Êtes-vous prêts à intégrer le financement à l’activité en pharmacie hospitalière?

Charlotte Jacolin, Interne en pharmacie1,2, Denis Lebel, B.Pharm., M.Sc., FCSHP3, Jean-François Bussières, B.Pharm., M.Sc., MBA, FSCHP, FOPQ4,5

1Doctorante en pharmacie au moment de la rédaction, Faculté de pharmacie, Université Claude Bernard, Lyon, France;
2Assistante de recherche, Unité de recherche en pratique pharmaceutique, Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine, Montréal (Québec) Canada;
3Pharmacien, chef adjoint, Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine, Montréal (Québec) Canada;
4Pharmacien, chef, Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine, Montréal (Québec) Canada;
5Professeur titulaire de clinique, Faculté de pharmacie, Université de Montréal, Montréal (Québec) Canada

Reçu le 25 janvier 2022; Accepté après révision le jour mois 2022

En vertu des articles 295 et 395 de la Loi sur les services de santé et les services sociaux, chaque établissement de santé doit produire un rapport financier pour l’exercice écoulé1. Les normes et pratiques de gestion des états financiers du département de pharmacie (6800) ont peu évolué depuis 20052. Depuis l’exercice financier 2014–2015, le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) publie en ligne un bilan financier par établissement de santé et un bilan consolidé pour l’ensemble du réseau de la santé3. Tous les chefs des départements de pharmacie devraient donc être consultés lors de la production des états financiers de leur établissement de santé en période 14 dans le but de confirmer la validité des données financières. L’exploitation des données consolidées est toutefois difficile pour eux. Afin de mieux informer les équipes de gestion des départements de pharmacie, nous avons publié une première analyse des états financiers de 2014–2015 à 2018–20194. Depuis, le MSSS a publié deux bilans subséquents sur son site. Il faut rappeler que les pages des états financiers utilisées pour recueillir et présenter ces données ne sont pas auditées lors du processus de vérification externe.

A partir du 1er avril 2023, le financement des établissements de santé tient compte non seulement de la budgétisation des années précédentes, mais également d’une projection de financement liée aux coûts par parcours de soins et services (CPSS) pour le volet chirurgical. Ainsi, les établissements de santé verront leur budget évoluer en fonction de leur financement passé et de leur activité clinique. Les chefs des départements de pharmacie doivent se préparer à cette nouvelle approche qui pourrait avoir un effet sur le financement réel, sur l’accès aux services et aux soins pharmaceutiques et sur la pharmacothérapie.

Dans la foulée de cette transformation du financement du réseau de la santé, nous pensons utile de partager des données synthèses découlant des exercices financiers de 2019–2020 et de 2020–2021. Le traitement de ces données nous permet de faire les constats suivants :

  1. de 2014–2015 à 2020–2021, les dépenses en pharmacie (composante professionnelle et composante médicaments/fournitures) ont augmenté de 156 % pour atteindre 1,519 milliards $ CA (figure 1);

  2.  


     

    Figure 1 Évolution des dépenses globales de la composante professionnelle et médicament de 2014–2015 à 2020–2021par classe thérapeutique de 2014–2015 à 2020–2021

  3. la hausse est plus importante pour la composante médicaments/fournitures (166 %) que pour la composante professionnelle (134 %) (figure 2);

     


     

    Figure 2 Pourcentage de chaque composante dans les dépenses globales de la Pharmacie 2014–2015 à 2020–2021

  4. les dépenses globales ont augmenté de façon marquée au cours des deux dernières années pour la mission ambulatoire (6803) (figures 3 et 4);

  5.  


     

    Figure 3 Profil des dépenses globales de la composante professionnelle et médicament par sous-centre d’activités de 2014–2015 à 2020–2021
    Abréviations : CLSC : centre local de services communautaires

     


     

    Figure 4 Profil des dépenses globales de la composante médicament par sous-centre d’activités de 2014–2015 à 2020–202
    Abréviations : CLSC : centre local de services communautaires

  6. les régions de Montréal, de la Capitale-Nationale et de la Montérégie ont accaparé 58 % des dépenses en pharmacie en 2020–2021 (figure 5);

  7.  


     

    Figure 5 Ensemble des dépenses globales des composantes professionnelle et médicament par région socio-sanitaire de 2014–2015 à 2020–2021

  8. les dépenses de la classe thérapeutique 10:00 (oncologie) correspondent à plus de 50 % des dépenses de médicaments/fournitures bien que le volume d’activités de cette clientèle ne représente qu’une proportion limitée de l’ensemble des volumes d’activités hospitalières et ambulatoires (figure 6)5. De plus, les dépenses en oncologie sont plus élevées que celles de la classe 10:00 étant donné que les patients atteints de cancer prennent également des médicaments d’autres classes thérapeutiques (p. ex. : antibiotiques, immunosuppresseurs, diurétiques);

  9.  


