Évaluation critique de la documentation

Innocuité, tolérabilité et efficacité de l’ajustement progressif des traitements indiqués en insuffisance cardiaque aiguë pour l’atteinte des doses cibles : un essai à répartition aléatoire, ouvert et multinational (STRONG-HF)

Justine Falanga-Duchesneau*1-3, Pharm.D., M.Sc., Ève Masse*1-3, Pharm.D., M.Sc., Gabrielle Plante*1,2,4, Pharm.D, M.Sc., Alice Lai1,5,6, Pharm.D., M.Sc., Julie Méthot3,7,8, B.Pharm., M.Sc. Ph.D., FOPQ

1Candidate à la maîtrise en pharmacothérapie avancée au moment de la rédaction, Faculté de pharmacie, Université Laval, Québec (Québec) Canada;
2Résidente en pharmacie au moment de la rédaction, Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec–Université Laval, Québec (Québec) Canada;
3Pharmacienne, Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec–Université Laval, Québec (Québec) Canada;
4Pharmacienne, CHU de Québec-Université Laval, Hotêl-Dieu de Québec, Québec (Québec) Canada;
5Résidente en pharmacie au moment de la rédaction, Centre intégré de santé et de services sociaux de l’Outaouais, Gatineau (Québec) Canada;
6Pharmacienne, Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal, Hôpital de Verdun, Montréal (Québec) Canada;
7Professeure titulaire et doyenne, Faculté de pharmacie, Université Laval, Québec (Québec) Canada;
8Chercheuse associée, Centre de recherche, Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec–Université Laval, Québec (Québec) Canada

*Justine Falanga-Duchesneau, Ève Masse et Gabrielle Plante ont contribué de façon équivalente à la rédaction de cet article.

Reçu le 15 septembre 2023; Accepté après révision par les pairs le 15 mars 2024

Titre de l’article: Safety, tolerability, and efficacy of up-titration of guideline-directed medical therapies for acute heart failure (STRONG-HF): a multinational, open-label, randomised, trial. Lancet 2022;400:1938–521.

Auteurs: Mebazaa A, Davison B, Chioncel O, Cohen-Solal A, Diaz R, Filippatos G et coll.

Commanditaires: Cette étude a été financée par Roche Diagnostics. Les commanditaires n’ont pas participé à l’élaboration du protocole de recherche, à la collecte et à l’analyse des données, ni aux processus de rédaction ou de publication.

Cadre de l’étude: L’insuffisance cardiaque décompensée constitue une cause fréquente d’hospitalisation et de mortalité2. En pratique, les classes de médicaments ayant permis de diminuer la mortalité et les hospitalisations des patients souffrant d’insuffisance cardiaque sont fréquemment initiés tardivement et ajustées lentement. Par conséquent, il est fréquent que les patients ne reçoivent pas les doses cibles3,4. Les dernières lignes directrices canadiennes, américaines et européennes sur l’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection réduite recommandent d'ajuster rapidement les médicaments aux doses cibles offrant des bénéfices57. Ces recommandations reposent toutefois sur peu de données probantes puisque les études ayant évalué les bienfaits d’un ajustement intensif pendant ou après une hospitalisation pour insuffisance cardiaque sont hétérogènes et souvent observationnelles813. Ainsi, l’étude STRONG-HF est la première étude prospective à répartition aléatoire qui compare un traitement intensif à la pratique locale usuelle des centres à l’étude.

Notons qu’au moment de commencer STRONG-HF, les études DAPA-HF et EMPEROR-Reduced ayant mené à l’utilisation des inhibiteurs du cotransporteur sodium-glucose de type 2 (iSGLT-2), celles sur l’emploi du fer intraveineux en cas d’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection réduite et l’étude PIONEER sur l’emploi d’un antagoniste des récepteurs de l’angiotensine II et inhibiteur de la néprilysine (ARNI) en cas d’insuffisance cardiaque décompensée n’avaient pas encore été publiées1419. Ainsi, les traitements proposés dans ces études n’ont pas été spécifiquement évalués dans l’étude faisant l’objet du présent article.

