Résistance aux antimicrobiens : où en sommes-nous près de 100 ans après la découverte de la pénicilline

Jean-François Tessier, B.Pharm., M.Sc.1

1Pharmacien, Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de l’Est-de-l’Île-de-Montréal, Hôpital Maisonneuve-Rosemont, Montréal (Québec) Canada

Reçu le 16 décembre 2022: Accepté après révision le 11 janvier 2023

Il y a bientôt 100 ans, dans un laboratoire de l’hôpital St-Mary, à Londres, Alexander Fleming faisait une découverte qui allait changer la face de l’humanité. En effet, en examinant ses pétris au retour de ses vacances, il observa une contamination qui le laissa perplexe. Un champignon ayant poussé près d’une culture de Staphylococcus aureus avait inhibé la croissance de cette bactérie1. Cet événement mena à la découverte de la pénicilline qui deviendra le premier antibiotique utilisé à grande échelle à partir des années 1940.

La médecine a drastiquement changé grâce à cette avancée. Auparavant, les médecins disposaient de bien peu de moyens pour traiter les pneumonies bactériennes, les infections transmissibles sexuellement ou bien les simples coupures infectées. Par conséquent, la mortalité liée aux infections était très élevée. Fleming et ses deux assistants remportèrent le prix Nobel de médecine en 1945 pour leur découverte2. Dans son discours de remerciement, il mit en garde l’auditoire contre les risques de sélection de résistance aux antimicrobiens en cas d’utilisation inadéquate. Le temps lui donna rapidement raison. La résistance du Staphylococcus aureus à la pénicilline a été découverte quelques années seulement après le début de l’utilisation massive de celle-ci et est désormais répandue pour la grande majorité des souches3. Les bactéries étant présentes sur Terre depuis trois milliards d’années, elles ont une bonne longueur d’avance sur nous. La résistance aux nouveaux antibiotiques en développement existe déjà dans le génome d’une de ces bactéries, il ne reste qu’à la sélectionner4.

Nous faisons maintenant face à la menace (bien réelle) d’une ère post-antibiotique, c’est-à-dire qu’on devra composer avec des germes ayant acquis des résistances à tous les agents disponibles. Ces infections bactériennes seront possiblement incurables. Ce n’est plus un scénario dystopique ni une théorie. Des germes extrêmement résistants ont entre autres été isolés aux États-Unis, en Chine et en Inde5. La situation est si alarmante que l’Organisation mondiale de la Santé a ajouté la résistance aux antimicrobiens à sa liste des 10 menaces à la survie de l’être humain. Le Center for Disease Control américain, quant à lui, publie périodiquement une liste des germes multirésistants nécessitant une surveillance étroite6,7. L’augmentation mondiale de la prévalence de souches d’Acinetobacter résistant aux carbapénèmes et de Klebsiella pneumoniæ résistant aux céphalosporines de troisième génération est particulièrement préoccupante8.

De l’antibioprophylaxie chirurgicale à la couverture antimicrobienne empirique des patients immunodéprimés en passant par le traitement des infections urinaires, la résistance aux antimicrobiens complique grandement les soins médicaux modernes. Ainsi, l’augmentation de la prévalence de bactéries produisant des bêta-lactamases à spectre étendu (BLSE) rend les infections urinaires de plus en plus difficiles à traiter par voie orale. Ces germes, en plus de résister à la majorité des bêta-lactamines, expriment fréquemment des gènes de résistance inactivant d’autres antibiotiques comme les fluoroquinolones et les sulfamidés9. Malheureusement, le développement de nouveaux antimicrobiens n’est pas la solution à ce problème10. Cela dit, comment peut-on contribuer dans notre quotidien de pharmacien à prévenir l’apparition d’une résistance aux antimicrobiens?

