Quand une bonne nouvelle en cache une mauvaise… ou a-t-on fait tous nos devoirs ?

André Bonnici , B.Pharm., M.Sc. 1, Marie-Claude Racine , B.Pharm., M.Sc. 2, Lyne Constantineau , B.Pharm., DPH 3, Geneviève Cayer , B.Pharm., M.Sc., MBA 4, Christian Coursol , B.Pharm., M.Sc. 5, Jean-François Bussières , B.Pharm., M.Sc., MBA, FSCHP, FOPQ 6

1 Pharmacien, chef, Centre universitaire de santé McGill, Montréal (Québec) Canada ;
2 Pharmacienne, chef, Centre hospitalier universitaire de Québec-Université Laval, Québec (Québec) Canada ;
3 Pharmacienne, chef, Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Nord-de-l’Île-de-Montréal, Hôpital du Sacré-Cœur de Montréal, Montréal (Québec) Canada ;
4 Pharmacienne, chef, Centre intégré de santé et de services sociaux de la Montérégie-Centre, Greenfield Park (Québec), Canada ;
5 Pharmacien, chef, Centre intégré de santé et de services sociaux des Laurentides, Saint-Jérôme (Québec), Canada ;
6 Pharmacien, chef, Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine, Montréal (Québec) Canada ;
7 Professeur titulaire de clinique, Faculté de pharmacie, Université de Montréal, Montréal (Québec) Canada

Reçu le 2 juillet 2021: Accepté après révision le 30 Juillet 2021

Depuis une cinquantaine d’années, les pharmaciens hospitaliers du Québec réclament la mise en place d’un programme de formation pour soutenir le travail technique en établissement de santé. En octobre 2020, on a annoncé la création d’un programme collégial de « Techniques de pharmacie » dès l’automne 20211. Cette bonne nouvelle repose sur de nombreuses démarches menées avec l’appui de l’Ordre des pharmaciens du Québec (OPQ) et de l’Association des pharmaciens des établissements de santé du Québec (A.P.E.S.)25.

Peu de gens se souviennent que le gouvernement du Québec, l’OPQ et l’équivalent de l’A.P.E.S. avaient formulé une demande pour cette formation dès 19696. Des projets de formation sont évoqués au Collège d’enseignement général et professionnel (Cégep) de Trois-Rivières en 1972 et de Saint-Hyacinthe en 1973. Sans programme structuré, les départements de pharmacie embauchent et forment sur le terrain le personnel technique à cette époque. L’Association québécoise des assistants techniques en pharmacie (AQATP) est fondée en 1986 et un programme d’études professionnelles (DEP) en assistance technique en pharmacie est lancé en 1987. Une sentence arbitrale reconnaît l’importance de détenir ce DEP pour être embauché en pharmacie hospitalière dès 1989. Afin de reconnaître l’évolution, le titre d’emploi d’assistant technique (ATP) sénior en pharmacie (3215) supplante rapidement le titre de base (3212) dès 1996. Les chefs de département de pharmacie se convainquent que la cohabitation de ces deux titres d’emploi alimente les conflits, nuit à la polyvalence, tire le groupe vers le bas et met en péril l’évolution de la pratique technique. Les discussions se poursuivent à la faveur d’une refonte du DEP et de la création d’une technique. Un projet pilote de technique en pharmacie (TP) est offert au cégep de Rivière-du-Loup en 2005 pour une cohorte. Y aurait-il une compétition entre le financement des programmes de DEP et de techniques collégiales relevant de deux types d’établissements d’enseignement?

