Le retour du prasugrel : comparaison du ticagrélor et du prasugrel contre le syndrome coronarien aigu

Dang Uyen-Mi Vo*1,2, Pharm.D., Sara Bassili*1,3, Pharm.D., Sarah Abou Haidar1,4, Pharm.D., Fanny Ferrara1,5, Pharm.D., Julien Quang Le Van6, B. Pharm, M.Sc ., BCCP

1Candidate au Pharm.D. au moment de la rédaction, Faculté de pharmacie, Université de Montréal, Montréal (Québec) Canada;
2Pharmacienne, Pharmacie Sylvain Goudreault, Montréal (Québec) Canada;
3Pharmacienne, Pharmacie May Balian et Emad Gabra S.E.N.C.R.L., Saint-Laurent (Québec) Canada;
4Pharmacienne, Pharmacie Martin Touchette et Massimiliano Tantalo, Gatineau (Québec) Canada;
5Pharmacienne, Pharmacie Raymond Beaucaire, Montréal (Québec) Canada;
6Pharmacien, Institut de Cardiologie de Montréal, Montréal (Québec) Canada
*Dang Uyen-Mi Vo et Sara Bassili ont contribué de façon équivalente à la rédaction de cet article.

Reçu le 7 septembre 2022; Accepté après révision par les pairs le 23 février 2023

Titre: Ticagrelor or prasugrel in patients with acute coronary syndromes. N Engl J Med 2019;381:1524–341.

Auteurs: Schüpke S, Neumann FJ, Menichelli M, Mayer K, Bernlochner I, Wöhrle J et coll.

Commanditaires: Le German Centre for Hearth Research et le Deutsches Herzzentrum München.

Cadre de l’étude: Au Canada, la cause première de mortalité, après les tumeurs malignes, est la maladie cardiovasculaire, plus précisément la cardiopathie ischémique2,3. Le double traitement antiplaquettaire est une des pierres angulaires de la prise en charge des patients présentant un syndrome coronarien aigu4. Parmi l’arsenal thérapeutique antiplaquettaire, on trouve les inhibiteurs du récepteur P2Y12, comme le clopidogrel, le prasugrel et le ticagrélor. Jusqu’à tout récemment, aucune étude contrôlée à répartition aléatoire de grande envergure n’avait comparé le ticagrélor au prasugrel, mais plusieurs études ont comparé le clopidogrel au prasugrel et au ticagrélor, respectivement510. Ces études ont montré une efficacité supérieure du ticagrélor et du prasugrel en comparaison du clopidogrel pour diminuer le risque d’accidents cardiovasculaires majeurs6,7,9. L’étude ISAR-REACT 5 avait pour but d’évaluer l’efficacité et l’innocuité de deux approches de traitement pour des patients présentant un syndrome coronarien aigu : l’une avec le ticagrélor et l’autre, avec le prasugrel.

Protocole de recherche: Il s’agit d’une étude ouverte de phase 4, à répartition aléatoire et multicentrique. Une taille d’échantillon d’au moins 1895 patients a été calculée pour arriver à détecter une diminution du risque relatif de l’incidence du critère d’évaluation principal de 22,5 % dans le groupe ticagrélor comparativement au groupe prasugrel avec une puissance de 80 %. Ce nombre a ensuite été porté à 4000 pour prendre en compte les pertes au suivi et pour compenser l’effet de la censure des données de ces patients. Les patients étaient répartis aléatoirement dans un ratio de 1:1, stratifié en fonction de chaque lieu de recherche et du tableau clinique (syndrome coronarien aigu avec ou sans élévation du segment ST), dans un des deux groupes de traitement évalués en parallèle. Toutes les analyses statistiques étaient menées en intention de traiter. Pour le critère d’évaluation secondaire d’innocuité, une analyse en intention de traiter modifiée a été effectuée. Elle incluait tous les patients ayant reçu au moins une dose du médicament étudié et ayant été évalués pour l’incidence de saignements jusqu’à sept jours après l’arrêt du médicament.

