Traitement à la clonidine par voie orale pour une patiente atteinte d’hyperemesis gravidarum réfractaire

Maud Blin Mathieu1,2, D.Pharm., M.Sc., Josiane Larochelle1,3, B.Pharm., M.Sc., Marie-Hélène Turgeon1,4, Pharm.D., M.Sc.

1Candidate à la maîtrise en pharmacothérapie avancée au moment de la soumission de l’article, Université de Montréal, Montréal (Québec) Canada;
2Pharmacienne, Centre universitaire de santé McGill, Montréal (Québec) Canada;
3Pharmacienne, CSSS-Institut universitaire de gériatrie de Sherbrooke, Sherbrooke (Québec) Canada;
4Pharmacienne, Centre hospitalier de l’Université de Montréal, Montréal (Québec) Canada

Reçu le 05 décembre 2013: Accepté après révision par les pairs le 28 janvier 2014

Résumé

Objectif : Décrire un cas d’hyperemesis gravidarum réfractaire aux traitements standards dont l’état de santé s’est amélioré à la suite de la prise de clonidine par voie orale.

Résumé du cas : Il s’agit d’une femme de 32 ans souffrant de vomissements depuis le début de sa grossesse. L’aggravation de son état de santé a nécessité son hospitalisation à 14 semaines de grossesse. Les vomissements s’accompagnaient d’une hypersalivation, d’une épigastralgie, d’une perte de poids, d’une cétonurie et d’une hypokaliémie, ce qui a permis de poser un diagnostic d’hyperemesis gravidarum. Plusieurs traitements ont été entrepris pour soulager les symptômes : hydratation, pyridoxine, diphénhydramine, métoclopramide, ranitidine, pantoprazole et ondansétron. Finalement, l’ajout de la clonidine orale a permis d’obtenir un soulagement important et durable des symptômes d’hyperemesis gravidarum.

Discussion : L’hyperemesis gravidarum complique jusqu’à 2 % des grossesses. Il est possible de recourir à plusieurs médicaments dans cette indication, mais certaines patientes ne répondent pas aux traitements habituels. La clonidine est un agoniste alpha-adrénergique central principalement utilisé comme antihypertenseur. Peu de données de la littérature scientifique appuient son utilisation pour le traitement de l’hyperemesis gravidarum réfractaire. D’un point de vue chronologique et clinique, on peut considérer comme probable l’efficacité de la clonidine pour le soulagement de l’hyperemesis gravidarum dans le cas présenté ici.

Conclusion : Ce rapport de cas décrit l’utilisation de la clonidine pour une patiente réfractaire aux traitements standards. L’efficacité de cet agent devra être évaluée dans le cadre d’études cliniques pour mieux établir sa place dans la thérapie.

Mots clés : Clonidine, grossesse, hyperemesis gravidarum, vomissement

Abstract

Objective : To describe a case of standard treatment–refractory hyperemesis gravidarum in which the patient’s condition improved following the administration of oral clonidine.

Case summary : A pregnant 32-year-old woman was admitted to hospital at 14 weeks’ gestation. She was vomiting, with hypersalivation, epigastralgia, weight loss, ketonuria and hypokalemia, leading to a diagnosis of hyperemesis gravidarum. Several treatments were used to relieve the symptoms: hydration, pyridoxine, diphenhydramine, metoclopramide, ranitidine, pantoprazole, and ondansetron. Finally, oral clonidine was prescribed, resulting in the patient’s significant and lasting symptomatic relief from hyperemesis gravidarum.

Discussion : Hyperemesis gravidarum is a complication of pregnancy in up to 2% of cases. A number of drugs can be used for this condition, but some patients do not respond to the usual treatment. Clonidine is a central alpha-adrenergic agonist used mainly as an antihypertensive. Limited data exist in the scientific literature to support its use in the treatment of refractory hyperemesis gravidarum. From a chronological and clinical standpoint, clonidine was effective in relieving hyperemesis gravidarum in this patient.