Protocole de recherche: Il s’agit d’une étude ouverte à répartition aléatoire, multinationale (14 pays) et multicentrique (87 hôpitaux) dont les deux groupes comparés évoluaient en parallèle. L’analyse des résultats a été faite en intention de traiter modifiée, c’est-à-dire que seuls les patients ayant terminé la période de suivi de 180 jours ont été inclus dans les analyses. Un amendement au protocole a eu lieu afin d’évaluer l’objectif d’efficacité et d’innocuité à 180 jours plutôt qu’à 90 jours pour les sujets en intention de traiter modifiée et pour doubler la taille de l’échantillon estimée à 1800 patients. Cette augmentation de taille a été évaluée pour avoir une puissance de 85 % et une valeur de p de 0,05.

Patients: Les sujets à l’étude étaient des adultes de 18 à 85 ans, hospitalisés pour un diagnostic d’insuffisance cardiaque aiguë. L’inclusion dans l’étude avait lieu dans les 72 heures suivant l’admission et lorsque la pharmacothérapie n’était pas considérée comme optimale deux jours avant le congé prévu. D’autres critères d’inclusion étaient la stabilité hémodynamique et des concentrations du fragment N-terminal du propeptide natriurétique de type B (NT-proBNP) s’élevant à plus de 2500 ng/L au moment du recrutement et à plus de 1500 ng/L au moment de la répartition aléatoire, avec une diminution minimale de 10 % entre les deux périodes. Enfin, les patients inclus devaient présenter une pression artérielle systolique (PAS) supérieure ou égale à 100 mmHg, une fréquence cardiaque (FC) de 60 battements par minute ou plus, une kaliémie inférieure ou égale à 5,0 mmol/L dans les 24 heures avant la répartition aléatoire et un débit de filtration glomérulaire de 30 mL/min/1,73 m2 ou plus. Les patients étaient, entre autres, exclus de cette étude s’ils avaient une intolérance connue aux hautes doses de bêtabloquants (BB) ou aux inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine (IECA) et aux antagonistes des récepteurs de l’angiotensine (ARA).

Interventions: Les sujets ont été répartis selon un ratio de 1:1 dans deux groupes, soit prise en charge usuelle ou intensive. Les patients étaient stratifiés en fonction de leur fraction d’éjection du ventricule gauche (FEVG) (inférieure ou égale à 40 % et supérieure à 40 %) et de leur provenance. La pharmacothérapie à l’étude pour l’insuffisance cardiaque consistait en l’association d’un BB, d’un IECA, d’un ARA ou d’un ARNI et d’un antagoniste des récepteurs de l’aldostérone (ARM). Les patients du groupe « prise en charge usuelle » étaient suivis par leur équipe traitante selon les pratiques courantes locales dès leur congé de l’hôpital.

Les patients du groupe de traitement intensif avaient des suivis médicaux fréquents incluant des visites médicales, des contrôles du NT-proBNP et un ajustement de leur pharmacothérapie visant les doses optimales. La première optimisation des doses était complétée dans les deux jours précédant le congé et devait correspondre à au moins 50 % des doses optimales. Les patients étaient revus par l’équipe de l’étude aux semaines un, deux, trois et six après la répartition aléatoire pour un examen physique et des prélèvements sanguins. Les deux groupes étaient rencontrés au jour 90, puis un contact téléphonique était prévu à 180 jours. L’atteinte des doses optimales deux semaines après la répartition aléatoire était visée. Une PAS inférieure à 95 mmHg, une kaliémie supérieure à 5,0 mmol/L ou un débit de filtration glomérulaire inférieur à 30 mL/min/1,73 m2 limitaient l’ajustement à la hausse des IECA, ARA, ARNI ou ARM. Les critères limitant l’ajustement des BB à la hausse étaient une PAS inférieure à 95 mmHg ou une FC inférieure à 55 battements par minute. Quand l’optimisation était retardée, les participants étaient réévalués une semaine après l’atteinte des doses optimales. Quand il était impossible d’atteindre les doses cibles, des visites additionnelles étaient prévues avec les équipes médicales. Une diminution des doses était possible à la discrétion du chercheur sans critère précis.