Patients: Les patients inclus dans l’étude étaient des adultes hospitalisés pour un infarctus aigu du myocarde (IAM) avec élévation du segment ST ou un syndrome coronarien aigu (SCA) sans élévation du segment ST (angine instable ou IAM sans élévation du segment ST), chez qui une méthode effractive, comme une angiographie coronarienne, était prévue. Les critères d’exclusion ont été établis en fonction des contre-indications énoncées par les fabricants des médicaments à l’étude, comme les saignements actifs, les antécédents d’accidents ischémiques transitoires (AIT), d’accidents vasculaires cérébraux (AVC) ou de saignements intracrâniens, un taux d’hémoglobine inférieur à 100 g/L, une numération des plaquettes inférieure à 100/μL et la prise d’un anticoagulant oral qui ne peut être cessé11,12.

Tableau I Critères d’inclusion et d’exclusion

Interventions: Les patients du groupe prasugrel ont reçu une dose de charge de 60 mg, suivie d’une dose de maintien de 10 mg à raison d’une fois par jour. Le délai avant l’instauration de la dose de charge de prasugrel dépendait du tableau clinique : les patients présentant un IAM avec élévation du segment ST ont reçu la dose de charge de prasugrel dès que possible après la répartition aléatoire tandis que ceux ayant un SCA sans élévation du segment ST l’ont eu après l’angiographie visant à évaluer l’anatomie coronarienne avant l’intervention coronarienne percutanée, c’est-à-dire avant que le fil du guide franchisse l’occlusion ou la sténose. La dose de maintien de prasugrel était réduite à 5 mg, une fois par jour, selon les recommandations actuelles pour les patients de 75 ans ou plus ou pesant moins de 60 kg. Les patients du groupe ticagrélor ont reçu une dose de charge de 180 mg dès que possible après la répartition aléatoire, suivie d’une dose de maintien de 90 mg, deux fois par jour. Des suivis cliniques ont été effectués à 30 jours, à six mois et à 12 mois par téléphone, à l’hôpital ou en clinique ambulatoire ou encore par correspondance écrite structurée.

Points évalués: Le critère d’évaluation principal d’efficacité était une combinaison des décès toutes causes confondues, d’infarctus du myocarde (IM) ou d’AVC un an après la répartition aléatoire. Les critères d’efficacité secondaires évalués étaient les paramètres individuels du critère d’évaluation principal après un an ainsi que l’incidence de thromboses probables ou confirmées liées à l’endoprothèse coronarienne après un an. Le critère secondaire d’innocuité était l’incidence de saignements de stade 3, 4 ou 5 selon l’échelle du Bleeding Academic Research Consortium (BARC). Les objectifs évalués ont été révisés par un comité décisionnaire à l’insu du traitement.

Résultats: L’étude a été menée de septembre 2013 à février 2018 dans 21 centres en Allemagne et deux en Italie. Parmi les 8434 patients initialement évalués en vue de l’admissibilité à l’étude, 4018 patients ont été répartis aléatoirement soit dans le groupe ticagrélor (n = 2012), soit dans le groupe prasugrel (n = 2006). Les caractéristiques de base des patients étaient similaires dans les deux groupes en ce qui concerne l’âge (environ 64 ans), le sexe (23,8 % de femmes), l’indice de masse corporelle (27,8 kg/m2) et les facteurs de risque cardiovasculaire. Ces derniers incluaient le diabète (environ 22 %), l’hypertension artérielle (environ 70 %), le tabagisme (environ 34 %), la dyslipidémie (environ 58 %) et les antécédents médicaux, dont l’infarctus du myocarde (environ 16 %), l’intervention coronarienne percutanée (environ 23 %) et le pontage aorto-coronarien (environ 6 %). Le diagnostic soupçonné à l’admission était un infarctus aigu du myocarde avec élévation du segment ST (41,1 % des cas) ou sans élévation du segment ST (46,2 %) ou une angine instable (12,7 %), la répartition étant similaire dans les deux groupes. Quant à la stratégie médicale choisie, 84,1 % des patients ont subi une intervention coronarienne percutanée (83,4 % dans le groupe ticagrélor et 84,8 % dans le groupe prasugrel) et 2,1 %, un pontage aorto-coronarien (2,3 % vs 1,8 %).