     

    Figure 6 Profil des dépenses globales de la composante médicament par classe thérapeutique de 2014–2015 à 2020–2021
    Abréviations : O.R.L.O. : Oto-Rhino-Laryngo-Ophtalmologie; S.N.A. : Système Nerveux Autonome; S.N.C. : Système Nerveux Central

  10. il existe une grande hétérogénéité quant aux ratios de l’ensemble des dépenses de la composante médicament/unité de mesure et de la composante professionnelle/unité de mesure de 2014–2015 à 2020–2021 (annexe);

  11. on ne peut pas évaluer les répercussions de la pandémie de COVID-19 sur les dépenses de pharmacie, car les données ne sont disponibles que jusqu’au 31 mars 2021 et que plusieurs effets combinés peuvent être présents (p. ex. : une réduction des dépenses liées au délestage ou une hausse des dépenses liées à des changements de pratique).

Cette vue d’ensemble nous semble utile, car les dépenses en pharmacie ont représenté 5,2 % (1,519 milliards $ CA/29,207 milliards $ CA) de toutes les dépenses en établissement de santé en 2020–20216. Plus que jamais, le pharmacien et son équipe technique jouent un rôle clé non seulement dans le bon usage des médicaments, mais aussi dans la gestion des dépenses en santé. Afin de continuer à jouer pleinement ce rôle, les chefs devraient se demander si les ressources humaines, matérielles (p. ex. : espaces, logiciels, équipements) et financières sont suffisantes pour relever les défis liés à l’utilisation des médicaments. La répartition des effectifs repose avant tout sur les besoins des patients en soins pharmaceutiques. Mais affecte-t-on suffisamment de ressources aux clientèles qui entraînent le plus de dépenses? Et comment les départements de pharmacie se comparent-ils entre eux?

Avec l’arrivée d’un financement axé sur les patients, les chefs des départements de pharmacie devront utiliser de nouveaux barèmes de coûts et de financement pour leur établissement et leur département de pharmacie. Il nous paraît essentiel de mieux connaître l’évolution des dépenses actuelles calculées avec les outils existants pour être en mesure d’anticiper les défis liés aux futures modalités de financement. Des tarifs insuffisants pourraient menacer le financement de la composante professionnelle en pharmacie et miner l’accès à des soins pharmaceutiques à l’échelle du Québec. D’autres pays, comme la France, font déjà face à de tels défis7.

Annexe

Références

1. LégisQuébec. Loi sur les services de santé et les services sociaux. Articles 295, 395. [en ligne] http://www.legisquebec.gouv.qc.ca/fr/document/lc/S-4.2 (site visité le 11 janvier 2022).

2. Ministère de la Santé et des Services sociaux. Normes et pratiques de gestion. Manuel de gestion financière. Chap. 4. Centres d’activités non exclusifs CH ; CHSLD ; CR A) Activités principales 6800–Pharmacie. [en ligne] Québec : le Ministère ; 2005. http://msssa4.msss.gouv.qc.ca/fr/document/d26ngest.nsf/2ed64800182033b585256ab8004e9ef0/e8f0a4001cefdaef852568b20057278f?OpenDocument (site visité le 11 janvier 2022).

3. Ministère de la Santé et des Services sociaux. Rapports financiers annuels des établissements 2020–2021. Québec : le Ministère ; 2021. [en ligne] https://publications.msss.gouv.qc.ca/msss/document-003077/ (site visité le 11 janvier 2022).

4. Floutier M, Lebel D, Bonnici A, Bussières JF. Dépenses des départements de pharmacie en établissement de santé au Québec–Données du rapport financier AS471 de 2014–2015 à 2018–2019. [en ligne] https://pharmactuel.com/index.php/pharmactuel/article/view/1323 (site visité le 4 janvier 2022).

5. Ministère de la Santé et des Services sociaux. Sommaire des départs par sexe, selon le chapitre du diagnostic principal. Ensemble du Québec. 2020–2021. [en ligne] https://publications.msss.gouv.qc.ca/msss/fichiers/statistiques/med-echo/2020-2021/rapports-statistiques/S06-sommaire-departs-par-sexe-chapitre-diagnostic-principal.pdf (site visité le 11 janvier 2022).

6. Ministère de la Santé et des Services sociaux. Comptes de la santé 2018-2019-2020-2021. [en ligne] Québec : le Ministère ; 2021. https://cdn-contenu.quebec.ca/cdn-contenu/adm/min/sante-services-sociaux/publications-adm/rapport/RA_20-614-01W_MSSS.pdf (site visité le 11 janvier 2022).

7. Burguière J, Leguelinel-Blache G, Paubel P, Bussières JF. Tarification à l’activité : mise au point sur le système français et réflexions pour le Québec. Pharm Hosp Clin 2019;54:398–407.



Pour toute correspondance: Jean-François Bussières, Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine, 3175, chemin de la Côte-Sainte-Catherine, Montréal (Québec) H3T 1C5, CANADA; Téléphone : 514 343-4603; Courriel : jean-francois.bussieres.hsj@ssss.gouv.qc.ca

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PHARMACTUEL, Vol. 55, No. 2, 2022