Conclusion : This case report describes the use of clonidine in a patient with hyperemesis gravidarum that was refractory to standard treatment. The efficacy of this agent should be evaluated in clinical trials to better determine its therapeutic role.

Keywords : Clonidine, hyperemesis gravidarum, pregnancy, vomiting

Introduction

L’hyperemesis gravidarum (HG), survenant chez 0,5 à 2 % des femmes enceintes, constitue la forme la plus grave des nausées et vomissements liés à la grossesse1. La persistance des nausées et des vomissements augmente le risque de complications maternelles, comme la déshydratation, les déséquilibres électrolytiques, les carences nutritionnelles, l’œsophagite et l’encéphalopathie de Wernicke, et peut affecter considérablement la qualité de vie des patientes2,3. L’HG peut, dans les cas les plus graves, mener à une réduction significative du poids du nouveau-né et, exceptionnellement, à une augmentation du risque de prématurité2,3. Il existe différentes options pharmacologiques pour traiter l’HG, tels que les antihistaminiques de première génération, les phénothiazines, la pyridoxine et les prokinétiques comme le métoclopramide. Néanmoins, ces traitements habituels ne soulageront pas toutes les patientes. Une série de cas propose l’utilisation de la clonidine en timbre transdermique (non disponible sur le marché canadien) pour traiter les femmes réfractaires au traitement usuel de l’HG2. Le cas présenté dans cet article décrit une patiente atteinte d’HG réfractaire aux traitements habituels, dont l’état s’est amélioré après l’ajout de clonidine par voie orale. Il s’agit, à notre connaissance, de la publication du premier cas d’utilisation de la clonidine par voie orale dans cette indication.

Description du cas

Il s’agit d’une femme de 32 ans d’origine ghanéenne enceinte de 14 semaines. Elle présente des vomissements depuis le début de sa grossesse, qui se sont aggravés au cours des trois jours précédant son hospitalisation.

Il s’agit de sa deuxième grossesse. Elle a déjà un enfant né à 36 semaines de grossesse avec un retard de croissance intra-utérin, sans autre anomalie congénitale. La patiente ne fume pas, ne prend pas d’alcool et ne souffre d’aucune allergie médicamenteuse. Ses antécédents médicaux montrent notamment un diabète gestationnel probable et une HG lors de sa première grossesse. La patiente avait alors été hospitalisée et avait reçu un traitement intraveineux de métoclopramide associé à de la diphénhydramine suivi d’un relais par voie orale au métoclopramide et à l’hydroxyzine. Une réaction extrapyramidale (rigidité de la mâchoire et difficulté à parler) avait nécessité l’arrêt du métoclopramide. L’hydroxyzine avait ensuite été remplacée par l’association de doxylamine et de pyridoxine (DiclectinMD).

Lors de la première visite médicale à 11 semaines de sa deuxième grossesse, la patiente souffrait de nausées et de vomissements depuis une dizaine de jours. Une perfusion intraveineuse continue de solution saline à 0,9 % avec du dextrose à 5 % avait permis de la réhydrater. Elle était repartie avec une ordonnance de doxylamine et de pyridoxine (six comprimés par jour). Une semaine plus tard, la patiente s’est présentée au service d’urgence pour une récidive des nausées avec une moyenne de quatre épisodes de vomissements par jour. Bien qu’elle arrivait à s’alimenter et à s’hydrater et que les cétones urinaires étaient négatives, un diagnostic de gastrite érosive avait nécessité l’ajout de ranitidine par voie orale (150 mg deux fois par jour) et d’acide alginique (après chaque repas et au coucher).

À son hospitalisation, la patiente, enceinte de 14 semaines, présente jusqu’à cinq ou six épisodes de vomissements par jour et n’est pas capable de s’alimenter ni de s’hydrater. Elle présente les symptômes suivants : une détérioration de l’état général, une hypersalivation, une hématémèse, des céphalées, des gaz intestinaux et une douleur abdominale diffuse avec épigastralgie augmentant d’intensité lors des vomissements. Sur le plan obstétrical, la patiente ne présente ni pertes sanguines, ni pertes de liquides, ni contractions utérines. Ses signes vitaux sont normaux. Depuis le début de sa grossesse, la patiente a perdu 16 kg, ce qui correspond à environ 22 % de son poids d’avant la grossesse. L’analyse urinaire montre la présence de cétones. Le tableau I présente les résultats détaillés des analyses de laboratoires et des signes vitaux.