Au congé, 81,1 % des patients du groupe ticagrélor recevaient le médicament leur ayant été attribué de manière aléatoire contre 80,7 % des patients du groupe prasugrel. Au suivi d’un an, 15,2 % des patients du groupe ticagrélor et 12,5 % des patients du groupe prasugrel avaient cessé leur antiplaquettaire (valeur de p = 0,03), surtout à cause des effets indésirables, de la non-adhésion au traitement ou de l’instauration d’un traitement anticoagulant. L’effet indésirable principal dans les deux groupes était l’hémorragie : 44 patients dans le groupe ticagrélor contre 35 dans le groupe prasugrel. La présence de dyspnée a aussi été un motif indiqué, particulièrement chez les patients prenant le ticagrélor (44 contre un pour le prasugrel). Les données de suivi à un an étaient manquantes pour 41 patients du groupe ticagrélor (22 retraits de consentement, 19 pertes au suivi) et 49 patients du groupe prasugrel (31 retraits de consentement, 18 pertes au suivi).

Le critère d’évaluation principal a été observé chez 184 sujets du groupe ticagrélor et 137 du groupe prasugrel (9,3 % vs 6,9 %, risque relatif instantané [RRI] : 1,36; intervalle de confiance à 95 % [IC 95 %] : 1,09–1,70, p = 0,006). Cette différence s’explique possiblement entre autres par une diminution du risque d’infarctus du myocarde chez 96 patients du groupe ticagrélor et 60 patients du groupe prasugrel (4,8 % vs 3,0 %, RRI : 1,63; IC 95 % : 1,18–2,25). Le taux de mortalité toutes causes confondues à un an était de 4,5 % dans le groupe ticagrélor et de 3,7 % dans le groupe prasugrel (RRI : 1,23; IC 95 % : 0,91–1,68). Aucune différence statistiquement significative n’a été constatée pour l’incidence d’AVC ou pour les thromboses liées aux endoprothèses.

En ce qui concerne le critère secondaire d’innocuité, l’incidence de saignements de stade 3, 4 ou 5 selon l’échelle BARC était comparable dans les deux groupes selon l’analyse en intention de traiter modifiée. Ces saignements ont été observés chez 95 des 1989 patients (5,4 %) du groupe ticagrélor et 80 des 1773 patients (4,8 %) du groupe prasugrel (RRI : 1,12; IC 95 % : 0,83–1,51, p = 0,46). Les résultats demeurent semblables dans l’analyse en intention de traiter.

Tableau II Résultats des objectifs primaires et secondaires évalués à un an

Grille d’évaluation critique


Discussion

L’étude ISAR-REACT 5 a montré la supériorité de prasugrel sur le ticagrélor pour ce qui est du critère d’évaluation principal (association de décès, d’infarctus du myocarde et d’AVC) à un an chez les patients traités par une méthode effractive pour un syndrome coronarien aigu (6,9 % vs 9,3 %, p = 0,006). Le nombre de patients à traiter (NNT) était de 42. Cette diminution du risque pour le critère principal s’explique surtout par une baisse du risque d’infarctus du myocarde dans le groupe prasugrel par rapport au groupe ticagrélor, peu importe le tableau clinique du patient. De plus, cette supériorité du prasugrel n’est pas liée à une augmentation du risque de saignements majeurs. Il est intéressant de noter qu’au début de l’étude, étant donné les données probantes existantes, les chercheurs ont supposé que le ticagrélor était supérieur au prasugrel pour le traitement du syndrome coronarien aigu.

