Description de l’utilisation du formulaire informatisé Bilan comparatif des médicaments et ordonnance médicale transfert et départ pour la rédaction des ordonnances de départ à l’Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec

Thomas Lefebvre1,2, B.Pharm., M.Sc., Julie Racicot3,4, B.Pharm., M.Sc., Paul Poirier5,6, MD, Ph.D., FRCPC, FACC, FAHA

1Candidat au programme de maîtrise en pharmacothérapie avancée au moment de la rédaction, Faculté de pharmacie, Université Laval et Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec, Québec (Québec) Canada;
2Pharmacien, Centre de santé et de services sociaux d’Arthabaska-et-de-l’Érable, Hôtel-Dieu d’Arthabaska, Victoriaville (Québec) Canada;
3Pharmacienne, Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec, Québec (Québec) Canada;
4Professeure de clinique, Faculté de pharmacie, Université Laval, Québec (Québec) Canada;
5Cardiologue, Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec, Québec (Québec) Canada;
6Professeure titulaire, Faculté de pharmacie, Université Laval, Québec (Québec) Canada

Reçu le 23 juillet 2014; Accepté après révision par les pairs le 10 novembre 2014

Résumé

Objectif : Décrire les retombées de l’informatisation et de la réconciliation du formulaire Bilan comparatif des médicaments et ordonnance médicale transfert et départ sur la transmission des informations concernant les médicaments. Comparer ces retombées à celles d’une ordonnance de départ traditionnelle.

Méthodologie : Un schéma 1:3 a permis de sélectionner les dossiers de façon aléatoire à partir d’une liste des départs de patients hospitalisés à l’Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec pour la période du 1er septembre au 14 novembre 2013. Un outil évaluant le type d’ordonnance utilisé, les divergences observées et la médication prescrite a servi pour l’analyse.

Résultats : Des 150 dossiers analysés, 56 % comportaient un bilan comparatif des médicaments (BCM) informatisé prescrits lors du départ et 44 % une ordonnance de départ traditionnelle. L’analyse primaire a montré que le nombre de divergences non intentionnelles était moindre dans le groupe ayant reçu un BCM informatisé que dans le groupe ayant reçu une ordonnance traditionnelle (7 contre 44 %, p < 0,0001). Une seconde analyse évaluant le nombre de patients associés à au moins une divergence a permis de démontrer que les divergences non intentionnelles étaient moins fréquentes dans le groupe ayant reçu un BCM informatisé que dans le groupe ayant reçu une ordonnance traditionnelle (7 contre 29 %, p < 0,0001). Quelle que soit la méthode utilisée pour la rédaction des ordonnances de départ, le nombre de médicaments prescrit au patient influence peu la quantité de divergences observées lors du départ de l’hôpital.

Conclusion : L’utilisation d’un formulaire de type BCM informatisé réconcilié au moment du départ permet de réduire le nombre de divergences non intentionnelles de façon statistiquement et cliniquement significative. L’informatisation du BCM aurait avantage à être mise en oeuvre dans tout l’établissement ainsi que dans un plus grand nombre de centres hospitaliers.

Mots clés :Bilan comparatif des médicaments, BCM, divergences, informatisation, ordonnance de départ

Abstract

Objective : To describe the impact of using a computerized form for medication reconciliation for hospital discharge prescriptions compared with conventionally written discharge prescriptions.

Methodology : Patient records were randomly selected on a 1:3 basis from a list of inpatients discharged from the Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec during the period from September 1 to November 14, 2013. A tool for evaluating the prescribing method used, the different discrepancies, and the medication involved was utilized for the analysis.

Results : Of the 150 records examined, 56% involved computerized medication reconciliation at discharge and 44% involved a conventionally written prescription at discharge. The primary analysis showed that the number of unintentional discrepancies was lower in the computerized medication reconciliation group than in the conventional prescription group (7% vs. 44%, p < 0.0001). A second analysis, which determined the number of patients with at least one discrepancy, revealed a lower incidence of unintentional discrepancies in the computerized medication reconciliation group (7% vs. 29%, p < 0.0001). Regardless of the method used to write the discharge prescriptions, the number of drugs prescribed to patients had little effect on the number of discrepancies at discharge from the hospital.

Conclusion : The use of a computerized medication reconciliation form for medication reconciliation at discharge reduces the number of unintentional discrepancies in a statistically and clinically significant fashion. The authors suggest that a computerized medication reconciliation form should be used throughout Quebec hospitals.

