticoagulants oraux directs (apixaban, dabigatran, rivaroxaban), ainsi que la conformité de l’analyse pharmaceutique associée avec les recommandations européennes et françaises.

Description de la problématique : Au sein d’un établissement hospitalo-universitaire de 1673 lits, un audit prospectif a été mené le 15 juillet 2019. Les dossiers des patients hospitalisés recevant un anticoagulant oral ont été consultés afin d’évaluer les informations relatives à leur prescription (âge, poids, fonction rénale, rapport international normalisé, indication…) et, ainsi, de vérifier leur bon usage.

Résolution de la problématique : Parmi les 123 patients traités par un anticoagulant oral (moyenne d’âge 81,9 ± 11,5 ans), 87 % (107) recevaient un anticoagulant oral direct. La molécule choisie était adaptée à l’indication dans 98 % (121) des cas; la prescription a été évaluée conforme dans 71 % (86) des cas. La majorité des non-conformités étaient dues à un rapport international normalisé hors de la cible thérapeutique chez 75 % (12) des patients sous antivitamines K. Le taux de prescriptions analysées par les pharmaciens était de 93 % (114); cette analyse a été considérée comme conforme dans 69 % (84) des cas.

Conclusion : À travers cette étude, des points de non-conformité ont pu être mis en avant sur l’analyse pharmaceutique. Ce travail a permis de sécuriser cette étape du circuit par la création de nouvelles règles d’alerte dans notre système informatique d’aide à l’analyse des prescriptions.

Mots-clés : Anticoagulants oraux, évaluation des pratiques médicales par des pairs, maladies cardiovasculaires, qualité des soins de santé, revue des pratiques de prescription médicamenteuse

Abstract

Introduction : Oral anticoagulants are among the classes of drugs responsible for the largest number of iatrogenic events in the world, and particularly in France.

Objectives : To check prescribing compliance for antivitamins K (acenocoumarol, fluindione and warfarin), direct oral anticoagulants (apixaban, dabigatran and rivaroxaban), the compliance and the related pharmaceutical analysis with European and French recommendations.

Problem description : A prospective audit was conducted at a 1673-bed teaching hospital on July 15, 2019. The charts of the inpatients receiving an oral anticoagulant were consulted for the purpose of examining the information pertaining to their prescription (age, weight, renal function, international normalized ratio, indication, etc.) to check that it was being used properly.

Problem resolution : Of the 123 patients being treated with an oral anticoagulant (mean age: 81.9 ± 11.5 years), 87% (107) were receiving a direct oral anticoagulant. The drug chosen was appropriate for the indication in 98% (121) of the cases, and the prescription was deemed compliant in 71% (86) of the cases. Most of the instances of noncompliance were due to an international normalized ratio outside the therapeutic target in 75% (12) of the patients taking antivitamins K. The proportion of prescriptions analyzed by the pharmacists was 93% (114), and the analysis was considered compliant in 69% (84) of the cases.

Conclusion : In this study, instances of noncompliance were identified in the pharmaceutical analysis. This work enabled us to make this step of the circuit safer by creating new alert rules in our computer system for prescription analysis.

Keywords : Cardiovascular disease, oral anticoagulants, peer review of medical practices, quality of health care, review of drug prescription practices

Introduction

En 2009, une enquête nationale française sur les événements indésirables graves associés aux soins avait permis d’établir 11,8 évènements indésirables graves pour 1000 jours d’hospitalisation; 42,8 % d’entre eux avaient entraîné une hospitalisation qui était évitable dans 47,3 % des cas1. Les antivitamines K (AVK) font partie des médicaments causant le plus d’hospitalisations d’origine iatrogène et seraient responsables de plus de 5000 décès par an en France à la suite d’un évènement hémorragique2,3. En effet, le risque de saignements associé au traitement par AVK augmente avec l’âge, avec une hausse de 40 % pour chaque tranche de 10 ans4. Les AVK ont longtemps été le traitement de référence dans la prévention et le traitement des pathologies thromboemboliques.

