Dannick
Brochu,
Pharm.D.1,2,
Julie
Bureau,
Pharm.D.1,2,
François
Métivier,
Pharm.D.1,2,
Julie
Boisvert,
B.Pharm., M.Sc.3,
Isabelle
Taillon,
B.Pharm., M.Sc, FOPQ3,4,5,
Julie
Racicot,
B.Pharm., M.Sc.3,6,7
Reçu le 28 novembre 2021: Accepté après révision le 10 décembre 2021
Résumé
Objectif : Comparer l’outil 3-ER, un outil informatique intégré au logiciel GesphaRx MD permettant la priorisation des usagers en lien avec l’offre de soins pharmaceutiques à l’Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec, à l’outil actuel.
Description de la problématique : Différentes instances recommandent aux établissements de santé québécois de se doter d’une offre de soins pharmaceutiques afin de prioriser la prise en charge des usagers les plus vulnérables. Actuellement, l’outil 3-RU permet de cibler la clientèle vulnérable. Toutefois, cet outil comporte plusieurs limites importantes. Cette étude présente le développement d’un système de pointage intégré à un outil informatique déjà utilisé à l’Hôpital de la Cité-de-la-Santé de Laval.
Résolution de la problématique : Les pointages attribués aux critères de vulnérabilité ont été révisés et une collecte de données a permis de comparer l’identification des usagers vulnérables obtenus entre le 3-ER et le 3-RU. Un ajustement de la pondération de certains critères de vulnérabilité a ensuite été effectué en vue de son implantation au sein du département.
Conclusion : Ce projet a permis d’évaluer la fiabilité de l’outil 3-ER en le comparant au 3-RU déjà en place. Cet outil est un avancement majeur dans le domaine des soins pharmaceutiques puisqu’il permet de hiérarchiser la vulnérabilité des usagers de manière rapide et objective en fonction d’une multitude de critères. Les conclusions de ce projet pourront servir de modèle pour les autres hôpitaux québécois.
Mots clés : Gestion, outil informatique, priorisation, soins pharmaceutiques, vulnérabilité
Abstract
Objective : To compare the 3-ER, a computer-based tool integrated into GesphaRx ® software that is used to rank patients for the purposes of providing pharmaceutical care at the Quebec Heart and Lung Institute, with the current tool.
Problem description : Different instances recommend that Quebec health-care institutions develop an offer in pharmaceutical care in order to prioritize the management of the most vulnerable patients. Currently, the 3-RU is used to target vulnerable patients. However, this tool has several major limitations. This study presents the development of a scoring system integrated into a computer-based tool currently in use at the Hôpital de la Cité-de-la-Santé de Laval.
Problem resolution : The scores assigned to the vulnerability criteria were revised, and data were collected to compare the identification of vulnerable patients with the 3-ER and that with the 3-RU. The weighting for some of the vulnerability criteria was then adjusted for its implementation within the department.
Conclusion : This project assessed the reliability of the 3-ER by comparing it with the currently used 3-RU. This tool is a major advancement in the area of pharmaceutical care since it permits the rapid and objective ranking of patient vulnerability based on multiple criteria. The conclusions of this project could serve as a model for other Quebec hospitals.
Keywords : Computer-based tool, management, pharmaceutical care, ranking, vulnerability
Les soins de santé ont grandement évolué ces dernières années, de sorte que la complexité des cas, et par conséquent la charge de travail des pharmaciens, s’est alourdie sans que les ressources disponibles augmentent toutefois1. Cet enjeu a été soulevé par le Vérificateur général du Québec après avoir visité des hôpitaux québécois. Il a d’ailleurs émis la recommandation aux établissements de santé d’établir une « offre de services pharmaceutiques optimale en fonction du niveau d’activité, des spécialités et des usagers pris en charge », dont « notamment la hiérarchisation des services pharmaceutiques à offrir »2. Le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) a soulevé la même problématique dans son plan stratégique de 2015 à 20203. À la suite de ces recommandations, l’Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec – Université Laval (IUCPQ-UL) a implanté une offre de soins en 2016 permettant de cibler les usagers les plus vulnérables devant être vus de manière systématique ou prioritaire par le pharmacien. Les critères de vulnérabilité ont été sélectionnés à partir de la littérature scientifique et en accord avec les missions de l’établissement, soit la cardiologie, la pneumologie et l’obésité. L’Association des pharmaciens des établissements de santé du Québec (A.P.E.S.) a emboîté le pas en émettant des recommandations similaires dans son rapport sur les soins pharmaceutiques de 2018 et en publiant les Critères de vulnérabilité à la pharmacothérapie en établissement de santé en 20194. Ces critères rejoignent ceux établis par les pharmaciens de l’IUCPQ-UL.
