Éditorial

Quel est l’état de la recherche évaluative et de l’évaluation des pratiques professionnelles en établissement de santé?

Jean-François Bussières1,2, B.Pharm., M.Sc., MBA, FSCHP, FOPQ, Line Guénette3,4, B.Pharm., M.Sc., Ph.D., Vincent Leclerc5, B.Pharm., M.Sc., Marie-Élaine Métras1,6,7, Pharm.D., M.Sc., Luc Bergeron3,8,9, B.Pharm., M.Sc., FSCHP, Julie Méthot3,5,10, B.Pharm., M.Sc., Ph.D., FOPQ

1Pharmacien, Département de pharmacie et Unité de recherche en pratique pharmaceutique, Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine, Montréal (Québec) Canada;
2Professeur titulaire de clinique, Faculté de pharmacie, Université de Montréal, Montréal (Québec) Canada;
3Professeure, Faculté de pharmacie, Université Laval, Québec (Québec) Canada;
4Chercheuse, VITAM, Centre de recherche en santé durable, Québec (Québec) Canada;
5Pharmacien, Département de pharmacie, Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec–Université Laval, Québec (Québec) Canada;
6Professeure adjointe de clinique, Faculté de pharmacie, Université de Montréal, Montréal (Québec) Canada;
7Chercheuse, Axe maladies infectieuses et soins aigus, Centre de recherche, Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine, Montréal (Québec) Canada;
8Pharmacien, Département de pharmacie, Centre hospitalier universitaire de Québec–Université Laval, Québec (Québec) Canada;
9Chercheur universitaire clinicien, Centre de recherche du Centre hospitalier universitaire de Québec–Université Laval, Axe santé des populations et pratiques optimales en santé, Québec (Québec) Canada;
10Chercheuse, Centre de recherche de l’Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec–Université Laval, Québec (Québec) Canada

Reçu le 18 décembre 2023; Accepté après révision le 17 mars 2024

La mission de Pharmactuel est de publier des articles en français sur les soins, la pratique et la recherche pharmaceutique en établissement de santé1. Le comité de rédaction souhaite notamment continuer à promouvoir la publication scientifique par les pharmaciens membres de l’Association des pharmaciens des établissements de santé du Québec (A.P.E.S.). Afin de décrire le contexte entourant la recherche évaluative et l’évaluation des pratiques professionnelles en établissement de santé et de services sociaux de courte durée au Québec, nous avons sondé les chefs de départements de pharmacie en 2023.

Les membres du comité de rédaction de Pharmactuel ont proposé des thèmes pertinents à sonder (gouvernance, statut des pharmaciens, modèle de planification et de rémunération, productivité scientifique, soutien à la recherche évaluative, actions d’amélioration envisagées) et créé un questionnaire de 27 questions. Ce dernier a été révisé, puis prétesté auprès de deux chefs de département. L’A.P.E.S. a envoyé le questionnaire Web par courriel à tous les chefs de département de pharmacie en octobre 2023. Une relance a été effectuée en novembre 2023.

Dans le cadre du sondage, la recherche évaluative inclut la tenue d’audits, les revues d’utilisation de médicaments, les études portant sur le circuit du médicament, les travaux des résidents à la maîtrise en pharmacothérapie avancée et toutes les évaluations de pratiques professionnelles ou les études entreprises par l’équipe de pharmacie et pouvant conduire à une communication affichée ou écrite des membres du Département de pharmacie. Toutefois, le sondage exclut les activités effectuées en soutien aux essais cliniques menés par d’autres intervenants (promoteur externe ou interne) que les membres du Département de pharmacie. La participation à ce sondage était volontaire, et les répondants étaient informés que les données recueillies seraient publiées de façon agrégée sous forme de communication affichée et d’article.

Quatre-vingt-dix pour cent (26/29) des chefs de département de pharmacie responsables d’au moins une installation de soins de courte durée ont répondu au questionnaire transmis par courriel par l’A.P.E.S. Au 1er décembre 2023, les répondants représentaient 1476 équivalents-temps plein de pharmaciens (1669 personnes). Il s’agit d’une part importante des membres, les données publiées par l’A.P.E.S. en décembre 2022 faisant état de 1822 membres actifs2.

