Médicaments potentiellement inappropriés initiés lors de l’hospitalisation d’un aîné : primum non nocere

Louise Papillon-Ferland, B.Pharm., M.Sc.1,2

1Pharmacienne, Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal, Institut universitaire de gériatrie de Montréal, Montréal (Québec) Canada ;
2Professeure adjointe de clinique, Faculté de pharmacie, Université de Montréal, Montréal (Québec) Canada

Reçu le 16 mars 2021: Accepté après révision le 19 mars 2021

Nos aînés prennent de plus en plus de médicaments, c’est une réalité. En effet, la prévalence de la polypharmacie a augmenté chez les personnes âgées depuis le début du millénaire. Parmi les Québécois de plus de 65 ans, la proportion prenant 10 médicaments et plus est passée de 26 % à 38 % entre 2000 et 2016, selon un rapport publié par l’Institut national de santé publique du Québec en 20201. Ce phénomène s’accentue à un âge avancé, avec plus de 50 % des patients de plus de 85 ans qui reçoivent 10 médicaments et plus1. Si le traitement de nombreuses comorbidités requiert parfois plusieurs médicaments, la polypharmacie est également associée à l’utilisation de médicaments potentiellement inappropriés (MPI)2. L’usage de MPI est relié à un risque accru d’effets indésirables et d’hospitalisations, avec un rapport de cote (RC) de 1,44 (intervalle de confiance à 95 % [IC 95 %] : 1,33–1,56) et de 1,27 (IC 95 % : 1,20–1,35) respectivement, selon une méta-analyse publiée en 20193. Bien qu’il soit connu depuis longtemps que leur utilisation présente davantage de risques que de bénéfices, les MPI sont encore largement utilisés : près de la moitié (49,4 %) des aînés canadiens ont en effet présenté au moins une demande de remboursement pour un médicament de la liste de Beers en 20164.

L’hospitalisation d’une personne âgée représente un moment clé pour effectuer une révision de sa pharmacothérapie, en ciblant notamment la prise de MPI à domicile et en évitant l’initiation de MPI5,6. Si des données probantes sont disponibles dans la documentation scientifique, répertoriant le risque associé à la consommation de MPI à la suite d’une hospitalisation, celles-ci étaient jusqu’à récemment manquantes quant aux conséquences de la poursuite des MPI pris à domicile après une hospitalisation, comparativement à ceux initiés à l’hôpital7. L’article critiqué par Gosselin et coll. dans cette édition de Pharmactuel présente une étude de cohorte prospective qui s’est attardée à cette importante question, notamment pour l’organisation des soins pharmaceutiques : Weir et coll. ont suivi pendant 30 jours des patients âgés ayant reçu leur congé d’unités de soins médicales et chirurgicales d’un centre hospitalier universitaire de Montréal7,8. Parmi les 2402 patients inclus, 66 % avaient reçu une ordonnance de départ contenant au moins un MPI; 75 % d’entre eux s’étaient vu remettre un MPI déjà pris au domicile et 48 %, un MPI nouvellement prescrit. Le risque d’effets indésirables médicamenteux dans les 30 premiers jours suivant le congé était augmenté chez les patients qui avaient reçu un MPI déjà pris au domicile (RC ajusté : 1,10; IC 95 % : 1,01–1,21) et chez ceux ayant reçu un MPI nouvellement prescrit (RC ajusté : 1,21; IC 95 % : 1,01–1,45). Le risque de visites à l’urgence, de réadmissions et de décès était augmenté dans les deux groupes, mais il n’était statistiquement significatif que chez ceux ayant un MPI nouvellement prescrit au congé (rapport de taux d’incidence ajusté [RTIa] : 1,13; IC 95 % : 1,03–1,26). Les classes de MPI les plus fréquemment impliquées étaient les benzodiazépines et les inhibiteurs de la pompe à protons8.

Cette étude est très pertinente pour la pratique pharmaceutique. Tout d’abord, elle reflète une réalité québécoise pouvant être extrapolée à plusieurs centres hospitaliers. Si le risque d’effets indésirables médicamenteux peut sembler faible, il est probablement sous-estimé en tenant compte des limites de l’étude telles que mentionnées par Gosselin et coll. (biais de rappel, courte durée, etc.)7. Un constat est clair : la grande prévalence des MPI au congé de l’hôpital chez nos aînés a des conséquences réelles, et celles-ci sont particulièrement notables chez les utilisateurs de nouveaux MPI, possiblement en raison du fait que ces médicaments ont été instaurés depuis peu.