Tableau I Résultats des analyses de laboratoire et des signes vitaux

 

À l’admission, la patiente prend les médicaments suivants : 150 mg de ranitidine une fois par jour, une multivitamine de grossesse une fois par jour ainsi que huit comprimés par jour de doxylamine et de pyridoxine. L’urgentiste diagnostique un HG et une gastrite érosive. La prise en charge initiale de la patiente comporte l’hospitalisation, le démarrage du protocole de traitement de l’HG du CHU Sainte-Justine (figure 1) ainsi que la réalisation d’un bilan hépatique et d’une échographie abdominale. Aucun dépistage d’Helicobacter pylori n’est effectué. La patiente reçoit donc une perfusion d’hydratation et les médicaments suivants par voie intraveineuse : thiamine, diphénhydramine, métoclopramide en perfusion continue, pyridoxine, ranitidine et multivitamines. Le tableau II présente l’évolution de la médication de la patiente pendant son hospitalisation.

 


 

Figure 1 Algorithme du CHU Sainte-Justine de Montréal pour le traitement des nausées et vomissements durant la grossesse3
Abréviations : IV : intraveineux; Ex. : exemple
Figure adaptée de la réf. 3. Ce protocole représente la pratique actuelle au CHU Sainte-Justine
Reproduction de cet algorithme avec les autorisations requises des Éditions du CHU Sainte-Justine

Tableau II Médication et état clinique au cours de l’hospitalisation et au congé de l’hôpital

 

Au jour deux, étant donné la détérioration de l’état de la patiente dans la nuit malgré le traitement médical initial, une thérapie à l’ondansétron par voie intraveineuse est entreprise à une dose de 4 mg toutes les huit heures. La perfusion de métoclopramide, augmentée le matin à 65 mg par jour, est finalement interrompue compte tenu de l’antécédent de réaction extrapyramidale de la patiente lors de sa grossesse antérieure. L’hydratation intraveineuse, l’administration de diphénhydramine, de pyridoxine et de multivitamines sont poursuivies. Puisque le soulagement de l’épigastralgie demeure faible, on remplace la ranitidine par 40 mg de pantoprazole par voie intraveineuse une fois par jour, avec une optimisation rapide à 40 mg par voie intraveineuse toutes les 12 heures. L’échographie abdominale ne révèle aucune anomalie.

Le matin du jour trois, étant donné la persistance des nausées, des vomissements et de l’hypersalivation, l’équipe traitante augmente l’ondansétron à 8 mg par voie intraveineuse toutes les huit heures. Puisque la fréquence des vomissements est encore élevée et que la patiente présente une hypersalivation importante, l’équipe traitante entreprend l’administration de clonidine par voie orale à une dose de 0,05 mg deux fois par jour. La perfusion d’hydratation intraveineuse, l’administration de diphénhydramine, de pantoprazole, de pyridoxine et de multivitamines se poursuivent. On note une diminution de la douleur épigastrique.

Au jour quatre, l’état clinique de la patiente s’améliore. Elle n’a présenté des nausées que durant la nuit et aucun vomissement. Comme la tension artérielle de la patiente demeure acceptable (91–106/53–59 mm Hg), on augmente la dose de clonidine à la dose cible de 0,1 mg deux fois par jour. Après 24 heures sans vomissement, on entreprend l’alimentation liquide. L’épigastralgie évolue favorablement. La patiente continue à recevoir l’ondansétron, l’hydratation intraveineuse, le pantoprazole, la diphénhydramine, la pyridoxine et les multivitamines.