Keywords : Computerization, discharge prescription, medication reconciliation

Introduction

Au Canada, les médicaments sont responsables de près du quart des hospitalisations. En 2008, le coût annuel de ces hospitalisations se chiffrait entre 2,2 et 5,6 milliards de dollars canadiens1. Presque 28 % des visites aux urgences sont secondaires à un problème d’utilisation des médicaments et 70 % de ces visites auraient pu être prévenues2. Étant donné l’importance de ce problème, la mise en oeuvre d’une méthode standardisée de suivi de la médication s’est imposée.

Depuis 2006, le bilan comparatif des médicaments (BCM) est une pratique organisationnelle exigée par Agrément Canada3. L’objectif principal du BCM est de prévenir les complications et les décès résultant d’un accident lié à l’utilisation des médicaments. Le bilan vise à dresser une liste complète des médicaments pris à domicile par le patient lors de son admission à l’hôpital et à comparer les divergences entre cette liste et les ordonnances émises à l’admission, au transfert, au départ de l’hôpital et lors du suivi ambulatoire du patient4. La mise en oeuvre du BCM dans nos milieux de soins a entraîné une diminution importante du nombre d’erreurs liées à la médication5,6. En effet, selon le rapport d’Agrément Canada de 2009, le taux de divergences non intentionnelles (modification, ajout ou omission involontaire d’un médicament) a connu une diminution de 50 % depuis l’introduction du BCM dans le cadre de la campagne Des soins de santé plus sécuritaires maintenant7.

Par ailleurs, l’informatisation du BCM dans les unités de soins de l’Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec (IUCPQ) a débuté progressivement en 2010. À l’arrivée du patient dans l’établissement, un BCM est réalisé par le pharmacien, avec l’aide d’un assistant technique en pharmacie dans certains secteurs, puis les informations du BCM sont saisies dans le logiciel de la pharmacie. Dans certaines cliniques préopératoires, les infirmières valident auprès des patients la liste des médicaments qu’ils prennent à domicile, puis elles télécopient à la pharmacie la liste annotée afin qu’elle soit incluse dans le dossier patient informatisé. Le logiciel de la pharmacie permet de classer tous les médicaments d’un patient en deux catégories : les ordonnances actives à l’hôpital et les ordonnances inactives (médication prise à domicile, mais que le patient a cessé de prendre depuis son admission ou dont la prescription a été modifiée ou n’a pas été renouvelée depuis l’admission du patient). La pharmacie imprime quotidiennement un formulaire contenant ces deux catégories d’ordonnances et l’ajoute au dossier du patient. Ce formulaire, qui s’intitule Bilan comparatif des médicaments et ordonnance médicale transfert et départ, est utilisé par le prescripteur pour rédiger les ordonnances lors du transfert ou du départ du patient. Ce formulaire est donc un BCM informatisé réconcilié, puisqu’il comporte aussi bien la liste de la médication active que la liste de la médication prise avant l’admission. Une copie de ce formulaire est présentée à la figure 1 de l’annexe.

Malgré les données de la documentation scientifique portant sur les répercussions des BCM sur les erreurs médicamenteuses lors du transfert et du départ des patients, peu d’études se sont intéressées aux conséquences de l’utilisation de ce formulaire informatisé réconcilié. Nous voulions évaluer à quel point la présence de cette liste de la médication active sur le formulaire BCM informatisé représentait une amélioration. Ainsi, l’objectif principal de la présente étude consiste à décrire les retombées de l’utilisation du formulaire BCM informatisé réconcilié pour la rédaction de l’ordonnance du départ sur la transmission des informations sur les médicaments, par rapport à une ordonnance de départ traditionnelle. Cette étude comporte également deux objectifs secondaires : 1) évaluer l’utilisation du BCM informatisé par les médecins; 2) évaluer les conséquences du nombre de médicaments au dossier sur la quantité de divergences observées lors du départ du patient.

La plupart des hôpitaux de la province utilisent au moins en partie un BCM. Cependant, le niveau et le procédé d’informatisation des formulaires BCM et de leur intégration au dossier patient varient selon les centres hospitaliers. Ainsi, peu d’établissements utilisent le BCM informatisé réconcilié préparé à l’admission du patient lors du départ de ce dernier. Les résultats de cette étude, qui évaluent les répercussions de l’informatisation du BCM, pourront influencer l’ensemble de la pratique hospitalière québécoise.

Méthodologie

Cette étude transversale descriptive nous a permis de décrire l’utilisation du formulaire BCM sur une période de temps précise et ciblée dès le commencement de l’épisode de soins hospitaliers. La population à l’étude était composée de l’ensemble des patients ayant quitté l’IUCPQ entre le 1er septembre et le 14 novembre 2013 et pour lesquels nous devions donc retrouver au dossier archivé soit une copie du BCM informatisé soit une ordonnance traditionnelle. L’ordonnance traditionnelle pouvait être une liste de la médication active (prise à l’hôpital) ou une ordonnance manuscrite utilisée comme ordonnance de départ. Les dossiers devaient également comporter une liste officielle de la médication prise à domicile, soit un BCM d’admission ou un profil pharmacologique provenant de la pharmacie communautaire. Les dossiers étaient exclus lorsque le profil pharmacologique était antérieur de plus d’un mois à la date d’admission, en raison du risque de manque d’information pouvant influencer le déroulement de l’hospitalisation.