Points évalués: L’objectif primaire était l’association d’une réadmission pour insuffisance cardiaque ou de mortalité toutes causes confondues à 180 jours. Les objectifs secondaires étaient la variation de la qualité de vie à 90 jours mesurée par l’échelle visuelle analogique EQ-5D, la mortalité toutes causes confondues à 180 jours et la réadmission pour insuffisance cardiaque ou la mortalité toutes causes confondues à 90 jours. Les objectifs exploratoires de l’étude étaient la mortalité cardiovasculaire à 90 et 180 jours, la mortalité toutes causes confondues à 90 jours, la réadmission pour insuffisance cardiaque à 90 et 180 jours, un objectif composé de mortalité, de réadmissions pour insuffisance cardiaque et la variation de la qualité de vie à 90 jours, la variation du NT-proBNP à 90 jours, la variation du poids et des signes et symptômes de congestion à 90 jours. L’objectif de sécurité mesurait l’incidence des réactions indésirables, les valeurs de PAS et de FC ainsi que les résultats des analyses sanguines à 90 jours.

Résultats: L’admissibilité de 1641 patients a été évaluée entre le 10 mai 2018 et le 23 septembre 2022. Parmi ces derniers, 1078 ont été recrutés et répartis aléatoirement en deux groupes. De ces 1078 sujets, seuls 1008 ont été inclus dans les analyses statistiques à 180 jours, soit 506 patients dans le groupe de traitement intensif et 502 dans le groupe témoin. L’étude a été arrêtée précocement étant donné la supériorité du traitement intensif.

Les patients des deux groupes présentaient des caractéristiques démographiques et cliniques similaires après la répartition aléatoire. Les sujets avaient en moyenne 63 ans, étaient majoritairement blancs et 60 % d’entre eux étaient de sexe masculin. La PAS moyenne et la valeur du NT-proBNP de base étaient similaires dans les groupes, soit autour de 123 mmHg et de 4000 ng/L, respectivement. Concernant la FEVG, la valeur de base était similaire dans les deux groupes, c’est-à-dire qu’environ 85 % des patients avaient une FEVG inférieure à 50 % et 68 %, une FEVG inférieure ou égale à 40 %. Notons que chez 48 % des patients, l’insuffisance cardiaque était de nature ischémique. Quant aux antécédents médicaux, une proportion similaire de patients dans les deux groupes avait subi un accident vasculaire cérébral, était atteinte de diabète, d’une maladie coronarienne athérosclérotique préexistante, de maladie hépatique sévère, d’une maladie pulmonaire obstructive chronique, d’arythmies ventriculaires, de fibrillation auriculaire et d’insuffisance cardiaque avant la répartition aléatoire. Au moment du recrutement, parmi les patients du groupe intensif, 0,6 % recevaient une dose optimale d’IECA, d’ARA ou d’ARNI, 0,4 % une dose optimale de BB et 29,2 % une dose optimale d’ARM. Dans le groupe usuel, 0,6 %, 0,2 % et 29,6 % des patients prenaient respectivement une dose optimale d’IECA, d’ARA ou d’ARNI, de BB et d’ARM. Environ 1 % des patients de chaque groupe avaient eu l’implantation d’un cardiostimulateur biventriculaire et 1 % d’un défibrillateur.

L’objectif primaire composé à 180 jours a été observé chez 15,2 % des patients du groupe de traitement intensif et 23,3 % du groupe témoin, soit un ratio de risque ajusté de 0,66 (intervalle de confiance à 95 % [IC 95 %] : 0,50–0,86, p = 0,0021) en faveur du groupe de traitement intensif, pour un nombre nécessaire de patients à traiter (NNT) de 12.