L’étude ISAR-REACT 5 est le premier essai clinique à répartition aléatoire d’envergure comparant directement le prasugrel au ticagrélor. Ces molécules ont aussi été comparées dans l’étude contrôlée à répartition aléatoire PRAGUE-18, publiée en 2018, et leur efficacité était similaire13. Par contre, les résultats de cette étude n’étaient pas concluants en raison de la petite taille de l’échantillon13. Par ailleurs, plusieurs études rétrospectives ont conclu à la non-infériorité du prasugrel, voire à sa supériorité au ticagrélor, sauf une menée par Dawwas et coll., qui a révélé la supériorité du ticagrélor tant sur le plan de l’efficacité que de l’innocuité1417. Une grande partie des données sur les bienfaits de ces médicaments dans le traitement du syndrome coronarien aigu provient d’études comparant le ticagrélor ou le prasugrel au clopidogrel7,10. Quelques études ont tenté d’expliquer la supériorité du prasugrel sur le clopidogrel et le ticagrélor8,1820. Selon une théorie, le prasugrel entraînerait une inhibition plus forte et une variation moindre des récepteurs P2Y128,1820. Une autre évoque plutôt une amélioration de la fonction endothéliale et une diminution des marqueurs d’inflammation avec le prasugrel dans le traitement d’un IAM sans élévation du segment ST18. Par contre, cet avantage ne serait présent qu’avec un prétraitement par le prasugrel avant une intervention coronarienne percutanée, ce qui n’est pas la stratégie utilisée dans l’étude ISAR-REACT 518. En effet, l’étude ACCOAST a révélé que le prétraitement par le prasugrel n’est pas supérieur à un traitement différé par cet antiplaquettaire et est associé à un risque accru de complications hémorragiques21.

L’analyse en intention de traiter permet de maintenir la répartition des caractéristiques initialement faite de façon aléatoire et représente davantage la vraie vie puisque la non-adhésion et l’abandon de traitement sont des réalités en pratique. Ce type d’analyse diminue donc le risque de biais d’attrition. Seule l’analyse du critère secondaire (incidence de saignements majeurs) était effectuée en intention de traiter modifiée et incluait tous les patients ayant reçu au moins une dose du médicament à l’étude et ayant été évalués pour l’incidence de saignements jusqu’à sept jours après l’abandon, en plus de l’analyse en intention de traiter. Si l’écart dans la proportion de patients ayant cessé leur antiplaquettaire (12,5 % dans le groupe prasugrel vs 15,2 % dans le groupe ticagrélor) avait été considéré, une analyse des taux de saignements par patient-année aurait pu relever davantage de différences dans les deux groupes.

La validité interne de l’essai est adéquate, les caractéristiques démographiques et cliniques des deux groupes de patients répartis aléatoirement étant similaires. La répartition selon le diagnostic soupçonné à l’admission (IAM avec ou sans élévation du segment ST ou angine instable) était similaire dans les deux groupes étant donné que, lors de l’affectation aléatoire, les patients étaient stratifiés selon leur tableau clinique à l’admission.

En ce qui concerne les pertes au suivi, les données à un an étaient similaires dans les deux groupes. Les caractéristiques de base des patients perdus au suivi étaient comparables à celles des patients dont les données de suivi à un an étaient complètes. Ces résultats diminuent le risque de biais d’attrition.

Enfin, le protocole de recherche a permis de comparer non seulement deux molécules, mais aussi deux stratégies de traitement basées sur les recommandations en vigueur au moment de l’étude : une comportant une dose de charge d’antiplaquettaire en prétraitement et l’autre sans traitement préalable22,23. En effet, même avec un plus grand délai entre la répartition aléatoire et le début de l’antiplaquettaire dans le groupe prasugrel (61 minutes contre 6), une réduction du risque pour le critère d’évaluation principal a été observée. En d’autres mots, cette étude montre que la stratégie de retarder l’instauration du prasugrel après l’angiographie coronarienne permet de diminuer les risques d’ischémie et possiblement les risques de saignements associés à un prétraitement antiplaquettaire comparativement au ticagrélor donné le plus tôt possible après le diagnostic de syndrome coronarien aigu. Ces données concordent avec les résultats provenant d’autres études, dont l’étude ACCOAST21,24.

Parmi les limites de l’étude, mentionnons qu’elle n’a pas été effectuée à double insu, ce qui augmente la possibilité d’un biais d’information. Par contre, l’évaluation des critères d’évaluation a été faite à l’insu, ce qui réduit le risque de biais de détection.