Sur la scène internationale, plusieurs outils de priorisation des soins pharmaceutiques ont été mis au point dans différents pays. Toutefois, ils sont très hétérogènes et vont des outils comptabilisés à la main à des outils électroniques5–7.
En 2020, dans le cadre de leur projet de gestion, les pharmaciens résidents de l’IUCPQ-UL ont instauré un système de pointage qui a été intégré à l’outil de recherche en vue de la priorisation. L’objectif primaire du présent article vise à comparer l’outil 3-ER, outil informatique intégré au dossier pharmacologique informatisé (logiciel GesphaRxMD) à l’IUCPQ-UL et permettant de prioriser les usagers en lien avec l’offre de soins pharmaceutiques, à l’outil actuel.
L’offre de soins actuelle de l’IUCPQ-UL comporte trois catégories, soit les interventions systématiques, les interventions prioritaires et les situations cliniques particulières. Selon la catégorie à laquelle appartient un critère de l’offre de soins, le délai de prise en charge varie entre 24 et 72 heures. Afin d’établir la clientèle à prioriser, les pharmaciens utilisent actuellement un outil de priorisation, soit le « 3-RU ». Cet acronyme renvoie à une nomenclature alphanumérique utilisée pour se déplacer à l’intérieur des menus de l’application. L’outil 3-RU ne permet pas d’interroger le système pour plusieurs critères de vulnérabilité de façon simultanée, obligeant ainsi le pharmacien à produire plusieurs rapports pour un même secteur clinique afin de cibler les usagers vulnérables dans le cadre des offres de soins pharmaceutiques. Les critères de vulnérabilité pris en considération par l’outil 3-RU peuvent être obtenus sur demande. Le 3-RU comporte des limites qui rendent l’application intégrale de l’offre de soins pharmaceutiques parfois imparfaite. Par exemple, on note l’absence d’accessibilité à certaines données biochimiques et diagnostiques. De plus, cet outil génère un rapport qui inclut tous les antibiotiques par voie intraveineuse, indépendamment de leur date d’introduction. Un rapport par conséquent plus long doit être interprété pour les suivis en antibiogouvernance.
Pour pallier ces limites, les pharmaciens résidents de la cohorte 2019–2020 ont procédé à une revue de la littérature scientifique permettant d’établir 17 critères de vulnérabilité majeurs. Ils ont aussi procédé à une collecte de données qui leur a permis de définir les critères selon lesquels les pharmaciens interviennent le plus fréquemment au sein de l’établissement (accessible sur demande). Enfin, ils ont réalisé un sondage permettant de connaître la perception des pharmaciens de l’IUCPQ-UL quant à l’outil de priorisation des usagers déjà en place. À partir d’un modèle d’outil informatique préalablement utilisé à l’Hôpital de la Cité-de-la-Santé du Centre intégré de santé et de services sociaux de Laval (CISSS de Laval), le fournisseur a entamé la phase de développement pour inclure les nouvelles modalités demandées par l’IUCPQ-UL. La version initiale du 3-ER permettait de générer une liste d’usagers détaillant le cumulatif des critères de vulnérabilité associés à chacun d’entre eux. À chaque critère de vulnérabilité correspondait un pointage variant entre 1 et 5. L’outil 3-ER n’a toutefois pas été testé ni comparé à l’outil actuellement utilisé par les pharmaciens (3-RU).
Au Québec, des outils de priorisation ont été mis au point, notamment au Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de la Capitale-Nationale (CIUSSS-CN), au Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de l’Estrie–Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke (CIUSSS de l’Estrie-CHUS) et à l’Hôpital de la Cité-de-la-Santé du CISSS de Laval.
Le CIUSSS-CN a mené un projet descriptif sur l’utilisation de l’instrument RxIntensi-TMD et du Medication Regimen Complexity Index (MRCI) au sein de la population gériatrique en soins de longue durée8. Le MRCI est un outil permettant d’objectiver la complexité des régimes médicamenteux, alors que l’outil RxIntensi-TMD permet de quantifier la complexité d’un régime médicamenteux de manière plus complète en tenant compte des besoins d’ajustement en insuffisance rénale, de la présence d’interactions ou d’une toxicité cumulative, ainsi que de 11 autres critères médicamenteux. L’outil RxIntensi-TMD offre l’avantage d’inclure la quantification électronique et objective d’un pointage de complexité, tout en étant plus complet et rapide à utiliser que l’outil MRCI. Toutefois, une de ses limites est qu’il tient uniquement compte des facteurs liés aux médicaments, écartant ainsi les facteurs liés aux usagers.
