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Évaluation d’un nouvel outil informatisé pour repérer et prendre en charge les patients âgés vulnérables aux effets des médicaments à l’Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec–Université Laval

Joëlle Flamand Villeneuve1, B.Pharm., M.Sc, Julie Boisvert1, B.Pharm., M.Sc., Julie Racicot1-3, B.Pharm., M.Sc.

1Pharmacienne, Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec–Université Laval, Québec (Québec) Canada;
2Chef du département de pharmacie, Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec–Université Laval, Québec (Québec) Canada;
3Professeure de clinique, Faculté de pharmacie, Université Laval, Québec (Québec) Canada

Reçu le 23 janvier 2023; Accepté après révision le 19 septembre 2023

Résumé

Objectif: Tester l’utilisation d’un nouvel outil clinique développé à partir du logiciel GesphaRx détectant la présence concomitante de l’âge avancé (75 ans et plus) et de la prise de médicaments potentiellement inappropriés avec certaines maladies ou situations cliniques afin de repérer et de prendre en charge les problèmes pharmacologiques des patients âgés vulnérables aux effets des médicaments.

Méthode: Évaluation de l’outil pendant huit jours non consécutifs dans tous les secteurs cliniques, sauf aux soins intensifs, à l’urgence et à l’unité de soins de courte durée gériatrique, et prise en charge des problèmes pharmacologiques ciblés au moins par la revue du dossier GesphaRx et par celle du dossier médical, au besoin.

Résultats: L’âge moyen des patients inclus dans l’étude était de 83,5 ans. En tout, l’outil a détecté 52 problèmes pharmacologiques potentiels chez 34 patients, pour une moyenne de 1,5 problème par patient. La prise d’un médicament potentiellement inapproprié représentait 34,6 % de tous les problèmes pharmacologiques détectés. Après l’analyse pharmacologique des dossiers médicaux de 22 patients, 20 d’entre eux (90,9 %) ont pu bénéficier d’une intervention pharmacologique.

Conclusion: Le nouvel outil aide à repérer les personnes âgées susceptibles de présenter des réactions indésirables aux médicaments et à cibler les éléments potentiellement problématiques auxquels le pharmacien clinicien doit s’attarder dans les unités de soins autres que les unités de gériatrie. Il permet donc une meilleure approche pharmacologique adaptée à la personne âgée dans l’ensemble du centre hospitalier.

Mots clés: Comorbidités, effet indésirable, fragilité, médicament potentiellement inapproprié, outil informatique, personne âgée, problème pharmacologique, vulnérabilité

Abstract

Objective: To test the use of a new clinical tool developed using GesphaRx software for detecting the concurrent presence of advanced age (75 and over) and the use of potentially inappropriate medications in certain diseases or clinical situations, in order to identify and manage pharmacological problems in elderly patients susceptible to the effects of drugs.

Method: The tool was evaluated on eight non-consecutive days in all the clinical areas, except critical care, the emergency department and the geriatric acute care unit, and the targeted pharmacological problems were managed at least by reviewing the GesphaRx file and, if necessary, the medical record.

Results: The mean age of the patients included in the study was 83.5 years. In all, the tool detected 52 potential pharmacological problems in 34 patients, or an average of 1.5 problems per patient. The use of a potentially inappropriate medication accounted for 34.6% of all the pharmacological problems identified. After the pharmacological analysis of the medical records of 22 patients, 20 (90.9%) had a pharmacological intervention.

Conclusion: The new tool helps identify elderly patients at risk for drug adverse effects and target potentially problematic matters that clinical pharmacists should address in non-geriatric care units. It therefore makes for a pharmacological approach better suited to the elderly throughout the hospital.