En ce qui concerne la gouvernance de la recherche clinique et évaluative, plus de la moitié des répondants (54 %, 14/26) ont mentionné qu’un membre de l’équipe de gestion (chef, chef adjoint ou adjoint) a été formellement chargé d’encadrer la recherche clinique et évaluative. De même, la moitié des répondants (50 %, 13/26) ont nommé, en sus de l’équipe de gestion, un pharmacien de leur équipe au soutien des projets de recherche entrepris par un membre de l’équipe. Plus de la moitié des répondants (58 %, 15/26) ont formulé des recommandations spécifiques sur la recherche clinique et évaluative initiée par des membres de leur équipe dans le cadre de leur dernière planification stratégique. Bien que plusieurs centres hospitaliers à vocation universitaire aient un membre de l’équipe de gestion responsable de l’encadrement de la recherche évaluative (79 %, 11/14), certains centres intégrés de santé et de services sociaux (CISSS) en ont également un (23 %, 3/13).

En ce qui concerne le statut des pharmaciens à la recherche clinique et évaluative, plus de la moitié des répondants (58 %, 15/26) ont indiqué que leur département compte au moins un pharmacien ayant un statut de chercheur auprès du centre de recherche de l’établissement (médiane = 4, min. = 1, max. = 82) pour un total de 187 pharmaciens-chercheurs. Le nombre élevé de membres est lié à l’incitation d’au moins un centre de recherche d’inviter tous les membres du Conseil des médecins, dentistes et pharmaciens à joindre l’assemblée des chercheurs de son établissement. Les deux tiers des répondants (69 %, 18/26) ont mentionné que leur département a au moins un pharmacien qui est également membre régulier du Comité d’éthique de la recherche (CER) (médiane = 2, min. = 1, max. = 8) pour un total de 47 pharmaciens. Notre sondage révèle donc qu’il reste encore du chemin à parcourir, tant pour la gouvernance que pour le statut des pharmaciens comme chercheurs ou membres du CER.

Quatre approches de planification ou de rémunération permettant aux pharmaciens d’établissement de faire de la recherche clinique et évaluative ont été répertoriées. Premièrement, il y a du temps consacré à la recherche et il s’agit d’une fonction à l’horaire (p. ex. : un pharmacien peut être libéré à raison de huit heures à la fois sur l’horaire) (8 %, 2/26). Deuxièmement, le département consacre du temps à la recherche, et le pharmacien peut demander à se prévaloir des heures prévues qui sont octroyées par le gestionnaire de l’horaire en fonction du temps disponible (31 %, 8/26). Troisièmement, le département ne consacre pas de temps consacré à la recherche, et le pharmacien doit donc faire le projet durant ses heures en clinique en ajustant sa charge de travail (35 %, 9/26). Quatrièmement, il n’y a pas de temps consacré à la recherche, et le pharmacien doit faire le projet de recherche en dehors des heures de travail rémunérées (8 %, 2/26). Ainsi, les répondants déclarent un nombre médian annuel d’heures rémunérées en temps pharmacien consacré à la recherche évaluative de 0 heure (min. = 0, max. = 2000) et un nombre médian annuel d’heures rémunérées en temps non pharmacien de 0 heure (min. = 0, max. = 9100). En vertu du manuel de gestion financière du ministère de la Santé et des Services sociaux, le centre d’activités 6800 regroupe l’ensemble des dépenses relatives aux services et aux soins pharmaceutiques3. Comme la recherche fondamentale et clinique relève du centre d’activité 0100, il est raisonnable d’affirmer que les activités de recherche évaluative et d’évaluation des pratiques professionnelles relèvent du centre d’activité 6800, car elles permettent de maintenir la conformité de l’exercice de la pharmacie au cadre juridique et normatif et d’améliorer les pratiques en services et en soins comportant des écarts4.