Concernant les objectifs secondaires, les patients du groupe de traitement intensif présentaient un changement du score à l’échelle visuelle analogique EQ-5D à 90 jours de 3,49 (IC 95 % : 1,74–5,24, p < 0,0001). Néanmoins, la mortalité toutes causes confondues à 180 jours ainsi que la mortalité toutes causes confondues et la réadmission pour insuffisance cardiaque à 90 jours n’étaient pas significativement différentes entre les groupes dont les rapports de risque ajustés respectifs étaient de 0,84 (IC 95 % : 0,56–1,26, p = 0,42) et de 0,73 (IC 95 % : 0,53–1,02, p = 0,081).

Pour les objectifs exploratoires, une diminution de l’hospitalisation pour insuffisance cardiaque à 180 jours a été constatée avec un ratio de risque ajusté de 0,56 (IC 95 % : 0,38–0,81, p = 0,0011). Les données colligées montrent aussi une réduction significative des NT-proBNP à 90 jours dans le groupe de traitement intensif comparativement au groupe de traitement usuel (ratio des moyennes géométriques : 0,77, IC 95 % : 0,67–0,89, p = 0,0003). La diminution des signes vitaux (poids, PAS et FC) du groupe de traitement intensif était également plus marquée que dans le groupe témoin, mais sans hypotension sévère. En ce qui a trait aux autres objectifs exploratoires, aucun ne s’est révélé statistiquement significatif. En effet, le ratio de risque ajusté pour la mortalité d’origine cardiovasculaire était de 0,74 (IC 95 % : 0,47–1,16, p = 0,19) à 180 jours et de 0,60 (IC 95 % : 0,33–1,09, p = 0,086) à 90 jours et celui de la mortalité toutes causes confondues était de 0,76 (IC 95 % : 0,45–1,29, p = 0,28) à 90 jours. Enfin, le ratio de risque ajusté pour la réadmission pour insuffisance cardiaque à 90 jours était de 0,67 (IC 95 % : 0,43–1,04, p = 0,13).

Au suivi de 180 jours, 51,8 % des sujets du groupe de traitement intensif avaient une dose optimale d’IECA, d’ARA ou d’ARNI, 45 % une dose optimale de BB et 88,3 % une dose optimale d’ARM. Quant aux patients du groupe témoin, 2,3 %, 5,1 % et 62,7 % recevaient respectivement une dose optimale d’IECA, d’ARA ou d’ARNI, de BB et d’ARM.

Du point de vue de l’innocuité, la survenue d’effets indésirables a été observée à 90 jours chez 41 % des patients du groupe de traitement intensif contre 29 % des sujets témoins. Les effets les plus fréquents étaient l’insuffisance cardiaque décompensée (15 % pour le traitement intensif contre 14 % pour le traitement usuel), l’hyperkaliémie (3 % vs 0 %), l’hypotension (5 % vs moins de 1 %) et l’insuffisance rénale aiguë (3 % vs moins de 1 %). Toutefois, la survenue d’effets indésirables graves n’était pas significativement différente entre les groupes.

Enfin, les analyses présentées montrent des résultats similaires dans tous les sous-groupes de patients. En effet, une absence de différence significative a été observée selon l’âge, la FEVG, les valeurs de PAS et de NT-proBNP au moment de la répartition dans les groupes, la présence d’antécédents de fibrillation ou de flutter auriculaire, la fonction rénale et des données démographiques, comme la région géographique, l’origine ethnique et le sexe biologique.