Keywords: Adverse effect, comorbidities, elderly person, fragility, information technology tool, pharmacological problem, potentially inappropriate medication, vulnerability

Introduction

Depuis 2016, l’Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec–Université Laval (IUCPQ-UL) propose une offre de soins permettant de cibler les usagers les plus vulnérables que le pharmacien doit voir en priorité1. Les critères de priorisation ont été sélectionnés en tenant compte de la littérature scientifique, de la mission de l’établissement et de ses trois spécialités, soit la cardiologie, la pneumologie et l’obésité. Cependant, peu de ces critères concernent spécifiquement le patient âgé, si ce n’est de l’âge comme tel, qui n’est malheureusement pas en soi un bon marqueur de fragilité. La fragilité peut être évaluée à l’aide de certains outils cliniques (échelle de fragilité clinique, indice de fragilité de Rockwood, etc.) qui permettent de repérer les patients présentant des déclins cumulatifs de multiples systèmes physiologiques, ce qui entraîne une vulnérabilité accrue24. Cependant, le degré de fragilité n’est pas une donnée facile à obtenir sans une analyse approfondie du dossier médical. L’outil électronique actuellement utilisé par les pharmaciens de l’IUCPQ–UL pour cibler les patients à prioriser repose sur les données extraites du dossier pharmacologique et ne permet donc pas d’inclure la fragilité comme marqueur de priorisation. Ainsi, le terme « vulnérabilité » (c’est-à-dire vulnérabilité aux effets indésirables des médicaments), plutôt que « fragilité », sera utilisé dans le texte pour décrire une population souvent hétérogène, dont l’âge et d’autres facteurs cliniques contribuent à la sensibilité aux effets indésirables des médicaments.

Les problèmes pharmacologiques des patients âgés vulnérables sont souvent multifactoriels et donc plus difficiles à cibler à l’aide d’un seul outil clinique. Avec le vieillissement de la population, on trouve de plus en plus de personnes âgées vulnérables et fragiles dans les différentes unités de soins, et non plus seulement dans les unités de gériatrie. Dans son plan stratégique, le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) cible entre autres une meilleure prise en charge des patients âgés5. L’Association des pharmaciens des établissements de santé du Québec (A.P.E.S.), à l’aide de ses critères de vulnérabilité à la pharmacothérapie en établissement de santé, considère aussi les patients âgés comme étant une population à prioriser, sans toutefois définir les critères sur lesquels se baser6. Selon le document du MSSS intitulé L’approche adaptée à la personne âgée en milieu hospitalier, les médicaments inappropriés peuvent jouer un rôle important dans le déclin fonctionnel du patient et dans le développement de syndromes gériatriques, surtout chez les patients âgés déjà fragilisés7. Il y est aussi clairement mentionné que toutes les unités prenant en charge des patients âgés devraient compter un pharmacien, et pas seulement les unités de gériatrie. L’idée de développer un outil clinique pour mieux repérer les patients âgés hospitalisés plus vulnérables aux effets indésirables des médicaments répond donc clairement à un problème réel.

En 2020, le Département de pharmacie a créé, avec le fournisseur du logiciel GesphaRx, un outil de priorisation des patients vulnérables à partir du dossier pharmacologique, comprenant notamment l’âge comme critère de priorisation8,9. Les ressources pharmaciens disponibles ne sont cependant pas toujours suffisantes pour permettre une consultation pharmaceutique pour tous les patients âgés hospitalisés dans les différents secteurs cliniques afin de déceler un potentiel problème lié à la pharmacothérapie. Lors de la préparation de l’offre de soins pharmaceutiques générale de l’IUCPQ–UL en 2016, les critères issus de la revue de littérature pour trouver les personnes âgées vulnérables étaient, outre l’âge, la prise de médicaments agissant sur le système nerveux central, la polypharmacie et le déclin cognitif10,11. Toutefois, il s’est avéré difficile de les intégrer à l’outil informatisé de priorisation des patients, car cet outil ne permettait alors que de repérer les critères de façon isolée plutôt que concomitante. La prise en charge du patient âgé vulnérable hospitalisé dans les unités cliniques autres que l’unité de soins de courte durée gériatrique n’a donc pu être établie à l’aide de l’outil informatique à ce moment.

