Santé mentale des pharmaciens : maintenant on fait quoi?

Jean-Philippe Adam, B.Pharm., M.Sc., BCPS, BCOP1,2, Marie-Claude Langevin, B.Pharm., M.Sc., EMBA3

1Pharmacien, chef adjoint aux soins pharmaceutiques, Centre hospitalier universitaire de Montréal, Montréal (Québec) Canada;
2Chercheur, Centre de recherche du Centre hospitalier universitaire de Montréal, Montréal (Québec) Canada;
3Pharmacienne, chef adjointe aux soins pharmaceutiques, Centre hospitalier universitaire de Montréal, Montréal (Québec) Canada

Reçu le 7 juin 2022: Accepté après révision le 21 juin 2022

Le contexte covidien a accentué les enjeux de santé mentale parmi les professionnels de la santé. Plusieurs études, dont celle du présent numéro de Pharmactuel, rapportent une dégradation de la santé mentale des pharmaciens en établissement de santé depuis le début de la pandémie1,2. Parmi les facteurs nuisant à la santé mentale, on note la charge de travail augmentée, la pénurie de main-d’œuvre, le manque d’équilibre travail-vie personnelle et/ou l’absence de soutien des collègues ou de la direction. Ce phénomène global touche tous les travailleurs de la santé.

Devant ce constat, maintenant on fait quoi? Comment lutter contre les problèmes de santé mentale? Les solutions présentées par Vaillancourt et Marceau, soit la bonification de l’offre du programme d’aide aux employés (PAE), une meilleure reconnaissance du travail du pharmacien par le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) et le renversement de la pénurie de pharmaciens en établissement de santé, font en partie fausse route. Ces enjeux profonds se résoudront dans un horizon à long terme auquel la profession a peu ou pas d’influence. Par ailleurs, la responsabilité de la santé mentale des pharmaciens ne devrait pas incomber uniquement au MSSS.

Le bonheur au travail constitue un des remèdes à l’amélioration de la santé mentale des employés. Plusieurs études en ont montré l’efficacité : les personnes plus heureuses reçoivent des critiques plus positives, sont plus productives, plus créatives, gagnent des revenus plus élevés et sont moins susceptibles de s’épuiser au travail ou de s’absenter3. Les pharmaciens, individuellement, et leurs gestionnaires ont un rôle à jouer dans l’atteinte de cet idéal.

Le bonheur est à la portée de tous et devrait être cultivé localement à condition d’y prendre le temps. Comme pharmacien, quelles sont les motivations qui vous poussent à venir travailler? Comme gestionnaire, connaissez-vous les motivations qui incitent vos collègues à venir travailler dans votre département? Les principales raisons précisées dans les études sont la quête de sens, l’autonomie, la collaboration, la gestion de carrière, la reconnaissance et l’importance accordée au bien-être des employés4,5. Ces concepts, loin d’être illusoires, sont tous des ingrédients indispensables au bonheur au travail.

L’installation d’une culture départementale misant sur le bonheur au travail repose sur des actions quotidiennes, parfois complexes, nécessitant un changement de paradigme. Au Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM), le contexte, fertile au départ, a tout de même demandé un travail soutenu afin d’améliorer les nombreux embranchements menant à cet idéal. Débuté aux portes de la pandémie, ce chantier a permis d’augmenter le bonheur au travail de nos pharmaciens (selon les résultats de sondages internes). Bien qu’il soit difficile d’établir le lien de causalité, nous croyons que cette culture a eu des bienfaits tangibles et intangibles sur la santé mentale de nos 85 pharmaciens. Ainsi, en 2020 et en 2021, nous n’avons eu aucune maladie pour des raisons de santé mentale, et notre taux de roulement était inférieur à 5 %.

Par où commencer? Il faut d’abord croire aux bienfaits du bonheur au travail et accepter de nouvelles avenues en dehors du milieu pharmaceutique souvent aseptisé par les politiques et procédures. Les gestionnaires doivent s’intéresser davantage aux membres de leur équipe et comprendre leurs besoins en faisant preuve d’ouverture et d’écoute. De leur côté, les employés doivent clarifier leurs besoins et leurs attentes. Une réflexion sur plusieurs enjeux (p. ex. : horaire, charge de travail, reconnaissance, etc.) doit être amorcée en plaçant l’employé au centre des priorités avec le patient. La communication est fondamentale au moment de mettre en œuvre ces changements. Le droit à l’erreur et le partage d’expérience permettent une gestion plus participative. En parallèle à toutes ces étapes, le gestionnaire doit poursuivre un travail sur lui-même afin de développer ses habiletés relationnelles, son empathie et sa capacité d’écoute. La littérature mentionne aussi une augmentation de la détresse psychologique chez les gestionnaires6. Pour prendre soin des autres, il faut d’abord prendre soin de soi.