La sélection aléatoire des patients a été réalisée de façon probabiliste selon un ratio 3:1 à partir d’une liste indiquant le numéro de dossier des patients ayant quitté l’IUCPQ entre le 1er septembre et le 14 novembre 2013. Cette liste a été produite par l’administration hospitalière et extraite du logiciel GespharMD. Tous les patients satisfaisant aux critères de l’étude ont été inclus, jusqu’à l’atteinte de la taille de l’échantillon prévue, soit 150 patients. Cette taille d’échantillon estimée correspond à celle des études retrouvées dans la documentation scientifique. Cette taille a été fixée comme étant la taille minimale nécessaire pour pouvoir comparer les groupes ayant reçu une ordonnance de départ soit de type BCM informatisée, soit de type traditionnel. La direction des services professionnels de l’IUCPQ a approuvé l’étude.

Lors de l’analyse rétrospective des dossiers archivés réalisée au cours de l’hiver 2013–2014, le chercheur principal a comparé la liste des médicaments pris par le patient avant son admission, la liste présente dans le dossier du patient dans les dernières 24 heures d’hospitalisation, et les ordonnances rédigées lors du départ du patient. Cette analyse a fait appel à quatre grandes catégories de divergences. La catégorie principale, définie comme susceptible de porter préjudice au patient, comprend les divergences non intentionnelles qui se produisent lorsque le prescripteur ajoute, modifie, ou interrompt involontairement la prise d’un médicament3. D’autres divergences sont sans conséquence pour les patients et nous les avons définies de la façon suivante : les divergences intentionnelles consignées se produisent lorsque le prescripteur décide volontairement d’ajouter, de modifier ou d’interrompre la prise d’un médicament tout en inscrivant sa décision dans le dossier médical ou dans sa note de départ3; nous retrouvons donc une preuve de l’action dans le dossier médical. Les divergences intentionnelles non consignées sont semblables à la catégorie précédente, mis à part que le prescripteur n’inscrit pas son intervention dans le dossier médical3. Afin d’évaluer ce type de divergence, nous devions retrouver les raisons motivant la divergence relevée dans les notes médicales et les ordonnances prescrites au cours de l’hospitalisation. Finalement, lorsque nous ne pouvions expliquer l’écart établi en raison de l’absence d’information sur l’intention du prescripteur, nous avons catégorisé la divergence comme indéterminée3. Nous avons également classé les divergences relevées selon les six sous-catégories suivantes : 1) omission, 2) erreur de dose, 3) posologie différente, 4) substitution, 5) voie d’administration modifiée, 6) ajout. Lors de la mise en évidence de divergences non intentionnelles, nous avons également évalué de façon systématique les hospitalisations subséquentes si elles étaient disponibles dans le dossier archivé, afin d’établir de possibles conséquences cliniques.

Deux analyses des résultats primaires ont été effectuées. Premièrement, les deux groupes ont été étudiés en fonction du nombre total de divergences. Deuxièmement, afin d’avoir une meilleure image de la pratique réelle, en tenant compte du fait que plusieurs divergences peuvent provenir d’un nombre plus restreint de patients pour lesquels les prescripteurs étaient moins efficaces, nous avons étudié le nombre de patients pour lesquels au moins une divergence a pu être relevée.

Au cours de la collecte de données, une grille de critères et de commentaires validée par une résidente en pharmacie puis remplie par le chercheur principal a servi à évaluer l’utilisation du formulaire BCM informatisé par les différents prescripteurs. Les principaux critères nous permettant de juger du caractère adéquat ou inadéquat de l’utilisation du formulaire BCM informatisé étaient la présence ou non de la signature du prescripteur sur l’ensemble des pages du document et l’absence ou la présence d’incongruité dans le renouvellement de la prescription des médicaments (par exemple, absence ou présence de doublons). La mention adéquate ou inadéquate était inscrite dans le fichier de collecte de données et un commentaire décrivant l’usage inadéquat y était ajouté, le cas échéant. Afin d’évaluer les conséquences du nombre de médicaments dans le dossier sur la quantité de divergences lors du départ du patient, nous avons calculé la corrélation entre le nombre de médicaments actifs et inactifs au départ de l’unité de soins et la quantité de divergences rencontrées lors du départ. Selon les seuils couramment acceptés, la corrélation est faible ou négligeable lorsque la valeur absolue de la corrélation se situe respectivement entre 0,2 et 0,4 ou entre 0,0 et 0,28.