Au jour cinq, la patiente entreprend un régime solide hypolipidique, qui est bien toléré. Les nausées, les vomissements, l’hypersalivation et le pyrosis ont disparu. Toujours sous clonidine, la patiente commence un traitement relais par voie orale à l’ondansétron. La ranitidine par voie orale (150 mg deux fois par jour) remplace le pantoprazole. On cesse l’hydratation intraveineuse, l’administration de pyridoxine et de multivitamines. L’hydroxyzine (25 mg par voie orale quatre fois par jour) remplace la diphénhydramine par voie intraveineuse.

Au jour six, la patiente obtient son congé de l’hôpital, puisqu’elle tolère l’alimentation solide. À la sortie de l’hôpital, elle se voit prescrire les médicaments suivants, par voie orale : oméprazole, 20 mg deux fois par jour; ondansétron, 8 mg trois fois par jour; clonidine, 0,1 mg deux fois par jour; hydroxyzine, 25 mg quatre fois par jour au besoin.

Les pharmaciennes de l’hôpital ont assuré un suivi téléphonique de la patiente toutes les deux à trois semaines, afin de réévaluer le traitement. Neuf jours après son congé, la patiente se portait bien et prenait toujours l’ondansétron (8 mg trois fois par jour), la clonidine (0,1 mg deux fois par jour), l’oméprazole (20 mg une fois par jour) et l’hydroxyzine (25 mg au coucher). Vingt-trois jours après son congé, on réduisait la dose d’ondansétron à une fois par jour et on cessait l’oméprazole. Lors de ce suivi, la réduction de la dose de clonidine a été discutée. Deux semaines plus tard, la patiente avait effectivement réduit sa dose à 0,1 mg une fois par jour, et elle prenait toujours l’ondansétron (8 mg une fois par jour). La patiente a finalement poursuivi et bien toléré la prise de clonidine (0,1 mg une fois par jour), d’ondansétron (8 mg une fois par jour) et d’hydroxyzine (25 mg une fois par jour) pendant toute sa grossesse jusqu’à l’accouchement à 38 semaines. Elle a donné naissance à une petite fille de 2 950 g, née à terme et en bonne santé.

Analyse

L’HG se caractérise par des nausées et des vomissements persistants, accompagnés d’une perte de poids supérieure à 5 % du poids d’avant la grossesse, d’une déshydratation, d’une cétonurie et de déséquilibres acidobasiques et électrolytiques, comme l’hypokaliémie1,3. Bien qu’on ne connaisse pas précisément l’étiologie des nausées et des vomissements de la grossesse, les facteurs contributifs comprennent la stase gastrique, les désordres hormonaux liés à la grossesse et la prise de multivitamines prénatales3. La prise en charge de l’HG consiste en une hospitalisation possible, une hydratation intraveineuse, l’arrêt de la prise d’aliments et l’administration d’antiémétiques, soit seuls, soit en combinaison3. De plus, l’administration d’une dose de thiamine parentérale préviendra l’encéphalopathie de Wernicke3. Par ailleurs, puisque les nausées et vomissements peuvent s’associer à des brûlures d’estomac et à un reflux gastro-oesophagien, il est nécessaire de les traiter4. Il est possible d’essayer plusieurs médicaments : les antiacides, le sucralfate et la ranitidine en premier recours, et les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) en deuxième recours.

Plusieurs auteurs ont passé en revue la littérature médicale portant sur l’efficacité et la sécurité des médicaments utilisés pour le traitement de l’HG5,6. Une diminution des nausées et des vomissements a été observée sous l’effet du métoclopramide, des antihistaminiques de type H1, de la pyridoxine, des phénothiazines, des corticostéroïdes et de l’ondansétron5,6. Toutefois, il n’a pas été possible de déterminer leur efficacité relative en raison du manque d’études comparatives6. De plus, aucun facteur ne permet de prédire la réponse individuelle aux antiémétiques6.