Plusieurs actions concrètes et faciles sont possibles. La première est bien entendu de ne pas prescrire d’antibiotique pour des problèmes qui n’en nécessitent pas. Le choix de traiter ou non une affection reste un dilemme difficile pour les prescripteurs. Souvent, le bienfait d’un traitement peut être si aveuglant qu’on en oublie les conséquences néfastes. Prenons l’exemple des bactériuries asymptomatiques. Leur traitement n’apporte aucun bienfait (sauf chez les femmes enceintes et avant une intervention urologique invasive) et accroît le risque d’infection urinaire symptomatique par des germes résistants11. Avant de traiter, il faut s’assurer que l’antibiothérapie apportera un avantage au patient et se rappeler que les ordonnances « juste au cas » sont plus nuisibles que bénéfiques en l’absence d’infection.

Deuxièmement, le choix de la molécule influence aussi la résistance aux antimicrobiens. En effet, certains agents peuvent causer des dommages au microbiote, la flore protectrice de l’hôte, ce qui augmente le risque de colonisations et d’infections par des germes résistants ou de surinfection bactérienne (par ex. : colite à Clostridium difficile). On nomme ce phénomène l’effet collatéral des antibiotiques. C’est une des raisons pour laquelle la nitrofurantoïne et la fosfomycine sont à privilégier à la ciprofloxacine ou au triméthoprime-sulfaméthoxazole dans le traitement des infections urinaires basses lorsque c’est possible12. Les bêta-lactamines agissent aussi différemment sur la flore de l’hôte. La céfuroxime est plus néfaste pour le microbiote que la céfazoline ou l’amoxicilline-clavulanate13.

Enfin, la durée du traitement joue un rôle majeur. Il est maintenant connu qu’un traitement prolongé augmente le risque de résistance. Une étude récente s’est penchée sur le sujet chez les enfants traités pour une pneumonie. Les chercheurs ont analysé des écouvillons de la gorge avant et après le traitement pour voir l’effet de la durée du traitement sur la flore respiratoire. Ils ont montré que des gènes de résistance aux antimicrobiens étaient exprimés plus fortement et plus longuement chez les enfants traités pendant 10 jours comparativement à ceux traités pendant cinq jours14. De plus, le traitement prolongé n’avait apporté aucun bienfait clinique15. Le plus court traitement possible est essentiel pour éviter la résistance16.

Plusieurs mesures facilitantes peuvent être mises en place dans nos centres pour favoriser l’adoption des différentes solutions que nous venons de nommer. Former les infirmières pour diminuer le nombre de cultures d’urine demandé, mettre en œuvre un programme d’antibiogouvernance efficace, mettre en place une procédure pour définir adéquatement les allergies aux antibiotiques, etc.

Bien sûr, une option permettant le recours à des agents non antibiotiques pour traiter les infections serait grandement bénéfique. L’étude ALTAR, évaluée par Larose et coll. dans le présent numéro, a testé l’hippurate de méthénamine, un antiseptique topique qui se transforme en formaldéhyde dans le tube distal du rein, en prévention des infections urinaires récurrentes17,18. Malgré son efficacité clinique modeste, elle constitue tout de même une option non antimicrobienne à un problème qui n’est pas mortel, mais qui nécessite fréquemment une antibiothérapie à long terme. Cette molécule représente donc un pas dans la bonne direction.

Financement

L’auteur n’a déclaré aucun financement lié au présent article.

Conflits d’intérêts

L’auteur a soumis le formulaire de l’ICMJE pour la divulgation de conflits d’intérêts potentiels. L’auteur n’a déclaré aucun conflit d’intérêts lié à cet article.

Références

1. Fleming A. On the antibacterial action of cultures of a Penicillium with special reference to their use in the isolation of B. influenza. Br J Exp Pathol 1929;10:226–36.

2. Fondation Nobel. Prix Nobel de physiologie ou de médecine 1945. [en ligne] https://www.nobelprize.org/prizes/medicine/1945/summary/ (site visité le 12 décembre 2022).

3. Lowy FD. Antimicrobial resistance: the example of Staphylococcus aureus. J Clin Invest 2003; 111:1265–73.
cross-ref  pubmed  pmc  

4. Center for Disease Control and Prevention. Germs develop antibiotic resistance. 2019. [en ligne] https://www.cdc.gov/drugresistance/pdf/threats-report/Select-Germs-Develop-Resistance-Over-Time.pdf (site visité le 12 décembre 2022).