Nous avons analysé les données recueillies à l’aide des logiciels Excel 2011 de MicrosoftMD et MATLAB 8 de MathWorksMD. Le calcul des moyennes et des écarts types nous a permis de décrire les variables quantitatives, à savoir l’âge et le nombre de médicaments actifs et inactifs lors du départ du patient. Pour les variables qualitatives (c.-à-d., les divergences), des proportions ont été calculées. Les proportions ont été comparées à l’aide du test du Khi carré et une valeur p inférieure à 0,05 (risque d’erreur) a été considérée comme étant statistiquement significative.

Résultats

Au total, 286 dossiers ont été retenus au début de l’étude. De ce nombre, 136 ont été rejetés (25 ne comportaient pas de liste de la médication prise à domicile, 64 n’avaient pas de copie de l’ordonnance de départ, 12 patients ne prenaient aucune médication avant l’hospitalisation et 35 dossiers étaient incomplets en ce qui concerne le processus d’archivage). Au final, 150 dossiers ont été inclus dans l’étude puis séparés entre deux groupes selon le type d’ordonnances de départ : 56 % des patients (n = 84) ont été inclus dans le groupe BCM de départ informatisé et réconcilié (BCMi) et 44 % (n = 66) ont été inclus dans le groupe autres types d’ordonnances de départ (« autres »). Dans 90 % des cas du groupe « autres », le profil de la médication active servait de modèle pour la rédaction de l’ordonnance lors du départ de l’hôpital. Ce profil ne comportait que la médication ajoutée au cours de l’épisode de soins à l’hôpital, contrairement au formulaire BCMi qui comprenait toute la médication prise à domicile, qu’elle ait été prescrite ou non à l’hôpital. Pour le reste des cas du groupe « autres » (10 %), les ordonnances étaient rédigées de façon manuscrite sur un formulaire entièrement vierge. La répartition des groupes selon les unités d’admission (tableau I) reflète bien le processus progressif d’informatisation du formulaire BCM dans les unités de soins de l’IUCPQ. Le tableau I présente également les caractéristiques de l’échantillon à l’étude, soit un âge avancé et un nombre de médicaments élevé, ce qui est très représentatif de la population usuelle des patients de l’IUCPQ.

Tableau I Description des participants à l’étude

 

Parmi les divergences relevées dans le groupe BCMi, 23 % étaient intentionnelles et consignées, 25 % intentionnelles mais non consignées, et 13 % non intentionnelles. Dans le groupe « autres », 45 % des divergences étaient intentionnelles et consignées, 11 % étaient intentionnelles mais non consignées, et 26 % non intentionnelles. La proportion de divergences indéterminées était importante dans les deux groupes (39 % et 18 % respectivement pour les groupes BCMi et « autres »).

Nous avions préalablement comparé les deux groupes en fonction du nombre total de divergences. Les divergences non intentionnelles (celles susceptibles de porter préjudice au patient) se retrouvaient chez 7 % des patients du groupe BCMi comparativement à 44 % des patients du groupe « autres » (p < 0,0001). Les divergences intentionnelles et consignées, qui sont souhaitées et considérées sans conséquence pour les patients, étaient quant à elles moins fréquentes dans le groupe BCMi que dans le groupe « autres » (13 % contre 76 % respectivement, p < 0,0001). Le taux de divergences intentionnelles mais non consignées (14 % contre 18 %), ainsi que celui des divergences indéterminées (23 % contre 29 %) était comparable pour les deux groupes (tableau II). Contrairement au groupe BCMi, dans lequel aucune complication médicale n’a été observée, nous avons relevé deux patients dans le groupe « autres » pour lesquels les divergences non intentionnelles ont entraîné des complications médicales importantes. Un patient, qui avait subi l’implantation d’un tuteur et qui n’avait pas reçu de prescription d’antiplaquettaire à son départ de l’hôpital, a été de nouveau admis en raison d’une sténose de son tuteur. Un autre patient, admis pour péricardite et pour lequel la colchicine ne figurait pas sur l’ordonnance de départ, a été de nouveau hospitalisé en raison d’une exacerbation de son état.