Quelles sont donc les pistes d’amélioration à promouvoir? Tout d’abord, au-delà du bilan comparatif du médicament requis par les organismes réglementaires, il est primordial d’assurer l’implantation adéquate de l’Approche adaptée à la personne âgée en milieu hospitalier6. En ce qui concerne la médication, celle-ci peut se traduire par la sensibilisation et la formation des différents professionnels de la santé sur ces MPI, le suivi d’indicateurs particuliers tels que les sédatifs et antipsychotiques, la mise en place de protocoles de soins (et ordonnances associées) adaptés à la clientèle gériatrique et, enfin, la priorisation des clientèles vulnérables et fragiles en matière de soins pharmaceutiques.

Sur le plan technologique, des outils électroniques peuvent aider à la détection et à la réduction des MPI9,10. Toutefois, l’étude SENATOR, publiée récemment, n’a pas pu démontrer une réduction des effets indésirables médicamenteux avec ce type de logiciel, étant donné que la mise en œuvre des suggestions générées par le logiciel était très faible (15 %)11. Ces résultats démontrent qu’il est important d’optimiser la pertinence clinique des suggestions générées électroniquement. En effet, une grande proportion des alertes (6 %) ont été jugées rétrospectivement peu ou non cliniquement pertinentes, voire possiblement délétères12. Le manque de connaissances sur la pharmacothérapie a aussi été soulevée en tant que limite à l’implantation des suggestions13. À cet effet, le pharmacien est le professionnel de la santé détenant les compétences requises pour évaluer la pertinence de ces recommandations et les mettre en place le cas échéant, en complémentarité avec les soins pharmaceutiques usuels.

Un autre aspect important à considérer pour optimiser les MPI chez la personne âgée est que, malgré des soins pharmaceutiques de qualité prodigués lors de l’hospitalisation, le rôle des pharmaciens hospitaliers ne peut remplacer celui de l’équipe de soins primaires connaissant bien ces patients et effectuant le suivi à long terme; les pharmaciens d’établissement de santé doivent ainsi agir en continuité et complémentarité avec ces équipes. En effet, lors d’une brève hospitalisation, les informations disponibles sont parfois limitées et une évaluation exhaustive de la pharmacothérapie ne peut pas toujours être réalisée. Lorsque des sevrages sont entrepris, ils peuvent nécessiter plusieurs semaines, voire plusieurs mois, et doivent donc se poursuivre à domicile. Certaines interventions potentielles identifiées lors de l’hospitalisation peuvent ne pas être appropriées en contexte de soins aigus et devoir être retardées en temps opportun lorsque le patient est de retour à domicile dans un état stable. Ainsi, la continuité des soins est primordiale pour optimiser l’usage de la médication chez nos aînés et réduire les risques associés. Cependant, il existe présentement une grande variabilité quant à l’engagement des pharmaciens dans les différentes étapes du processus de transition en matière de soins en gériatrie14. Ces derniers sont aussi plus fréquemment impliqués à l’admission à l’hôpital, mais moins lors du congé14. Toutefois, des données probantes démontrent que des approches favorisant une transition de soins optimale entre pharmaciens hospitaliers et communautaires sont associées à une réduction des hospitalisations reliées aux médicaments15. L’applicabilité de ce modèle dans un contexte de soins pharmaceutiques québécois sera à suivre avec attention16.

En conclusion, l’optimisation de la pharmacothérapie chez l’aîné demeure un défi, et la prévalence des MPI est malheureusement encore trop élevée et associée à des issues cliniques néfastes. Si tous les pharmaciens ont un rôle à jouer pour minimiser ces risques, les pharmaciens en établissement de santé, peu importe le type d’unités de soins, qu’elles soient médicales ou chirurgicales, doivent s’engager et être des acteurs incontournables afin de minimiser l’initiation de MPI en cours d’hospitalisation (et la poursuite de ceux-ci en post-hospitalisation, s’il y a lieu), et d’assurer une continuité des soins pharmaceutiques à toutes les étapes de la transition de soins (de l’admission au congé).

Financement

Aucun financement en relation avec le présent article n’a été déclaré par l’auteur.

Conflits d’intérêts

L’auteure a rempli et soumis le formulaire de l’ICMJE pour la divulgation de conflits d’intérêts potentiels. L’auteure n’a déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec le présent article.

Références

1. Gosselin E, Simard M, Dubé M, Sirois C. Portrait de la polypharmacie chez les aînés québécois entre 2000 et 2016. Institut national de santé publique du Québec, Québec; Gouvernement du Québec (2020).