De son côté, l’Hôpital de la Cité-de-la-santé du CISSS de Laval a mis au point un outil informatique permettant la priorisation de la réalisation des bilans comparatifs de médicaments (BCM) chez la clientèle hospitalisée à l’unité de médecine. Pour ce faire, le département de pharmacie a déterminé certains critères de vulnérabilité pertinents pour la réalisation d’un BCM complet, incluant l’entrevue avec le patient, à partir de la liste de critères de vulnérabilité publiée par l’A.P.E.S. en 2019, et leur a attribué un pointage. Intégré à GesphaRxMD, l’outil permet d’établir un pointage cumulatif de ces critères. Un pointage significativement plus élevé est attribué aux critères nécessitant la réalisation d’un BCM complet, afin qu’ils apparaissent en priorité dans la liste générée.
Quant au CIUSSS de l’Estrie-CHUS, un outil de priorisation de la clientèle gériatrique a été mis au point. Ce dernier permet d’identifier la clientèle à prioriser à partir des données démographiques, des diagnostics et des médicaments prescrits se retrouvant dans Med-EchoMD et QuadramedMD. Les critères ciblés par l’outil ont été déterminés par une équipe formée d’un gériatre, d’un interniste et de pharmaciens détenant de l’expérience en gériatrie, et s’inspiraient des critères de BEERS et STOPP9,10. Toutefois, jusqu’à maintenant, la mise au point de l’outil a été réalisée dans le cadre d’un projet de recherche, et il n’est pas utilisé systématiquement en clinique11.
En prévision de la collecte de données, afin d’assurer une priorisation des usagers présentant un critère systématique dans l’offre de soins pharmaceutiques, on a augmenté le pointage associé à ces critères systématiques; il est ainsi passé de 5 à 10. Le pointage maximal des critères systématiques a été déterminé de façon arbitraire. L’annexe présente la version finale de l’outil informatique 3-ER permettant la priorisation des usagers en lien avec l’offre de soins pharmaceutiques de l’IUCPQ-UL.
Les trois pharmaciens résidents ont effectué deux journées de collecte de données chacun. Les jours de collecte étaient répartis sur six semaines, de la semaine du 29 mars à celle du 3 mai 2021, et se déroulaient le mercredi ou le jeudi. Les secteurs cliniques suivants étaient inclus dans la collecte de données : cardiologie, pneumologie, gériatrie, chirurgie thoracique, chirurgie cardiaque, médecine interne et urgence. Les secteurs où l’outil de priorisation 3-RU n’était pas appliqué ont été exclus, soit les soins intensifs de pneumologie, la greffe cardiaque, la chirurgie bariatrique et les cliniques ambulatoires. Cela s’explique par le fait que la totalité des patients dans ces secteurs était prise en charge par un pharmacien. Lors des jours de collecte, les pharmaciens résidents devaient générer un rapport 3-RU et un rapport 3-ER pour chaque secteur clinique, et colliger les données dans un outil de collecte ExcelMD : le nombre d’usagers totaux de chaque secteur clinique; le pointage 3-ER attribué à chaque usager; les critères relevés par le rapport 3-RU et le 3-ER de chaque usager; et enfin, les divergences entre les deux outils.
Enfin, durant une période de deux semaines consécutives, les pharmaciens de chaque secteur clinique ont comptabilisé le nombre d’usagers pris en charge chaque jour à l’aide de l’outil 3-RU, afin d’estimer jusqu’à quel pointage cumulatif de l’outil 3-ER il serait réaliste d’intervenir pour chaque secteur clinique.
Lors de la collecte des résidents, les résultats de 1566 usagers ont été colligés en six jours. Les principaux résultats sont présentés dans le tableau I.