Tableau II Analyses primaires et secondaires

 

Le tableau II présente également l’analyse secondaire qui a été réalisée pour comparer les différents types d’ordonnances de départ en fonction du nombre de patients associés à au moins une divergence de chaque type. Dans le groupe BCMi, 7 % des patients étaient associés à au moins une divergence non intentionnelle, comparativement à 29 % des patients dans le second groupe (p < 0,0001). Le nombre de patients associés à au moins une divergence intentionnelle consignée était également moins important pour les patients ayant reçu un formulaire BCMi que pour ceux ayant reçu une ordonnance de départ traditionnelle (10 % contre 33 % respectivement, p < 0,0001). Les deux autres catégories de divergences étaient toujours comparables, quel que soit le type d’ordonnance de départ utilisé par les prescripteurs. Une stratification des résultats de la seconde analyse a été effectuée en fonction de l’unité d’admission des patients à l’étude, en raison des différences interdépartementales de degré de mise en oeuvre du BCMi réconcilié et de la présence ou non d’un pharmacien. Le tableau III présente les résultats concernant les divergences non intentionnelles.

Tableau III Patients présentant au moins une divergence non intentionnelle, selon les départements

 

Quels que soient le type d’ordonnance de départ utilisé et la catégorie de divergence relevée, les omissions représentaient la sous-catégorie la plus importante des écarts rencontrés (50 à 80 % des divergences selon les groupes), suivies des erreurs de doses et de posologies (en proportion variable selon les groupes).

Les divergences en relation avec la médication ajoutée dans les dernières 24 heures de l’hospitalisation correspondent à moins de 10 % des divergences relevées et étaient principalement catégorisées comme intentionnelles consignées et non consignées. Aucune erreur ayant des répercussions cliniques en lien avec la médication du patient ne découlait de ces divergences.

Pour ce qui est de l’utilisation du BCMi par les médecins, une utilisation adéquate du nouveau formulaire BCMi a été observée chez 77 % des patients inclus dans l’étude. L’emploi inadéquat correspondait en grande majorité à une absence de signature des prescripteurs sur toutes ou certaines des pages de prescription médicamenteuse. Dans une moindre mesure, on a parfois observé que le prescripteur ne remplissait que la première page du formulaire et omettait de remplir les pages suivantes.

Puisque les participants à l’étude prenaient une quantité importante de médicaments, nous avons analysé la corrélation entre le nombre de médicaments actifs et inactifs au départ de l’unité de soins et la quantité de divergences rencontrées lors du départ du patient. Les résultats ont montré une corrélation respective de 0,24 et de 0,05 pour les groupes BCMi et « autres ».

Discussion

Les résultats de cette étude démontrent que l’utilisation du formulaire informatisé réconcilié Bilan comparatif des médicaments et ordonnance médicale transfert et départ pour rédiger l’ordonnance médicamenteuse lors du départ d’un patient permet un meilleur suivi de la médication prise à domicile ainsi que celle prescrite au cours de l’épisode de soins. Les résultats de l’étude démontrent la commodité et la simplicité du procédé d’utilisation de ce formulaire, ce qui encourage son déploiement dans la totalité des unités de soins de l’IUCPQ.

Une étude publiée en 2009 dans American Journal of Health-System Pharmacy a estimé la fréquence des divergences observées lors du départ de l’hôpital et associées à l’utilisation d’un formulaire manuscrit semblable au BCM. Les chercheurs ont démontré une réduction des erreurs médicamenteuses de 90 % à 47 % pour des patients quittant un département de chirurgie. Dans le cadre de la présente étude, de telles erreurs seraient considérées comme des divergences non intentionnelles. Pour des patients quittant une unité de médecine, l’utilisation du formulaire manuscrit combiné à un questionnaire complet de l’équipe pharmaceutique a entraîné une réduction de 57 % à 33 % de ces divergences, par rapport à une méthode où seul un profil pharmaceutique était utilisé avec un rôle limité des pharmaciens9. Cette étude a mis en lumière un nombre beaucoup plus important de divergences non intentionnelles que celui observé dans notre établissement. Cependant, la diminution significative du nombre de ces divergences à la suite de l’utilisation d’un formulaire semblable au BCM québécois se compare à la diminution statistiquement significative observée dans notre établissement à la suite de l’informatisation du formulaire.

