Les inhibiteurs du point de contrôle immunitaire : une stratégie de dosage à privilégier

Ghislain Bérard , B.Pharm., M.Sc. 1,2, Chantal Guévremont , B.Pharm., M.Sc. 2,3, Nathalie Marcotte , B.Pharm., M.Sc. 2,4, Marie-Claude Michel , B.Pharm., M.Sc. 2,4, France Varin , B.Pharm., M.Sc. 2,5, André Bonnici , B.Pharm., M.Sc. 2,6, Jean-François Bussières , B.Pharm., M.Sc., MBA, FSCHP, FOPQ 2,7, Louise Deschênes , MD, M.Sc. 2,8, Paul Farand , MD, M.Sc. 2,9, Daniel Froment , MD 2,10, Jean Morin , B.Pharm., M.Sc. 2,11, Philippe Ovetchkine , MD, MSc 2,12, Marie-Claude Racine , B.Pharm., M.Sc. 2,13, Raghu Rajan , MD 2,14, Patrice Lamarre , B.Pharm., M.Sc. 2,15

1 Pharmacien, Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de l’Estrie-Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke, Sherbrooke (Québec) Canada ;
2 Membre du Programme de gestion thérapeutique des médicaments, Montréal (Québec) Canada ;
3 Pharmacienne, Centre universitaire de santé McGill, Montréal (Québec) Canada ;
4 Pharmacienne, Centre hospitalier universitaire de Québec-Université Laval, Québec (Québec) Canada ;
5 Pharmacienne, Centre hospitalier universitaire de Montréal, Montréal (Québec) Canada ;
6 Pharmacien, chef, Centre universitaire de santé McGill, Montréal (Québec) Canada ;
7 Pharmacien, chef, Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine, Montréal (Québec) Canada ;
8 Médecin (Microbiologiste Infectiologue), Centre hospitalier universitaire de Québec-Université Laval, Québec (Québec) Canada ;
9 Médecin (Cardiologue), Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de l’Estrie-Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke, Sherbrooke (Québec) Canada ;
10 Médecin (Néphrologue), Centre hospitalier universitaire de Montréal, Montréal (Québec) Canada ;
11 Pharmacien, chef, Centre hospitalier universitaire de Montréal, Montréal (Québec) Canada ;
12 Médecin (Pédiatre Infectiologue), Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine, Montréal (Québec) Canada ;
13 Pharmacienne, chef, Centre hospitalier universitaire de Québec-Université Laval, Québec (Québec) Canada ;
14 Médecin (Hémato-oncologue), Centre universitaire de santé McGill, Montréal (Québec) Canada ;
15 Pharmacien, chef, Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de l’Estrie-Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke, Sherbrooke (Québec) Canada

Reçu le 14 mai 2021: Accepté après révision le 19 mai 2021

Les dépenses pour les médicaments d’oncologie ont explosé ces dernières années. Le Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés du Canada a publié en octobre 2020 une comparaison des tendances canadiennes et internationales en matière de prix des médicaments d’oncologie au cours de la dernière décennie. On y apprend que les médicaments oncologiques sont l’un des moteurs les plus importants de la hausse du budget affecté aux produits pharmaceutiques au Canada, passant de 7,1 % du budget total en 2010 à 14,6 % en 2019. Durant ces mêmes années, les ventes de médicaments oncologiques ont presque triplé, passant de 1,4 à 3,9 milliards $ CA. Ces dépenses, par habitant, sont demeurées inférieures à celles de la plupart des pays de comparaison en 2019, mais les récentes augmentations ont considérablement réduit l’écart entre le Canada et les autres pays. On y apprend également que le marché canadien de l’oncologie inclut de plus en plus de médicaments coûteux. En effet, les médicaments dont les coûts de traitement sur 28 jours dépassent 7 500 $ CA (soit environ 100 000 $ CA/année) représentent maintenant plus de la moitié de toutes les ventes en oncologie, une forte augmentation par rapport à 16 % en 20101.

Sur le plan hospitalier, la proportion du budget « médicaments » des départements de pharmacie des quatre Centres hospitaliers universitaires (CHU) adultes affectée à l’oncologie est également en augmentation. Cela est particulièrement vrai depuis l’introduction de l’immunothérapie et l’arrivée de l’ipilimumab, en 2012, puis successivement du pembrolizumab, du nivolumab, du durvalumab et de l’atézolizumab ces dernières années26. Pour l’année financière 2020–2021, la proportion du budget des médicaments de la classe des antinéoplasiques des CHU a varié entre 55 % et 63 % du budget total des médicaments. Quant au budget affecté à l’immunothérapie, il se situait environ entre 31 % et 50 % du budget des médicaments antinéoplasiques, soit 17 % à 30 % du budget global des médicaments. Les économies réalisées grâce à la disponibilité récente des biosimilaires pour certains médicaments très utilisés en oncologie, soient le trastuzumab, le rituximab et le bévacizumab, n’ont épongé qu’en partie l’impact financier de l’immunothérapie.