En ce qui concerne la productivité scientifique des pharmaciens des départements de pharmacie du Québec, le nombre médian de résumés sous forme d’affiche ou de présentation orale dans un congrès du 1er avril 2022 au 31 mars 2023 était de 1 (min. = 0, max. = 32) pour un total de 141. Neuf répondants n’ont mentionné aucune communication affichée ou orale. De plus, pour la même période, le nombre médian d’articles publiés dans une revue scientifique non indexée dans PubMed (p. ex. : dans des revues professionnelles comme Pharmactuel) était de 1 (min. = 0, max. = 30) pour un total de 59. Enfin, le nombre médian d’articles publiés dans une revue scientifique indexée sur PubMed était de 0 (min. = 0, max. = 39) pour un total de 91. En somme, notre sondage révèle que les pharmaciens hospitaliers québécois ont publié au moins 291 communications affichées ou écrites (articles) du 1er avril 2022 au 31 mars 2023, une contribution remarquable à la recherche évaluative, à l’évaluation des pratiques professionnelles et au rayonnement de la pharmacie d’établissement.

En ce qui concerne le soutien à la recherche clinique et évaluative, il y avait un nombre variable et relativement limité de répondants qui offraient différents services de soutien, soit en ordre décroissant de prévalence : aide à la soumission du projet au CER (62 %, 16/26), aide à la rédaction du protocole de recherche ou de la méthode (46 %, 12/26), aide à l’analyse statistique des données (46 %, 12/26), aide à la collecte de données (38 %, 10/26), aide à la traduction en anglais ou à sa révision (27 %, 7/26), aide financière pour assumer les coûts inhérents à la soumission (23 %, 6/26), aide à la rédaction ou à la relecture scientifique du résumé, de l’affiche ou de l’article (19 %, 5/26). Ces données montrent que les établissements de santé doivent soutenir davantage la recherche évaluative et l’évaluation des pratiques professionnelles en offrant des services de soutien.

En outre, nous avons demandé aux répondants de proposer des améliorations à envisager pour augmenter la productivité scientifique et le rayonnement de leur département. Parmi les suggestions, on note l’obtention de l’appui réel de la direction de l’établissement, le financement récurrent suffisant en heures de temps de pharmaciens, mais également de temps d’autres professionnels de soutien (p. ex. : spécialistes en activités cl iniques ou agents de planification, de programmation ou de recherche), la réduction marquée de la pénurie de pharmaciens, une meilleure formation continue des pharmaciens en recherche évaluative, un répertoire des ressources financières existantes, une simplification du processus inhérent à la soumission de protocoles de recherche au CER lorsque ça s’applique, une communauté de pratique pour accroître le partage entre les établissements de santé et de services sociaux et la création d’une unité de recherche en pratique professionnelle au sein de leur département.

Marceau et coll. ont publié les résultats d’un sondage similaire en 2017, avec un taux de réponse de 73 % (22/30)5. Notre sondage présente un taux de réponse plus élevé (93 %) et met en évidence une présence accrue en nombre absolu d’équivalents-temps plein en recherche évaluative5. D’autres travaux ont été menés sur la publication en pharmacie. Hung et coll. ont également publié des données relatives au taux de publication des projets de résidents en pharmacie6. Notre sondage ne permet pas d’établir la contribution des pharmaciens résidents. En outre, Bussières et coll. ont souligné, en octobre 2023, le 21e anniversaire de l’Unité de recherche en pratique pharmaceutique7. L’équipe du Centre hospitalier universitaire de Québec – Université Laval présente l’émergence de son initiative8. La diffusion de ces initiatives illustre comment la recherche évaluative et l’évaluation des pratiques professionnelles peuvent s’organiser en établissement de santé.

Bien que les chefs de départements de pharmacie soient périodiquement sondés sur la pratique pharmaceutique hospitalière dans le cadre de la grande enquête canadienne menée tous les trois ans par la Société canadienne de pharmaciens d’hôpitaux, cette enquête ne s’est pas intéressée à ce volet depuis plus d’une décennie9. Ainsi, notre sondage dresse un portrait récent qui souligne l’importance de développer les activités de recherche évaluative et d’évaluation de pratique professionnelle. En outre, le taux de participation a été important. Toutefois, il comporte un biais de désirabilité sociale, bien que les éléments recueillis soient pour la plupart factuels et objectifs.