Grille d’évaluation critique


Discussion

L’étude STRONG-HF a montré une réduction des événements de l’objectif primaire, soit la combinaison de mortalité toutes causes et de réhospitalisation pour insuffisance cardiaque à 180 jours lors d’un ajustement intensif de la pharmacothérapie suivant une hospitalisation pour insuffisance cardiaque en comparaison avec le traitement usuel, pour un NNT de 12. Cependant, lorsque ces deux événements sont analysés individuellement, seule la réhospitalisation à 180 jours est diminuée de façon statistiquement significative dans le groupe intensif. Effectivement, le risque relatif ajusté concernant la mortalité toutes causes à 180 jours était de 0,84 (IC 95 % : 0,56–1,26, p = 0,42). Ainsi, il est possible de conclure que le traitement intensif permet principalement de réduire les réhospitalisations dues à l ’insuffisance cardiaque à 180 jours. Il a aussi été montré qu’une amélioration de la qualité de vie était plus importante chez les patients du groupe de traitement intensif à 90 jours. Par ailleurs, une amélioration des paramètres cliniques a été constatée dans le groupe de traitement intensif. Enfin, les effets indésirables mentionnés sont surtout des hyperkaliémies, des hypotensions ou des insuffisances rénales aiguës qui n’étaient pas considérées comme sérieuses.

L’étude STRONG-HF est pertinente dans la pratique puisqu’il s’agit du premier essai clinique prospectif de bonne qualité méthodologique montrant un avantage du traitement intensif en insuffisance cardiaque. De plus, le nombre élevé de patients ayant des caractéristiques démographiques similaires à la population cible augmente la validité externe. La présence de patients atteints d’insuffisance cardiaque avec FEVG préservée dans l’étude est particulièrement pertinente, étant donné les données limitées concernant la pharmacothérapie optimale chez cette population. En outre, les sujets ont été recrutés dans 14 pays, ce qui montre que le traitement intensif est bénéfique peu importe l’ethnie et les différences en matière de soins de santé à l’international. La validité externe s’en trouve ainsi accrue. L’étude ayant été menée dans les premières vagues de la pandémie de COVID-19, des analyses stratifiées ont été effectuées pour départager les décès liés à l’insuffisance cardiaque et ceux attribuables au virus. Ces analyses ont permis d’exclure les patients décédés ou réhospitalisés en raison de la COVID-19 dans les éléments du composite principal. Par ailleurs, l’étude STRONG-HF inclut une méthode claire pour l’ajustement intensif des médicaments indiqués en insuffisance cardiaque et pour les éléments de suivi, y compris les signes vitaux, les valeurs de laboratoire et les examens physiques. Cette méthode permet de reproduire facilement la prise en charge.

Quelques limites sont toutefois à considérer afin d’analyser les résultats de l’étude STRONG-HF. D’abord, l’âge moyen des patients était de 63 ans, une population plus jeune que celle que l’on voit en clinique au Québec2,21. De plus, la proportion de patients sous ARNI n’est pas distincte de celle sous IECA ou ARA. Conséquemment, la proportion de patients ayant eu une transition entre classe n’a pas été présentée, ce qui crée un biais de confusion étant donné l’efficacité supérieure des ARNI19,23. En outre, au jour 90, 10 % des patients prenaient un iSGLT-2 dans le groupe de traitement intensif et 5 % dans le groupe témoin. L’administration de fer intraveineux a été rapporté chez 1 % des sujets du traitement intensif contre 0 % dans le groupe témoin. Ces proportions pourraient causer un biais de confusion dans l’interprétation des résultats pour le critère d’évaluation principal, car la prise d’iSGLT-2 ou de fer intraveineux pourraient avoir contribué aux avantages observés dans le groupe de traitement intensif1418. Par ailleurs, comme l’étude était sans insu, un biais de performance est possible, en particulier en ce qui a trait à un des objectifs secondaires sur l’évaluation de la qualité de la vie des sujets. En effet, comme les chercheurs savaient que les patients étaient dans le groupe de traitement intensif, ils peuvent avoir interprété plus favorablement l’évolution de leurs symptômes. De plus, l’identification des causes du décès et de la réhospitalisation était de la responsabilité du chercheur qui s’occupait des suivis. Aucun comité indépendant n’a évalué ces causes, ce qui a pu laisser place à l’interprétation et constitue donc un biais d’information possible. Toutefois, comme nous l’avons mentionné plus tôt, le fait d’avoir départagé ces décès ou réadmissions au préalable est un point fort de la méthodologie de l’étude. En ce qui a trait aux pertes au suivi, 70 patients n’ont pas été inclus dans l’analyse du critère d’évaluation principal à 180 jours, notamment en raison de la non-participation de certains centres à cette analyse. Ainsi, il y a un risque possible que le résultat concernant l’objectif primaire soit faussement significatif.