De plus, au congé de l’hôpital, environ 19 % des patients ne prenaient plus le médicament leur ayant été assigné au début de l’étude. À noter que la proportion de patients ayant arrêté le médicament assigné était semblable dans les deux groupes et que le critère principal était analysé en intention de traiter. Au suivi d’un an, 243 patients (15,2 %) du groupe ticagrélor et 199 patients (12,5 %) du groupe prasugrel ont cessé le traitement (p = 0,03). Il y a eu 19 et 18 pertes au suivi respectivement dans chaque groupe (0,94 % vs 0,90 %), soit un résultat semblable à ceux de l’étude TRITON-TIMI 38 (0,10 %)7. Enfin, 32,5 % des patients du groupe ticagrélor et 30,4 % de ceux du groupe prasugrel ont été inclus dans l’analyse en intention de traiter même s’ils n’avaient pas continué la prise du ticagrélor ou du prasugrel pendant un an. Il est important de noter que cette différence significative entre les deux groupes pourrait favoriser le groupe prasugrel étant donné qu’une plus grande proportion de patients a cessé le ticagrélor. Outre le retrait volontaire par le médecin traitant, les raisons principales de l’arrêt du ticagrélor étaient la dyspnée et les saignements. Quant au prasugrel, l’effet indésirable le plus commun était les saignements.

Les suivis, y compris l’évaluation des accidents cardiovasculaires, étaient faits principalement par téléphone (83 %), au cours d’une visite ambulatoire (10 %) ou de l’anamnèse (7 %). Le taux de non-adhésion de cette étude était de 0,9 % dans le groupe prasugrel contre 0,4 % dans le groupe ticagrélor. Cependant, aucune méthode objective pour évaluer l’adhésion n’a été utilisée. Ces taux sont possiblement sous-estimés.

L’étude ayant été menée surtout en Allemagne, le contexte relatif au prix des médicaments n’est pas forcément applicable au Québec. En effet, les patients allemands ne paient qu’au plus 10 euros par ordonnance, ce qui diffère grandement de la réalité québécoise25,26. En comparaison, le taux d’inobservance dans l’étude PLATO était de 17,2 %, ce qui semble plus réaliste10.

Dans l’analyse en intention de traiter modifiée du critère d’évaluation secondaire d’innocuité, plus de patients ont été exclus du groupe prasugrel que du groupe ticagrélor (11,6 % vs 1,1 %). Cette disparité peut s’expliquer par les diverses stratégies de prétraitement des deux groupes et par le fait que l’analyse était effectuée sur tous les patients ayant reçu au moins une dose du médicament assigné. Étant donné que la stratégie avec le ticagrélor comportait une dose de charge donnée plus précocement, plus de patients dans ce groupe ont reçu au moins une dose du médicament assigné comparativement au groupe prasugrel. Cet écart peut induire un biais de sélection et pourrait indiquer que le prasugrel présente un profil d’innocuité semblable au ticagrélor en ce qui a trait aux saignements majeurs.

La population étudiée a des similarités avec la population québécoise atteinte d’un syndrome coronarien aigu : moyenne d’âge supérieure à 60 ans, prévalence de maladies concomitantes telles que le diabète et l’hypertension, population vivant dans des pays développés d’Occident (Allemagne et Italie)27,28. Par contre, la validité externe n’est pas optimale, et l’application de l’étude à la population générale est à remettre en question. La population étudiée provient majoritairement d’Allemagne, avec une disproportion entre les centres sélectionnés (21 centres en Allemagne et deux centres en Italie), et l’origine ethnique des patients étudiés n’est pas mentionnée. Les patients ayant des antécédents d’AVC, d’AIT ou d’hémorragie intracrânienne ou encore présentant des saignements actifs étaient exclus de l’étude puisqu’il s’agit de contre-indications à l’utilisation du prasugrel11. De même, plus de 80 % de la population étudiée a subi une intervention coronarienne percutanée. L’étude s’applique donc moins bien aux patients traités pour un IAM sans élévation du segment ST avec une intervention non effractive ou un pontage aorto-coronarien4,11,22.

