Cynthia Krieg, B.Sc., Pharm.D.1,2,3*, Julie Pagé-Béchard, Pharm.D.1,2,3*, Yamina Belghache, QeP1,2, Louise Mallet, B.Sc.Pharm., Pharm.D., FESCP, FOPQ, DHC4,5
1 Candidate à la maîtrise en pharmacothérapie avancée au moment de la rédaction, Faculté de pharmacie, Université de Montréal, Montréal (Québec) Canada;
2 Résidente en pharmacie au moment de la rédaction, Centre intégré de santé et de services sociaux de Laval, Hôpital Cité-de-la-Santé de Laval, Laval (Québec) Canada;
3 Pharmacienne, Centre intégré de santé et de services sociaux de Laval, Hôpital de la Cité-de-la-Santé, Laval (Québec) Canada;
4 Pharmacienne, Centre universitaire de santé McGill, Montréal (Québec) Canada;
5 Professeure titulaire de clinique, Faculté de pharmacie, Université de Montréal, Montréal (Québec) Canada
Reçu le 27 avril 2021: Accepté après révision par les pairs le 28 août 2021
Titre : Low-dose edoxaban in very elderly patients with atrial fibrillation. N Engl J Med 2020;383:1735-451.
Auteurs : Okumura K, Akao M, Yoshida T, Kawata M, Okazaki O, Akashi S et coll. pour le groupe d’investigateurs ELDERCARE-AF.
Commanditaires : Il s’agit d’une étude basée au Japon qui a été financée par la compagnie pharmaceutique japonaise Daiichi Sankyo. Cette dernière a été impliquée dans la réalisation du protocole, la surveillance de l’étude, l’analyse et l’interprétation des données. Elle a financé la rédaction du premier jet de l’article.
Cadre de l’étude : La fibrillation auriculaire (FA) est l’arythmie la plus fréquente touchant environ 1 à 2 % de la population. La prévalence augmente avec l’âge et environ 12 % des patients de plus de 80 ans en sont atteints2. De façon indépendante, l’âge et la FA sont des facteurs de risque importants d’accident vasculaire cérébral (AVC). Le risque annualisé d’AVC est de 23 % chez les patients de plus de 80 ans avec FA3. En raison des complications majeures pouvant être reliées à la FA, la prise en charge optimale de cette pathologie est souhaitable. Selon les lignes directrices de la FA, la prise d’un anticoagulant est souvent recommandée, selon différents critères, dans le but de prévenir des accidents thromboemboliques. Chez une population très âgée, on peut y retrouver autant des facteurs de risque d’AVC que des facteurs de risque de saignement, ce qui amène les cliniciens à se questionner davantage sur les risques et les bénéfices d’un traitement anticoagulant en FA4.
Dans les études évaluant l’intérêt des anticoagulants oraux directs (AOD) par rapport à la warfarine, les sujets fragiles de plus de 80 ans ayant une clairance de la créatinine (ClCr) entre 15 et 30 mL/min sont sous-représentés. Par exemple, le nombre de patients inclus ayant une ClCr entre 15 à 30 mL/min est de 121 (0,57 %) dans l’étude sur l’édoxaban (ENGAGE AF), 77 (0,43 %) dans l’étude sur le dabigatran (RE-LY), 270 (1,48 %) dans l’étude sur l’apixaban (ARISTOTLE) et 8 (0,06 %) dans l’étude sur le rivaroxaban (ROCKET AF)5–8. Cela ne permet donc pas de tirer des conclusions sur la sécurité de ces agents dans ces conditions9. Toutefois, selon une petite étude japonaise, l’édoxaban à raison de 15 mg une fois par jour chez les patients atteints de FA non valvulaire et ayant une ClCr entre 15 et 30 mL/min a montré un profil d’efficacité et d’innocuité similaire à celui des patients présentant une ClCr supérieure ou égale à 50 mL/min et recevant une dose de 30 ou 60 mg d’édoxaban une fois par jour. L’hypothèse est donc que l’utilisation de cette dose réduite chez les patients avec une fonction rénale altérée n’augmenterait pas le risque de saignement ni les concentrations plasmatiques, comparativement à ceux recevant des doses usuelles avec une fonction rénale plus élevée10.