Une étude réalisée à l’Hôpital l’Enfant-Jésus de Québec (HEJ) et menée auprès de 108 sujets, publiée dans Pharmactuel en 2012, présente un protocole de recherche semblable au nôtre. Les chercheurs de cette étude ont évalué les conséquences de l’utilisation de différents types d’ordonnances de départ sur la transmission des données sur la médication entre les différents prestataires de soins10. Un des types d’ordonnance de départ évalués était un BCM informatisé où la médication prescrite durant l’hospitalisation était ajoutée de façon manuscrite. Une analyse en deux temps a permis d’évaluer les divergences entre l’ordonnance de départ et la médication prise par le patient avant son admission, en plus d’évaluer les divergences entre la médication prescrite dans les dernières 24 heures d’hospitalisation et l’ordonnance de départ. Les chercheurs n’ont mis en évidence aucune divergence non intentionnelle par rapport à la médication prise à domicile, quel que soit le support sur lequel l’ordonnance de départ était rédigée. Les divergences relevées étaient principalement intentionnelles consignées et, dans une moindre proportion, intentionnelles non consignées ou indéterminées. L’analyse de la médication prescrite dans les dernières 24 heures d’hospitalisation a révélé que la fréquence des divergences non intentionnelles relevées sur le BCM, le sommaire de départ ou l’ordonnance de départ manuscrite était respectivement de 1,6 %, 10,8 % et 4,3 %10. La combinaison des données relatives aux « sommaires de départ » et aux « ordonnances de départ manuscrites » de l’étude se compare aux données du groupe « autres » de notre étude.

Il est important de mentionner que l’analyse des données collectées dans l’étude de l’HEJ était différente de la nôtre, ce qui complique la comparaison des résultats portant sur les divergences intentionnelles consignées et non consignées. Dans notre étude, une divergence intentionnelle consistait en la consignation de l’action posée par le prescripteur dans le dossier médical. Dans l’étude de l’HEJ, il s’agissait de l’action de prescrire ou de retirer un médicament sur l’ordonnance de départ. Dans notre étude, les divergences intentionnelles consignées ainsi qu’une bonne partie de celles non consignées correspondent toutes deux à une action du prescripteur sur l’ordonnance de départ. Bien que la justification de l’action ne soit pas toujours présente dans le dossier médical, nous pouvons considérer ces deux classes de divergences comme étant intentionnelles et consignées selon la définition employée par les chercheurs de l’HEJ. Certaines de nos divergences intentionnelles non consignées correspondaient à l’absence d’un renouvellement de prescription de certains médicaments sur l’ordonnance de départ et restent donc des divergences non consignées selon l’étude de l’HEJ.

Selon l’étude de l’HEJ, un médicament absent de l’ordonnance de départ constitue une divergence intentionnelle non consignée si la raison d’une telle action est bien justifiée dans le dossier médical. Dans notre étude, nous avons classé une telle divergence de deux façons différentes selon le type d’ordonnance de départ utilisé. Dans le cas d’une ordonnance traditionnelle, lorsque le médicament en question était présent sur la liste de la médication prise à domicile, nous avons considéré que la divergence était non intentionnelle, car le pharmacien n’était pas mis au courant de la marche à suivre. Dans le cas d’un formulaire BCMi, le médicament en question ne pouvait être qu’un médicament ajouté dans les dernières 24 heures d’hospitalisation. Selon l’importance de la médication omise, nous pouvions classer la divergence comme non intentionnelle ou comme intentionnelle non consignée.

Il est important de mentionner que les chercheurs de l’HEJ ont observé une variation importante du nombre de divergences non intentionnelles associées à la médication prescrite dans les dernières 24 heures d’hospitalisation, selon que le formulaire BCM ou un sommaire de départ était utilisé. L’étude a également démontré beaucoup moins de divergences non intentionnelles que ce que nous avons observé dans notre étude. Certaines caractéristiques de notre étude (taille d’échantillon plus élevée et population plus âgée) pourraient expliquer ces différences.

L’utilisation d’un BCM vise à mieux répertorier les divergences afin d’améliorer la communication entre les intervenants du milieu. Selon notre méthode d’analyse, cet aspect est difficile à évaluer. Nous allons donc poursuivre notre discussion en comparant nos résultats avec ceux de l’étude de l’HEJ. Comme nous l’avons expliqué précédemment, nous pouvons considérer une partie de nos divergences intentionnelles non consignées comme étant consignées. Ce faisant, nous augmentons la proportion de ce nombre de divergences dans nos deux groupes, mais le nombre relatif de ces divergences reste inférieur dans le groupe BCMi par rapport au groupe « autres ». Malgré le travail effectué, il nous est difficile d’attribuer une cause claire à ce phénomène, qui pourrait s’expliquer par une moyenne moins élevée du nombre de médicaments dans le groupe BCMi.

Un formulaire BCMi, qu’il soit réconcilié ou non, est statistiquement et cliniquement plus efficace qu’une ordonnance de départ traditionnelle pour diminuer le nombre total de divergences non intentionnelles lors du départ du patient. Bien qu’il soit difficile de comparer notre étude à celle de l’HEJ, nous nous permettons de poser l’hypothèse de la supériorité du formulaire BCMi réconcilié. Étant donné la diminution marquée du nombre de divergences non intentionnelles observées dans notre étude, il est possible que le formulaire BCMi réconcilié soit plus efficace qu’un formulaire informatisé seul pour diminuer le nombre de divergences non intentionnelles. Cet avantage pourrait être dû à la présence de la médication prescrite au cours de l’hospitalisation sur ce formulaire. Une étude future devra vérifier une telle hypothèse.