En ce qui concerne l’innocuité des médicaments durant la grossesse, le métoclopramide, les antihistaminiques de type H1, la pyridoxine et les phénothiazines ne sont pas associés à un risque accru de malformations majeures du nouveau-né3,5. En raison de l’expérience clinique plus limitée avec l’ondansétron, ce dernier est réservé aux patientes réfractaires aux traitements habituels7,8. Par ailleurs, certaines études ont démontré une augmentation du risque de fente labiopalatine chez l’enfant avec l’utilisation des corticostéroïdes, spécifiquement lors d’un traitement entre la huitième et la onzième semaine de grossesse1. Même si le risque absolu demeure faible, leur utilisation au cours du premier trimestre de grossesse devrait se limiter aux patientes réfractaires, en favorisant la prednisone ou la méthylprednisolone1,3. En ce qui concerne l’utilisation des IPP pour la femme enceinte, on favorise l’oméprazole en raison de son innocuité mieux documentée et, dans les cas où la voie intraveineuse est nécessaire, il est possible d’utiliser le pantoprazole3.

Le profil d’effets indésirables est un élément important à prendre en considération. Le métoclopramide et les phénothiazines sont susceptibles de causer de la somnolence et des réactions extrapyramidales3. L’ajout d’antihistaminiques, en plus de potentialiser l’effet de ces médicaments sur les nausées et les vomissements, aide à prévenir les réactions extrapyramidales3.

Une étude appuie l’utilisation de la clonidine pour des patientes que les traitements habituels ne soulagent pas2. La clonidine est un agoniste alpha-adrénergique central, principalement utilisé comme antihypertenseur2. Elle a démontré son efficacité dans d’autres indications, notamment pour la réduction de la douleur et des nausées postopératoires912. Son mécanisme d’action comme antiémétique n’est actuellement pas connu2. Deux hypothèses principales sont avancées : une réduction sélective de la stimulation adrénergique cérébrale et une interaction avec les récepteurs imidazoline de la partie ventrale du tronc cérébral12,13. De plus, la clonidine, en réduisant la stimulation adrénergique cérébrale, serait efficace pour contrôler l’hypersalivation de différentes populations non obstétricales14. Cet effet pourrait être avantageux pour les patientes présentant une hypersalivation, car ce trouble est susceptible d’aggraver les nausées et les vomissements, en plus d’être en lui-même très incommodant15.

Les publications sur l’utilisation de la clonidine pour traiter l’HG sont limitées. La seule qui existe consiste en une série de cas qui évaluait un traitement à la clonidine transdermique entrepris entre 8 et 16 semaines de grossesse par douze femmes enceintes présentant une HG réfractaire aux traitements habituels2. Le traitement consistait en un timbre de 5 mg de clonidine, libérant 0,2 mg par jour, qu’il fallait changer tous les cinq à six jours2. Les patientes recevaient en parallèle une hydratation intraveineuse2. Elles continuaient à prendre les antiémétiques (prométhazine, métoclopramide, dompéridone et ondansétron) et bénéficiaient d’un traitement contre le reflux et l’acidité gastrique (ranitidine, oméprazole)2. Quatre patientes ont reçu des corticostéroïdes, mais ces derniers ne montraient qu’une efficacité temporaire sur le contrôle des nausées et des vomissements2. L’observation des patientes à l’aide de deux échelles cliniques (l’échelle PUQE [Pregnancy Unique Quantification of Emesis] et l’échelle visuelle analogue) a démontré une amélioration significative des symptômes2. En effet, l’efficacité du traitement est apparue 36 à 48 heures après l’application du timbre et s’est maintenue jusqu’à la fin de l’hospitalisation2. Cependant, la durée de traitement n’était pas précisée pour certaines des patientes. Quatre patientes ont poursuivi le traitement au-delà de la quatorzième semaine de grossesse avec un sevrage graduel, et deux patientes l’ont poursuivi jusqu’à l’accouchement2. Les effets indésirables se sont avérés négligeables, sans que des symptômes d’hypotension aient été rapportés2. Par ailleurs, quelques patientes ont présenté une xérostomie ou une dysgueusie2. Du côté des nouveau-nés, on n’a signalé aucune malformation ou effet indésirable2. Toutefois, on note trois accouchements prématurés, dont deux en raison d’une rupture prématurée des membranes2.