Les premières indications reconnues pour le pembrolizumab, le nivolumab et le durvalumab, avaient été étudiées avec des doses établies en fonction du poids (en mg/kg), avant que les fabricants qui commercialisent ces produits ne se tournent vers des doses fixes à la lumière d’études pharmacocinétiques79. Pour le pembrolizumab, sur la base du modèle retenu dans l’essai de Freshwater et coll., la dose a été fixée à 200 mg, faisant en sorte que les patients étaient traités comme s’ils pesaient tous 100 kg7. Pour le nivolumab, à la suite des travaux de Zhao et coll., la dose fixe a été déterminée pour un poids équivalent à 80 kg8. Pour le durvalumab, la dose fixe a été établie à un poids équivalent à 75 kg à la suite des évaluations de Baverel et coll9. À ce jour, on ne dispose d’aucun essai clinique comparatif entre les doses en mg/kg et les doses fixes et, depuis le passage initial aux doses fixes, les données cliniques avec ces nouvelles doses se multiplient pour différentes indications. Toutes ces stratégies posologiques ont été instaurées sans que l’on ait été en mesure de démontrer que les doses fixes offraient un avantage de survie quelconque par rapport aux doses en mg/kg utilisées auparavant.

Selon les auteurs des études citées précédemment, les doses fixes ont plusieurs avantages : la facilité de prescription par les médecins; la diminution du risque d’erreur (p. ex., erreur de calcul, utilisation d’un poids erroné) et du temps de préparation à la pharmacie, la diminution des pertes de médicaments à la suite de l’obligation de jeter les quantités de médicaments inutilisées après la ponction initiale et la diminution du risque infectieux en limitant à une seule le nombre de ponctions effectuées dans chaque fiole de médicament8.

Le groupe de Goldstein et coll. a été le premier à soulever la problématique principale en lien avec les doses fixes de pembrolizumab en 2017. En effet, les auteurs avaient souligné qu’une dose fixe, plutôt qu’une dose en fonction du poids comme pour les autorisations précédentes, dans la seule indication du traitement de première intention du cancer du poumon non à petites cellules, pourrait se traduire par des dépenses supplémentaires annuelles de 825 millions $ pour les patients américains10. Cependant, aux États-Unis, certains assureurs privés et publics, entre autres le programme Medicare, remboursent les acteurs engagés dans le service de ces médicaments (p. ex., médecins, pharmaciens, hôpitaux, etc.) en fonction d’un pourcentage du prix final du médicament délivré au patient11. Cette dynamique fait en sorte qu’ils n’ont aucun avantage à augmenter l’efficience des traitements en tentant de diminuer leur coût, contrairement au Canada, ce qui pourrait expliquer en partie pourquoi l’article de Goldstein n’a pas eu l’effet escompté.

Au Québec, le Programme de gestion thérapeutique des médicaments (PGTM) des cinq centres hospitaliers universitaires (CHU) a été le premier groupe à prendre position au regard des stratégies posologiques pour le pembrolizumab et le nivolumab en septembre 201812,13. En plus d’amenuiser les arguments en faveur de la dose fixe, le PGTM a utilisé le même argument pharmacocinétique que les compagnies pharmaceutiques, mais à l’inverse. Plutôt que de favoriser la dose la plus « commode », le PGTM a conclu, à la lumière des preuves issues principalement des études pharmacocinétiques publiées à ce moment et des propriétés pharmacologiques de ces médicaments, que la dose la plus efficiente devait être utilisée, puisqu’il avait été démontré que les deux doses offraient une exposition moyenne équivalente7,8. En octobre 2020, l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS) a publié un rapport faisant état d’une revue systématique réalisée sur le sujet. Ce rapport indiquait qu’il n’existe aucune différence statistiquement significative, sur le plan de l’efficacité ou de l’innocuité, entre les différentes doses de nivolumab et celles de pembrolizumab calculées selon le poids et testées dans les études, de même qu’entre les doses fixes et celles calculées selon le poids14. Les membres du comité consultatif de l’INESSS ont conclu qu’il était approprié, pour tous les patients, d’administrer la dose en mg/kg jusqu’à concurrence d’une dose maximale correspondant à la dose fixe des monographies. Au cours de l’année financière 2019–2020, le PGTM a estimé que cette stratégie avait permis aux quatre CHU adultes de réaliser des économies annuelles, et possiblement récurrentes, de près de 12 millions $ CA pour le pembrolizumab et le nivolumab.