2. Davies LE, Spiers G, Kingston A, Todd A, Adamson J, Hanratty B. Adverse outcomes of polypharmacy in older people: Systematic review of reviews. J Am Med Dir Assoc 2020; 21:181–7.
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3. Xing XX, Zhu C, Liang HY, Wang K, Chu YQ, Zhao LB et al. Associations between potentially inappropriate medications and adverse health outcomes in the elderly: A systematic review and meta-analysis. Ann Pharmacother 2019;53:1005–19.
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4. Institut canadien d’information sur la santé. Utilisation des médicaments chez les personnes âgées au Canada, 2016. Ottawa, ON : ICIS; 2018.

5. Association des pharmaciens des établissements de santé du Québec (A.P.E.S.). Démarche de soins pharmaceutiques à l’admission d’une personne âgée en établissement de santé. Outil élaboré par le Regroupement de pharmaciens experts en gériatrie. Montréal, Québec: A.P.E.S.; 2018. 89 p.

6. Ministère de la santé et des services sociaux. Approche adaptée à la personne âgée en milieu hospitalier - Cadre de référence. [en ligne] https://publications.msss.gouv.qc.ca/msss/fichiers/2010/10-830-03.pdf (site visité le 14 mars 2021).

7. Gosselin M, Campeau Calfat A, Sirois C. Analyse critique d’une étude observationnelle : les médicaments potentiellement inappropriés dont la prise à domicile est maintenue après l’hospitalisation ou qui sont nouvellement prescrits lors de l’hospitalisation sont associés à une augmentation du risque d’événements indésirables chez les personnes âgées. Pharmactuel 2021;54:83–87.

8. Weir DL, Lee TC, McDonald EG, Motulsky A, Abrahamowicz M, Morgan S et al. Both new and chronic potentially inappropriate medications continued at hospital discharge are associated with increased risk of adverse events. J Am Geriatr Soc 2020;68:1184–92.
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9. Cossette B, Éthier JF, Joly-Mischlich T, Bergeron J, Ricard G, Brazeau S et al. Reduction in targeted potentially inappropriate medication use in elderly inpatients: a pragmatic randomized controlled trial. Eur J Clin Pharmacol 2017;73:1237–45.
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10. McDonald EG, Wu PE, Rashidi B, Forster AJ, Huang A, Pilote L et al. The MedSafer study: A controlled trial of an electronic decision support tool for deprescribing in acute care. J Am Geriatr Soc 2019;67:1843–50.
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11. O’Mahony D, Gudmundsson A, Soiza RL, Petrovic M, Jose Cruz-Jentoft A, Cherubini A et al. Prevention of adverse drug reactions in hospitalized older patients with multi-morbidity and polypharmacy: the SENATOR randomized controlled clinical trial. Age Ageing 2020;49: 605–14.
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12. Dalton K, Curtin D, O’Mahony D, Byrne S. Computer-generated STOPP/START recommendations for hospitalised older adults: evaluation of the relationship between clinical relevance and rate of implementation in the SENATOR trial. Age Ageing 2020;49:615–21.
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13. Dalton K, O’Mahony D, Cullinan S, Byrne S. Factors affecting prescriber implementation of computer-generated medication recommendations in the SENATOR Trial: A qualitative study. Drugs Aging 2020;37:703–13.
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14. Desbiens MP, Desjardins A, Dinh C, Leblanc V, Villeneuve Y, Courtemanche F et al. Pharmacist-led interventions during transition of care in the older adult: Current practice and perceived barriers. Affiche virtuelle présentée au Rendez-vous de la recherche pharmaceutique (Faculté de pharmacie, Université de Montréal) le 3 décembre 2020.

15. Pellegrin KL, Krenk L, Oakes SJ, Ciarleglio A, Lynn J, McInnis T et al. Reductions in medication-related hospitalizations in older adults with medication management by hospital and community pharmacists: A quasi-experimental study. J Am Geriatr Soc 2017;65: 212–19.
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16. Cossette B, Ricard G, Poirier R, Gosselin S, Langlois MF, Breton M et al. Pharmacist-led transitions of care for older adults at risk of drug-related problems: A feasibility study. Res Social Adm Pharm 2020:S1551-7411(20)31112-8.
pubmed  



Pour toute correspondance: Louise Papillon-Ferland, Faculté de pharmacie, Université de Montréal, 2940, chemin de la Polytechnique, Montréal (Québec) H3T 1J4, CANADA; Téléphone : 514 343-6111, poste 34802; Courriel : louise.papillon-ferland@umontreal.ca

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PHARMACTUEL, Vol. 54, No. 2, 2021