Le Canada suit la tendance nord-américaine en reconnaissant la nécessité d’un programme de formation collégiale. En 2009, le Bureau des examinateurs en pharmacie du Canada met en place un processus d’accréditation des collèges et un examen de certification pour les techniciens en pharmacie. En 2010, l’Ontario devient la première province à réglementer le titre de technicien en pharmacie et le personnel technique doit réussir sa certification pour préserver son emploi en pharmacie hospitalière. Toutes les provinces canadiennes emboitent le pas sauf le Québec. En septembre 2020, la table des chefs de département du Montréal-métropolitain soulève de nombreuses questions. Quel est le modèle d’organisation attendu? Quel est le ratio visé TP/ATP? S’est-on assuré d’un financement adéquat? Quels seront le libellé et l’échelle salariale dans la nomenclature des titres d’emploi en établissement de santé? Est-ce que tous les ATP ayant complété le processus de reconnaissance des acquis d’un Cégep se verront octroyer un poste de TP automatiquement? A-t-on réfléchi aux enjeux relatifs aux plages de stages disponibles pour deux programmes en compétition? A-t-on réfléchi aux enjeux de rétention, de polyvalence, de conflits (les ATP relèvent du groupe 2, les TP relèveront du groupe 4 sans possibilité de supervision hiérarchique)? Il est urgent d’avoir des réponses définitives.

En 2016–2017, 55 % des techniciens en pharmacie étaient réglementés au Canada, incluant les données du Québec7. L’échelle salariale moyenne pour les techniciens réglementés variait entre 26,55 $ et 34,60 $ de l’heure. Les données 2020–2021 sont à venir.

L’A.P.E.S. et une majorité des chefs de département de pharmacie soutiennent, à terme, un ratio de huit TP pour deux ATP. Ce ratio tend vers celui utilisé dans les départements de biologie médicale (laboratoires) et d’imagerie médicale, dont l’organisation est similaire à celle de la pharmacie. À titre d’exemple, au Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine (CHUSJ), l’effectif en biologie médicale est de 95 % de techniciens de laboratoire ou technologues médicaux et de 5 % d’assistants techniques. En imagerie médicale, il est de 96 % de technologues et de 4 % d’assistants techniques.

L’échelle salariale d’un ATP sénior en avril 2019 variait entre 20,76 $ et 23,22 $ de l’heure, répartie sur six échelons (36,25 heures/semaine), tandis que celle d’un technicien de laboratoire ou d’imagerie médicale variait entre 23,12 $ et 33,61 $ de l’heure sur 12 échelons (35 heures/semaine)810. Est-il si difficile de se convaincre qu’une personne formée pour la saisie complexe d’ordonnances, la préparation magistrale incluant la chimiothérapie, l’opération de robots, carrousels, pompes multicanaux, caméras et balances, et surtout pour le soutien à un circuit du médicament qui comporte plus de 120 étapes en établissement de santé, incluant le bilan comparatif des médicaments, mérite une meilleure échelle salariale ainsi qu’une formation collégiale?11 Le travail d’ATP en pharmacie hospitalière se compare tout à fait à celui des techniciens et technologues en biologie et en imagerie médicale.

En estimant la reclassification éventuelle de tous les postes d’ATP en TP au Québec (soit environ 2000) à une échelle salariale similaire à celle de la biologie ou de l’imagerie médicale, il faudrait investir 37 millions de dollars par année quand 100 % de l’effectif aura atteint l’échelon maximal de TP. La pharmacie hospitalière mérite un personnel technique qualifié et adéquatement rémunéré. Afin de mettre en perspective cet effort, notons que la dépense totale annuelle en ressources humaines et matérielles au sein des départements de pharmacie du Québec était de 1,2 milliard de dollars en 2018–201912.

Mais que nous propose-t-on? Le nouveau programme d’études techniques de pharmacie (165.AO) pour le secteur 19-santé comporte 660 heures d’enseignement en formation générale et 2160 heures d’enseignement spécifique en technique de pharmacie13. On peut lire dans le programme que « sous la supervision de pharmaciennes et pharmaciens ou en collaboration avec eux, les techniciennes et les techniciens en pharmacie effectuent plus précisément les tâches suivantes : assurer le traitement des ordonnances et des requêtes ainsi que la distribution des médicaments; contrôler la chaîne d’approvisionnement, l’entreposage et les stocks; gérer l’utilisation des systèmes d’information et des équipements; mettre en œuvre des mesures de contrôle de la qualité, de gestion des risques et d’amélioration continue; gérer le personnel technique de la pharmacie; participer à la gestion documentaire; collaborer à la prise en charge de la thérapie médicamenteuse des patients et, finalement, collaborer à des études cliniques ». Si le libellé n’exclut pas le fait que les TP seront en mesure d’effectuer 100 % des tâches des ATP au quotidien, le profil des cours offerts et les discussions menées avec les Cégeps nous inquiètent. On parle davantage de former des personnes capables de superviser des tâches, de rédiger des politiques et procédures, de soutenir de nouvelles activités (p. ex., recherche clinique, soutien aux pharmaciens dans les équipes de soins). Nous craignons qu’un TP ne soit pas en mesure de satisfaire aux exigences d’embauche plus rapidement qu’un ATP. Nous craignons également que les TP soient déçus de ce qui leur sera offert à l’embauche. Dans la prochaine décennie, les TP effectueront-ils les mêmes tâches que les ATP en étant rémunérés 144 % de plus au dernier échelon? A-t-on envisagé les enjeux en relation de travail? À qui reviendra la gestion quotidienne de ces insatisfactions? Qu’a-t-on prévu concrètement dans nos établissements pour soutenir les ATP dans la préparation individuelle à la reconnaissance des acquis?

