La science évolue à grande vitesse! Êtes-vous en mesure de suivre le rythme?

Nicolas Martel-Côté1, BSBP, Amélie Monnier2,3, interne en pharmacie, Charlotte Jacolin2,3, interne en pharmacie, Catherine Côté-Sergerie3, BSBP, Jean-François Bussières4,5, B.Pharm., M.Sc., MBA, FSCHP, FOPQ

1Assistant de recherche, Unité de recherche en pratique pharmaceutique, Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine, Montréal (Québec) Canada
2Doctorante en pharmacie au moment de la rédaction, Faculté de Pharmacie, Université Claude-Bernard, Lyon, France
3Assistante de recherche, Unité de recherche en pratique pharmaceutique, Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine, Montréal (Québec) Canada
4Pharmacien, chef, Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine, Montréal (Québec) Canada
5Professeur titulaire de clinique, Faculté de pharmacie, Université de Montréal, Montréal (Québec) Canada

Reçu le 27 janvier 2023; Accepté après révision le 12 avril 2023

En vertu de l’article 34 du Code de déontologie des pharmaciens, le « pharmacien doit exercer la pharmacie avec compétence conformément aux données scientifiquement acceptables et aux normes professionnelles reconnues. À cette fin, il doit notamment développer, parfaire et tenir à jour ses connaissances et habiletés »1. En vertu du Règlement sur la formation continue obligatoire des pharmaciens, « le pharmacien doit suivre, par période de référence, au moins 40 heures d’activités de formation continue qui ont un lien avec l’exercice de la profession »2. En vertu du guide de formation de l’Ordre des pharmaciens du Québec, le pharmacien doit choisir ses activités de formation continue parmi au moins trois types d’activités admissibles3. Bien que la lecture critique d’un article scientifique ne fasse pas partie des activités admissibles, c’est une activité pratiquée par plusieurs de façon individuelle ou en groupe (p. ex. : club de lecture en établissement de santé). Dans une enquête menée auprès de 184 pharmaciens de l’État de New York en 2010, 92 % des répondants ont mentionné la lecture régulière d’articles scientifiques et son importance pour le maintien de leurs compétences4. Toutefois, il existe peu de données sur la lecture d’articles par les pharmaciens.

De façon générale, le maintien de la compétence des pharmaciens passe par la lecture d’articles scientifiques sur la pharmacothérapie (p. ex. : efficacité, innocuité, pharmacocinétique, pharmacodynamie, pharmacovigilance, pharmacogénomique). Il est également utile de considérer la littérature scientifique sur les rôles et les retombées des pharmaciens et des assistants techniques en pharmacie afin d’offrir des modèles de pratique pertinents dans le réseau de la santé. L’équipe de l’Unité de recherche en pratique pharmaceutique (URPP) a reconnu l’importance de cette littérature en mettant en place la plateforme Impactpharmacie.org il y a plus d’une décennie. Des articles récents ont été ajoutés à la plateforme à l’été 2022 par quatre assistants de recherche, selon la méthodologie décrite. Ces articles ont été sélectionnés sur impactpharmacie.net, un site qui offre un choix d’articles révélant l’influence du pharmacien sur les résultats de santé, selon une méthode reproductible, transparente et assistée par apprentissage automatique.

Lors de l’inclusion des nouveaux articles, nous nous sommes intéressés à la vitesse de lecture des assistants de recherche (n = 4) mis à contribution pour cette mise à jour.

Il s’agit d’une étude descriptive prospective dans laquelle quatre assistants de recherche ont lu et résumé des articles scientifiques en vue de la mise à jour de la plateforme Impactpharmacie.org. La plateforme regroupe différentes études et revues systématiques évaluant le rôle et l’influence des pharmaciens dans le domaine de la santé. La rédaction de fiches de synthèse sur les articles dans la plateforme repose sur un fonctionnement normalisé, une fiche de saisie en ligne et une révision pyramidale par un autre assistant de recherche. Les articles à traiter ont été répartis équitablement entre les quatre assistants. Le nombre de pages ainsi que le temps nécessaire (minutes, secondes) pour lire et saisir les informations dans la plateforme ont été comptabilisés pour chaque article. Le type d’article a également été pris en compte pour l’analyse des données : étude clinique et revues systématiques ou méta-analyses. Le rapport entre le temps de lecture et le nombre de pages a été établi afin d’obtenir la vitesse de lecture de tous les articles et de calculer des moyennes. L’évolution dans le temps de la vitesse de lecture a été analysée en fonction du type d’articles et des assistants qui ont effectué la lecture. L’extraction des courbes de tendance a été extrapolée à partir de ces données. Chaque assistant de recherche avait environ 50 articles. La durée d’étude a donc été séparée en quartiles : articles 1 à 12, 13 à 25, 26 à 38 et 39 à 50.