En France, les anticoagulants oraux directs (AOD) ont été mis sur le marché entre 2008 (dabigatran et rivaroxaban) et 2011 (apixaban). Les études cliniques comparant les AOD à la warfarine indiquent que les AOD ont une efficacité non inférieure, voire supérieure en matière de prévention de la survenue d’accident vasculaire cérébral (AVC) ou d’embolie pulmonaire (EP), non inférieure dans la prévention de la récidive de thrombose veineuse profonde (TVP) ou d’EP, et une meilleure tolérance quant aux évènements indésirables graves, tels que la survenue d’hémorragies et de décès59.

Les données de pharmacovigilance post commercialisation indiquent que les AOD réduisent le risque ischémique et le risque de saignement intracrânien mais augmentent le risque de saignement gastro-intestinal chez les patients de plus de 75 ans1013. Ces données confirment les résultats des essais cliniques dans les sous-groupes de patients de plus de 75 ans6,7. Les AOD ont l’avantage de ne pas nécessiter de suivi biologique régulier pour évaluer leur efficacité et leur toxicité. Ils sont actuellement recommandés en Europe et notamment en France en première intention dans la prévention thromboembolique en cas de fibrillation auriculaire non valvulaire ou de maladie thromboembolique veineuse14,15. Cependant, dans une étude qui incluait des personnes âgées (âge moyen de 80,4 ans), les auteurs ont observé que la concentration plasmatique en apixaban pouvait être supérieure à la norme indiquée dans les essais cliniques bien que la posologie ait été conforme aux recommandations, ce qui expose à un sur-risque hémorragique16.

En France, les AOD représentaient 5,8 % des 10 millions de boîtes d’anticoagulants oraux (ACO) remboursées par l’Assurance Maladie en 2012 et 51,7 % des 21,3 millions de boîtes d’ACO remboursées en 201817. Les AVK et AOD font partie des classes médicamenteuses les plus à risque d’évènement iatrogène. En cas de surdosage, ils peuvent être responsables de saignements mineurs mais aussi d’hémorragies intracrâniennes, de saignements gastro-intestinaux ou d’autres types de saignements majeurs. En cas de sous-dosage, des complications peuvent survenir, comme des accidents vasculaires cérébraux, des embolies systémiques ou un infarctus du myocarde. Ces complications sont plus fréquemment présentes chez les personnes âgées polypathologiques et polymédiquées18,19. Cela incite les pharmaciens à s’assurer de leur juste prescription et à effectuer le cas échéant des interventions pharmaceutiques20.

Ces médicaments font l’objet d’un plan d’action renforcé depuis la prescription jusqu’à l’administration dans notre l’établissement, puisque 1) leur prescription est systématiquement analysée, 2) ils sont identifiés par un logo « médicament à risque » dans les armoires à pharmacie des services et 3) des affiches concernant les évènements ne devant jamais survenir permettent de sensibiliser le corps infirmier21. Dans ce contexte, un audit sur le bon usage des ACO prescrits à l’ensemble des patients hospitalisés dans l’établissement un jour donné a été effectué.

L’objectif principal de l’étude était de vérifier la conformité de la prescription des ACO au regard des données issues du dossier médical informatisé. L’objectif secondaire était d’évaluer l’analyse pharmaceutique eu égard à la prescription et aux recommandations.

Description de la problématique

L’audit a été effectué dans le centre hospitalier universitaire Amiens-Picardie et il respectait la réglementation française (recherche non interventionnelle nécessitant l’utilisation de données de santé propres à l’analyse pharmaceutique des prescriptions). Cet établissement dispose de 1673 lits d’hospitalisation répartis en 1243 lits de médecine, chirurgie et obstétrique, 85 lits de soins de suite et de réadaptation (SSR), 190 lits en unité de soins de longue durée, 140 lits en établissement d’hébergement pour personnes âgées et dépendantes, et 15 lits d’accueil de jour.