Nous avons effectué une seconde analyse de nos résultats sur la transmission des données pharmacologiques. Notre analyse primaire, en concordance avec les études préalablement publiées, concernait le nombre total de divergences relevées dans les groupes, alors que notre analyse secondaire portait sur le nombre de patients pour lesquels au moins une divergence a pu être relevée1012. Prenons comme exemple les divergences non intentionnelles, que nous devons réduire le plus possible : 7 % des patients du groupe BCMi présentaient au moins une erreur de ce type, comparativement à 29 % des patients du groupe « autres ». Tout comme lors de l’analyse primaire, cette différence est statistiquement et fort probablement cliniquement significative (p < 0,0001), même si la différence observée entre les deux groupes est un peu moins marquée que celle constatée lors de l’analyse primaire. L’utilisation du formulaire BCMi réconcilié pour rédiger l’ordonnance de départ entraîne donc significativement moins d’erreurs médicamenteuses non intentionnelles. Aucun accident en lien avec une mauvaise utilisation de la médication n’a pu être observé dans le groupe BCMi, alors que deux omissions de prescription de médicaments essentiels ont été relevées dans le groupe « autres » et ont entraîné des hospitalisations ultérieures.

Les deux analyses n’ont mis en évidence aucune différence de répartition des divergences intentionnelles non consignées selon le type d’ordonnances de départ utilisé. Par contre, les divergences intentionnelles et consignées dans le dossier médical étaient statistiquement moins fréquentes dans le groupe BCMi que dans le groupe « autres » (p < 0,0001 pour chacune des deux analyses). Ces résultats ne correspondent pas à ce qui a préalablement été observé dans l’étude de l’HEJ de 2012, où les divergences par rapport à la médication prise à domicile étaient consignées à raison de 97,7 % sur le formulaire BCM, de 78,8 % sur le sommaire de départ et de 86,1 % sur les ordonnances de départ manuscrites10. Selon notre analyse, qui diffère de celle effectuée par les auteurs de l’étude de l’HEJ, le prescripteur doit inscrire au dossier médical la modification apportée à l’ordonnance de départ pour que la divergence soit considérée comme intentionnelle documentée. Quel que soit le support de l’ordonnance de départ, la répartition d’une telle divergence devrait être relativement équivalente entre les deux groupes. Notre résultat peut être en partie expliqué par le fait que le formulaire BCM n’est pas conçu pour moduler l’inscription au dossier médical des modifications effectuées par le prescripteur. De plus, les médecins de l’IUCPQ n’ont pas été sensibilisés au fait qu’ils devaient inscrire les modifications apportées à l’ordonnance de départ dans le dossier médical, probablement en raison du fait qu’une copie de cette ordonnance est gardée dans le dossier du patient.

Le nombre de médicaments prescrits au patient était également une variable intéressante à étudier. Plusieurs études ont évalué les répercussions du nombre de médicaments sur le nombre de divergences lors du départ du patient, et des résultats contradictoires ont été relevés. Geurts et coll. arrivent à la conclusion que le nombre de divergences augmente avec le nombre de médicaments d’un patient, tandis que Cornu et coll. ont démontré une augmentation de 47 % du nombre de divergences avec chaque ajout de médicament11,12. Par contre, l’étude de l’HEJ a trouvé que le nombre de médicaments n’influençait pas le nombre de divergences dans un dossier10. Dans le groupe « autres » de notre étude, nous avons observé que le nombre d’erreurs semble indépendant du nombre de médicaments actifs et inactifs inscrits au profil du patient avant son départ. Dans le groupe BCMi, nous avons noté un faible lien entre ces variables, avec un nombre d’erreurs qui augmente avec le nombre de médicaments. Ces résultats contradictoires sont difficiles à expliquer, mais il est possible de soulever l’hypothèse que les méthodes de renouvellement de prescription utilisées au Québec seraient plus efficaces qu’ailleurs et que le travail de l’équipe multidisciplinaire entourant le médecin diminuerait les erreurs après la rédaction de l’ordonnance de départ.

L’analyse de l’emploi du formulaire BCMi nous a permis de mieux comprendre les limites de cette méthode et d’y apporter les correctifs nécessaires. Dans l’ensemble, le BCMi était bien utilisé dans les unités déjà informatisées. Lorsque le formulaire comporte plus d’une page, la mise en valeur d’une mention « voir au verso » pourrait être une solution efficace pour pallier certains problèmes. Les professionnels des unités de soins en cours d’informatisation pourraient également recevoir une formation sur l’utilisation adéquate du formulaire.