Selon une méta-analyse menée en 2016 regroupant des études à répartition aléatoire d’un peu partout dans le monde (Europe, Amérique, Asie), l’analyse par un pharmacien du profil pharmacologique d’adultes de plus de 60 ans permet de réduire le nombre de visites à l’urgence toutes causes confondues (risque relatif [RR] : 0,70; intervalle de confiance à 95 % [IC 95 %] : 0,59–0,85, valeur de p = 0,001) et les réadmissions liées aux effets indésirables d’un ou de plusieurs médicaments (RR : 0,25; IC 95 % : 0,14–0,45, valeur de p < 0,001)12. Les motifs de réadmission les plus fréquents sont : la prescription de multiples médicaments agissant sur le système nerveux central (sédatifs, opioïdes, anticholinergiques, etc.) qui entraînent de la confusion, des chutes et de la sédation, et la prescription d’antihypertenseurs ou de diurétiques qui causent de la bradycardie, de l’hypotension et de la déshydratation13. Selon une étude faite en Irlande, l’application par un pharmacien en établissement de santé des critères STOPP et START chez les patients de 65 ans et plus a permis de réduire l’incidence d’effets indésirables des médicaments pendant l’hospitalisation (nombre de patients à traiter = 9)14. Dans le même ordre d’idées, la recherche de médicaments potentiellement inappropriés (MPI) à l’aide des critères STOPP et START de façon prospective chez 301 patients de 65 ans et plus a permis de constater que 34,9 % d’entre eux utilisaient un tel médicament. Pour 60 % d’entre eux, un lien causal ou contributoire était établi entre la prise d’un MPI et l’admission à l’hôpital15.

Selon une étude prospective du Centre universitaire de santé McGill, 31 % des patients qui quittent l’hôpital après une chirurgie thoracique ou cardiaque reçoivent une ordonnance d’un médicament potentiellement inapproprié qui est associé, trente jours après le congé de l’hôpital, à une augmentation de 21 % du risque d’effets indésirables et de 13 % du risque de visite à l’urgence, de réhospitalisation ou de décès16.

Méthode

Avec le vieillissement de la population, il est important de considérer l’approche adaptée à la personne âgée et l’identification de MPI chez tous les usagers hospitalisés, et non seulement chez ceux des unités de gériatrie. C’est dans ce contexte qu’un nouvel outil clinique informatisé a été mis au point à partir du logiciel GesphaRx afin de détecter la présence concomitante de l’âge avancé et la prescription de MPI avec certaines maladies ou situations cliniques pertinentes (voir le tableau I).

Le choix des problèmes cliniques à croiser avec les MPI est inspiré de l’article de Cossette et coll.17. Par ailleurs, une revue de la section des maladies ou problèmes cliniques interagissant avec la prise de certains MPI, présentée dans les critères de Beers 2019, a également contribué au choix des situations cliniques intégrées dans l’outil18. Tous ces critères ont ensuite été adaptés à la population hospitalisée à l’IUCPQ-UL (335 lits). Il est important de noter que les différentes situations cliniques ou maladies intégrées ont été ciblées indirectement par l’utilisation de certains médicaments (p. ex. : midodrine ou fludrocortisone pour détecter l’hypotension orthostatique). En effet, le rapport produit à partir du dossier pharmacologique GesphaRx ne tient compte que des médicaments, des résultats de laboratoire et de certaines données démographiques. Il n’indique donc pas les maladies, ce qui a limité la possibilité d’inclure certains problèmes qui ne sont pas liés à un médicament précis dans le projet.

L’âge minimal des patients inclus dans l’étude a été fixé à 75 ans afin de restreindre le nombre de sujets dans la première phase du projet. Le choix des MPI s’est fait selon une revue des critères de Beers 2019, de la liste US FORTA et de la liste PRISCUS et a été modulé librement pour faciliter l’application clinique locale1820. Une liste de médicaments sédatifs et anticholinergiques a aussi été créée selon les mêmes sources, de même que cinq listes de médicaments potentiellement inappropriés selon les problèmes cliniques croisés (voir le tableau II).