Il faut noter qu’en novembre 2019, Eli Lilly Canada a annoncé la fin de l’entente de distribution avec Daiichi Sankyo et l’arrêt de la commercialisation du prasugrel (EffientMD) au Canada29. Cette décision a limité l’application en clinique des résultats de l’étude ISAR-REACT 5. Cependant, en raison de la fin du brevet de l’EffientMD, le prasugrel est maintenant commercialisé sous forme générique, notamment par la compagnie JAMP Pharma, et se trouve de nouveau sur les tablettes des pharmacies d’officine depuis mai 202111,30. Ainsi, le prasugrel peut faire sa place au sein de l’arsenal thérapeutique du syndrome coronarien aigu. Depuis la publication de cette étude en 2019, le seul regroupement d’experts en cardiologie ayant mis à jour leurs recommandations sur le syndrome coronarien aigu est la Société européenne de cardiologie en 2020, avec la publication des lignes directrices sur la prise en charge des patients atteints d’un tel syndrome sans élévation du segment ST4. Dans cette mise à jour, les résultats de l’étude ISAR-REACT 5 ont servi de référence pour recommander le prasugrel de préférence au ticagrélor aux patients présentant un syndrome coronarien aigu sans élévation du segment ST pris en charge par une intervention coronarienne percutanée4.

Conclusion

L’étude ISAR-REACT 5 a révélé que le prasugrel est supérieur au ticagrélor pour diminuer le risque de décès, d’infarctus du myocarde et d’AVC au bout d’un an chez les patients traités par une intervention effractive après un syndrome coronarien aigu. L’incidence de ces événements était réduite chez les patients prenant du prasugrel après un tel syndrome avec ou sans élévation du segment ST, particulièrement sur le plan de l’incidence d’infarctus du myocarde, sans augmentation du risque de saignements. L’étude comparait deux approches thérapeutiques et a ainsi montré la supériorité du prasugrel après une angiographie coronarienne diagnostique comparativement au ticagrélor en prétraitement, l’approche recommandée dans les lignes directrices européennes de 20204. Malgré ses quelques limites, l’influence de cet essai clinique sur la pratique et les lignes directrices courantes est considérable. Le prasugrel devrait être l’inhibiteur du récepteur P2Y12 préconisé dans le traitement antiplaquettaire du syndrome coronarien aigu chez les patients ayant subi une intervention coronarienne percutanée. Par contre, d’autres études sont nécessaires pour évaluer les bienfaits du prasugrel dans d’autres situations, notamment après un pontage aorto-coronarien ou un traitement conservateur.

Remerciements

Cet article a été écrit dans le cadre du cours « Activité d’intégration 6 » de la Faculté de pharmacie de l’Université de Montréal. Les auteurs tiennent à remercier les responsables du cours.

Financement

Les auteurs n’ont déclaré aucun financement lié au présent article.

Conflits d’intérêts

Les auteurs ont soumis le formulaire de l’ICMJE pour la divulgation de conflits d’intérêts potentiels. Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts lié au présent article.

Références

1. Schüpke S, Neumann FJ, Menichelli M, Mayer K, Bernlochner I, Wöhrle J et al. Ticagrelor or prasugrel in patients with acute coronary syndromes. N Engl J Med 2019;381:1524–34.
cross-ref  pubmed

2. Statistique Canada. Les principales causes de décès, population totale, selon le groupe d’âge. [en ligne] https://www150.statcan.gc.ca/t1/tbl1/fr/tv.action?pid=1310039401 (site visité le 26 janvier 2023).

3. Statistique Canada. Décès, selon la cause, Chapitre IX : maladies de l’appareil circulatoire (I00 à I99). [en ligne] https://www150.statcan.gc.ca/t1/tbl1/fr/tv.action?pid=1310014701 (site visité le 26 janvier 2023).

4. Collet JP, Thiele H, Barbato E, Barthélémy O, Bauersachs J, Bhatt DL et al. 2020 ESC Guidelines for the management of acute coronary syndromes in patients presenting without persistent ST-segment elevation: The Task Force for the management of acute coronary syndromes in patients presenting without persistent ST-segment elevation of the European Society of Cardiology (ESC). Eur Heart J 2021;42: 1289–367.
cross-ref

5. Bundhun PK, Shi JX, Huang F. Head to head comparison of prasugrel versus ticagrelor in patients with acute coronary syndrome: a systematic review and meta-analysis of randomized trials. BMC Pharmacol Toxicol 2017;18:80.
cross-ref  pubmed  