Le 15 juillet 2019, les dossiers de tous les patients ayant une prescription en cours comportant un ACO (AVK ou AOD) ont été examinés dans le logiciel d’aide à la prescription associé au dossier-patient informatisé DxCareMD. Cet audit a été effectué dans l’ensemble de l’établissement, excepté les services de réanimation et des urgences qui ne bénéficient pas de ce logiciel. Ces prescriptions ont été retrouvées grâce au filtre « médicaments à risque » préprogrammé sur DxCareMD. Au quotidien, le pharmacien peut, lors de l’analyse pharmaceutique de la prescription, accepter ou refuser toute la prescription du patient ou seulement l’ACO, mais il peut également laisser une intervention pharmaceutique à destination des médecins et des infirmiers.

Pour chaque patient, les données suivantes : âge, poids, sexe, antécédents médicaux et chirurgicaux, unité d’hospitalisation, molécule, posologie, estimation de la fonction rénale (créatininémie, clairance rénale d’après la formule Cockroft et Gault) et rapport international normalisé (RIN), si prescription d’AVK, ont été recherchées dans les différents onglets de DxCareMD (prescriptions médicales, recueil médical, compte-rendu de consultation, compte-rendu d’hospitalisation, résultats biologiques et transmissions infirmières).

Pour la conformité de l’adéquation de la prescription avec l’indication, les données suivantes ont été évaluées : molécule, posologie et cible, à savoir RIN actuel et RIN cible pour les AVK, âge, poids et créatinine plasmatique pour l’apixaban, âge et clairance de la créatinine selon Cockroft et Gault pour le dabigatran, clairance de la créatinine selon Cockroft et Gault pour le rivaroxaban. L’analyse des interactions médicamenteuses (gravité, mécanisme) a été effectuée lors de l’analyse pharmaceutique de la prescription grâce au Thésaurus de l’agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM)22. Le statut de l’analyse pharmaceutique de la prescription (prescription acceptée, refusée ou non analysée) a été récolté.

La prescription a été jugée conforme eu égard aux critères suivants : médicament prescrit, posologie, indication, objectif thérapeutique, RNI, âge, poids, fonction rénale, traitements concomitants, recherchés sur DxCareMD et comparés au résumé des caractéristiques des produits de médicaments concernés et aux recommandations des sociétés savantes.

L’analyse pharmaceutique a été jugée conforme 1) si la prescription était en accord avec les recommandations et avait été acceptée par un pharmacien ou 2) si la prescription n’était pas conforme aux recommandations et qu’elle avait été refusée par un pharmacien et qu’une intervention pharmaceutique avait été effectuée.

Résolution de la problématique

Présentation de la population étudiée

Le jour de l’audit, 9 % des patients hospitalisés au sein de l’établissement avaient une prescription en cours d’un ACO (123/1417). Les données cliniques et démographiques de la population sont présentées dans le Tableau I. La moyenne d’âge des patients inclus était de 81,9 ± 11,5 ans. Les femmes représentaient 66 % des patients inclus et les résidents d’établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, 44 % des patients.

Tableau I   Données démographiques et cliniques de la population à l’étude

 

Facteurs de risque

Concernant les facteurs de risque thromboembolique, 80 % des patients souffraient de fibrillation auriculaire et 4 % portaient une prothèse valvulaire. Pour ce qui est des facteurs de risque de thrombose veineuse, 18 % des patients présentaient un antécédent de thrombose veineuse et 16 %, un antécédent d’embolie pulmonaire.

Anticoagulants prescrits

Les ACO étaient presque exclusivement prescrits pour une indication préventive (99 %), principalement en prévention des complications thromboemboliques, soit AVC ou embolie systémique en cas de trouble du rythme cardiaque, comme la fibrillation auriculaire non valvulaire ou le flutter (84 %) et en prévention de la récidive de TVP ou d’EP (15 %).

Les AOD étaient bien davantage prescrits que les AVK (87 % vs 13 %). Au total, sur l’ensemble des anticoagulants prescrits, pour les AOD, l’apixaban était plus utilisé (57 %) que le rivaroxaban (26 %) et le dabigatran (4 %); pour les AVK, la fluindione était plus prescrite (6,5 %) que la warfarine (5,7 %) ou l’acénocoumarol (0,8 %).