Somme toute, l’étude STRONG-HF se démarque des autres études évaluant l’ajustement rapide des thérapies médicamenteuses en insuffisance cardiaque par sa qualité méthodologique. En effet, la littérature à ce sujet est très hétérogène quant aux médicaments évalués, à la durée du suivi, à l’analyse de l’innocuité du traitement, à l’analyse de la diminution des symptômes d’insuffisance cardiaque et à la manière d’ajuster les doses de médicaments8. Les résultats des autres études étaient aussi contradictoires, certaines en faveur de l’ajustement rapide, d’autres non, ce qui rend la comparaison des études entre elles plus ardue13. Malgré les différences méthodologiques observées, il est possible de conclure à l’apport important des évidences en termes de l’ajustement pharmacologique, qui soutient clairement les bénéfices d’un ajustement rapide après une hospitalisation. Cependant, étant donné les trois mesures d’évaluation utilisées (ajustement rapide des médicaments, suivi rapproché des patients et suivi du NT-proBNP), il est difficile d’identifier précisément la mesure qui amène ces résultats ou de savoir si c’est la combinaison des trois qui en est responsable.

Au Québec, cette étude mènera à l’application d’une conduite précise pour améliorer les traitements et l’évolution clinique des patients souffrant d’insuffisance cardiaque. Les résultats de l’étude sont clairs : l’association des trois mesures d’évaluation permet de diminuer la mortalité toutes causes et les hospitalisations attribuables à l’insuffisance cardiaque, sans effets indésirables majeurs. Pour obtenir des bénéfices semblables à ceux de l’étude, plus de ressources sont néanmoins nécessaires, tant humaines que matérielles et financières. Par exemple, les patients n’auraient plus une visite tous les trois mois, comme c’est le cas à l’heure actuelle, mais bien cinq visites pour cette même période, ce qui demande des locaux et une mobilisation de personnel, augmente les coûts d’exploitation des cliniques externes et exige une organisation particulière. Cela est sans compter la participation essentielle du patient, qui peut s’avérer complexe. Les centres comptant des cliniques d’insuffisance cardiaque pourraient appliquer les modalités de suivis de l’étude plus aisément après quelques ajustements. Toutefois, il est incertain si la titration téléphonique ou par d’autres professionnels de la santé, qui est fréquemment effectuée dans les cliniques d’insuffisance cardiaque serait une option équivalente au traitement intensif proposé par STRONG-HF. Enfin, les patients de 75 ans et plus sont peu représentés dans l’étude, ce qui ne permet pas de tirer de conclusions pour ce groupe qui constituaient 55 % des patients québécois atteints d’insuffisance cardiaque en 2015–201621. Ces patients pourraient aussi être plus sensibles aux effets indésirables découlant de l’ajustement rapide des médicaments. Par conséquent, les doses optimales pourraient être atteintes plus lentement que dans l’étude. Ainsi, l’ajustement rapide pourrait être moins généralisable à ce sous-groupe.

Conclusion

En conclusion, l’étude STRONG-HF a montré que les patients ayant été hospitalisés pour une insuffisance cardiaque décompensée bénéficient d’une optimisation rapide des traitements médicamenteux, soit dans les deux semaines suivant leur congé. Une augmentation attendue des effets indésirables a été observée, sans causer de problèmes graves. De nouvelles études pourraient cependant être pertinentes en raison de l’ajout, dans les lignes directrices actuelles, de nouveaux médicaments qui ont entraîné des bienfaits importants depuis la publication de l’étude STRONG-HF.