La liste des MPI liés à la dysphagie a été adaptée à partir de la fiche du Regroupement de pharmaciens experts en gériatrie de l’A.P.E.S. et modifiée selon certaines autres données cliniques2125. Comme pour les problèmes cliniques sélectionnés, ces listes ont été créées et adaptées en se basant sur la population et les enjeux cliniques fréquents de l’IUCPQ-UL. De plus, il a été possible de programmer des doses à partir desquelles les médicaments devaient être considérés dans l’analyse croisée des données (p. ex. : citalopram à une dose supérieure à 20 mg par jour).

Tableau I Critères croisés pour identifier des patients de 75 ans et plus présentant un risque accru d’effets indésirables médicamenteux


Dans le cadre d’un projet pilote, une pharmacienne détenant une expertise en gériatrie a testé l’outil, a déterminé les interventions à réaliser pour les patients identifiés par l’outil et a évalué la charge de travail ainsi que les besoins de formation des pharmaciens. Le projet pilote s’est échelonné sur huit jours non consécutifs, soit deux périodes de quatre jours séparées de trois semaines, du début octobre à la mi-novembre 2022. Tous les secteurs cliniques de l’IUCPQ-UL ont été inclus dans le projet, sauf les soins intensifs, l’urgence et l’unité de soins de courte durée gériatrique où l’équipe interdisciplinaire compte déjà un pharmacien qui prend en charge de façon globale tous les patients lors de leur admission. Un problème pharmacologique potentiel correspond à la présence d’au moins un problème clinique prédéfini croisé avec la prise d’un ou de plusieurs MPI, chez un patient de plus de 75 ans (voir le tableau I pour tous les critères croisés). Pendant le projet pilote, une liste de tous les patients présentant au moins un problème pharmacologique possible était produite chaque jour à l’aide de GesphaRx, puis analysée. Dans un premier temps, la pharmacienne a fait un survol des dossiers afin d’éliminer des patients ciblés par erreur par l’outil informatisé, notamment ceux prenant un médicament pour une indication autre que l’une des situations cliniques prédéterminées. Dans un deuxième temps, elle a fait une analyse sommaire seulement à l’aide de la revue du dossier pharmacologique informatisé GesphaRx. La prise en charge de certains patients pouvait s’arrêter à ce moment, selon le jugement clinique de la pharmacienne (p. ex. : problème déjà pris en charge par le pharmacien du secteur clinique, problème pharmacologique mineur, etc.). Pour tous les autres patients, la pharmacienne a analysé le dossier médical à partir du ou des problème(s) pharmacologique(s) identifié(s). Le temps consacré à chaque dossier a été noté, de même que la complexité de l’intervention. La prise en charge du problème pharmacologique par le pharmacien du secteur clinique était aussi consignée, le cas échéant.

Tableau II Liste de médicaments potentiellement inappropriés


Résultats

Le temps nécessaire à l’impression et à l’analyse sommaire de la liste des patients produite à partir du dossier pharmacologique informatisé était de 20 à 30 minutes par jour. La première journée des deux périodes de collecte, neuf et onze patients respectivement ont été inclus dans la liste de patients. Les jours suivants, de deux à cinq nouveaux patients par jour s’y sont ajoutés. Chaque jour de collecte, l’outil a identifié par erreur de zéro à cinq patients vulnérables (p. ex. : une dose de diphénhydramine le matin pour un protocole d’allergie à l’iode, prise de fludrocortisone pour insuffisance surrénalienne et non pour hypotension orthostatique, etc.).