Les données sur la clonidine pour la femme enceinte relèvent de son utilisation en tant qu’antihypertenseur2. Une étude de surveillance et une étude de cohorte ne montrent pas d’augmentation du taux de malformations majeures chez 65 nouveau-nés exposés lors du premier trimestre de grossesse16,17. De plus, une autre étude ne montre pas de différence sur le contrôle de l’hypertension, de la morbidité maternelle ainsi que de la mortalité et de la morbidité fœtales entre les groupes exposés à la clonidine (n = 47) ou au méthyldopa (n = 48) aux deuxième et troisième trimestres18. Récemment, une analyse de cohorte rétrospective a démontré un effet inconstant de la clonidine sur le débit cardiaque maternel et sur la croissance intra-utérine19. Bien que nous disposions de peu d’information sur l’innocuité de la clonidine, l’expérience avec la méthyldopa, un autre alpha2-adrénergique central et agent antihypertenseur de première ligne dans les cas de grossesse, est rassurante17. On pourrait envisager d’utiliser la clonidine pour les cas d’HG réfractaires aux traitements habituels.

Discussion

La clonidine, qui combine une action antiémétique à une réduction de l’hypersalivation, semble avoir été bénéfique pour la patiente. D’un point de vue chronologique, le soulagement des vomissements et de l’hypersalivation pourrait être attribuable à la clonidine. En effet, les nausées et l’hypersalivation ont cessé environ 12 heures après la première dose, et la patiente n’a pas eu de récidive de vomissements. Ce soulagement s’est maintenu, car elle a commencé à tolérer l’alimentation liquide au jour cinq et l’alimentation solide au jour six de l’hospitalisation. De plus, l’état de la patiente ne s’est pas détérioré lors des suivis après la sortie de l’hôpital. Par contre, aucune échelle clinique de gravité des symptômes pour évaluer l’efficacité du traitement n’a été utilisée.

Il faut obligatoirement pouvoir exclure tous les autres facteurs susceptibles de soulager les nausées et les vomissements avant de pouvoir attribuer l’amélioration de l’état de la patiente à la clonidine. Dans environ 80 % des cas, les nausées et vomissements de la grossesse atteignent habituellement une intensité maximale à la neuvième semaine et se résorbent avant la vingtième semaine3. La nécessité de poursuivre le traitement à la clonidine pendant toute la grossesse de la patiente témoigne de l’absence de résolution spontanée. Lorsqu’une hospitalisation est nécessaire, les patientes prises en charge selon le protocole de traitement de l’HG au CHU Sainte-Justine se sentent habituellement mieux dès les premières 24 heures de traitement et obtiennent leur congé de l’hôpital après trois jours de thérapie. Dans le cas présenté, la durée d’hospitalisation de six jours et l’absence d’amélioration après 48 heures témoignent de la gravité de la maladie. Lorsque la patiente a commencé à prendre la clonidine, elle prenait déjà de la pyridoxine, de l’ondansétron et du pantoprazole. La pyridoxine avait été administrée au jour un, sans entraîner d’amélioration de l’état de la patiente. L’ondansétron avait été ajouté au jour deux et optimisé au jour trois, sans qu’une amélioration de l’HG s’ensuive, alors qu’on pouvait s’attendre à un début d’action au bout de 30 minutes. Il est toutefois impossible d’exclure le fait que cet agent ait peut-être contribué au soulagement des vomissements de la patiente, étant donné que l’augmentation de la dose de ce médicament est intervenue le jour même de l’instauration du traitement à la clonidine. Le métoclopramide avait été administré, mais il a été retiré au jour deux à cause de l’antécédent de réaction extrapyramidale de la patiente. La ranitidine intraveineuse avait été tentée pour traiter la gastrite érosive. Mais comme elle n’avait entraîné aucune amélioration de l’état de la patiente, on l’avait remplacée par le pantoprazole intraveineux, qui est l’IPP qui s’impose lorsqu’un patient ne tolère pas de traitement par voie orale. En traitant la gastrite érosive, le pantoprazole peut avoir contribué au soulagement des nausées et des vomissements de la patiente. Toutefois, malgré la diminution des douleurs épigastriques, la persistance des nausées et des vomissements montre que le pantoprazole n’était pas suffisant pour contrôler les symptômes. La poursuite du traitement à l’ondansétron et à l’hydroxyzine jusqu’à la fin de la grossesse pourrait avoir contribué au maintien de l’amélioration de l’état de la patiente après son congé de l’hôpital.