En espérant que le projet de loi 15 (Loi visant à rendre le système de santé et de services sociaux plus efficace) et la création de Santé Québec n’auront pas pour effet de limiter les initiatives et les succès sur le terrain jusqu’à maintenant, mais qu’ils soutiendront plutôt, à une plus grande échelle, ce qui permettra aux départements de pharmacie de croître, de s’évaluer et d’offrir des services et des soins de santé sûrs10.

Financement

Les auteurs n’ont déclaré aucun financement lié au présent article.

Conflits d’intérêts

Les auteurs ont soumis le formulaire de l’ICMJE pour la divulgation de conflits d’intérêts potentiels. Ils sont tous membres du comité de rédaction de Pharmactuel. Les auteurs n’ont déclaré aucun autre conflit d’intérêts lié à cet article.

Références

1. Comité de rédaction. Mission de Pharmactuel. [en ligne] https://pharmactuel.com/index.php/pharmactuel/mission (site visité le 15 décembre 2023).

2. Association des pharmaciens des établissements de santé du Québec. Rapport d’activités 2022. [en ligne] https://www.apesquebec.org/sites/default/files/publications/rapports_dactivite/20230517_RA_2022_final.pdf (site visité le 15 décembre 2023).

3. Ministère de la Santé et des Services sociaux. Manuel de gestion financière. Chapitre 04 – 6800 – Pharmacie. [en ligne] https://g26.pub.msss.rtss.qc.ca/Formulaires/MGF/ConsMGF.aspx?enc=UAhbQI2/++4= (site visité le 15 décembre 2023).

4. Ministère de la Santé et des Services sociaux. Manuel de gestion financière. Chapitre 04 – 0100 – Recherche. [en ligne] https://g26.pub.msss.rtss.qc.ca/Formulaires/MGF/ConsMGF.aspx?enc=oeG0y5GI7H4= (site visité le 15 décembre 2023).

5. Marceau N, Lamoureux CL, Cabot JF, To V, Adam JP. État de la recherche en pharmacie d’établissement de santé au Québec. Pharmactuel 2017;50:219–26.

6. Hung M, Duffett M. Canadian pharmacy practice residents’ projects: publication rates and study characteristics. Can J Hosp Pharm 2013; 66:86–95.
pubmed  

7. Bussières JF, Tanguay C, Roy H, Lebel D, Atkinson S. 21ème anniversaire de l’URPP. Ann URPP 2023 ; 17 octobre : p. 1–10. [en ligne] http://indicible.ca/urpp/20231017_URPPCHUSJ21_Annales.pdf (site visité le 15 décembre 2023).

8. Héroux C, Déry N. Recherche clinique en pharmacie : créer une structure pour mieux se développer. Le Chuchoteur. 13 février 2023. [en ligne] https://www.chudequebec.ca/a-proposde-nous/publications/revues-en-ligne/le-chuchoteur/recherche/recherche-clinique-enpharmacie-creer-une-structur.aspx (site visité le 15 décembre 2023).

9. Jones R, Bonnici A, Dhillon B, MacNair K, Mills A, Dittmar C et al. Hospital pharmacy in Canada survey report 2020/21. [en ligne] https://www.cshp.ca/docs/pdfs/HPCS-2020-21-Report-ENG.pdf (site visité le 15 décembre 2023).

10. Assemblée nationale. Projet de loi 15. Loi visant à rendre le système de santé et de services sociaux plus efficace. [en ligne] https://www.assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/projets-loi/projet-loi-15-43-1.html?appelant=MC (site visité le 15 décembre 2023).


Pour toute correspondance : Jean-François Bussières, Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine, 3175, chemin de la Côte-Sainte-Catherine, Montréal (Québec) H3T 1C5, CANADA; Téléphone : 514 345-4603; Courriel : jean-francois.bussieres.hsj@ssss.gouv.qc.ca

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PHARMACTUEL, Vol. 57, No. 3, 2024