Les auteurs de l’étude Low-dose edoxaban in very elderly Patients with atrial fibrillation ont donc vu la pertinence de comparer un traitement anticoagulant oral, soit l’édoxaban à dose réduite à raison de 15 mg une fois par jour, à un placebo pour la prévention des AVC chez les patients japonais âgés fragiles de 80 ans et plus présentant une FA non valvulaire, où un risque de saignement est présent. Il est à noter qu’au moment de l’étude l’utilisation des autres anticoagulants oraux directs (apixaban, rivaroxaban et dabigatran) n’était pas recommandée chez les patients ayant une ClCr de moins de 30 mL/min11. Depuis sa réalisation, de nouvelles données probantes appuient l’utilisation des AOD chez les patients ayant une ClCr entre 15 et 30 mL/min. Aussi, la warfarine aurait potentiellement pu être une option thérapeutique pour ces patients12,13.
Protocole de recherche : Il s’agit d’une étude multicentrique de phase III, à répartition aléatoire, contrôlée par placebo et à double insu. La répartition était également à l’insu des investisseurs. L’étude visait à évaluer l’efficacité et l’innocuité d’une faible dose d’édoxaban de 15 mg une fois par jour, soit le quart de la dose usuelle quotidienne, chez des patients japonais de plus de 80 ans avec FA non valvulaire, chez qui l’usage d’une dose standard d’anticoagulant oral approuvée pour la prévention d’AVC était contre-indiqué.
Patients : Les sujets inclus dans l’étude étaient d’origine japonaise et âgés d’au moins 80 ans, avec un antécédent de FA non valvulaire documenté par électrocardiogramme obtenu dans la dernière année. Les patients devaient avoir un score de CHADS2 égal ou supérieur à 2 et présenter une contre-indication à l’usage d’anticoagulants oraux (warfarine, dabigatran, rivaroxaban, apixaban, ou édoxaban) à dose thérapeutique ou à dose approuvée, telle qu’une ClCr inférieure à 15 à 30 mL/min calculée selon la formule de Cockcroft-Gault, un antécédent de saignement critique ou gastro-intestinal, un faible poids (45 kg ou moins) ou l’usage chronique d’un anti-inflammatoire non stéroïdien ou d’un antiplaquettaire.
Les principaux critères d’exclusion étaient la prise récente d’un AOD dans les huit semaines précédant le premier jour de répartition aléatoire, un haut risque de saignement, un évènement cardiovasculaire (AVC, accident ischémique transitoire ou infarctus du myocarde) dans les 30 jours précédant le jour de la répartition aléatoire, une hypertension artérielle non contrôlée, une atteinte cardiaque importante, telle que l’insuffisance cardiaque NYHA égale ou supérieure à 3 ou une angine instable, une ClCr calculée selon la formule Cockcroft-Gault inférieure à 15 mL/min, l’usage d’une double thérapie antiplaquettaire ou une insuffisance hépatique avec un trouble de la coagulation.
Interventions : Les sujets étaient répartis aléatoirement selon le ratio 1:1 dans le groupe placebo ou édoxaban 15 mg et stratifiés en fonction du score CHADS 2 (2 points ou 3 points ou plus). La médication était prise par voie orale une fois par jour et poursuivie jusqu’à la fin de l’étude. Cette dernière a pris fin lorsque le nombre de sujets pour atteindre l’objectif primaire d’efficacité était atteint. Des suivis ont été effectués lors de visites en personne au cabinet médical. Ils sont survenus toutes les quatre semaines, de la quatrième à la 48 e semaine, et toutes les huit semaines par la suite jusqu’à la fin de l’étude. L’observance a été évaluée en récupérant les comprimés restants et en effectuant un décompte. La compagnie pharmaceutique était responsable de fournir le médicament. Celui-ci a été dispensé aux sujets par les intervenants des sites.