Objectif principal : conformité de la prescription aux recommandations

L’indication du traitement par ACO était considérée comme adaptée par rapport aux données indiquées dans le dossier-patient informatisé pour 98 % des patients ( n = 121). Une prescription d’AVK ne respectait pas l’autorisation de mise en marché et une indication n’a pas été retrouvée. Parmi les 121 patients pour lesquels l’indication était connue, la posologie était adaptée dans 71,1 % des cas ( n = 86), soit 78,1 % du total des prescriptions d’AOD (82/105) et 25,0 % des prescriptions d’AVK (4/16). Le Tableau II résume les différentes non-conformités rencontrées en fonction de chaque molécule.

Tableau II   Conformité de la posologie prescrite des anticoagulants oraux

 

Parmi les 23 patients dont la posologie de l’AOD n’était a priori pas conforme, ont été relevées : 1) pour l’apixaban, 14 posologies infra thérapeutiques au vu de la présence d’un seul facteur justifiant une dose réduite, deux posologies supra thérapeutiques au vu de la présence de deux facteurs justifiant une dose réduite, une contre-indication, car la fonction rénale était inférieure à 15 mL/min; 2) pour le rivaroxaban, trois posologies supra thérapeutiques au vu de la fonction rénale, une posologie supra thérapeutique au vu de l’indication, une posologie infra thérapeutique au vu de l’indication; 3) pour le dabigatran, une posologie supra thérapeutique au vu de l’âge. Parmi les 12 patients sous AVK et dont le RNI n’était pas dans la cible, neuf avaient un RNI trop bas; parmi ces derniers, un seul recevait une héparine à dose thérapeutique et trois avaient un RNI trop élevé. La posologie de l’AVK était à chaque fois en cours d’équilibrage au vu de la prescription médicale en cours et du recueil médical. Ce traitement par AVK avait été instauré depuis moins de trois jours chez deux patients, tandis qu’il était prescrit à domicile chez les dix autres pour lesquels le RNI était inadapté.

Objectif secondaire : qualité de l’analyse pharmaceutique eu égard à la prescription et aux recommandations

Le taux de prescriptions analysées par les pharmaciens était de 93 % (114). L’analyse de la prescription a été considérée comme de bonne qualité (conforme et validée ou non conforme et refusée) pour 69 % (84/121) des prescriptions. Les résultats sont présentés dans le Tableau III.

Tableau III   Conformité et statut d’analyse de la prescription

 

Les prescriptions considérées comme non conformes ont été refusées dans 12 % (4/33) des cas; il s’agissait de deux surdosages, d’un sous-dosage et d’une contre-indication au vu de la fonction rénale. Les trois prescriptions refusées, alors qu’ a priori elles étaient conformes, étaient liées à l’absence de suivi biologique de la fonction rénale depuis plus de six mois. Vingt-six prescriptions ont été validées bien que non conformes; 62 % (16) concernaient des AOD et 23 % (6) faisaient l’objet d’un commentaire pharmaceutique. Ces interventions pharmaceutiques ont toujours consisté en une demande d’augmentation de posologie. Les prescriptions d’AVK considérées comme non conformes ont, lorsqu’elles étaient analysées, toujours été acceptées, car la posologie était en cours d’optimisation.

Interactions médicamenteuses

La consultation du Thésaurus de l’ANSM a permis d’identifier 84 interactions médicamenteuses chez 62 % (76) des patients. Ces interactions pouvaient engendrer une réduction de l’efficacité dans 57 % des cas et une augmentation du risque hémorragique dans 43 % des cas22. Le Tableau IV reprend les différentes interactions retrouvées ainsi que leur gravité.