Tableau I
Principaux résultats obtenus à partir de la collecte de données des résidents en fonction du secteur cliniquea
La collecte réalisée par les pharmaciens a permis d’estimer le nombre quotidien moyen d’usagers identifiés par l’outil 3-RU qui ont été pris en charge par un pharmacien. On retrouve ainsi 11 usagers à l’urgence, 20 en cardiologie, 13 en chirurgie cardiaque, huit en pneumologie, six en médecine interne, sept en gériatrie et cinq en chirurgie thoracique. Ces résultats n’incluent pas les usagers pris en charge par les pharmaciens qui n’ont pas été ciblés par le 3-RU. À partir de ces données, il a été possible d’estimer le pointage 3-ER du dernier patient qui serait pris en charge par un pharmacien chaque jour dans chaque secteur. Par exemple, sachant qu’en médecine interne le pharmacien prenait en charge six patients par jour en moyenne à l’aide du 3-RU, il a été déterminé à partir de la collecte des résidents que le sixième patient sur la liste 3-ER avait en moyenne un pointage cumulatif de sept. Les résultats pour chaque secteur sont présentés à la figure 1.
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Figure 1 Pointage 3-ER moyen du dernier patient qui serait pris en charge à partir de l’outil 3-ER chaque jour |
La collecte des données a permis de mettre en évidence des omissions liées à l’encodage d’un critère. En effet, selon le 3-RU, cinq usagers ont présenté un critère d’intervention en lien avec une fonction rénale réduite, que le 3-ER n’a pas mis en évidence. Autrement, en s’assurant que l’ensemble des médicaments spécifiques ciblés dans l’offre de soins pharmaceutiques se retrouvait dans l’outil 3-ER, aucun autre patient présentant un critère d’intervention dans le 3-RU n’a été omis dans le 3-ER.
À l’inverse, plusieurs usagers affichant un pointage cumulatif de cinq ou plus avec l’outil 3-ER n’étaient pas identifiés par l’outil 3-RU. Un pointage cumulatif de cinq représentait soit un patient présentant au moins un critère de vulnérabilité jugé prioritaire, soit un patient présentant plusieurs critères de vulnérabilité combinés. En moyenne, chaque jour, on dénombrait 16 usagers tous secteurs confondus avec un pointage total au 3-ER de cinq ou plus qui n’étaient pas ciblés par le 3-RU. Cette constatation survenait à une fréquence relativement similaire entre les secteurs.
Concernant les critères fréquemment rencontrés, 37 % des usagers ciblés par l’outil 3-ER présentaient un critère de vulnérabilité lié à l’âge, 27 % des patients présentaient un critère de réadmission et 17 % des usagers avaient été hospitalisés trois fois et plus dans la dernière année. Les réhospitalisations multiples sont plus fréquentes dans les unités de gériatrie, de médecine interne et de pneumologie. Les extrêmes de poids étaient peu fréquents, ne représentant que 11 % des usagers; 26 % des usagers présentaient un débit de filtration glomérulaire estimé (DFGe) inférieur ou égal à 60 mL/min/1,73 m2. L’antibiothérapie par voie intraveineuse depuis plus de trois jours représentait 6 % des usagers et était plus prévalente dans les unités de pneumologie (10 %) et de chirurgie thoracique (18 %). La figure 2 présente un échantillon d’une liste générée par le 3-ER.
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Figure 2 Représentation visuelle d’un échantillon du rapport 3-ER |
À partir des résultats présentés (tableau I), il est possible de constater que le 3-ER cible un nombre plus élevé d’usagers chaque jour par rapport au 3-RU, et ce, dans tous les secteurs. Cela est justifié par l’inclusion d’un plus grand nombre de critères de vulnérabilité des offres de soins en vigueur dans l’outil 3-ER. Un nombre important d’usagers ( n = 16) affichant un pointage 3-ER de cinq ou plus n’était pas ciblé par le 3-RU chaque jour. Cela représente plusieurs usagers vulnérables omis dans le rapport 3-RU.
Une proportion importante des usagers ciblés par le 3-ER présentait un faible pointage, tel que suggéré par les médianes de chaque secteur. La liste d’usagers générée par le 3-ER pouvant être longue et comporter plusieurs usagers avec de faibles pointages de vulnérabilité, il n’est pas envisageable qu’un pharmacien prenne en charge tous les usagers de la liste. Il est ainsi capital de prioriser les usagers les plus vulnérables, ce que l’outil 3-ER permet de faire facilement et rapidement en classant les usagers par ordre décroissant de leur pointage cumulatif.