Comment cultiver le bonheur? En raison du caractère unique de notre centre hospitalier, certaines solutions ne sont probablement pas transposables à d’autres milieux, mais la réflexion autour de ces enjeux doit demeurer. L’atteinte de la conciliation travail-vie personnelle, importante pour les employés, passe généralement par l’individualisation de l’horaire et par le télétravail. Un an après le début de la pandémie, nous avons constaté une hausse du nombre de demandes de congé sans solde à temps complet et partiel de la part des pharmaciens. Ce besoin grandissant, observé principalement chez nos jeunes pharmaciens, exprime le désir de ces derniers de passer plus de temps avec leurs familles et amis. Et pour cause, les pharmaciens mentionnent que la diminution de la vie sociale constitue la principale raison de l’augmentation du stress et de l’anxiété1. En plus, certains postes de travail sans soins directs aux patients devraient être adaptés pour permettre les horaires atypiques ou le télétravail.

Un accroissement de la charge de travail a été signalé par 71 % des répondants dans l’étude de Vaillancourt et Marceau1. L’offre de services et de soins pharmaceutiques devrait être réévaluée afin de prendre en compte cette réalité et d’éviter le temps supplémentaire en clinique. D’autres pistes de solution intéressantes sont proposées par le ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité dans un récent guide sur la mise en œuvre d’un programme de qualité de vie au travail3.

À l’heure où les entreprises québécoises se réinventent en réponse à la pénurie de main-d’œuvre, pourquoi les départements de pharmacie feraient-ils exception? Le bonheur, tout le monde en parle, mais peu montrent l’exemple. Garder nos assistants techniques, notre personnel de soutien et nos pharmaciens en bonne santé mentale n’a jamais été aussi important que maintenant. Quand on sait que l’on passe de 30 % à 35 % de notre vie au travail, on se rend compte que le travail doit être mis dans l’équation menant à la quête du bonheur : bonheur = joie ressentie x temps accordé7.

Financement

Les auteurs n’ont déclaré aucun financement lié au présent article.

Conflits d’intérêts

Tous les auteurs ont soumis le formulaire de l’ICMJE pour la divulgation de conflits d’intérêts potentiels. Les auteurs n’ont déclaré aucun autre conflit d’intérêts lié à cet article.

Références

1. Vaillancourt A, Marceau N. Évaluation des effets de la pandémie de COVID-19 sur la santé mentale et physique des pharmaciens d’établissements de santé du Québec, Pharmactuel 2022;55:161–9.

2. Royal Pharmaceutical Society. Workforce wellbeing: mental health and wellbeing survey 2021. [en ligne] https://www.rpharms.com/recognition/all-our-campaigns/workforce-wellbeing (site visité le 30 mai 2022).

3. Gouvernement du Québec. Favoriser le mieux-être : Guide d’implantation d’un programme de qualité de vie au travail. 2022, ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale. [en ligne] https://www.travail.gouv.qc.ca/fileadmin/fichiers/Documents/Evolution_cond_travail_Qc/GM_qvt_MTESS.pdf (site visité le 7 juin 2022).

4. Morin E. Sens du travail, santé mentale au travail et engagement organisationnel, 2008, Rapport R-543, IRSST. [en ligne] https://www.irsst.qc.ca/media/documents/PubIRSST/R-543.pdf?v=2022-06-07 (site visité le 7 juin 2022).

5. Herberg F. One more time–How do you motivate employees, Harvard Business Review. 2003. [en ligne] https://hbr.org/2003/01/one-more-time-how-do-you-motivate-employees (site visité le 30 mai 2022).

6. Dépatie I. Cadres épuisés par la pandémie : comment les aider ? Revue Gestion HEC; 2022.

7. Chalifoux B. Être à son meilleur : l’incroyable pouvoir des habiletés relationnelles. Montréal : Éditions Édito; 2020. 260 p.


Pour toute correspondance: Jean-Philippe Adam, Centre hospitalier universitaire de Montréal, 1050, rue Sanguinet, Montréal (Québec) H2X 0C1, CANADA; Téléphone : 514 890-8000, poste 34648; Courriel : jean-philippe.adam.chum@ssss.gouv.qc.ca

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PHARMACTUEL, Vol. 55, No. 3, 2022