Tableau IV   Interactions médicamenteuses avec les anticoagulants oraux

 

Discussion

La prescription de l’ACO semblait adaptée à l’indication dans 98 % des cas, et 71 % des prescriptions d’AOD et d’AVK semblaient conformes aux recommandations. Les non-conformités correspondaient le plus souvent à des posologies infra thérapeutiques ou à des doses inadaptées à la fonction rénale. La population de cette étude était âgée (moyenne d’âge 81,9 ± 11,5) avec 44 % des patients hospitalisés dans un service de long séjour pour personnes dépendantes. Dans cette population particulière, les doses d’ACO sont à réévaluer régulièrement et à ajuster en fonction de l’évolution du poids et de la fonction rénale.

En effet, une fonction rénale altérée peut modifier le taux plasmatique des AOD qui ont une élimination rénale plus ou moins importante : environ 35 % de la dose absorbée pour le rivaroxaban, 27 % pour l’apixaban et 80 % pour le dabigatran23. L’étude de Testa et coll. montre que les complications hémorragiques au cours des traitements par AOD sont fréquentes chez les patients souffrant de fibrillation auriculaire qui présentent des concentrations sanguines élevées24. Cela questionne sur le suivi à effectuer sur les populations fragiles et plus à risque de complications iatrogènes. L’étude de Sukumar et coll. menée sur un petit nombre de patients (110) recommande une vigilance particulière lors de la prescription de fortes doses d’apixaban (5 mg deux fois par jour) chez les sujets âgés16. En effet, pour 48 patients (âge moyen de 88 ans) qui recevaient une dose trop élevée d’apixaban, une forte majorité avait des concentrations sanguines de médicament bien supérieures aux normes.

Au cours de cet audit, l’adaptation de la dose d’AOD a été établie en fonction de la clairance de la créatinine estimée par la formule de Cockroft et Gault, comme recommandé dans les essais cliniques. Cependant, l’utilisation de cette formule chez le sujet âgé est discutable puisque l’âge élevé et le faible poids tendent à sous-estimer l’état de la fonction rénale, tandis qu’une faible masse musculaire et une dénutrition tendent à le surestimer. Dans le cas des ACO, cela permet cependant de réduire le risque de surdosage par rapport aux formules Modification of Diet in Renal Disease (MDRD) et Chronic Kidney Disease Epidemiology Collaboration (CKD-EPI) qui tendent à surestimer la fonction rénale2527. Chez les sujets âgés souffrant de fibrillation auriculaire, la prescription des ACO dans la prévention des AVC et des thromboses systémiques est particulièrement délicate au vu des nombreuses comorbidités pouvant augmenter le risque hémorragique, mais cela ne doit pas conduire à sous-traiter les patients, car le bénéfice net reste généralement positif sous condition d’une évaluation gériatrique préalable.

Martin et coll. ont mis en évidence que 66 % des prescriptions d’ACO à l’hôpital étaient conformes aux recommandations, résultat très proche de celui retrouvé dans cet audit28. Dans notre étude, une seule prescription d’AVK hors autorisation de mise en marché a été retrouvée pour un syndrome des antiphospholipides, indication justifiée au vu des données de la littérature scientifique29.

L’analyse pharmaceutique des prescriptions d’ACO a été évaluée conforme dans 69 % des cas. Peu de prescriptions ont été refusées par le pharmacien ou l’interne en pharmacie.

Au sein de l’établissement, un travail est actuellement mené autour d’un système informatisé d’aide à la décision. Ce dernier permet de générer des alertes pour le pharmacien; ainsi l’analyse pharmaceutique est centrée sur les prescriptions potentiellement inappropriées. L’alerte générée par le système informatisé d’aide à la décision est issue de règles qui croisent des données de la prescription mais aussi de la biologie et de la situation clinique du patient de type poids ou âge. Ces règles sont paramétrées par un groupe de travail composé du concepteur du logiciel et de pharmaciens cliniciens après avis médical. Cela permet d’uniformiser les pratiques par rapport à la conduite à tenir autour de l’intervention pharmaceutique. Cet audit a permis la génération de nouvelles règles autour de cette classe médicamenteuse.