5. Center for Disease Control and Prevention. 2022 special report – COVID-19 U.S. impact on antimicrobial resistance. [en ligne] https://www.cdc.gov/drugresistance/pdf/covid19-impact-report-508.pdf (site visité le 12 décembre 2022).

6. World Health Organisation. Ten threats to global health in 2021. [en ligne] https://www.who.int/news-room/spotlight/10-global-health-issues-to-track-in-2021 (site visité le 12 décembre 2022).

7. Center for Disease Control and Prevention. Antibiotic resistance threats in the United States. 2019. [en ligne] https://www.cdc.gov/drugresistance/pdf/threats-report/2019-ar-threats-report-508.pdf (site visité le 12 décembre 2022).

8. World Health Organisation. Global antimicrobial resistance and use surveillance system (GLASS) report : 2022. [en ligne] https://www.who.int/initiatives/glass (site visité le 12 décembre 2022).

9. Wilson H, Török ME. Extended-spectrum β-lactamase-producing and carbapenemase-producing Enterobacteriaceae. Microb Genom 2018;4:e000197.

10. McMaster University. Antibiotic access and capacity: A grassroots solution to improving patient access to novel antibiotics in Canada. 2021. [en ligne] https://iidr.mcmaster.ca/maac/ (site visité le 12 décembre 2022).

11. Cai T, Nesi G, Mazzoli S, Meacci F, Lanzafame P, Caciagli P et al. Asymptomatic bacteriuria treatment is associated with a higher prevalence of antibiotic resistant strains in women with urinary tract infections. Clin Infect Dis 2015;61:1655–61.
pubmed  

12. Gupta K, Hooton TM, Naber KG, Wullt B, Colgan R, Miller LG et al. International clinical practice guidelines for the treatment of acute uncomplicated cystitis and pyelonephritis in women: A 2010 update by the Infectious Diseases Society of America and the European Society for Microbiology and Infectious Diseases. Clin Infec Dis 2011;52:e103–e120.
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13. Chowers M, Zehavi T, Gottesman BS, Baraz A, Nevo D, Obolski U. Estimating the impact of cefuroxime versus cefazolin and amoxicillin/clavulanate use on future collateral resistance: a retrospective comparison. J Antimicro Chemother 2022;77:1992–5.
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14. Pettigrew MM, Kwon J, Gent JF, Kong Y, Wade M, Williams DG et al., pour le Antibacterial Resistance Leadership Group. Comparison of the respiratory resistomes and microbiota in children receiving short versus standard course treatment for community-acquired pneumonia. mBio 2022;13:e0019522.
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15. Williams DJ, Creech CG, Walter EB, Martin JM, Gerber JS, Newland JG et al. Short-vs standard-course outpatient antibiotic therapy for community-acquired pneumonia in children. JAMA Pediatr 2022;176:253–61.
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16. Spellberg B, Rice LB. Duration of antibiotic therapy: shorter is better. Ann Intern Med 2019; 171:210–1.
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17. Harding C, Mossop H, Homer T, Chadwick T, King W, Carnell S et al. Alternative to prophylactic antibiotics for the treatment of recurrent urinary tract infections in women: multicenter, open label, randomised, non-inferiority trial. BMJ 2022;376:e068229.
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18. Larose M, El-Gamal A, Hamel C. Étude ALTAR : L’hippurate de méthénamine est-il une solution de rechange efficace et sûre à l’antibioprophylaxie de sinfections urinaires récurrentes chez la femme? Pharmactuel 2023;56:3–7.


Pour toute correspondance : Jean-François Tessier, Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de l’Est-de-l’Île-de-Montréal, Hôpital Maisonneuve-Rosemont, 5415, boulevard de l’Assomption, Montréal (Québec) H1T 2M4, CANADA; Téléphone : 514 252-3400; Courriel : jean-francois.tessier.cemtl@ssss.gouv.qc.ca

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PHARMACTUEL, Vol. 56, No. 1, 2023