Points évalués : L’objectif principal d’efficacité était un composite d’AVC et d’embolies systémiques, alors que l’objectif primaire de sécurité consistait en un saignement majeur, tel que décrit dans la définition de l’International Society on Thrombosis and Haemostasis14.
Les objectifs secondaires d’efficacité rapportés incluaient deux objectifs composites : l’un était un composite de l’objectif d’efficacité primaire en plus des décès de cause cardiovasculaire, alors que l’autre était un autre composite incluant l’objectif primaire d’efficacité en plus de la mortalité de toutes causes. Les autres objectifs secondaires rapportés incluaient la mortalité de toutes causes et des évènements cardiovasculaires majeurs, dont un infarctus du myocarde non fatal, un AVC non fatal, une embolie systémique non fatale et un décès de cause cardiovasculaire ou de saignement. Les bénéfices cliniques nets ont été évalués comme objectif secondaire composite d’AVC, d’embolies systémiques, de saignements majeurs et de mortalité de toutes causes. Les objectifs secondaires de sécurité étaient un saignement majeur ou un saignement non majeur cliniquement significatif, un saignement non majeur cliniquement significatif seul, un saignement mineur ainsi qu’un objectif composite incluant toutes ces composantes individuelles.
Résultats : Le recrutement s’est déroulé du 5 août 2016 au 5 novembre 2019. Un total de 1086 patients japonais de plus de 80 ans avec FA a été recruté; 984 d’entre eux ont été répartis aléatoirement dans deux groupes, dont 492 (50 %) dans le groupe édoxaban et 492 (50 %) dans le groupe placebo. La durée médiane de participation a été de 466 jours. Un total de 681 patients a terminé l’étude et 303 l’ont quittée prématurément (158 désistements, dont deux patients appartenant au groupe placebo qui se sont retirés avant d’avoir reçu une première dose et qui n’ont pas été inclus dans les analyses de sécurité; 135 décès et 10 patients avaient d’autres raisons d’abandon qui ne sont pas répertoriées dans les annexes de l’article).
À la fin de l’étude, 341 patients (69,3 %) du groupe édoxaban et 340 patients (69,4 %) du groupe placebo ont poursuivi leur intervention. Un total de 59 évènements a été inclus dans l’analyse des objectifs primaires d’efficacité. Les auteurs ont estimé avoir besoin de 65 événements pour donner à l’étude une puissance de 80 % pour montrer la supériorité de l’édoxaban par rapport au placebo en ce qui concerne la prévention des AVC ou de l’embolie systémique, à un niveau de signification bilatéral de 5 %. Dans la population en intention de traiter, 15 patients (2,3 % par patient-année) dans le groupe édoxaban et 44 patients (6,7 % par patient-année) dans le groupe placebo ont eu un AVC ou une embolie systémique. La différence entre les deux groupes est statistiquement significative (risque relatif instantané [RRI] : 0,34; intervalle de confiance à 95 % [IC 95 %] : 0,19 à 0,61, p < 0,001 pour la supériorité). Concernant les objectifs secondaires d’efficacité, il n’y a pas de différence statistiquement significative pour l’ensemble de ceux-ci. Notamment, il y a eu 66 décès de toutes causes (9,9 % par patient-année) dans le groupe édoxaban, alors qu’il y en a eu 69 (10,2 % par patient-année) dans le groupe placebo (RRI : 0,97; IC 95 % : 0,69 à 1,36). La majorité des décès demeure d’origine cardiovasculaire, les causes principales étant l’insuffisance cardiaque et le choc cardiogénique. L’autre principale cause rapportée était les infections.