Des 190 articles initialement repérés et répartis entre les assistants de recherche, 164 contenaient des données exploitables pour la plateforme et ont été intégrés en 2022. De ceux-ci, 139 étaient des études cliniques et 25, des revues systématiques ou des méta-analyses. Le temps de lecture et de saisie moyen pour tous les articles était de 82 ± 25 minutes (minimum : 30 minutes, maximum : 210 minutes). Les articles inclus comportaient, en moyenne, 9,9 ± 4,5 pages. La vitesse de lecture et de saisie moyenne, calculée en fonction du temps par nombre de pages, était de 9 ± 4 minutes. La vitesse de lecture était plus rapide pour les revues systématiques et les méta-analyses (4 ± 1 minute) que pour les études cliniques (10 ± 4 minutes). Une augmentation de la vitesse de lecture dans le temps a également été remarquée. La vitesse moyenne lors du premier quartile d’articles lus et saisis était de 12 ± 5 minutes, contre 11 ± 4 minutes pour le 2e quartile, de 9 ± 3 minutes pour le 3e quartile et de 5 ± 2 minutes pour le 4e quartile. La figure 1, qui illustre les temps de lecture par page dans l’ordre de lecture, montre une réduction progressive du temps de lecture pour les études (y = −9E-05x + 0,0094) et pour les revues systématiques/méta-analyses (y = −9E-05x + 0,0072).

 


 

Figure 1 Évolution du ratio temps/nombre de pages selon l’ordre de saisie des articles dans la plateforme impactpharmacie.org

Rayner et coll. ont noté qu’il existe un compromis entre la vitesse et la précision. Selon les auteurs, il est peu probable que les lecteurs puissent doubler ou tripler leur vitesse de lecture (p. ex. : passer de 250 à 500 ou 750 mots par minute), tout en étant capables de comprendre le texte aussi bien que s’ils le lisaient à vitesse normale5. Les auteurs précisent qu’une lecture réussie nécessite plus que la reconnaissance d’une séquence de mots individuels, mais également la compréhension des relations entre eux. Les auteurs font également une différence entre la lecture (reading) et le survol (skimming), ce dernier permettant de doubler ou de quadrupler la vitesse de lecture. Selon les auteurs, une vitesse de lecture comprise entre 200 et 400 mots par minute est une cible réaliste. Bien qu’il existe une variété de techniques décrites dans la littérature pour accélérer la lecture (p. ex. : ciblage de certains mots seulement, lecture par bloc plutôt que de gauche à droite, utilisation de surlignage ou de blocs de couleur), les preuves de l’efficacité de ces techniques demeurent souvent limitées. On peut s’amuser à lire un extrait de texte où les lettres de chaque mot sont mélangées, à l’exception de la première et de la dernière lettre, et noter que le texte demeure compréhensible6.

Dans le domaine de la santé, où les connaissances évoluent rapidement et où le nombre d’articles publiés et de médicaments commercialisés est en croissance, il est utile de réfléchir à ses habitudes de lecture et à ses habiletés afin d’optimiser son temps de lecture. Cette étude de terrain peut contribuer à susciter la réflexion au sein de nos départements de pharmacie. Elle met en évidence un gain de vitesse de lecture dans un cadre structuré de mise à jour d’une plateforme Web. En partageant nos approches de lecture rapide ou efficace, on gagne peut-être du temps… ou davantage de connaissances.

Financement

Les auteurs n’ont déclaré aucun financement lié au présent article.

Conflits d’intérêts

Les auteurs ont soumis le formulaire de l’ICMJE pour la divulgation de conflits d’intérêts potentiels. Jean-François Bussières est membre du comité de rédaction de Pharmactuel. Les autres auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts lié à cet article.

Références

1. LégisQuébec. Code de déontologie des pharmaciens. [en ligne] https://www.legisquebec.gouv.qc.ca/fr/document/rc/P-10,%20r.%207%20/#:~:text (site visité le 18 janvier 2023).

2. LégisQuébec. Règlement sur la formation continue obligatoire des pharmaciens. [en ligne] https://www.legisquebec.gouv.qc.ca/fr/document/rc/P-10,%20r.%2016.1%20 (site visité le 18 janvier 2023).

3. Ordre des pharmaciens du Québec. Formation continue obligatoire. [en ligne] https://www.opq.org/pratique-professionnelle/formationcontinue/formation-continue-obligatoire (site visité le 18 janvier 2023).

4. Nathan JP, Grossman S. Professional reading habits of pharmacists attending 2 educational seminars in New York City. J Pharm Pract 2012;25:600–5.
cross-ref  pubmed  

5. Rayner K, Schotter ER, Masson ME, Potter MC, Treiman R. So Much to read, so little time: how do we read, and can speed reading help? Psychol Sci Public Interest 2016;17:4–34.
cross-ref  pubmed  

6. Anonyme. Let t res dans le désordre. Conjugaison. Le Figaro. [en ligne] https://leconjugueur.lefigaro.fr/frjeuxlettre.php (site visité le 18 janvier 2023).


Pour toute correspondance : Jean-François Bussières, Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine, 3175, chemin de la Côte-Sainte-Catherine, Montréal (Québec) H3T 1C5, Canada; Téléphone : 514 343-4603; Courriel : jean-françois.bussières.hsj@ssss.gouv.qc.ca

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PHARMACTUEL, Vol. 56, No. 2, 2023