Financement

Les auteurs n’ont déclaré aucun financement lié à cet article.

Conflits d’intérêts

Tous les auteurs ont soumis le formulaire de l’ICMJE pour la divulgation de conflits d’intérêts potentiels. Julie Méthot est rédactrice associée de Pharmactuel. Les auteurs n’ont déclaré aucun autre conflit d’intérêts lié au présent article.

Remerciements

Cet article a été écrit dans le cadre du cours «Communication scientifique » de la Faculté de pharmacie de l’Université Laval. Les auteurs remercient la responsable et les professeurs réviseurs.

Références

1. Mebazaa A, Davison B, Chioncel O, Cohen-Solal A, Diaz R, Filippatos G et al. Safety, tolerability and efficacy of up-titration of guideline-directed medical therapies for acute heart failure (STRONG-HF): a multinational, open-label, randomised, trial. Lancet 2022;400:1938–52.
cross-ref  pubmed

2. Institut national de santé publique du Québec. Portrait de la polypharmacie chez les aînés québécois atteints d’insuffisance cardiaque entre 2000 et 2019 (octobre 2023). [en ligne] https://www.inspq.qc.ca/sites/default/files/2023-10/3404-polypharmacie-ainesquebecois-insuffisance-cardiaque.pdf (site visité le 12 mars 2024).

3. Savarese G, Kishi T, Vardeny O, Adamsson Eryd S, Bodegård J, Lund LH et al. Heart failure drug treatment–Inertia, titration, and discontinuation: A multinational observational study (EVOLUTION HF). JACC Heart Fail 2023; 11:1–14.
cross-ref

4. Greene SJ, Fonarow GC. Clinical inertia and medical therapy for heart failure: the unintended harms of ‘first, do no harm’. Eur J Heart Fail 2021;23:1343–5.
cross-ref  pubmed

5. McDonagh TA, Metra M, Adamo M, Gardner RS, Baumbach A, Böhm M et al. 2021 ESC Guidelines for the diagnosis and treatment of acute and chronic heart failure. Eur Heart J 2021;42:3599–726.
cross-ref  pubmed

6. McDonald M, Virani S, Chan M, Ducharme A, Ezekowitz JA, Giannetti N et al. CCS/CHFS Heart failure guidelines update: Defining a new pharmacologic standard of care for heart failure with reduced ejection fraction. Can J Cardiol 2021;37:531–46.
cross-ref  pubmed

7. Heidenreich PA, Bozkurt B, Aguilar D, Allen LA, Byun JJ, Colvin MM et al. 2022 AHA/ACC/ HFSA Guideline for the management of heart failure: A report of the American College of Cardiology/American Heart Association joint committee on clinical practice guidelines. Circulation 2022;145:e895–e1032.

8. Logeart D, Berthelot E, Bihry N, Eschalier R, Salvat M, Garcon P et al. Early and short-term intensive management after discharge for patients hospitalized with acute heart failure: a randomized study (ECAD-HF). Eur J Heart Fail 2022;24:219–26.
cross-ref

9. Bistola V, Simitsis P, Parissis J, Ouwerkerk W, van Veldhuisen DJ, Cleland JG et al. Association between up-titration of medical therapy and total hospitalizations and mortality in patients with recent worsening heart failure across the ejection fraction spectrum. Eur J Heart Fail 2021;23:1170–81.
cross-ref  pubmed

10. Carubelli V, Lombardi C, Specchia C, Peveri G, Oriecuia C, Tomasoni D et al. Adherence and optimization of angiotensin converting enzyme inhibitor/angiotensin II receptors blockers and beta-blockers in patients hospitalized for acute heart failure. ESC Heart Fail 2021;8:1944–53.
cross-ref  pubmed  

11. Yamaguchi T, Kitai T, Miyamoto T, Kagiyama N, Okumura T, Kida K et al. Effect of optimizing guideline-directed medical therapy before discharge on mortality and heart failure readmission in patients hospitalized with heart failure with reduced ejection fraction. Am J Cardiol 2018;121:969–74.
cross-ref  pubmed