Quant à l’objectif primaire de sécurité, 20 saignements majeurs (3,3 % par patient-année) sont survenus dans le groupe édoxaban, alors que 11 saignements majeurs (1,8 % par patient-année) sont survenus dans le groupe placebo. La différence entre les deux groupes n’est pas statistiquement significative (RRI : 1,87; IC 95 % : 0,90 à 3,89, p < 0,09). L’effet est similaire parmi les sous-groupes, à l’exception des saignements gastro-intestinaux qui sont significativement plus élevés dans le groupe édoxaban (RRI : 2,85; IC 95 % : 1,03 à 7,88). Quant aux objectifs secondaires de sécurité, le nombre d’évènements est plus élevé dans le groupe édoxaban que dans celui du placebo. L’ensemble des objectifs évalués est statistiquement significatif excepté pour les saignements mineurs.
L’étude ELDERCARE-AF a démontré une réduction des AVC et des embolies systémiques chez les patients japonais de plus de 80 ans avec FA non valvulaire lorsque l’administration de l’édoxaban à dose réduite (15 mg par jour) était entreprise chez des patients non admissibles à un autre AOD1.
Cette étude fait suite à l’étude ENGAGE AF-TIMI, dans laquelle l’édoxaban est comparé à la warfarine chez des patients avec FA selon deux schémas posologiques (60 mg ou 30 mg par jour)5. Chez les patients qui répondaient aux critères de réduction de la dose d’édoxaban et qui ont reçu 30 mg ou 15 mg par jour, l’édoxaban était non inférieur à la warfarine dans la prévention des AVC ou des embolies systémiques, et supérieur à la warfarine en ce qui a trait à la survenue des saignements majeurs5.
Toutefois, uniquement 17 % des patients inclus dans cette étude avaient plus de 80 ans, ce qui rend difficile l’extrapolation de ces résultats à cette population. La dose réduite d’édoxaban (15 mg) en FA n’étant pas officiellement indiquée, l’étude ELDERCARE-AF a analysé l’efficacité de cette dose d’édoxaban chez une population à plus grand risque de saignements1. Le taux annualisé de réduction d’AVC et d’embolies systémiques était de 2,5 % et 2,8 % pour les patients sous édoxaban 60 mg et 30 mg respectivement. Les résultats obtenus avec la dose réduite de 15 mg (2,3 % ou une réduction relative du risque de 66 %) se comparent donc favorablement aux résultats obtenus dans l’étude ENGAGE AF-TIMI5.
La méthodologie de l’étude ELDERCARE-AF est relativement rigoureuse. Effectivement, en termes de validité interne, il s’agit d’une étude à double insu où les sujets sont répartis de façon aléatoire selon un ratio 1:1 avec des blocs de taille fixe, plus précisément quatre, ce qui réduit le risque de biais d’information et de confusion. Aussi, les caractéristiques des groupes sont sensiblement similaires. Il est aussi important de noter qu’il faut faire attention à l’interprétation des résultats des objectifs secondaires, car aucun ajustement n’a été effectué pour la multiplicité des tests.
Afin d’atteindre la puissance statistique nécessaire, les auteurs ont estimé avoir besoin de 65 événements d’AVC ou d’embolies systémiques. L’étude a donc pris fin lorsque 66 évènements sont survenus. Toutefois, suivant une révision par un comité indépendant, sept évènements ont été retirés. Bien que l’objectif primaire d’efficacité composite soit statistiquement significatif, le petit nombre de patients et d’événements a affecté la puissance de plusieurs résultats de l’étude. Lorsque considérées individuellement, les embolies systémiques n’étaient pas réduites de façon significative. De plus, à première vue, la différence concernant l’objectif primaire de sécurité pour les saignements majeurs s’est avérée statistiquement non significative. Toutefois, ce résultat s’explique probablement par le nombre limité de sujets inclus dans l’étude, ce qui influe par le fait même sur le nombre d’évènements observés. Malgré tout, nous pouvons observer une tendance en faveur du placebo en ce qui a trait aux saignements majeurs par rapport à l’édoxaban. De ce fait, l’incidence des saignements majeurs est donc plus élevée chez les sujets sous édoxaban, ce qui est en quelque sorte prévisible. Toutefois, on ne dispose d’aucune information dans l’étude concernant les autres traitements reçus en parallèle. Il aurait été intéressant d’avoir des renseignements supplémentaires sur certains traitements pharmacologiques autres que ceux à l’étude. Par exemple, un traitement à base d’un inhibiteur de la pompe à protons pour la prévention des saignements gastro-intestinaux aurait pu influer sur la survenue des saignements majeurs sous édoxaban. Pour terminer, le nombre de désistements relativement important peut aussi être considéré comme une faiblesse de l’étude.