Notre étude présente certaines limites. Premièrement, puisque l’informatisation du formulaire BCM se fait de façon progressive dans les différentes unités de l’IUCPQ, il est possible que notre étude ait évalué la pratique d’un nombre plus restreint de prescripteurs dans le groupe BCMi, entraînant ainsi un biais de sélection. Par exemple, l’informatisation du formulaire est principalement présente dans les unités de chirurgie et les résultats obtenus pourraient ne pas être représentatifs de l’ensemble des prescripteurs de l’IUCPQ. Afin de pallier ce biais, nous avons stratifié les résultats de notre analyse secondaire en fonction de l’unité d’admission de chaque patient. Deuxièmement, étant donnée la dilution de notre population entre les différentes unités de soins, certains départements n’ont pas assez de patients inclus dans l’étude pour qu’on puisse statistiquement y évaluer une différence entre les groupes. Par contre, nous avons pu observer les retombées de l’informatisation du BCM pour le département de cardiologie (où la mise en oeuvre du BCMi est moins étendue) et celui de chirurgie cardiaque (où la mise en oeuvre du BCMi est plus importante). Les résultats obtenus permettent de compenser cette limitation car, indépendamment du degré d’informatisation du BCM dans le département, la diminution respective des divergences non intentionnelles dans le groupe BCMi par rapport au groupe « autres » demeure significative (cardiologie : 0 % contre 39,9 %; p < 0,0001; chirurgie cardiaque : 5 % contre 100 %; p < 0,0001). Malgré cette stratification des résultats, un plus grand échantillon nous permettrait d’effectuer une analyse plus robuste de l’ensemble des unités. Troisièmement, il est important de mentionner que dans les unités où le processus d’informatisation est bien adopté, comme les départements de chirurgie générale et cardiaque, le groupe comparateur est absent. En effet, le BCMi a été utilisé pour pratiquement 100 % des dossiers analysés, ce qui peut diminuer la pertinence de notre stratification. Quatrièmement, en raison de la nature rétrospective de la collecte de données, nous avons dû classer un grand nombre de divergences dans la catégorie indéterminées à cause du manque de données dans les dossiers archivés. Un biais d’interprétation est donc possible, ce qui sous-estime probablement le nombre réel des autres types de divergences.

À notre connaissance, cette étude représente l’une des premières études ayant analysé de deux façons différentes les retombées du formulaire BCMi réconcilié, afin de mieux refléter la pratique réelle observée dans nos milieux hospitaliers québécois. Elle est aussi innovatrice quant à l’analyse de l’utilisation des formulaires BCMi. Il s’agit d’une des premières études québécoises portant sur les répercussions de l’utilisation d’un formulaire BCMi réconcilié lors du départ du patient de l’hôpital.

Conclusion

En conclusion, les retombées de l’utilisation du formulaire informatisé réconcilié Bilan comparatif des médicaments et ordonnance médicale transfert et départ pour la rédaction de l’ordonnance de départ des patients admis à l’IUCPQ sont positives. Le BCMi réconcilié permet principalement une diminution importante des divergences non intentionnelles qui sont susceptibles d’entraîner des complications médicamenteuses préjudiciables pour la santé des patients. L’étude a également montré qu’une proportion importante du corps médical utilisait correctement le BCMi, ce qui servira d’argument supplémentaire pour poursuivre sa mise en oeuvre dans l’ensemble des unités de soins de l’IUCPQ. Les résultats de cette étude pourront entraîner un certain changement de pratique quant à la prise en charge de la médication du patient à l’aide du BCM. Ces changements pourraient être observés dans une majorité d’établissements québécois où le formulaire BCM traditionnel est utilisé. Il sera important de sensibiliser les prescripteurs sur la nécessité d’indiquer dans le dossier médical les changements effectués à la médication lors du départ des patients afin d’assurer un meilleur suivi des interventions médicales effectuées en cours d’hospitalisation.

Annexe

Cet article comporte une annexe disponible sur le site de Pharmactuel (www.pharmactuel.com).

Financement

Aucun financement en relation avec le présent article n’a été déclaré par les auteurs.

Conflits d’intérêts

Tous les auteurs ont rempli et soumis le formulaire de l’ICMJE pour la divulgation de conflits d’intérêts potentiels. Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec le présent article.

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Pour toute correspondance : Julie Racicot, Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec, 2725, chemin Ste-Foy, Québec (Québec) G1V 4G5, CANADA; Téléphone : 418 656-8711, poste 3024; Courriel : julie.racicot@ssss.gouv.qc.ca

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PHARMACTUEL, Vol. 48, No. 2, 2015