12. Gayat E, Arrigo M, Littnerova S, Sato N, Parenica J, Ishihara S et al. Heart failure oral therapies at discharge are associated with better outcome in acute heart failure: a propensity-score matched study. Eur J Heart Fail 2018;20:345–54.
cross-ref

13. Kimmoun A, Takagi K, Gall E, Ishihara S, Hammoum P, El Bèze N et al. Temporal trends in mortality and readmission after acute heart failure: a systematic review and meta-regression in the past four decades. Eur J Heart Fail 2021;23:420–31.
cross-ref  pubmed

14. McMurray JJV, Solomon SD, Inzucchi SE, Køber L, Kosiborod MN, Martinez FA et al. Dapagliflozin in patients with heart failure and reduced ejection fraction. N Engl J Med 2019; 381:1995–2008.
cross-ref  pubmed

15. Packer M, Anker SD, Butler J, Filippatos G, Pocock SJ, Carson P et al. Cardiovascular and renal outcomes with empagliflozin in heart failure. N Engl J Med 2020;383:1413–24.
cross-ref  pubmed

16. Ponikowski P, Kirwan B-A, Anker SD, McDonagh T, Dorobantu M, Drozdz J et al. Ferric carboxymaltose for iron deficiency at discharge after acute heart failure: a multicentre, doubleblind, randomised, controlled trial. Lancet 2020;396:1895–904.
cross-ref  pubmed

17. Kalra PR, Cleland JG, Petrie MC, Thomson EA, Kalra PA, Squire IB et al. Intravenous ferric derisomaltose in patients with heart failure and iron deficiency in the UK (IRONMAN): an investigator-initiated, prospective, randomised, open-label, blinded-endpoint trial. Lancet 2022;400:2199–209.
cross-ref  pubmed

18. Mentz RJ, Garg J, Rockhold FW, Butler J, De Pasquale CG, Ezekowitz JA et al. Ferric carboxymaltose in heart failure with iron deficiency. N Engl J Med 2023;389:975–86.
cross-ref  pubmed

19. Velazquez EJ, Morrow DA, DeVore AD, Duffy CI, Ambrosy AP, McCague K et al. Angiotensinneprilysin inhibition in acute decompensated heart failure. N Engl J Med. 2019;380:539–48.
cross-ref

20. Greene SJ, Butler J, Albert NM, DeVore AD, Sharma PP, Duffy CI et al. Medical therapy for heart failure with reduced ejection fraction: the CHAMP-HF registry. J Am Coll Cardiol 2018; 72:351–66.
cross-ref  pubmed

21. Institut national de santé publique du Québec. Surveillance de l’insuffisance cardiaque au Québec : prévalence, incidence et mortalité de 2005–2006 à 2015–2016. [en ligne] https://www.inspq.qc.ca/sites/default/files/publications/2560_surveillance_insuffisance_cardiaque.pdf (site visité le 12 mars 2024).

22. Tan NY, Sangaralingham LR, Sangaralingham SJ, Yao X, Shah ND, Dunlay SM. Comparative effectiveness of sacubitril-valsartan versus ACE/ ARB therapy in heart failure with reduced ejection fraction. JACC Heart Fail 2020;8:43–54.
cross-ref

23. McMurray JJV, Packer M, Desai AS, Gong J, Lefkowitz MP, Rizkala AR et al. Angiotensin-neprilysin inhibition versus enalapril in heart failure. N Engl J Med 2014;371:993–1004.
cross-ref  pubmed


Pour toute correspondance : Ève Masse, 2725, chemin Sainte-Foy, Québec (Québec) G1V 4G5, CANADA; Téléphone : 418 656-8711; Télécopieur : 418 656-4656; Courriel : eve.masse.iucpq@ssss.gouv.qc.ca

(Return to Top)


PHARMACTUEL, Vol. 57, No. 2, 2024