L’effet indésirable principal de la clonidine à prendre en considération est l’hypotension, étant donné qu’une perfusion utéroplacentaire adéquate est nécessaire au développement foetal. La tension artérielle de cette patiente est demeurée dans les normes après l’ajout de la clonidine ainsi que lors de l’augmentation de la dose de ce médicament, avec une diminution de la tension artérielle à une seule reprise sous le seuil d’hypotension, fixé à 90/45 mm Hg par le médecin traitant. L’issue de cette grossesse est normale sur le plan de l’âge gestationnel, du poids à la naissance et de l’absence de malformations majeures.

La série de cas de Maina et coll. rapporte l’utilisation du timbre transdermique de 5 mg de clonidine, libérant 0,2 mg par jour, et remplacé tous les cinq à six jours2. L’absorption du timbre est d’environ 60 %, mais pourrait théoriquement être supérieure lors d’une grossesse20. Si l’on envisage une absorption orale de 75 à 100 %, une dose orale de clonidine de 0,1 mg deux fois par jour peut être jugée équivalente à la dose du timbre transdermique21. Malgré l’absence d’études sur la clonidine par voie orale pour le traitement de l’HG, le fait que les timbres transdermiques de clonidine n’existent pas sur le marché canadien a favorisé le choix de la clonidine par voie orale2. Cette voie semble avoir été efficace et bien tolérée dans le cas présent. En effet, bien que la voie intraveineuse ait été utilisée pour tous les médicaments au moment de la mise en route du traitement à la clonidine, la patiente a réussi à prendre des comprimés de clonidine par voie orale dès la première dose. Il n’existe pas d’autres voies d’administration disponibles pour la clonidine au Canada.

L’utilisation de la clonidine pour traiter l’HG suscite l’intérêt de la recherche. En effet, l’étude clinique CLONEMESI à répartition aléatoire, contrôlée avec placebo est en cours pour évaluer l’efficacité et l’innocuité de la clonidine transdermique pour le soulagement des symptômes graves de l’HG chez les femmes dont la grossesse se situe entre 6 et 12 semaines22.

Conclusion

Le cas présenté est celui d’une femme souffrant d’HG réfractaire aux traitements usuels, mais ayant vu son état s’améliorer après avoir pris de la clonidine par voie orale. Lorsque les traitements habituels sont inefficaces, la clonidine constitue une option thérapeutique à explorer, particulièrement en présence d’hypersalivation, qui peut aggraver les nausées et les vomissements. Il existe peu de données sur l’innocuité de la clonidine administrée aux femmes enceintes. De plus, peu de publications scientifiques appuient l’utilisation de la clonidine pour soulager les vomissements réfractaires pendant la grossesse. Des études sont en cours pour clarifier son utilité dans cette indication.

Financement

Aucun financement en relation avec le présent article n’a été déclaré par les auteurs.

Conflits d’intérêts

Tous les auteurs ont rempli et soumis le formulaire de l’ICMJE pour la divulgation de conflit d’intérêts potentiel. Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec le présent article.

Remerciements

Cet article a été réalisé dans le cadre du cours Communication scientifique de la Faculté de pharmacie de l’Université de Montréal. Les auteurs remercient les responsables ainsi que Caroline Morin, pharmacienne au CHU Sainte-Justine, pour les commentaires reçus lors de la rédaction de cet article. Une autorisation écrite a été obtenue de ces personnes.

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Pour toute correspondance : Maud Blin Mathieu, Département de pharmacie, Centre universitaire de santé McGill, 1001, boulevard Décarie, Montréal (Québec) H4A 3J1, CANADA; Téléphone : 514 412-4400, poste 22280; Télécopieur : 514 412-4344

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PHARMACTUEL, Vol. 48, No. 1, 2015