Est-on conscient du mur vers lequel on se dirige si ces enjeux ne sont pas adressés promptement? Trop de questions restent sans réponse, alors que le programme de formation a débuté il y a quelques semaines et que des centaines d’ATP ont amorcé des démarches de reconnaissance des acquis. Le ratio ciblé de TP/ATP par le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) est inconnu ou, à tout le moins, inquiétant, anticipant une proportion trop faible de TP au sein de nos départements. L’échelle salariale retenue demeure elle aussi inconnue. La cohabitation inévitable à court terme de deux titres d’emploi n’a pas été vraiment discutée au sein du milieu hospitalier. Les enjeux relatifs à la polyvalence, à la supervision et à la disponibilité des stages n’ont pas été suffisamment étudiés. Les programmes de formation des Cégeps ne semblent pas converger vers un canevas de stages uniformes qui tiennent compte de la situation actuelle; dans certains cas, on parle de stages en simulation uniquement. Sur le terrain, les ATP et les pharmaciens hospitaliers posent beaucoup de question, jusqu’à maintenant sans réponses, et sont inquiets.

L’arrivée d’un programme de TP est une bonne nouvelle pour les établissements de santé. Mais, à trop longtemps désirer quelque chose, on finit par accepter n’importe quoi pour passer à une autre étape. Les ATP représentent plus de 50 % de l’effectif en pharmacie hospitalière. À notre avis, le programme de TP vise à remplacer la formation d’ATP, à terme, en établissement de santé. Avec les coupes financières anticipées per et postpandémie de COVID-19, il est hautement probable qu’un nombre limité de TP sera financé. Un ATP ayant obtenu la reconnaissance de ses acquis pourrait se faire dire qu’il n’y a pas de poste. Ces TP seront largement tentés de quitter le réseau pour aller travailler au privé. Il nous paraît urgent que le MSSS se prononce clairement sur ces enjeux et que des annonces entourant le financement des TP soient effectuées à court terme. La création du titre de TP était notamment liée à des enjeux de planification de la main-d’œuvre et la perspective de leur ajout doit permettre de réduire les risques de pénurie et de non-couverture des services pharmaceutiques en adressant spécifiquement la problématique croissante pour les ATP.

À terme, les départements de pharmacie du Québec ont besoin d’un effectif composé essentiellement de TP, comme le confirme la dotation en biologie et en imagerie médicale. Nous sommes d’avis que la refonte du programme de DEP pour les ATP devrait cibler davantage les besoins du milieu communautaire à l’avenir. Comme une bonne nouvelle en cache parfois une mauvaise… a-t-on fait tous nos devoirs? Il n’est pas trop tard pour bien faire. Puissent ces réflexions alimenter la discussion et amener à prendre de bonnes décisions.

Financement

Aucun financement en relation avec le présent article n’a été déclaré par les auteurs.

Conflits d’intérêts

Tous les auteurs ont rempli et soumis le formulaire de l’ICMJE pour la divulgation de conflits d’intérêts potentiels. Jean-François Bussières est membre du comité de rédaction de Pharmactuel . Les auteurs n’ont déclaré aucun autre conflit d’intérêts en relation avec le présent article.