6. Roe MT, Armstrong PW, Fox KA, White HD, Prabhakaran D, Goodman SG et al. Prasugrel versus clopidogrel for acute coronary syndromes without revascularization. N Engl J Med 2012;367:1297–309.
cross-ref  pubmed

7. Wiviott SD, Braunwald E, McCabe CH, Montalescot G, Ruzyllo W, Gottlieb S et al. Prasugrel versus clopidogrel in patients with acute coronary syndromes. N Engl J Med 2007;357:2001–15.
cross-ref  pubmed

8. Wiviott SD, Trenk D, Frelinger AL, O’Donoghue M, Neumann FJ, Michelson AD et al. Prasugrel compared with high loading- and maintenance-dose clopidogrel in patients with planned percutaneous coronary intervention: the prasugrel in comparison to clopidogrel for inhibition of platelet activation and aggregation-thrombolysis in myocardial infarction 44 trial. Circulation 2007;116:2923–32.
cross-ref  pubmed

9. Wiviott SD, Antman EM, Winters KJ, Weerakkody G, Murphy SA, Behounek BD et al. Randomized comparison of prasugrel (CS-747, LY640315), a novel thienopyridine P2Y12 antagonist, with clopidogrel in percutaneous coronary intervention: results of the joint utilization of medications to block platelets optimally (JUMBO)-TIMI 26 trial. Circulation 2005;111: 3366–73.
cross-ref  pubmed

10. Wallentin L, Becker RC, Budaj A, Cannon CP, Emanuelsson H, Held C et al. Ticagrelor versus clopidogrel in patients with acute coronary syndromes. N Engl J Med 2009;361:1045–57.
cross-ref  pubmed

11. JAMP Pharma Corporation. Monographie de produit : JAMP Prasugrel. [en ligne] https://pdf.hres.ca/dpd_pm/00057293.PDF (site visité le 17 janvier 2023).

12. AstraZeneca Canada Inc. Monographie de produit : Ticagrélor (Brilinta). [en ligne] https://www.astrazeneca.ca/content/dam/az-ca/frenchassets/Ourmedicines/brilinta-product-monograph-fr.pdf (site visité le 17 janvier 2023).

13. Motovska Z, Hlinomaz O, Miklik R, Hromadka M, Varvarovsky I, Dusek J et al. Prasugrel versus ticagrelor in patients with acute myocardial infarction treated with primary percutaneous coronary intervention: multicenter randomized PRAGUE-18 study. Circulation 2016;134:1603–12.
cross-ref  pubmed

14. Effron MB, Nair KV, Molife C, Keller SY, Page RL 2nd, Simeone JC et al. One-year clinical effectiveness comparison of prasugrel with ticagrelor: results from a retrospective observational study using an integrated claims database. Am J Cardiovasc Drugs 2018;18:129–41.
cross-ref

15. Larmore C, Effron MB, Molife C, DeKoven M, Zhu Y, Lu J et al. “Real-world” comparison of prasugrel with ticagrelor in patients with acute coronary syndrome treated with percutaneous coronary intervention in the United States. Catheter Cardiovasc Interv 2016;88:535–44.
cross-ref  pubmed  

16. De Filippo O, Cortese M, D Ascenzo F, Raposeiras-Roubin S, Abu-Assi E, Kinnaird T et al. Real-world data of prasugrel vs. ticagrelor in acute myocardial infarction: results from the RENAMI registry. Am J Cardiovasc Drugs 2019; 19:381–91.
cross-ref  pubmed

17. Dawwas GK, Dietrich E, Winchester DE, Winterstein AG, Segal R, Park H. Comparative effectiveness and safety of ticagrelor versus prasugrel in patients with acute coronary syndrome: a retrospective cohort analysis. Pharmacotherapy 2019;39:912–20.
cross-ref  pubmed

18. Schnorbus B, Daiber A, Jurk K, Warnke S, Koenig J, Lackner KJ et al. Effects of clopidogrel vs. prasugrel vs. ticagrelor on endothelial function, inflammatory parameters, and platelet function in patients with acute coronary syndrome undergoing coronary artery stenting: a randomized, blinded, parallel study. Eur Heart J 2020;41:3144–52.
cross-ref  pubmed