Il est de notre avis qu’une évaluation dans des conditions réelles d’utilisation devrait être réalisée afin de déterminer si les efforts d’optimisation visant à offrir une thérapie sécuritaire, efficace et standardisée en oncologie portent fruits. À cet effet, une première analyse descriptive de l’utilisation des anti-PD-1 pour les patients atteints de cancer dans les CHU du Québec entre 2012 et 2017 a été menée par le PGTM et publiée sur son site internet en juillet 202015. À la suite de ce rapport, les membres du comité scientifique ont recommandé de réaliser une seconde étude portant sur la population de patients atteinte du cancer du poumon non à petites cellules recevant le pembrolizumab comme traitement de première intention, les données chez cette population spécifique étant immatures au moment de la publication de l’analyse descriptive initiale. Bien que les paramètres d’efficacité ainsi que les raisons justifiant les arrêts de traitement prématurés seront revus, une évaluation des stratégies posologiques en vigueur au moment de la collecte de données sera réalisée. Il sera intéressant de vérifier si les établissements de santé l’ont bien implanté ou si certains facteurs en empêchent la pleine application, ce qui pourrait engendrer des pertes et limiter les économies potentielles.

Nonobstant les ententes négociées par nos gouvernements, les médicaments d’oncologie sont actuellement les biens de consommation parmi les plus coûteux. À des fins de comparaison, le prix du pembrolizumab, au milligramme, est près de 650 fois plus élevé que celui de l’or (selon le prix du cours de l’or en date du 23 avril 2021), et une seule dose de 200 mg représentait 14 % du revenu médian après impôt d’une famille canadienne en 201916. Nous devons faire en sorte que nos ressources financières collectives soient utilisées de la façon la plus judicieuse possible et l’utilisation de stratégies posologiques novatrices et plus efficientes doit en faire partie.

Le PGTM est une initiative originale des cinq CHU québécois suivants : CHU de Québec – Université Laval (CHU de Québec – UL), Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM), Centre universitaire de santé McGill (CUSM), Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine (CHUSJ) et Centre intégré universitaire de santé et services sociaux de l’Estrie – Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke (CIUSSS de l’Estrie – CHUS).

Financement

Aucun financement en relation avec le présent article n’a été déclaré par les auteurs.

Conflits d’intérêts

Tous les auteurs ont rempli et soumis le formulaire de l’ICMJE pour la divulgation de conflits d’intérêts potentiels. Jean-François Bussières est membre du comité de rédaction de Pharmactuel . Les auteurs n’ont déclaré aucun autre conflit d’intérêts en relation avec le présent article.

Références

1. Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés du Canada. Les médicaments oncologiques au Canada – Tendances et comparaisons internationales, 2010–2019. Octobre 2020. [en ligne] https://www.canada.ca/content/dam/pmprb-cepmb/documents/reports-and-studies/chartbooks/RecueilGraphiques-oncologiques-2010-2019-FR.pdf (site visité le 13 mai 2021).

2. Institut national d’excellence en santé et en services sociaux. YervoyMC – Mélanome avancé ou métastatique. Avis au ministre. Novembre 2012. [en ligne] https://www.inesss.qc.ca/fileadmin/doc/INESSS/Inscription_medicaments/Avis_au_ministre/Novembre_2012/Yervoy_2012_11_CAV.pdf (site visité le 13 mai 2021).

3. Institut national d’excellence en santé et en services sociaux. KeytrudaMC – Mélanome avancé ou métastatique. Avis au ministre. Novembre 2015. [en ligne] https://www.inesss.qc.ca/fileadmin/doc/INESSS/Inscription_medicaments/Avis_au_ministre/Aout_2016/Keytruda_2015_11.pdf (site visité le 13 mai 2021).

4. Institut national d’excellence en santé et en services sociaux. OpdivoMC - Mélanome avancé ou métastatique. Avis au ministre. Mars 2017. [en ligne] https://www.inesss.qc.ca/fileadmin/doc/INESSS/Inscription_medicaments/Avis_au_ministre/Mars_2017/Opdivo_melanome_2017_03.pdf (site visité le 13 mai 2021).