Au cours des huit journées du projet pilote, après le retrait des 15 patients ciblés par erreur, le nombre de patients considérés comme vulnérables aux effets des médicaments totalisait 34. Les caractéristiques des patients et des interventions faites sont présentées dans le tableau III. L’âge moyen des patients était de 83,5 ans. En tout, l’outil a permis de détecter 52 problèmes pharmacologiques possibles à l’aide de critères croisés, pour une moyenne de 1,5 problème potentiel par dossier consulté. La présence d’un MPI représentait 34,6 % de tous les problèmes pharmacologiques détectés. Les autres problèmes les plus fréquents étaient l’ostéoporose associée à l’une des situations suivantes : prise d’au moins trois médicaments anticholinergiques ou sédatifs, prise d’au moins quatre antihypertenseurs ou prise d’un MPI associé à un risque accru de chute. La présence de délirium croisé avec au moins trois médicaments anticholinergiques ou sédatifs, la présence d’hypotension orthostatique croisée avec la prise d’antihypertenseurs, puis celle de dysphagie associée à divers MPI complètent la liste non exhaustive des problèmes potentiels recensés (voir le tableau III pour les détails). Parmi les 34 patients inclus dans le projet, 25 (73,5 %) figuraient au rapport déjà utilisé par les pharmaciens, car ils présentaient des critères de vulnérabilité définis dans l’offre de soins en vigueur. La pharmacienne a consulté les dossiers médicaux de 22 patients, dont 20 (90,9 %) ont pu bénéficier d’une intervention après l’analyse pharmacologique de leur dossier. Le temps moyen requis pour consulter le dossier médical était de 29,5 minutes par patient. Seulement quatre patients (11,8 %) ont été catégorisés comme nécessitant l’analyse pharmacologique d’un pharmacien détenant une expertise en gériatrie.

Discussion

Le développement d’un nouvel outil informatisé intégré à celui existant permet maintenant de détecter la présence de plusieurs critères concomitants liés à la personne âgée vulnérable (tableau I). Grâce à cet outil, il est possible de produire une liste de patients âgés potentiellement vulnérables à la prise de certains médicaments, ce qui est très novateur. Le présent projet pilote montre que l’outil peut cibler plusieurs problèmes pharmacologiques présents ou potentiels. De deux à cinq nouveaux patients âgés ont été ciblés par jour pour l’ensemble des unités de soins, et le temps d’analyse du dossier médical était de 29,5 minutes en moyenne. L’investissement de temps clinique semble très pertinent puisque 90,9 % des patients dont le dossier médical a été analysé (n = 20/22) ont bénéficié d’une intervention pharmacologique. L’outil permet donc de cibler les personnes âgées les plus vulnérables qui nécessitent une plus grande vigilance de la part des pharmaciens dans l’ensemble des unités de soins, en plus de guider les pharmaciens qui ne détiennent pas d’expertise en gériatrie quant aux analyses et aux interventions à effectuer. Les principaux critères de vulnérabilité de la personne âgée ciblés par l’outil mettent également en lumière les besoins de formation clinique à prévoir pour les pharmaciens de l’IUCPQ-UL.

Tableau III Caractéristiques des patients et résultats du projet pilote


Une entente de partenariat en pratique avancée est en vigueur dans l’ensemble de l’établissement et offre plus d’autonomie aux pharmaciens, ce qui a été facilitant dans le présent projet. Les médecins traitants dans les dossiers concernés étaient tous très ouverts à optimiser la pharmacothérapie de leurs patients. La réception du projet a donc été très bonne. Le choix d’une pharmacienne détenant une expertise en gériatrie pour effectuer le projet a possiblement diminué le temps nécessaire à l’analyse des dossiers. Toutefois, comme elle ne connaissait pas les dossiers des différentes unités de soins concernées, elle a probablement eu besoin de plus de temps pour en prendre connaissance et pour comprendre les divers enjeux cliniques. Par ailleurs, la prise en charge ciblée sur la vulnérabilité gériatrique excluait le traitement des autres problèmes pharmacologiques potentiels du patient. Il est donc probable que les pharmaciens déjà présents dans les différents secteurs cliniques soient plus efficaces pour réviser de façon cohérente l’ensemble des problèmes potentiels détectés par l’outil. En effet, comme près de 75 % des patients avaient d’autres critères de vulnérabilité que ceux trouvés par le nouvel outil dans le cadre du projet, le pharmacien du secteur participait déjà possiblement au suivi de plusieurs de ces patients.