19. Wallentin L, Varenhorst C, James S, Erlinge D, Braun OO, Jakubowski JA et al. Prasugrel achieves greater and faster P2Y12 receptor-mediated platelet inhibition than clopidogrel due to more efficient generation of its active metabolite in aspirin-treated patients with coronary artery disease. Eur Heart J 2008;29:21–30.
cross-ref

20. Jernberg T, Payne CD, Winters KJ, Darstein C, Brandt JT, Jakubowski JA et al. Prasugrel achieves greater inhibition of platelet aggregation and a lower rate of non-responders compared with clopidogrel in aspirin-treated patients with stable coronary artery disease. Eur Heart J 2006;27:1166–73.
cross-ref  pubmed

21. Montalescot G, Bolognese L, Dudek D, Goldstein P, Hamm C, Tanguay JF et al. Pretreatment with prasugrel in non-ST-segment elevation acute coronary syndromes. N Engl J Med 2013; 369:999–1010.
cross-ref  pubmed

22. Amsterdam EA, Wenger NK, Brindis RG, Casey DE Jr, Ganiats TG, Holmes DR Jr et al. 2014 AHA/ACC guideline for the management of patients with non-ST-elevation acute coronary syndromes: a report of the American College of Cardiology/American Heart Association Task Force on practice guidelines. J Am Coll Cardiol 2014;64:e139–e228.
cross-ref  pubmed

23. Neumann FJ, Sousa-Uva M, Ahlsson A, Alfonso F, Banning AP, Benedetto U et al. 2018 ESC/EACTS guidelines on myocardial revascularization. Eur Heart J 2019;40:87–165.
cross-ref

24. Dworeck C, Redfors B, Angerås O, Haraldsson I, Odenstedt J, Ioanes D et al. Association of pretreatment with P2Y12 receptor antagonists preceding percutaneous coronary intervention in non-ST-segment elevation acute coronary syndromes with outcomes. JAMA Netw Open 2020;3:e2018735.
cross-ref  pubmed  

25. Wenzl M, Paris V. Pharmaceutical reimbursement and pricing in Germany. [en ligne] https://www.oecd.org/els/health-systems/Pharmaceutical-Reimbursement-and-Pricing-in-Germany.pdf (site visité le 17 janvier 2023).

26. Régie de l’assurance maladie. Connaître les conditions de couverture du régime. [en ligne] https://www.ramq.gouv.qc.ca/fr/citoyens/assurance-medicaments/connaitre-conditions-couverture-regime (site visité le 17 janvier 2023).

27. Blais C, Rochette L. Portrait de l’ensemble des maladies vasculaires au Québec : prévalence, incidence et mortalité. [en ligne] https://www.inspq.qc.ca/sites/default/files/publications/2446_portrait_maladies_vasculaires.pdf (site visité le 17 janvier 2023).

28. Blais B, Lambert L, Hamel D, Brown K, Rinfret S, Cartier R et al. Évaluation des soins et surveillance des maladies cardiovasculaires : pouvons-nous faire confiance aux données médico-administratives hospitalières ? [en ligne] https://www.inspq.qc.ca/sites/default/files/publications/1558_evalsoinssurvmalcardiovasc_donneesmedicoadminhosp.pdf (site visité le 17 janvier 2023).

29. Pénuries de médicaments Canada. Rapport de cessation de vente Effient. [en ligne] https://www.penuriesdemedicamentscanada.ca/discontinuance/99698 (site visité le 11 juin 2021).

30. Gouvernement du Canada. Renseignements sur le produit : JAMP Prasugrel. [en ligne] https://produits-sante.canada.ca/dpd-bdpp/info?lang=fre&code=99200#fn1 (site visité le 26 janvier 2023).


Pour toute correspondance : Julien Quang Le Van, Institut de Cardiologie de Montréal, 5000, rue Bélanger, Montréal (Québec) H1T 1C8, CANADA; Téléphone : 514 376-3330, poste 3510; Courriel : julienquang.levan@icm-mhi.org

(Return to Top)


PHARMACTUEL, Vol. 56, No. 3, 2023