Un total de 301 patients n’a pas terminé l’étude en date du dernier suivi. Une proportion similaire de participants dans les deux groupes a terminé l’étude et il n’y a eu aucune perte au suivi. Les auteurs ont d’ailleurs procédé à une analyse d’imputation des données afin d’observer l’impact des patients ayant quitté prématurément l’étude sur les résultats. Cette analyse a montré des résultats similaires aux résultats de l’analyse primaire, laissant donc croire qu’il n’y a pas de différence significative entre les caractéristiques des patients n’ayant pas terminé l’étude parmi les deux groupes.
L’applicabilité des résultats à notre population est affectée pour certaines raisons. L’ensemble de la population incluse dans l’étude est d’origine japonaise. La variabilité interethnique des caractéristiques pharmacocinétiques de l’édoxaban est donc à considérer. Toutefois, il semble y avoir peu de données probantes à ce sujet actuellement. L’impact serait probablement mineur étant donné que l’édoxaban est un substrat mineur du cytochrome CYP3A4 et des P-gp15.
Selon les résultats de la sous-analyse d’ENGAGE AF-TIMI, les patients originaires d’Asie de l’Est atteints de FA ont plus d’AVC ou d’embolies systémiques et de saignements évidents que les patients qui ne viennent pas de cette région16. Il est également à considérer qu’en moyenne les patients asiatiques ont un plus faible poids et sont donc plus à risque d’être exposés à une concentration plus élevée d’édoxaban. Cela peut contribuer à une efficacité augmentée de l’édoxaban, comparativement aux patients ayant un poids plus élevé12. On peut donc se questionner sur l’efficacité de l’édoxaban à petite dose chez des sujets ayant un poids supérieur à celui rapporté dans la présente étude (50,6 kg ± 11,0 kg)17. Les concentrations plasmatiques d’édoxaban n’ont cependant pas été évaluées dans la présente étude. Dans une étude portant sur l’apixaban, les auteurs ont montré que l’âge de plus de 80 ans affecte ses concentrations plasmatiques. La plupart des octogénaires recevant une dose réduite présentaient des niveaux d’apixaban dans la marge prévue pour la dose de 5 mg deux fois par jour. En comparaison, on pourrait donc se demander si la dose réduite d’édoxaban occasionnerait des niveaux plasmatiques similaires aux doses usuelles de cet AOD pour les patients de plus de 80 ans18.
Les personnes de plus de 80 ans sont d’ailleurs plus à risque d’être dénutries, et le taux d’albumine a donc tendance à diminuer dans leur cas. Une albumine basse peut avoir une influence sur l’accumulation des AOD, particulièrement chez ceux qui y sont fortement liés (> 90 %). Dans une telle situation, l’édoxaban, l’apixaban et le dabigatran sont préférés au rivaroxaban, puisqu’ils sont moins fortement liés à l’albumine, soit à 55 %, 87 % et 35 % respectivement, et comparativement à 95 % pour le rivaroxaban19–22.
La fragilité a été évaluée à partir de cinq critères (perte de poids, niveau d’activité physique, épuisement, force de préhension, vitesse de marche tolérée). Les auteurs font référence à deux études, dont une qui n’est accessible ni en anglais ni en français, sur lesquelles ils se sont basés pour créer leur échelle de fragilité personnalisée, mais non standardisée23,24.