Références

1. Ministère de l’éducation, Ministère de l’enseignement supérieur. Nouveau programme d’études collégiales en techniques de pharmacie offert dans dix cégeps dès 2021–2022. 16 octobre 2020. [en ligne] http://www.education.gouv.qc.ca/references/tx-solrtyperecherchepublicationtx-solrpublicationnouveaute/resultats-de-la-recherche/detail/article/nouveau-programme-detudes-collegiales-en-techniques-de-pharmacie-offert-dans-dix-cegeps-des-2021-20/ (site visité le 29 juin 2021).

2. Ordre des pharmaciens du Québec. Projet de révision du rôle des assistants techniques en pharmacie (ATP). Standards de pratique du personnel technique et de soutien technique. 2013. [en ligne] https://www.opq.org/wp-content/uploads/2020/08/1822_38_fr-ca_0_standards_atp_final_maj_18_fev_2014.pdf (site visité le 29 juin 2021).

3. Ordre des pharmaciens du Québec. Profil de compétence du personnel technique. 2014 [en ligne] https://www.opq.org/materiel-documentation/profil-de-competences-personnel-technique-pt/ (site visité le 29 juin 2021).

4. Ordre des pharmaciens du Québec. Un engagement clair est demandé aux partis politiques : autoriser la création d’une formation de techniciens en pharmacie. 27 septembre 2018. [en ligne] https://www.opq.org/blogue/autoriser-la-creation-dune-formation-de-techniciens-en-pharmacie/ (site visité le 29 juin 2021).

5. Association des pharmaciens des établissements de santé du Québec. Rehaussement de la formation des assistants techniques en pharmacie : il est temps de passer à l’action. 8 août 2018. [en ligne] https://www.apesquebec.org/actualite/rehaussement-formation-ATP (site visité le 29 juin 2021).

6. Association des pharmaciens des établissements de santé du Québec. De l’apothicaire au spécialiste. Fil chronologique des événements. [en ligne] https://www.apesquebec.org/lapes/histoire/histoire-de-la-pharmacie-hospitaliere-au-quebec/fil-des-evenements/evenements-en (site visité le 29 juin 2021).

7. Bonnici A, Dittmar C, Jones R, Merrill D, Bussières JF, MacNair K, Mills A, Wilgosh C. Hospital pharmacy in Canada Report 2016/17. [en ligne] https://cshp.ca/document/4566/Report%202018.pdf (site visité le 29 juin 2021).

8. Comité patronal de négociation du secteur de la santé et des services sociaux. 3215. Assistant technique sénior en pharmacie. [en ligne] http://n02.pub.msss.rtss.qc.ca/AfficherDetails.aspx?TitreEmploi=3215 (site visité le 29 juin 2021).

9. Comité patronal de négociation du secteur de la santé et des services sociaux. 2223 – Technologiste médical. [en ligne] http://n02.pub.msss.rtss.qc.ca/AfficherDetails.aspx?TitreEmploi=2223 (site visité le 29 juin 2021).

10. Comité patronal de négociation du secteur de la santé et des services sociaux. 2212 – Technologue en imagerie médicale. [en ligne] http://n02.pub.msss.rtss.qc.ca/AfficherDetails.aspx?TitreEmploi=2212 (site visité le 29 juin 2021).

11. Bussières JF, Lebel D, Atkinson S, Tardif C, Meunier P. Le circuit du médicament en établissement de santé : une grille bonifiée pour mieux encadrer la formation des étudiants en pharmacie. Pharmactuel 2021;54:74–6.

12. Floutier M, Lebel D, Bonnici A, Bussières JF. Dépenses du département de pharmacie en établissement de santé au Québec – données du rapport financier AS471 de 2014–2015 à 2018–2019. Pharmactuel 2020;53:44–51.

13. Ministère de l’enseignement supérieur. Techniques de pharmacie (165.A0). Programme d’études techniques. Secteur 19 – Santé. Enseignement collégial.



Pour toute correspondance: Jean-François Bussières, Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine, 3175, chemin de la Côte-Sainte-Catherine, Montréal (Québec) H3T 1C5, CANADA; Téléphone : 514 343-4603; Courriel : jf.bussieres@ssss.gouv.qc.ca

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PHARMACTUEL, Vol. 54, No. 4, 2021