Bien que les critères d’âge, de réhospitalisation et d’insuffisance rénale de stade 3 soient des critères de vulnérabilité ciblés fréquemment dans le 3-ER générant des usagers additionnels en fin de liste, leur proportion était insuffisante pour considérer qu’ils densifient inutilement le rapport, ce qui représentait une crainte initiale des pharmaciens.
Lorsqu’on compare le nombre d’usagers affichant un pointage 3-ER de dix ou plus par rapport au nombre d’usagers présentant un critère systématique ciblé dans le 3-ER pour un même secteur dans le tableau I, les résultats sont similaires. Comme les critères systématiques comportent un pointage de dix, ce résultat démontre que les usagers présentant ces critères apparaîtront en début de liste. À partir de nos observations, il est possible de déterminer le pointage 3-ER du dernier patient qui serait pris en charge par un pharmacien quotidiennement dans chaque secteur. Ce pointage n’est pas supérieur à 10 (figure 1), ce qui laisse présager que tous les usagers présentant un critère systématique (score de 10) seront vus par le pharmacien.
L’outil 3-ER a engendré peu de divergences avec l’outil 3-RU. La lacune principale, qui a d’ailleurs été adressée et corrigée, était en lien avec la façon d’extraire la clairance de la créatinine à partir du logiciel. Par ailleurs, l’omission de certains médicaments dans la programmation de l’outil 3-ER était aussi une source de divergence. En effet, l’offre de soins n’était pas à jour, de sorte que plusieurs médicaments n’étaient pas inclus dans la version initiale du 3-ER, tels que le sotalol, la primidone, le valganciclovir entre autres. Ces critères étaient toutefois inclus dans le 3-RU des départements ciblés. Ce projet a permis d’actualiser l’offre de soins pharmaceutiques, et les changements nécessaires ont été apportés au 3-ER.
Le 3-ER compte plusieurs avantages par rapport au 3-RU. D’abord, il est beaucoup plus sensible que le 3-RU pour détecter la vulnérabilité des usagers, notamment du fait qu’il prend en compte plus de critères et que certains d’entre eux sont stratifiés. À titre d’exemple, la fonction rénale, le poids et l’âge sont stratifiés en plusieurs variables ordinales et pondérés en importance, ce qui est plus précis que l’utilisation de valeurs extrêmes dans le 3-RU. Pour la fonction rénale, du fait que le DFGe est utilisé plutôt que la formule de Cockrauft-Gault, il est possible d’avoir une donnée sur la fonction rénale du patient, et ce, même en l’absence d’un poids et d’une taille, ce que l’outil 3-RU ne permettait pas de faire. L’utilisation du DFGe permet également une estimation plus juste de la fonction rénale du patient dans la majorité des cas12. De plus, l’outil 3-ER tient compte de plusieurs valeurs de laboratoire qui n’étaient pas accessibles dans le 3-RU, comme l’alanine aminotransférase, la bilirubine, les plaquettes, l’hémoglobine, les globules blancs et les neutrophiles. Ces nouvelles variables peuvent aider le pharmacien à identifier des usagers subissant des effets indésirables ou dont l’état nécessite des ajustements de médicaments.
Le 3-ER est également plus visuel et permet au pharmacien de prioriser rapidement les usagers devant être vus dans une journée puisqu’une seule liste est générée, contrairement au 3-RU qui nécessite la consultation de plusieurs listes quotidiennement. Selon le sondage effectué par les pharmaciens résidents de la cohorte 2019–2020, les pharmaciens consacraient un temps médian de 20 minutes à consulter les rapports du 3-RU. La variable de temps n’a pas été mesurée dans ce projet, mais il est raisonnable de croire qu’il ne faudrait pas plus de temps au pharmacien pour cibler les patients à prioriser à partir du 3-ER. Ainsi, afin d’évaluer l’économie de temps potentielle découlant de l’utilisation du 3-ER, il serait envisageable de réaliser une étude subséquente afin de valider cette hypothèse.
Enfin, l’outil 3-ER a l’avantage d’extraire non seulement le pointage final de vulnérabilité du patient, mais également chaque critère qui compose sa vulnérabilité. Ainsi, cela permet au pharmacien de cibler ses interventions et aussi d’intervenir, au besoin, auprès de patients qui présentent un pointage parfois plus faible quand il juge important de le faire.