D’un point de vue éthique, la comparaison de l’édoxaban avec un placebo peut être mise en question pour plusieurs raisons. Premièrement, nous avons des données probantes récentes appuyant l’utilisation des AOD avec une ClCr entre 15 et 30 mL/min12,13. Toutefois, cette étude a été amorcée avant la publication de ces données, ce qui justifie le fait de ne pas utiliser les autres AOD comme comparateurs. Par ailleurs, la warfarine aurait pu être utilisée dans ce contexte, ce qui met en doute l’utilisation du placebo comme comparateur. D’autant plus que la ClCr moyenne des sujets inclus dans l’étude est de 36,3 mL/min. Une proportion importante de patients avait donc une ClCr supérieure à 30 mL/min, ce qui les aurait rendus admissibles à un AOD aux doses usuelles, de même qu’à la warfarine, en se basant sur leur fonction rénale. Deuxièmement, le critère de non-admissibilité du faible poids (45 kg ou moins) est également à mettre en question, car ces patients auraient pu recevoir la dose ajustée d’apixaban, soit 2,5 mg deux fois par jour, plutôt qu’un placebo. Il est également à noter que le poids moyen de tous les sujets inclus dans l’étude était de 50,6 kg. En pratique, nous considérons que les patients de faible poids, et donc plus susceptibles d’être fragiles, pèsent moins de 45 kg. De plus, dans l’étude, un peu plus de la moitié des patients inclus était considérée comme robuste ou préfragile, ce qui peut remettre en question l’utilisation d’une dose ajustée d’AOD, puisque ces derniers se seraient possiblement qualifiés pour des doses usuelles. Enfin, le fait d’avoir choisi un placebo comme comparateur a potentiellement exposé les patients dans ce groupe à un plus grand risque d’évènements cardiovasculaires.
Cette étude a été menée et financée par la compagnie pharmaceutique Daiichi Sankyo. Bien que leur engagement soit majeur dans cette étude, les investisseurs n’ont pas eu accès à l’information concernant la répartition du traitement parmi les participants. Leur engagement n’est donc pas susceptible d’avoir eu un impact délétère sur la publication des résultats.
L’utilisation des anticoagulants chez les personnes très âgées de faible poids et ayant une ClCr basse demeure une zone grise pour les cliniciens dans certaines circonstances, puisque les données concernant leur efficacité comparativement à leur sécurité chez cette population sont limitées. L’étude ELDERCARE-AF démontre le bénéfice de l’usage d’une faible dose d’édoxaban dans la réduction des événements thromboemboliques chez les patients japonais de plus de 80 ans, avec une ClCr entre 15 et 30 mL/min, malgré un risque de saignement légèrement augmenté, particulièrement au niveau gastro-intestinal.
Bien qu’aucun bénéfice quant à la mortalité n’ait été rapporté, les bénéfices surpassent les risques associés à ce traitement. Le choix du placebo comme comparateur a possiblement contribué à surestimer les bénéfices du traitement observés, ce qui vient biaiser la conclusion de l’étude. L’applicabilité de ces résultats chez nos patients âgés, de faible poids et ayant une faible ClCr demeure incertaine. Il faudrait donc d’autres études explorant cette question.
Cet article a été rédigé dans le cadre du cours Communication scientifique de la maîtrise en pharmacothérapie avancée de l’Université de Montréal. Les auteurs tiennent à remercier les responsables du cours. Ces personnes ont donné leur autorisation écrite.
Aucun financement en lien avec le présent article n’a été déclaré par les auteurs.
Tous les auteurs ont rempli le formulaire de l’ICMJE pour la divulgation de conflits d’intérêts potentiels. Louise Mallet est rédactrice adjointe de Pharmactuel . Les auteurs n’ont déclaré aucun autre autre conflit d’intérêts actuel ou potentiel en relation avec le présent article.
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*Cynthia Krieg et Julie Pagé-Béchard ont contribué de façon équivalente à la rédaction de cet article ( Return to Text )
PHARMACTUEL , Vol. 55 , No. 1 , 2022