Des interactions médicamenteuses avec les ACO ont été constatées chez 62 % des patients, mais leur gravité était presque exclusivement mineure et ne nécessitait donc pas obligatoirement le recours à une modification de la prise en charge thérapeutique. Aucune contre-indication liée aux interactions médicamenteuses n’a été relevée lors de l’audit. Certaines associations déconseillées auraient pu aboutir à une modification de la thérapeutique. Par exemple, un AOD aurait pu être remplacé par une héparine de faible poids moléculaire lors d’un traitement concomitant par du fluconazole. Pour une interaction AVK/cotrimoxazole et imatinib, un suivi du RNI rapproché a été préconisé pour prévenir le risque hémorragique. L’association ACO et antiagrégant plaquettaire était jugée indispensable par le clinicien chez un patient présentant de multiples antécédents cardiovasculaires et transplanté cardiaque. Concernant les interactions mineures, le rapport bénéfice/risque de chaque médicament pourrait être pesé et une solution alternative, proposée. Par exemple, des antidépresseurs et des antiépileptiques non dotés de propriétés sérotoninergiques pourraient être instaurés et les antiagrégants plaquettaires pourraient être arrêtés en l’absence d’évènement thromboembolique récent30. Les conséquences cliniques de ces interactions médicamenteuses n’ont pas été évaluées dans ce travail.

Dans cette étude, les AOD représentaient 87 % des ACO prescrits et l’apixaban représentait à lui seul 57 % des prescriptions d’AOD. Cette prévalence est bien supérieure aux valeurs nationales puisque les AOD représentaient en France, en 2018, 51 % des prescriptions d’ACO et le rivaroxaban était l’AOD le plus prescrit17. Les données locales confirment la croissance de la part de marché des AOD. L’utilisation préférentielle des AOD s’explique notamment par la difficulté à atteindre et à maintenir la posologie des AVK dans la cible thérapeutique puisque ces derniers sont à marge thérapeutique étroite, ont un long délai d’action et sont sujets à des variations inter et intra individuelles importantes.

Dans la population étudiée, seuls 25 % des patients sous AVK avaient un RNI dans la cible thérapeutique, ce qui est bien inférieur aux données indiquées dans les études de comparaison AOD vs AVK où le RNI était dans la cible 55 % à 66 % du temps59. Cependant, le RNI peut être plus difficile à équilibrer dans un contexte d’affection récente justifiant une hospitalisation et pendant laquelle l’équilibre du RNI n’est pas nécessairement la priorité.

Les pharmaciens peuvent améliorer la sécurité dans la gestion des traitements ACO en participant à l’éducation thérapeutique des patients quant à leur bon usage, ce qui permet, pour les AVK, un meilleur équilibre du RNI31. Parallèlement aux recommandations des sociétés savantes, la diminution de la part de marché des AVK peut s’expliquer par la récente interdiction d’instaurer un traitement anticoagulant par fluindione. Cet AVK était encore, en 2018, le plus prescrit en France14,15,17,32.

Conclusion

Cet audit a permis de définir les points sensibles dans l’analyse pharmaceutique des ACO, comme l’adaptation des doses d’AVK pour obtenir un RNI cible et l’ajustement des doses d’AOD chez le sujet âgé. À la suite de ce travail, un nombre important de règles a été paramétré en fonction de cette classe de médicaments dans notre système d’aide à la décision informatisée, afin de détecter au plus vite les prescriptions considérées à plus haut risque d’événement iatrogène. Il apparaît à ce jour important de continuer à sensibiliser les équipes (prescripteurs, pharmaciens, infirmiers, étudiants) au bon usage des anticoagulants.

Financement

Aucun financement en relation avec le présent article n’a été déclaré par les auteurs.

Conflits d’intérêt

Tous les auteurs ont rempli et soumis le formulaire de l’ICMJE pour la divulgation de conflits d’intérêts potentiels. Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec le présent article.

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Pour toute correspondance : Amaury Durand, Centre hospitalier universitaire Amiens-Picardie, 1, rue du Professeur Christian Cabrol, 80000 Amiens, FRANCE; Téléphone : 06 73 76 42 15; Courriel : amaury.a.durand@gmail.com

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PHARMACTUEL , Vol. 54 , No. 3, 2021