Une des principales limites de l’évaluation de l’outil de priorisation 3-ER est que cette dernière s’est déroulée en contexte de pandémie de COVID-19. En raison du délestage des chirurgies non urgentes, le nombre d’usagers dans les secteurs chirurgicaux est assurément sous-estimé. Il est cependant difficile de prédire l’effet de la pandémie sur le pointage cumulatif des critères de vulnérabilité par patient et, par conséquent, la cote minimale associée au patient à laquelle le pharmacien pourra se rendre dans une journée. Cette dernière, qui variera selon le secteur clinique, sera déterminée ultérieurement lors du déploiement de l’outil en projet pilote.
Pour le secteur de l’urgence, l’évaluation de l’outil de priorisation 3-ER était limitée, car un seul rapport était généré par journée de collecte des résidents, alors que les pharmaciens du secteur génèrent la liste des patients à prioriser plusieurs fois par jour en raison du nombre élevé d’inscriptions et de départs. Les résultats obtenus lors de la collecte des résidents sont donc sous-estimés. Cette limite s’applique aussi aux autres secteurs, mais de façon beaucoup moins significative.
Bien que le 3-ER ait été optimisé et que les résultats démontrent une plus grande détection d’usagers vulnérables à partir de plusieurs critères intégrés comparativement aux rapports 3-RU, certaines limites persistent. Comme l’outil est intégré à GesphaRxMD, il est dépendant des données qui s’y trouvent. Certains critères, comme le poids ou les valeurs de laboratoire, peuvent donc être omis dans le rapport 3-ER pour certains usagers, tout comme dans le rapport 3-RU, dans le cas où les prélèvements n’ont pas été faits à l’IUCPQ-UL. L’urgence constitue le principal secteur affecté par cette limite. Une liste 3-ER peut tout de même être générée lorsque des données sont manquantes, mais le pointage cumulatif de vulnérabilité de chaque patient pourrait être sous-estimé. Bien que l’ajout de certains médicaments et de certaines valeurs de laboratoire dans l’outil 3-ER permet de cibler des usagers qui n’étaient pas identifiés par le 3-RU, certaines pathologies ciblées dans l’offre de soins demeurent difficilement détectables, notamment la fibrose kystique et la cirrhose, ciblées par l’entremise de certains médicaments utilisés régulièrement pour les traiter.
Ce projet a permis de comparer l’ancien outil de priorisation des usagers, le 3-RU, au nouvel outil qui sera implanté au sein de l’IUCPQ-UL, le 3-ER. Les résultats obtenus soutiennent que le 3-ER n’omet pas les patients ciblés par le 3-RU, qui devraient être pris en charge par les pharmaciens selon l’offre de soins pharmaceutiques. Le 3-ER génère une liste des patients les plus vulnérables, classés en ordre décroissant, ce que le 3-RU ne permettait pas de faire. Le 3-ER a aussi permis d’identifier de nouveaux patients puisqu’il permet d’extraire un plus grand nombre d’informations pour chaque patient à partir du logiciel informatique.
Enfin, en accord avec les recommandations des grandes instances, telles que l’A.P.E.S., le MSSS et l’Ordre des pharmaciens du Québec, le 3-ER permettrait ainsi d’optimiser les ressources allouées aux soins pharmaceutiques. Cet outil, bonifié par le système de pointage, constitue un progrès majeur dans le domaine de la pharmacie, et il pourrait inspirer les autres hôpitaux du Québec, tout en tenant compte qu’il devra être adapté à leur clientèle et à leurs missions.
Un remerciement spécial aux pharmaciens du département de pharmacie de l’IUCPQ-UL pour leur collaboration au projet.
Cet article comporte une annexe; elle est accessible sur le site de Pharmactuel (www.pharmactuel.com).
Aucun financement en relation avec le présent article n’a été déclaré par les auteurs.
Conflit d’intérêts
Tous les auteurs ont rempli et soumis le formulaire de l’ICMJE pour la divulgation de conflits d’intérêts potentiels. Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec le présent article.
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2. Vérificateur général du Québec. Rapport du vérificateur général du Québec à l’Assemblée nationale pour l’année 2014–2015 : Vérification de l’optimisation des ressources (printemps 2014). [en ligne] http://www.Vgq.Gouv.Qc.Ca/fr/fr_publications/fr_rapport-annuel/fr_2014-2015-vor-printemps/fr_rapport2014-2015-vor-chap06.Pdf (site visité le 14 novembre 2021).
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*Dannick Brochu, Julie Bureau et François Métivier ont contribué de façon équivalente à la rédaction de cet article ( Return to Text )
PHARMACTUEL , Vol. 55 , No. 1 , 2022