L’identification des problèmes cliniques ciblés indirectement par la prise de certains médicaments représente une limite de l’outil. En effet, il peut en résulter une diminution de la sensibilité et de la spécificité de l’outil, car certains patients non vulnérables sont identifiés par erreur et d’autres présentant le problème clinique recherché ne le sont parfois pas. La deuxième situation est d’autant plus significative, puisque plusieurs patients atteints de démence ou d’hypotension orthostatique, par exemple, peuvent ne pas recevoir de médicaments pour ces maladies et en être tout de même fragilisés. Par ailleurs, certaines complications cliniques pertinentes, comme une chute pendant l’hospitalisation, n’ont pu être incluses dans le projet puisqu’elles n’étaient pas identifiables par la prise d’un médicament. D’autre part, le choix des diverses listes de MPI et des médicaments qui y sont inclus, des problèmes cliniques recherchés et de la façon de croiser ces concepts a été fait par une seule pharmacienne, ce qui limite la validité interne et externe de l’outil. Finalement, le nombre et la nature des problèmes potentiels repérés dans le cadre du projet pilote n’ont pas permis de départager les quatre dossiers gériatriques les plus complexes. C’est en consultant les dossiers médicaux et en rencontrant les patients que la complexité pharmacologique a été mise à jour. Il a donc été convenu que si le pharmacien met en lumière plusieurs problèmes pharmacologiques complexes liés à des MPI, il pourra demander l’avis du pharmacien œuvrant à l’unité de gériatrie.

Malgré ses faiblesses, l’outil a l’important avantage de permettre très facilement et rapidement la production d’une liste quotidienne de patients âgés présentant un risque accru d’effets indésirables dans tous les secteurs cliniques de l’hôpital, ce qui est déjà un pas dans la bonne direction. Le projet pilote montre que la grande majorité des problèmes résolus par la pharmacienne n’avaient pas été découverts par les pharmaciens des secteurs cliniques. L’outil permet donc une première sensibilisation des pharmaciens à la prise en charge des problèmes, réels ou potentiels, liés à la pharmacothérapie chez la personne âgée hospitalisée, peu importe la raison d’admission et l’unité de soins.

Conclusion

L’outil développé à l’IUCPQ–UL aide à détecter les personnes âgées présentant un risque de réactions indésirables aux médicaments ou susceptibles de prendre des médicaments potentiellement inappropriés. Cet outil peut soutenir les pharmaciens dans leurs interventions, notamment dans les unités de soins autres que les unités de gériatrie. L’ajout des critères croisés au rapport quotidien du pharmacien permet de cibler les éléments potentiellement problématiques auxquels il doit s’attarder. Il permet donc une approche pharmacologique mieux adaptée à la personne âgée. À mesure que les dossiers patients électroniques seront utilisés en temps réel pendant les hospitalisations et que les antécédents médicaux seront codés de façon à être croisés avec les médicaments des patients, il sera possible de développer des outils cliniques plus performants afin d’agir rapidement et efficacement chez les patients jugés vulnérables. Enfin, il serait intéressant d’évaluer plus précisément, dans un autre projet, les types d’interventions réalisées et les répercussions cliniques de l’outil d’identification des personnes âgées vulnérables après son utilisation à l’IUCPQ-UL.

Financement

Les auteurs n’ont déclaré aucun financement lié au présent article.

Conflits d’intérêts

Tous les auteurs ont soumis le formulaire de l’ICMJE sur la divulgation de conflits d’intérêts potentiels. Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts lié au présent article.

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Pour toute correspondance : Joëlle Flamand Villeneuve, Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec–Université Laval, 2725, chemin Sainte-Foy, Québec G1V 4G5, CANADA; téléphone 418-656-8711, courriel : joelle.flamand-villeneuve@ssss.gouv.qc.ca

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PHARMACTUEL, Vol. 56, No. 4, 2023