5. Institut national d’excellence en santé et en services sociaux. ImfinziMC – Cancer du poumon non à petites cellules. Avis transmis à la ministre en février 2019. Février 2019. [en ligne] https://www.inesss.qc.ca/fileadmin/doc/INESSS/Inscription_medicaments/Avis_au_ministre/Mars_2019/Imfinzi_2019_02.pdf (site visité le 13 mai 2021).

6. Institut national d’excellence en santé et en services sociaux. TecentriqMC – Cancer du poumon à petites cellules. Avis transmis à la ministre en septembre 2019. Septembre 2019. [en ligne] https://www.inesss.qc.ca/fileadmin/doc/INESSS/Inscription_medicaments/Avis_au_ministre/Octobre_2019/Tecentriq_2019_09.pdf (site visité le 13 mai 2021).

7. Freshwater T, Kondic A, Ahamadi M, Li CH, de Greef R, de Alwis D et al. Evaluation of dosing strategy for pembrolizumab for oncology indications. J Immunother Cancer 2017;5:43.
cross-ref  pubmed  

8. Zhao X, Suryawanshi S, Hruska M, Feng Y, Wang X, Shen J et al. Assessment of nivolumab benefit-risk profile of a 240-mg flat dose relative to a 3-mg/kg dosing regimen in patients with advanced tumors. Ann Oncol 2017;28:2002–8.
cross-ref  pubmed  

9. Baverel PG, Dubois VFS, Jin CY, Zheng Y, Song X, Jin X et al. Population Pharmacokinetics of durvalumab in cancer patients and association with longitudinal biomarkers of disease status. Clin Pharmacol Ther 2018;103:631–42.
cross-ref  

10. Goldstein DA, Gordon N, Davidescu M, Leshno M, Steuer CE, Patel N et al. A pharmacoeconomic analysis of personalized dosing vs fixed dosing of pembrolizumab in firstline PD-L1-positive non-small cell lung cancer. J Natl Cancer Inst 2017;109.
cross-ref  

11. Bach PB, Saltz LB. Raising the dose and raising the cost: the case of pembrolizumab in lung cancer. J Natl Cancer Inst 2017;109.
cross-ref  pubmed  

12. Programme de gestion thérapeutique des médicaments. Pembrolizumab (KeytrudaMC) – Quelle stratégie posologique devrait-on privilégier : dose en fonction du poids, dose fixe ou dose en fonction du poids avec dose maximale ? – Rapport d’évaluation. Septembre 2018. [en ligne] http://pgtm.org/documentation/FSW/Pembrolizumab_Strat%C3%A9gie%20posologique.pdf (site visité le 13 mai 2021).

13. Programme de gestion thérapeutique des médicaments. Nivolumab (OpdivoMD) – Quelle stratégie posologique devrait-on privilégier : dose en fonction du poids, dose fixe ou dose en fonction du poids avec dose maximale ? – Rapport d’évaluation. Septembre 2018. [en ligne] http://pgtm.org/documentation/FSW/Nivolumab_Strat%C3%A9gie%20posologique.pdf (site visité le 13 mai 2021).

14. Institut national d’excellence en santé et en services sociaux. Guide et normes. Choix de la posologie du nivolumab et du pembrolizumab – Rapport en soutien à l’outil d’aide à la décision. Septembre 2020. [en ligne] https://www.inesss.qc.ca/fileadmin/doc/INESSS/Rapports/Medicaments/INESSS_Nivolumab_Pembrolizumab_rapport.pdf (site visité le 13 mai 2021).

15. Programme de gestion thérapeutique des médicements. Analyse descriptive de l’utilisation des anti-PD1 pour les patients atteints de cancer dans les CHU du Québec. 20 juillet 2020. [en ligne] http://pgtm.org/documentation/FSW/Anti%20PD%201_AD_final.pdf (site visité le 13 mai 2021).

16. Statistique Canada. Enquête canadienne sur le revenu, 2019. 23 mars 2021. [en ligne] https://www150.statcan.gc.ca/n1/fr/daily-quotidien/210323/dq210323a-fra.pdf?st=XvIXT0zW (site visité le 13 mai 2021).



Pour toute correspondance : Ghislain Bérard, Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de l’Estrie-Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke, 3001, 12e avenue Nord, Fleurimont (Québec) J1H 5N5, CANADA; Téléphone : 819 346-1110; Courriel : ghislain.berard.ciussse-chus@ssss.gouv.qc.ca

(Return to Top)


PHARMACTUEL , Vol. 54 , No. 3, 2021